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La difficulté des réveils dominicaux
Posté par newyorkais le 22/10/2006 00:00:00
Il me semble que c'est une vérité universellement reconnue que le moment déterminant d'une journée, celui qui décide pour nous de l'orientation que va prendre notre humeur pour les 16 harassantes heures qui constituent la matière du quotidien, c'est le réveil. Ce jour là, il avait été convenu que mon réveil devait ouvrir mes yeux sur le premier dimanche de l'été, où traditionnellement, le parfum de vacances qui flotte de ça de là dans les rues de la ville vous invite à adopter une humeur qui doit être considérée selon certains standarts internationaux comme bonne. C'est normalement une période durant laquelle il n'est pas rare d'être sorti de sa léthargie nocturne par le contact chaud des vents du sud qui montent sous nos latitudes et qui viennent doucement caresser un visage endolori tandis que la partie du corps immergée reste ensommeillée à 37.2° sous une chaude et épaisse couette, de satin de coton dans mon cas. Moi, j'ai toujours aimé ses réveils là. Je les aimes d'autant plus si les rayons ascendants d'un soleil qui prend son poste se joignent à la cérémonie mais ce jour là, ce moment rare d'intimité et de douceur m'avait été brutalement subtilisé par la voie, qui fut peut être jadis mélodieuse, d'une petite vieille qui habite le quartier et qui me haie cordialement. Cette mégère périmée avait sciemment j'en suis sur haussé le ton en passant sous mes fenêtres sur le chemin de l'église alors qu'elle parlait à son fils, un huissier de carrière qui n'avait qu'elle et que je soupçonnais d'ailleurs de faire de sa visite hebdomadaire sa bonne action de la semaine juste avant de se rendre chez son prestigieux hôte dominical, histoire de se faire bien voir. Ca marche comme ça un catholique, on peut tout lui demander dans les 12 heures qui précèdent l'office ; les juifs, les musulmans et toute la clique fonctionnent d'ailleurs selon mes conclusions sur le même mode d'emploi. Par exemple, si vous avez un ami juif, choisissez bien ce moment là pour lui demander de solliciter son grand-père si vous avez besoin d'un prêt en votre faveur. Si vous avez plusieurs amis juifs, demander leurs à chacun, indépendamment bien sur, cela optimisera vos chances (oui, tous les juifs ont un grand-père banquier, sinon, ça sert à quoi d'être juif ?).


La part de risque

Tout ça pour dire que cette vieille râleuse m'avait interrompu dans ma léthargie matinale.
Ca faisait bien deux ans qu'elle m'énervait celle-là. Elle me détestait parce que dans des temps immémoriaux où elle était déjà moche et ridée, je l'avais légèrement bousculée à la sortie de la boulangerie du quartier.
- "Ca va pas ? ! Vous pouvez pas regardez devant vous ?" M'avait-t-elle lancée.
- "Pardon madame, je suis vraiment désolé" avais-je poliment répondu, parce que c'est toujours une bonne chose de se faire bien voir par les petits vieux quand on est nouveau dans un quartier. Mais elle avait continué à s'énerver, la vieille.
- "Vraiment, vous êtes un sombre crétin !
- Je suis confus.
- En plus j'ai des œufs dans mon sac, à coup sur vous m'en avez cassés ! Je vous préviens, vous allez m'en racheter !
- Ca va, je vous ai présenté des excuses ! Alors la petite vieille elle va se calmer sinon son sac je met un coup de pied dedans comme ça les œufs j'en fais une omelette !"
Elle ne m'a jamais pardonnée. Pourtant j'ai tenté de me racheter une fois en lui portant son sacro-saint sac alors que je l'avais croisée rentrant du marché, mais rien n'y avait fait ; quelque chose s'était définitivement brisé entre nous ce jour là.

