Extrait du site https://www.france-jeunes.net

Shoah


La guerre a toujours marqué les esprits, et en particulier la seconde querre mondiale. La plus meutrière, la plus sanglante, dont certaines idéologies ont à jamais blessé le coeur des hommes... Ce texte écrit à partir d'une simple photo est un cri comme un autre contre le plus grand crime contre l'humanité jamais commis. Contre le Nazisme, contre la folie, conte l'antisémitisme, contre les camps...



Avril 1943. Insurrection du ghetto de Varsovie.

Il lève les bras, les yeux écarquillés de terreur. Des SS pointent vers lui, vers des femmes et d'autres enfants leurs fusils. Autour de lui règne l'agitation. Il se détache du groupe. Lui qui est habillé comme n'importe quel autre enfant de l'époque. Où se trouve donc cette différence qui le mènera à la mort ? Lui qui, avec sa drôle de casquette, est l'incarnation même d'un Gavroche des années 1940.
Peut-être est-ce pour cela qu'il est destiné à mourir...

Car tous les gens sur cette photo sont condamnés.
On voit l'enfant. On n'a plus qu'une seule envie : pleurer.
Pleurer un infanticide. Pleurer une innocence perdue, car assassinée.
Bien sûr, on ne voit pas cette mort, mais on la devine. Elle se lit simplement dans ce regard si troublant, apeuré et déjà mort, dans le fond.
Des images de mort, des images intolérables, répugnantes, sanglantes, abjectes, innommables...
Jamais on ne pourra trouver les mots afin de désigner ça.
Des corps inanimés, entassés les uns sur les autres, nus, aussi maigres que les paysans soviétiques en 1943 sous l'occupation allemande, de vrais squelettes. Des corps de familles entières enfermés dans des pièces sordides habilement déguisées en salles de douches. Des corps, des crânes rasés, des numéros, des tatouages, des marquages au fer, une identité perdue à jamais, un statut d'esclave, d'automate, de bête de somme.


"Stück"...

Un uniforme de détenu rayé ayant déjà appartenu à d'autres pour tous les occupants de cet enfer. Et le travail, le travail forcé jusqu'à épuisement. Et la nourriture ! Aussi maigre que le repas journalier d'un moineau.
Et toujours ces corps...
Un homme étendu sur une longue plaque métallique. Nu. Et décharné, effroyablement décharné. Il aurait pu avoir l'air paisible, comme soulagé d'en avoir enfin fini avec toute cette souffrance, mais non. Cela fait bien longtemps qu'il n'a plus figure humaine, que son visage autrefois banal n'exprime plus rien. D'autres hommes poussent la plaque dans le four.

Comme le boulanger fait dorer son pain au four tôt le matin, le Nazi fait brûler le Juif dans un four crématoire à toute heure de la journée...

Cet enfant est le représentant de toute une nation.
Et pas seulement les Juifs.
Une Nation qui n'est pas répertoriée car elle n'existe pas. Ou plutôt elle n'existe plus.
C'est la Nation qui rassemble tous les hommes, toutes les femmes, et tous les enfants qui ont péri en Europe entre 1940 et 1945. Juifs, Tziganes, ou autres. Tous ont péri dans d'atroces souffrances. Une mort inhumaine.
Des sacrifices inhumains qui ne mériteraient la clémence d'aucun Dieu.
Quelle folie !
On comprend le terme Juif la "Shoah". C'est la catastrophe, c'est l'apocalypse. Comment peut-on oser prendre ainsi, de cette façon des vies ? Autant de vies...
Si beaucoup ne voulaient pas y croire au début, je les comprend. Comment pourrait-on croire à un tel cauchemar ? Comment des hommes peuvent-ils faire une chose pareille ?
En tout cas, une chose est sûre, le cauchemar est réel. Cela fait longtemps que l'Europe l'a fait, et elle ne l'a toujours pas oublié. L'Europe est marquée au fer, comme les prisonniers des camps... Auschwitz, Buchenwald, Dachau... Des numéros... Des bêtes en troupeaux... Des massacres collectifs... l'holocauste. La Shoah.


Adieu, enfant !
La vie est belle, petit ! Mais tu as déjà signé ton arrêt de mort contre ton gré. Ce n'est pas ta faute, ne t'en fais pas.
C'est la vie...
Non, c'est la mort.
Ton destin était autre. Tu méritais de vivre ta vie comme n'importe quel être humain sur cette terre. Tu serais mort un jour, certes, mais tu vois, enfant, ta mort a été avancée. Cela sonne comme une comptine : "le Nazisme passe, la nature te surpasse, tu trépasses...", ta dernière comptine.
Comment tu vas mourir, enfant, je ne sais pas. Je ne te connais pas. J'aurais aimé.
Mais l'homme, dans sa folie, en a décidé autrement. Je ne suis pas Dieu. Cependant un homme a essayé de s'octroyer cette place divine. Pourquoi donc ? Quel était son but ?
Je n'en sais rien, enfant. Mais il joue avec toi et ta famille comme avec des pions, des poupées dont il décide la vie ou la mort.
Ne pleure pas, vous n'êtes pas seuls ! Vous êtes si nombreux !
Je sais que ce n'est pas juste, mais on ne peut rien faire. Je dois te regarder et imaginer la suite des évènements.
Regarde ces soldats. Ils te menacent. Regarde leurs yeux emplis de haine. Je sais que tu n'es qu'un enfant.
Oui, ce sont des monstres.
Non, je suis désolée, je ne peux rien faire.
On va t'emmener loin, loin, si loin... Tu quitteras Varsovie soit pour Stutthof, soit pour Maïdanek-Lublin, soit pour Auschwitz.

