Cauchemar Post-Mortem

Il y a quelqu'un dans cette chambre. Là, quelque part dans cette obscurité qui ne me permet rien d'autre que de deviner sa présence et ses mouvements. Il est là pour moi, pour me faire du mal.

C'était un simple cauchemar, pas même achevé. A chaque fois, le radio-réveil la sauvait de cette créature, cet être qui lui voulait du mal. Et pourtant... C'est ce petit bout de rêve qui rongeait peu à peu son existence et la poussait vers l'abyme sans fond d'une demi-vie. Le soir venu, elle se refusait au sommeil qui voulait l'entraîner à nouveau dans ses labyrinthes abyssaux, ses images floues si désordonnées et si insensées, mais qui toutes menaient à cette chambre maudite qui ressemblait – oh, combien – à sa chambre réelle : mêmes meubles, mêmes affiches au mur, tout identique si ce n'est cette présence si hostile et terrifiante... Une simple silhouette pourtant, qu'elle ne pouvait identifier, dont elle ne savait rien mais qui pourtant lui semblait si proche. Bien sûr, elle en avait parlé à Susie, sa meilleure amie. Celle-ci avait été d'un si grand secours au tout début, elle lui avait fait tourner ce rêve en dérision, "rappelle-toi ces films d'horreur bidon avec ce tueur masqué qui vient tuer la blonde en détresse". Le cauchemar subsistait et continuait son oeuvre, mais Susie avait diminué son effet destructeur. Merci, Susie, t'es vraiment ma meilleure amie, avait-elle dit avant de lui payer un soda à la cafétéria. "Mais, une vraie meilleure amie, est-ce que ça envoie un faux message de rupture à mon petit ami ? Est-ce que ça raconte ma vie privée aux personnes que je déteste le plus ? Est-ce que ça trahit si froidement les secrets les plus intimes ? Et si cet Inconnu du Cauchemar, c'était Susie ?"

D'un coup, le cauchemar cesse. La vie reprend, sans Susie la Traîtresse et ses combines, mais on s'en passe facile. Le sommeil revient, non plus en tant que monstre abyssal mais comme l'agréable régénérateur des fins de journées difficiles.

Il y a quelqu'un dans cette chambre. Là, quelque part dans cette obscurité qui ne me permet rien d'autre que de deviner sa présence et ses mouvements. Il est là pour moi, pour me faire du mal. Il s'approche du lit, de plus en plus, je peux presque le toucher mais son visage m'est toujours voilé... pourtant il n'a pas de masque. Il tend ses bras, me caresse la joue, il est si doux avec moi mais je ne sens que le mal en lui, la peur qu'il me fait et la douleur qu'il veut m'infliger. Sa main descend, atteint ma gorge, commence à serrer...

Le cauchemar a repris. Un an s'est écoulé pourtant mais les premières images sont restées. L'Inconnu a commencé son oeuvre mais ne la finit jamais, toujours interrompu par le radio-réveil salvateur. Cependant, la terreur s'est à nouveau insinuée dans son esprit : désormais elle refuse même de dormir accompagnée. Elle en parle, à ses amis, sa famille, et surtout Coralie, sa nouvelle meilleure amie. Mais Coralie n'est pas Susie, elle ne peut rien, elle ne sait qu'écouter. Susie était forte et Coralie est faible, c'est ce qu'elle a choisi pour ne pas subir une "seconde Susie". Mais un jour Coralie n'écoute plus, distraite par un nouvel amoureux dont elle ne cesse de parler : "Jeff a dit... mais Jeff pense que..." Alors que ce cauchemar ronge sa vie, comment Coralie peut-elle ne pas l'écouter ? C'est de la faute de ce garçon, si au moins il s'éloignait... alors elle a une idée, entraîne Jeff dans un coin et l'embrasse. Il lui rend son baiser avec une telle passion qu'elle sait que son plan a fonctionné : Jeff est à elle, et Coralie, à nouveau seule, sera forcée de l'écouter. Mais Coralie a tout compris et part se consoler chez ses anciens amis.

A nouveau, le cauchemar cesse. La vie reprend, finies les plaintes de la Petite Coralie. Le sommeil revient, non plus comme le monstre abyssal mais comme l'agréable régénérateur des fins de journées difficiles.

... Sa main descend, atteint ma gorge, commence à serrer, et enfin le voile tombe. Il a mon visage, mes cheveux, mes yeux, mon sourire... tout dans une autre expression, Il est moi, mais fort et cruel. Il serre, plus fort, je souffre et suffoque, l'air manque, l'obscurité grandit, s'étale, un voile noir recouvre tout autour de lui... tombe sur moi... entre en moi. Je ne vois plus rien, rien que ces yeux sauvages, ce regard froid de celui qui me tue, qui porte mon visage. L'obscurité m'a investie toute entière et me glace, je ne ressens plus de douleur ni de peur, seulement la haine...

Je me suis réveillée. Mais elle est morte. Enfin, j'ai réussi à l'avoir avant que son satané radio-réveil ne la tire de son cauchemar, et ne l'enlève encore à moi. Un regard dans la glace me fait sourire : je porte son visage, ses yeux, ses cheveux, je parle avec sa voix. Mais elle n'est pas moi. Je suis celle qui dormait en elle et n'attendais que sa haine pour sortir enfin. Susie l'y a aidé, Coralie l'y a poussée, et moi je l'ai vaincue. Je suis son cauchemar... et elle n'existe plus.

Fin.