Bref, ce dimanche matin, elle avait sûrement fait un détour spécialement pour me réveiller. Au fond, c'est touchant. J'étais encore en train de rêver quand le son de sa voie est venu jusque dans mon rêve pour être bien sur de m'en extraire. Le rêve est un des rares moments de liberté qu'il reste à un homme de nos jours, surtout s'il est marié, ce qui n'est pas mon cas ; et il avait fallu que cette vieille me le foute en l'air. J'étais de mauvaise humeur et de toute façon par nature peu enclin à faire quelconque effort pour modifier cet état de fait. J'ai passé l'heure qui a suivie à me demander si l'odeur de café qui venait du troisième allait suffire à me donner l'illusion que quelqu'un l'avait préparé pour moi mais finalement non, j'étais seul et il fallait que je m'en occupe. J'ai donc délicatement sorti le bras gauche de sous la couette, suivie peu après par la jambe gauche en les déposant sur leurs homologues droits, prenant la couverture en sandwich. C'est une bonne façon d'accuser en douceur la perte des dix degrés qui séparent l'atmosphère en dessous des draps du monde extérieur. Néanmoins, il n'y a pas de miracle, cela reste un choc thermique presque intolérable au petit matin. Après avoir exécuté une manœuvre similaire pour mon coté droit, je me suis retrouvé sur couette, allongé et nu, dans une pièce relativement froide par rapport à la température de mes draps. Mesurant le caractère inconfortable de la situation, j'ai tiré les conséquences de mes actes et ai glissé un pied, puis l'autre dans mes grands chaussons bleus doublé, puis j'ai vite enfilé un caleçon parce que l'une des concessions que l'on fait lorsque l'on vit dans une grande ville, c'est accepter un vis-à-vis qui renvoie la notion d'intimité aux livres d'histoire. Je me suis ensuite dirigé vers la cuisine pour me faire ce fameux café que je m'étais tacitement promis depuis que l'odeur de grain moulu était parvenue à mes narines. Je n'ai pas allumé la radio comme je le fais à mon habitude ni lu les journaux que la concierge, une vieille que je me suis mise dans la poche, déposait tous les jours devant ma porte palière, en marge de mon crasseux paillasson. C'est un principe, le dimanche, je ne m'informe pas. Je sais bien que la seconde guerre mondiale a été déclarée un dimanche, alors comme me le font souvent remarquer les gens qui se croient drôle, non, je n'aurai pas été au courant amis dans un sens, j'aurai passé de fait les cinq années suivantes bien plus tranquillement que les autres.
Comme mon café était infect et que je mes pensées depuis une demi-heure était concentrées sur la question de savoir si la petite lumière du frigo s'éteint vraiment quand on le ferme ou pas, j'ai abrégé la phase "petit déjeuner" pour me faire couler un grand bain. La baignoire, ça été l'argument choc lorsque j'ai acheté cet appartement en m'endettant sur toute ma vie et peut-être un bout de celle de ma progéniture. Dès le premier coup d'œil, j'avais vu que ce n'était pas une de ces baignoires classiques que l'on voit dans la salle de bains de Monsieur-tout-le-monde, avec une pommette de douche et un pare-goutte pour faire une économie de place, non, c'était une immense baignoire de deux mètres sur deux, tellement grande que l'on pouvais s'étendre de tout son long sans toucher les bords. Elle était si confortable que j'en ai même un temps envisagé de vendre mon lit. Je l'aimais tant que je n'aurais eu aucune gêne à organiser un dîner mondain à ses cotés. Son talon d'Achille, c'était le temps qu'elle prenait pour se remplir mais à se niveau d'amour, on oublie les défauts et on sublime complètement l'objet de ses passions. Pendant mes études, un professeur de Culture Générale avait lancé au milieu d'un cour que les gens qui aimaient prendre de grands bains bien chauds et bien longs recréaient par ce moyen, consciemment ou non, le milieu intra-utérin dont ils étaient vraisemblablement nostalgiques. Cela avait eu pour effet de rendre la moitié de son auditoire très mal à l'aise parce que, quand on y pense, si cette explication est vraie, c'est proprement dégueulasse. En tout cas cela ne m'a jamais empêché de prendre d'autres grands bains bien chauds et bien longs, contrairement à beaucoup d'autres camarades de promo.
Alors que je prélassais dans mon bain, regardant avec une délectation de gosse le bout de mes doigts se parer de leur robe de ridules causée par un long contact avec l'eau, a mon esprit est revenu le souvenir du fait que j'avais convenu deux rendez vous. Le premier était en fin d'après-midi dans un café avec un ami qui rentrait tout juste de voyage et qui allait sûrement me montrer une série passionnante de six pellicules complètes de 50 photos de son voyage à Belle-Île. Le deuxième devait être dans un restaurant avec un autre ami de longue date. Si j'avais relativement espoir que le premier soit rapidement expédié, je ne me faisais d'ores et déjà peu d'illusion sur le second.


Sortir

La pendule selon mes souvenirs affichait quinze lorsque je me suis extrait de mon bain. Je ne me crois pas avoir longtemps déambulé nu et mouillé dans mon appartement, j'ai du m'habillé dans le quart d'heure suivant. Quelques instants plus tard, j'étais dans la rue en direction du bar pour retrouver Matthieu, le premier rendez-vous. Comme prévu, c'était vite expédié ; après 300 photos de paysages et des anecdotes foireuses sur ses vacances, je sortais du bar qui se situait sur les quais en me disant que je ne rappellerai pas Matthieu avant un bon moment. Il est gentil mais bon. Comme j'étais en avance sur mon planning je décidais d'aller à mon dîner à pied malgré la pluie qui commençait à tomber.
Elle était chaude, elle me rappelait mon bain. Je suis arrivé trempé dans le restaurant, avec une demi-heure d'avance, et me suis installé près de la fenêtre, c'est l'endroit que je préfère. Toujours une vue sur l'extérieur, dans l'avion, dans le train, toujours. Comme ça si votre voisin vous ennui, vous pouvez vous rabattre sur ce qui est finalement une agréable sécurité face à ce genre de situation socialement désagréable. Je profitais de mon attente pour rêvasser, j'avais oublié mon livre de toute façon.

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Re: La difficulté des réveils dominicaux
Posté par menchi le 22/10/2006 09:47:31
Il manque un mot: "Comme mon café était infect et que je mes pensées depuis une demi-heure"
Sinon j'aime beaucoup ton article!

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