Il se fait tard.

Les SS s'impatientent. Dépêches-toi, enfant ! La mort t'attend et montre les dents. Hitler sourit et jouit d'un spectacle atroce. Ses acolytes font de même. Leurs visages sont si mauvais...
Ce "soi-disant" Führer est l'incarnation même d'un Hadès machiavélique régnant sur ces Enfers, précédé par Goebbels et Himmler faisant office de Rhadamanthe et Eaque...
Suis-les, tu n'as pas le choix.

Tu as peur, je sais. Je te conseillerais de tenter de t'enfuir maintenant. Ils te tireront dessus, et tu ne sentiras rien. Ton petit corps si frêle qui a jeûné pendant des jours et des semaines ne connaîtra ni douleur, ni camp.

Si seulement tu savais ce qu'il se passe dans ces camps ! Bien sûr, tu as entendu ton père parler à ta mère de rumeurs terrifiantes les concernant.
Mais ils en doutent, pas vrai ?
Quelle évidence ! Comment une telle chose pourrait exister, que ce soit matériellement ou bien sous la forme d'une idée germant au sein même d'un esprit humain ?
Tu me demande plus d'explications ?!

Alors écoute-moi bien attentivement, enfant.
Les SS vont vous emmener à Auschwitz, je les ai entendu.
Auschwitz ? C'est un de ces camps. C'est le plus terrible...

Mais... J'hésite.
Tu es sûr ?
Tu penses réellement être prêt à devoir te représenter un tel cauchemar éveillé?

Bien.
Pourvu que tu ne le regrettes pas.
De toute façon, tu n'as plus rien à perdre...


Ton voyage se fera dans des wagons plombés, et ce dans des conditions épouvantables.
Les plus fragiles d'entre vous tous mourront. Vous serez ainsi transporté comme dans des bêtes de somme, et encore ! Même des boeufs seraient mieux traités.
Tu auras de la chance, car Auschwitz n'est pas très loin.
Lorsque tu arriveras, tu liras un écriteau au-dessus des portes de cette petite ville sordide : "Arbeit Macht Frei". Tes parents te diront que cela signifie "le travail rend libre".
Tu te demanderas en quoi.
Puis, tu attendras que ces hommes avec une étrange croix noire sur un fond rouge et blanc à la place du coeur vous trient, tel Charon vous faisant traverser le Styx.
Tu verras ton père et les autres hommes partageant ta religion partir vers un camp de travail ou une usine.
Tu verras ta mère et les autres femmes valides faire de même, mais dans un camp séparé de celui des hommes.
Tu te verras toi, ta petite soeur et ton grand-père partir vers un bâtiment très spécial.
Et sur le chemin, tu pourras observer des choses qui te serreront le coeur...

Tu apercevras des visages émaciés et des corps squelettiques oeuvrant à de bien dures besognes, et tu trouveras curieux les triangles de différentes couleurs sur la manche de chacun d'eux. Mais tu ne comprendras pas. On ne te l'aura pas expliqué.
Tu croiras entrevoir des montagnes de cadavres nus. Mais tu croiras à une hallucination. Quel monstre pourrait faire une pareille chose ?
Tu distingueras une bâtisse fumante, ainsi que des fours qui te paraîtront immensément grands à l'intérieur. Mais tu penseras qu'ils sont là dans le but de cuire le dîner. Car jamais personne ne t'aura expliqué la vérité.

"Nacht Und Nebel"

Et puis il y aura cet endroit. Cet endroit si particulier que l'on raconte que lorsqu'on y entre, une petite voix dans notre tête nous prévient qu'on en ressortira plus.
En tout cas, plus vivant.
Mais l'écho cette voix résonnera bien trop loin pour que tu l'entendes et sera trop déformée pour que tu puisses aisément la comprendre.
Un murmure lointain et inaudible...

