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Hiroshima


Le 6 août 1945, le président Truman ordonne qu'une bombe atmique soit lâchée sur Hiroshima. Comme chaque jour, la famille Nakazawa se prépare pour une journée de guerre ordinaire. A 8 H15, l'enfer s'abat sur la ville japonaise. Sans que personne en ait encore conscience, une ère nouvelle a commencé : l'ère atomique. Un éclair, une boule de feu et... C'est l'enfer...



Avant le bombardement

Vers la fin de l'année 1914, la nourriture se raréfie cruellement dans les foyers d'Hiroshima. Chaque jour le combat contre la famini devient plus difficile. Je n'ai que cinq ans mais j'en garderai toujours un souvenir douloureux. J'ai souvent rêvé de riz blanc... Dès le début de la guerre, le rationnement été organisé par les militaires. La part individuelle de riz, déjà bien mince, ne cesse ensuite de diminuer, alors que c'est la nourriture principale au Japon. Bientôt, on remplace le riz par des haricots médiocres dont la quantité ne suffit même pas pour des appétits d'enfants.
Quand notre chat Kouro capture un poisson ou un oiseau, nous le poursuivons, mon petit frère et moi, pour lui voler sa proie. Nous en venons même à chasser les sauterelles pour les griller en brochettes et les manger avec plaisir. Nous passons l'essentiel de notre temps à chercher le moyen de remplir nos estomacs.
En 1945, la famine s'aggraveencore. Des abcès nous viennent aux jambes, dus à la malnutrition. Nous pleurons de faim et de douleur. Nous ne trouvons absolument rien pour nous soigner.Notre père nous emmène au bord de la mer qui est assez proche. On dit que l'eau de mer guérit les abcès. Evidemment, il n'en est rien. Notre mère nous pique avec des aiguilles pour extraire le pus. La douleur devient insupportable.
Un jour, mon frère aîné est mobilisé pour travailler dans une usine de la marine. Un autre de mes frères part dans un temple à la campagne, car on évacue tous les écoliers. Il voudrait ne pas quitter la famille mais moi, je l'envie car on mange mieux à la campagne et l'on y est mieux protégé de la guerre ! Malheureusement, je suis trop jeune pour partir. Je dois rester à la maison avec mon petit frère Susumu et ma soeur Eiko, douze ans, de santé fragile. Bien vite, mon frère nous écrit pour nous raconter son calvaire dans le temple. Le premier jour, il a reçu un repas correct... un seul... et ce fut le dernier. Très vite, la famine a repris ses droits. Les enfants pleurent la nuit, certains s'évadent. Mon frère semble si malheureux que mes parents se demandent s'ils ne devraient pas le récupérer. De toute façon, chaque jour ajoute au malheur de la guerre. L'engrenage martial broie tout et il estbien difficile de s'y soustraire...
Un jour, maman nous annonce qu'elle attend un nouveau bébé pour le mois d'août. Dès lors, nous ne cessons de nous demander si ce sera une fille ou un garçon. Plus la naissance approche, plus le ventre de maman s'arrondit et plus nous parlons du bébé. Cette joie devant la vie triomphante nous fait quasiment oublier nos malheurs.
Pourtant, les alertes aériennes se multiplient. Les forteresses volantes américaines, les fameux B29, bombardent le Japon du nord au sud. Les villes principales comme Tokyo, Osaka, Fukuoka sont en grande partie rasées. Les maisons, alors construites pour l'essentiel en bois (et un peu de paier) brûlent comme des torches. Tous les civils sont mobilisés pour la lutte contre les incendies. Des programmes de prévention planifient la estruction systématique de maisons pour créer des zones coupe-feu et ainsi freiner la propagation du sinistre. A la moindre alerte, des chaînes humaines se forment pour acheminer l'eau avec des sceaux.
Les gens parlent maitenant ouvertement de défaite. Le gouvernement intensifie la propagande et la mobilisation de tous dans les entraînements de défense. Grands et petits sont armés avec des lances de bambou...
Notre père sourit tristement.
"Ces lances de bambou sont dérisoires, gronde-t-il avec son bon sens habituel. Les gens croient pouvoir combattre les mitrailleuses américaines avec ces bâtons ! nous serons tous tués."
Maintenant, les B29 sur volent souvent Hiroshima mais n'attaquent jamais. Ils détruisent les villes proches comme Kouré, Iwakuni et d'autres, mais Hiroshima reste intacte. Tout le monde se demand epourquoi. Les rumeurs les plus étranges circulent. Personne ne pouvait imaginer ce que seraient nos lendemains.



