L'identité du Masque de fer confirmée par Voltaire Posté par magixguignol le 20/08/2004 07:54:03
Une lettre de VOLTAIRE le confirme : le célèbre prisonnier de la Bastille n'était ni le frère ni même le demi-frère de Louis XIV. Il s'agissait d'un des domestiques de Fouquet, Eustache Danger. Une version nettement moins romantique que celle de DUMAS.
Le 4 septembre 1687, en plein règne de Louis XIV, une gazette manuscrite, qui se lisait sous le manteau, informait ses lecteurs qu'un officier, M. De SAINT-MARS, avait conduit "par ordre du roi" un prisonnier d'Etat u fort de l'île Sainte-Marguerite, en Provence. "Personne ne sait qui il est ; il y a défense de dire son nom et ordre de le tuer s'il l'avait prononcé [... ] ; celui-ci était enfermé dans une chaise à porteurs ayant un masque d'acier sur le visage et tout ce qu'on a pu savoir de SAINT-MARS était que ce prisonnier était depuis de longues années à Pignerol et que les gens que le public croit morts ne le sont pas [... ]"
Quel était donc ce mystérieux personnage sur lequel des générations de chercheurs ont disserté à n'en plus finir ? Le dépouillement de la longue correspondance échangée entre son geôlier, SAINT-MARS, et les deux secrétaires d'Etat à la Guerre successifs, LOUVOIS et son fils Barbezieux, a permis de l'identifier avec un certain Eustache Danger ou d'Angers - et non Dauger comme on le dit souvent -, enfermé d'abord en 1669 au donjon de Pignerol, petite ville, alors française, située sur le versant italien des Alpes.
"Ce n'est qu'un valet" dit LOUVOIS
Cet homme avait suivi SAINT-MARS dans ses différentes promotions : le fort d'Exilles dans les Alpes en 1681, l'île de Sainte-Marguerite en 1687, et enfin la Bastille, où il était arrivé en 1698, le visage couvert, cette fois, d'un masque de velours noir, car le malheureux avait failli périr étouffé lors de sa première équipée. Il y mourut en novembre 1703 et fut inhumé sans cérémonie sous l'identité d'un autre détenu, mort précédemment à l'île Sainte-Marguerite, et avec lequel on avait commencé à le confondre, l'Italien Matthioli. Arrêté à Calais en août 1669, Danger avait été discrètement acheminé à Pignerol par un major de place et trois soldats utilisant, d'étape en étape, des chevaux de poste comme de simples voyageurs. Un bien mince équipage et une bien fragile escrote quand on songe qu'il avait fallu mobiliser le célèbre d'Artagnan et une centaine de mousquetaires pour convoyer dans la même prison Nicolas FOUQUET en 1665 et le comte de LAUZUN en 1671 !
"Ce n'est qu'un valet", disait LOUVOIS à SAINT-MARS, en annonçant son arrivée à Pignerol. Sans doute était-ce vrai, car il fut entretenu sur un petit pied : 50 livres par mois. Un homme de basse extraction donc, mais qui savait "des choses importantes". Son affaire perdant au fil des mois une partie de sonintérêt, il fut mis, vers 1675-1676, au service de FOUQUET.
Pour quelle raison avait-il été arrêté ? A quelle tâche avait-il été "employé auparavant que d'être à Pignerol" ? Décryptant la rature d'un brouillon de lettre de LOUVOIS, un excellent chercheur, Bernard CAIRE, a établi qu'on lui reprochait non son identité, mais ce qu'il avait "vu". Quel secret ce pauvre diable avait-il surpris pour mériter un si pénible emprisonnement ? On l'ignore.
On avait fini par l'enfermer avec FOUQUET en pensant que l'ancien surintendant, habitué aux secret d'Etat, saurait tenir sa langue sur sa fâcheuse histoire, mais la découverte peu avant la mort de celui-ci, survenue en mars 1680, d'un trou clandestin pratiqué dans la cheminée de sa chambre et par lequel il pouvait bavarder à loisir avec LAUZUN, enfermé à l'étage inférieur, fit éclater le secret : on renferma au plus vite le valet et, pour démonétiser les étranges propos qui avaient pu s'échanger dans les conduits de suie de Pignerol, on persuada le redoutablefiancé de la Grande Mademoiselle, promis un jour ou l'autre à voir la fin de sa disgrâce, que le nommé Danger avait été libéré.