Un SS gradé sera là, et aboiera des ordres, ordres incompréhensibles pour toi, ta soeur, et tous les enfants qui se trouveront là. Mais il est logique que tu ne comprennes pas l'allemand.
Tu n'es qu'un enfant.
Ton grand-père t'expliquera que les soldats Allemands veulent que vous preniez une douche. Tu n'auras pas vraiment envie de prendre une douche avec autant de personnes. Mais tu te rendras très vite compte qu'il s'agira là plus d'un ordre que d'une élégante proposition.
Tu n'auras plus le choix. Vous devrez tous enlever vos vêtements, et on vous obligera à entrer dans cette gigantesque salle de douches.
Tu verras des plus petits que toi rechigner et râler, bien qu'effrayés par le sinistre endroit, puis se faire pousser violemment par les SS. Des hoquets tinteront, tels les cloches sinistres des églises que tu entendais sonner lors des enterrements dans ton village. Une fois que vous serez tous rentrés, serrés comme les moutons dans la bergerie, tu verras des larmes perler au coin des yeux des vieillards.
Tu verras la porte métallique se fermer brusquement.
Il se passera quelques secondes...
Tu attendras que l'eau coule, mais rien ne se passera. Tu auras peur. L'air deviendra lourd, tu auras du mal à respirer.
La panique te gagnera petit à petit : tu te fraieras alors un chemin à travers la foule, et tu colleras ton petit visage à l'étroite fenêtre blindée de la porte.
Ton regard se posera sur les seuls êtres vivants dans le hangar vide.
Trois SS. Trois SS gardant cette porte tel Cerbère gardant l'entrée des Enfers.
Tu les regardera ainsi pendant plusieurs minutes. Eux aussi te regarderont, mais avec un sourire narquois, comme s'ils attendaient que quelque chose arrive d'un instant à l'autre.
Puis, tu entendras un bruit sourd derrière ton dos.
Un vieil homme sera tombé à terre, suffoquera, et mourra tout aussi rapidement dans les secondes qui suivront.
Puis, ce sera le tour d'une vieille femme, puis d'une autre, et encore un ancêtre, et encore un autre...
Horrifié, tu les regarderas choir les uns après les autres, comme le font les feuilles mortes en automne. Ton grand-père chuchotera "Shoah !" dans un dernier souffle, à tous ceux qui pourront l'entendre.
Les autres enfants hurleront, hystériques. Et voilà que ce sera ton tour de pleurer !
Et tu ne pourras plus t'arrêter. Tu te rendras compte que ta petite soeur, qui te tenait la main un instant plus tôt, ne sera plus.
Tu crieras, tu hurleras, tu taperas de toutes tes forces contre la vitre. Mais tes forces t'abandonneront en même temps que ton souffle. Les yeux embués de larmes, tu jetteras un dernier regard vers les trois soldats.
Cerbère aura laissé place à Clothon, Lachésis et Atropos.
Leur sourire immonde se sera changé en éclats de rire.
Un rire victorieux, dégoulinant de haine et de mépris, un rire qui fera écho dans ton esprit s'éteignant, lune faisant éclipse au soleil, le Mal en personne enténébrant la lumière divine.
Et la dernière chose que tes yeux d'enfants pourront voir très distinctement sera, comme te l'auras dit ton grand-père peu avant qu'il ne s'éteigne lui aussi, cette croix gammée sur l'uniforme Nazi...


Je te conseillerais vraiment de t'enfuir maintenant.
Bien sûr, ce n'est qu'histoire de quelques mètres...
J'aimerais tellement que tu m'entendes.
Mais tu es paralysé.
Tu ne m'entends plus à présent.
Je ne sais même plus si tu m'as seulement jamais entendu.


Le jour où mon heure viendra, je te chercherai. Je fouillerai le Ciel de fond en comble et je te retrouverai.
Là, je te prendrai dans mes bras, et je sècherai tes larmes. Tu auras attendu, tes joues seront marbrées, mais cela n'aura plus d'importance.
Quand nous monterons au Ciel, moi et ma génération, une page de l'histoire sera tournée.
Car chaque génération qui passe, tel un fantôme, nous éloigne un peu plus de ce funeste passé entre 1940 et 1945, et nous montre du doigt un avenir qui se promet désormais plus serein. Les erreurs monumentales du passé ne se reproduiront plus. Ou du moins, nous ferons en sorte qu'il en soit ainsi.
Mais personne ne peut prévoir l'avenir. On ne peut que l'espérer.

Et toi, tu n'oublies pas... Moi non plus... Nous non plus...
Le temps passe, les souvenirs restent.
En essuyant tes yeux et en nettoyant ton minois si attachant, nous n'effacerons pas ce que tu as vécu. Nous ne laverons que la surface. Un tel crime contre l'humanité est ineffaçable.
La douleur est profonde et indélébile.
Elle est ancrée dans ton âme jusqu'à la fin des temps. Je la lirai dans tes yeux et la ressentirai dans ton coeur aux six millions de blessures encore à vif.
"Le temps détruit tout ", mais il y a des choses qui ne s'effacent pas, enfant.
Il y a des choses si terribles qu'elles restent gravées dans les esprits.
A jamais...
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