Le 6 août 1945

Le jour se lève et je me sens mal. Toute la nuit, les sirènes nous ont tenus éveillés. Lors de chaque alerte il faut se lever, se cacher dans un abri. A la fin je ne voulais plus me lever, mais ma mère me frappait sur la tête en criant que nous allions mourir si nous restions là. Pas un jour, pas une nuit sans une alerte ! Nous manquons de sommeil. L'épuisement nous gagne. Et le ciel d'Hiroshima reste immuablement bleu. La grande, la belle lumière du soleil d'été souligne le paysage de collines qui ondulent autour de la ville. Vers sept heures, toute la famille se rassemble pour le petit déjeuner. Soudain les sirènes hurlent. Tout le monde est surpris.
"C'est rare le matin", remarque mon père.
Toujours inquiète, ma mère nous pousse vers l'abri du quartier. Nous apercevons quelques avions. "Sans doute des avions de reconnaissance", nous disons-nous avec mon frère... Et nous admirons ce petit nuage métallique blanc scintillant sur le fond bleu du ciel. Les quatre cent mille habitants d'Hiroshima s'activent maintenant dans les quartiers. L'alerte les dérange à peine. Encore une fois, les grands vols de B29, en formations vrombissantes, interminables, et si redoutés, n'arrivent pas. Les tramways reprennent leur sarabande.
A cette époque-là, les écoliers n'avaient pas de vacances. J'ai donc pris mon cartable, salué ma mère qui étendait du linge sur la terrasse du premier et mon père qui travaillait au rez-de-chaussée. Eiko m'a conseillé de partir devant car elle serait en retard. Mon petit frère Susumu m'a demandé de rentrer le plus tôt possible pour aller jouer à la rivière. Il avait découvert un bateau extraordinaire...
Je pars donc en classe avec les copains du quartier. L'école primaire se trouve à huit cents mètres de la maison, pas plus. Je m'apprête à franchir le portail quand la mère d'un ami m'appelle. Je m'approche d'elle, à côté d'un mur épais. En lui parlant, je regarde le ciel... Un B29 survole le centre de la ville...
"_Madame, c'est un B29 !
_C'est bizarre, je n'ai pas entendu l'alerte..."
Soudain, comme la foudre, un éclair gigantesque envahit le ciel. Une boule géante fulgurante, rouge, blanche... Incandescence absolue... Je perds connaissance. Enola Gay, le bombardier maudit, vient de lâcher furtivement sa bombe atomique...



L'enfer

J'ouvre les yeux. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là. Le ciel est noir. J'essaie de soulever ma tête mais je ressens une douleur à la joue droite. Je passe ma main sur mon visage et en retire un clou qui m'a déchiré la chair. Je bouge un peu, cherchant à me lever mais mon corps est coincé sous des pierres, des briques, des branches d'arbres et des morceaux de bois. Je vois le mur de l'école pencher dangereusement au-dessus de moi. Je rassemble toute mon énergie et réussis à m'extraire de mon lit de décombres. Instinctivement, je cherche mon cartable et mon chapeau anti-éclats. Toujours tâtonnant, je regarde vers la ligne de tramway toute proche.
"Mon Dieu !" J'aperçois la mère de mon copain renversée sur le dos, son corps est totalement carbonisé, ses cheveux en brûlant ont frisé, des lambeaux de vêtements entortillés autour de son cou et de sa taille flottent comme des algues dans l'eau. Au milieu de son visage calciné, ses yeux blancs semblent me regarder avec effroi et colère. Sans rien comprendre à ce qui vient de se passer, je marche jusqu'au milieu du boulevard. Je ne retrouve plus rien du paysage familier. Le bouleversement dépasse mon imagination. Hébété, je contemple une espèce de toile d'araignée : enchevêtrement de fils électriques et de poteaux jetés au sol, massacrés. Les gos fils du téléphone entourent un pylône, pareils à des serpents grillés. Toutes les maisons, écrasées comme par un coup de fouet monstrueux, véritable dragon venu du ciel, ondulent comme des vagues, au bord du bouvelard.
Le ciel se remplit d'une fumée grise. On dirait des gouttes d'encres de Chine se diluant à la surface de l'eau. De gros oiseaux tournoient en désordre. Je réalise vite que ce sont des morceaux de bois et de tôle qui retombent. Parmi les maisons détruites, des flammes rouge vif jaillissent ici et là. L'incendie se répand, file d'une poutre à l'autre, avec une allure élastique et implaccable de reptile à cent têtes.



Les seins bleus

Inconsciemment, je me dirige vers ma maison. J'ai l'impression de ne pas avancer. Soudain, entre deux bouffées de fumée hideuse, j'aperçois des gens, des ombres, cinq ou six femmes, en haillons. En m'approchant d'elles pour leur parler, je vois leur corps criblé de morceaux de verre. L'une d'elles, comme torturée, a le côté droit hérissé de sortes de fléchettes. Elle devait se trouver près d'une fenêtre. Une autre le visage couvert de ces monstrueux projectiles, a les paupières cloués par des tessons tranchants. Aveugle, elle marche en tendant les bras devant elle.
Soudain une femme aux cheveux poussiéreux et défaits retient mon attention. Ses seins étrangement bleus émergent de vêtements déchirés. Je suis stupéfait. Je comprendrai plus tard que cette couleur épouvantable avait pour origine le verre qui avait pénétré sous la peau. Ces femmes perdent beaucoup de sang en marchant. A chacun de leurs pas, j'entends le verre tinter.