Comme on avait conté les mêmes sornettes aux officiers et aux soldats de la compagnie franche de SAINT-MARS, on comprend les précautions prises pour dissimuler son identité, notamment le masque durant le voyage d'Exille à Sainte-Marguerite.
Mais pourquoi un "masque d'acier" ? Un écrivain britannique, fin psychologue, John NOONE, donne une explication fort plausible légende provençale dans The Man behind the Iron Mask (2ème éd. 1994, Alan Sutton, New York). Déçu d'avoir perdu ses deux prisonniers de marque, FOUQUET et LAUZUN, et de n'avoir plus en garde qu'un maigre gibier de potence, le "pauvre geôlier" SAINT-MARS aurait cherché à se mettre en valeur, en faisant croire à chacun qu'il s'occupait d'un personnage de la plus haute importance. D'où ces excès de zèle, qui avaient pour but d'aviver la curiosité publique. Le reste, c'est-à-dire l'affaire de 1669 qui avait valu à Eustache Danger son incarcération, se ramène sans doute à une sombre affaire de police ou d'espionnage, dont on trouvera bien un jour la clé. Peut-être s'agit-il d'un valet de Henriette d'Angleterre, belle-soeur du roi, impliqué dans les négociations entre la France et l'Angleterre ? Le stupéfiant projet du roi Charles de se faire catholique avait en effet de quoi mettre le feu aux poudres dans la très antipapiste Albion !
Danger était peut-être un espion
Une autre piste se trouve à Calais, lieu de l'arrestation de Danger, où louis XIV avait installé un important centre de renseignements et d'espionnage sous la direction de François DE THOSSE, lieutenant général de l'amirauté. Eustache Danger, domestique trop curieux, aurait-il eu entre les mains des documents ultra-secrets de cette officine ? Adieu, en tout cas, la légende du "prince infortuné", persécuté par son royal frère pour d'impérieuses raisons d'Etat et masqué à cause d'une "ressemblance trop frappante" ! Adieu chevauchées, capes et épées autour du carrosse grillagé du beau jeune homme, noble, élégant, aux goûts raffinés, aimant le linge le plus fin et gémissant sous son "masque de douleur" ! Alexandre DUMAS nous aura fait rêver plus qu'Eustache Danger...
Versons aujourd'hui une nouvelle pièce au dossier. Il s'agit d'un document qui, curieusement, a échappé à la centaine d'historiens qui ont travaillé sur cette énigme. Cette pièce, disons-le tout de suite, vient conforter la thèse Danger, et apporte en outre quelques lumières sur la naissance de la légende du frère clandestin de Louis XIV, frère aîné d'abord, qui deviendre au XIXème siècle frère jumeau.
On invite VOLTAIRE à se montrer prudent
Pour préparer son fameux Siècle de Louis XIV (paru en 1715), VOLTAIRE avait pris contact avec le savant abbé Jean-Baptiste DU BOS (1670-1742), académicien, ancien collaborateur du ministre Colbert DE TROCY aux Affaires étrangères. Le 30 octobre 1738, le futur auteur de L'ingénu - un conte philosophique dans le quel il dénoncera en 1757 les abus politiques - écrivait à l'abbé : "[... ] Je suis assez instruit de l'aventure de l'homme au masque de fer, mort à la Bastille. J'ai parlé à des gens qui l'ont servi [... ]" La réponse de l'abbé diplomate nous manquait. La voici : "Paris le 3 décembre 1738, [... ] quant à l'homme masqué j'entendis dire, lorsqu'il mourut il y a vingt ans, qu'il n'était qu'un domestique de M. FOUQUET : si vous avez des preuves de ce fait vous ferez très bien de l'avancer. Mais si vos preuves ne sont point persuasives, mon sentiment serait que vous ne démasquassiez point cet homme. Ce que j'ai entendu dire sur son état ne doit pas être confié sur papier. Monsieur TIRIOT, à qui j'en ai dit un peu plus que je ne vous en écris, m'a paru de mon sentiment".