La procession des fantômes - I

Je reprends ma marche vers la maison. Sur le côté gauche du boulevard, des gens noircis, quasi nus, restent assis, les yeux fixés vers le ciel, hagards. Je ne peux pas distinguer si ce sont des hommes ou des femmes. Sur la droite du boulevard, du matériel de lutte contre les incendies semble en bon état. Des personnes visiblement peu blessées s'affairent autour et le mettent en marche. Quand j'arrive, l'eau commence à couler. Un groupe de damnés se précipite. Des femmes se versent de l'eau sur la peau, et entreprennent de s'extraire les éclats de verre. Le sang coule. Les plus brûlés, à demi nus, cherchent désespérément à atteindre l'eau en se traînant sur leurs genoux déchirés. Tous se déplacent machinalement, sans bruit, sans cri de douleur. Ils me font penser à des larves d'insectes. Quand l'horreur franchit les limites de tout raisonnement possible, dépasse l'entendement humain, je me demande si les gens ne deviennent pas insensibles à la douleur. N'est-ce pas déjà l'au-delà ?
Tout à coup, j'entends une explosion. Je me rends compte que j'arrive chez moi. Les maisons brûlent. La rue s'est transformée en cheminée. Avant même que je reconnaisse bien les lieux, un immense océan de feu engloutit le quartier. Je m'enfuis, la peur m'envahit. "Je suis tout seul, abandonné !" L'aigoisse me fait hurler : "Papa ! Maman !", à me déchirer la gorge...
A nouveau sur le boulevard du tramway, j'aperçois des formes humaines. Elles bougent. Une véritable procession de fantôme avance sans but ni raison. Tous sont nus, la peau en lambeaux lacérée par le verre. De chaque blessure suinte un sang grisâtre, desséché, cuit ! Quelques uns avancent tels des animaux en tenant leur ventre d'où sortent leurs intestins, d'autres ont un oeil à demi arraché. Le globe blanchâtre pend sur la joue. Un à un, ils s'écroulent. J'en découvre d'autre accrochés aux arbres, transpercés par des branches cassées, pareils à des grenouilles ou des petits poissons capturés par des pies grièches.
Au milieu de ces être et des flammes, je ne cesse de crier en cherchant mes parents.



La procession des fantômes - II

La peur, qui m'étreint à ce moment-là, ne m'a plus jamais quitté depuis.
Par chance, une voisine m'atrouvé. Vêtue d'un reste de sous-vêtement, rouge de sang, elle se lave à une pompe et retire les morceaux de verre plantés dans sa chair.
"Kei-tchan ! Ta maman est à la station, un peu plus loin, va vite la voir !"
J'essaye de courir vers ma mère mais la foule se déplace lentement et ralentit ma course. Je constate alors une chose bizarre. Dans cette multitude à demi nue, noircie par le feu et la fumée, pendent et se mêlent des lambeaux de vêtements brûlés et de peau grillée. Seuls les chemises et les pantalons blancs semblent intacts. Cela donne l'impression que ces fantômes blancs avancent seuls. J'apprendrai plus tard que l'éclair de la bombe a projetésur la ville un rayonnement instantané dont la température a dépassé les 50100 degrés. Cette immense chaleur s'est reflétée sur les objets blancs comme sur un miroir. Il s'agit là d'un phénomène physique banal qui prend une dimension démoniaque dans les circonstances apocalyptiques d'une explosion atomique. Sous le régime militariste, le port de vêtements voyants était interdit. La plupart des gens s'habillaient donc avec des habits sombres. Les brûlures des survivants n'en furent que plus terribles.
Ces brûlures mutilent les visages et les corps des gens. Leur peau couverte de cloques est boursoufflée. Des poches d'eau sous cutanées éclatent. Des lambeaux de peau brûlée pendent, mélangés à des haillons ou aux cheveux. La peau d'une épaule séparée de la chair emporte celle du bras. Ecorchés vifs, des gens errent, la peau des bras, arrêtée par les ongles, ballant jusqu'au sol.
Les scènes semblables à celle-là sont innombrables. Les corps meurtris, déchiquetés, traînant leur peau au sens propre du terme, ajoutent à l'impression tragique de troupeau de morts vivants déambulant en un magma lent, mou, agonisant. J'arrive enfin à la station où doit se trouver ma mère.



Je remerci le webmaster pour la date de sorti, même si il ne l'a pas fait exprès

Extrait de "J'avais six ans à Hiroshima, 6 août 1945. 8H15" de Keiji NAKAZAWA
Ce livre est très intéressant, je vous le conseil, et comme cela vous serai la suite. Mais j'ai pris ce livre car il parle d'Hiroshima, et que je montais un dossier sur l'horreur d'Hiroshima, et sur le nucléaire.

Comment j'ai survécu à Hiroshima sorti le 6 août 2003

L'Amérique et la bombe : de l'espoir à l'angoisse sortira le 21 octobre 2003

Le monde frôle de la guerre nucléaire sortira le 23 octobre 2003

La vérité sur le trafic nucléaire sortira le 25 octobre

La guerre secrète des espions atomiques sortira le 27 octobre 2003

Le combat de DE GAULLE pour créer la force de dissuasion française sortira le 2 novembre 2003
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