Ce document sur lequel nous sommes tombés par hasard en parcourant l'édition anglaise des oeuvres de VOLTAIRE (éd. Th. Besterman, TV, p. 390) est capital sur plusieurs points. Malgré l'erreur manifeste de date ("lorsqu'il mourut il y a vingt ans" : en 1738, cela faisait en réalité trente-cinq ans que le prisonnier était mort !), il confirme que l'inconnu de la Bastille était bien "un domestique de M. FOUQUET". On voit mal pour quelle raison on aurait fait courir pareil bruit dans les milieux proches du gouvernement s'il était agi de Matthioli ou d'un autre prisonnier de M. De SAINT-MARS. On n'imagine pas non plus pour quelle raison le savant et éminent abbé aurait inventé cette histoire : il a puisé cette information à bonne source (peut-être auprès de son patron TORCY ?). L'expression de "domestique de M. FOUQUET" désigne indiscutablement Danger (son compagnon, La Rivière, étant mort à Exilles au début de 1687). Un fait à constater est l'importance, dès cette époque, de la légende concernant, disons-le, un frère aîné du roi, légende que VOLTAIRE a diffusée mais pas inventée. Le texte de l'abbé DU BOS montre que le "cercle des dirigeants" était assez inquiet de cette rumeur. On n'en parlait qu'à voix basse. Il s'agissait de faire en sorte que ce bruit, difficile à démentir, ne se propageât point, ne s'écrivît point. C'était là le secret de l'Etat ! Tel est le sens de la démarche de l'ecclésiastique qui dit en substance à VOLTAIRE : Si vous avez des preuves établissant que l'homme masqué est le "domestique de M. FOUQUET", n'hésitez pas à les fournir. Par contre, si on vous a parlé d'autre chose, de grâce, taisez-vous, c'est notre intérêt à tous !...
Quant à ce M. TIRIOT dont il est question dans la lettre, il s'agit de Nicolas-Claude THIRIOT, un des meilleurs amis du philosophe.
Le moraliste rompt le silence en 1771
Tout en multipliant dans ses écrits des allusions plus ou moins transparentes, le patriarche de FERNEY était conscient de ce qu'il risquait en révélant, noir sur blanc, cette histoire qui mettait en cause la légitimité de Louis XV et de sa descendance. Longtemps il tiendra sa langue avant de "craquer" en 1771, date à laquelle la monarchie absolue ne faisait plus peur à personne. "Le Masque de fer, fait-il dire à l'"éditeur" de ses Questions sur l'Encyclopédie (un autre lui-même !), était sans doute un frère et un frère aîné de Louis XIV, dont la mère avait ce goût pour le linge fin sur lequel M. DeVOLTAIRE appuie [... ]"
D'où sortait ce formidable canular ? Il venait probablement de Barbezieux, le secrétaire d'Etat à la Guerre ! Un jour qu'il était un peu trop éméché, il avait dû débiter cette ahurissante histoire, un verre à la main. Du temps de Louis XIV, c'était une audace inouïe ! Il est vrai que les pamphlétaires orangistes avaient commencé à offrir en pâture au public les prétendues amours d'Anne d'Autriche, un peu comme aujourd'hui la presse de ruisseau d'outre-Manche nous livre les croustillants secret de Buckingham Palace ! Un libelle imprimé à Cologne, de nombreuses fois réédité, s'intitulait Les Amours d'Anne d'Autriche, épouse de Louis XII, avec M. le CDR, le véritable père de Louis XIV... ('agissait-il du comte de Rochefort, du comte de Rivière ou du cardinal de Richelieu ?).
Barbezieux ne faisait qu'ajouter au scandale. Après sa mort, survenue en 1701, son héritière et maîtresse préférée, Geneviève-Antoinette du Bois de Saint-Quentin, racontait à Chartres, où elle s'était retirée, l'histoire du frère aîné du roi, fils adultérin d'Anne d'Autriche et du duc de Buckingham, auquel on avait riveté un masque de fer sur le visage ! On en parlait au début du XVIIIème siècle, avant même que VOLTAIRE prît la plume. On en parle aujourd"hui. Preuve que si les énigmes peuvent être résolues, les légendes, elles, sont immortelles...