Extrait du site https://www.france-jeunes.net

L'adieu aux armes


C'est calme, pour une fois. C'est peut être parce qu'on s'en va. Mais un peu de jungle, ce serait cool. Enfin, on ne peut pas tout avoir. Le silence, c'est bon.



C'est bon le silence.
Une détonation dans le lointain. Putain de canon. C'est même plus les nôtres. On a plus le droit de tirer depuis que le président Nixon a lancé le mot "vietnamisation". Un mot qui n'existe même pas, à ce qu'il parait. Sale con.
En gros, on devrait passer nos flingues aux citrons pour que ce soient eux qui tirent sur les rouges à notre place, mais moi, je passe pas mon flingue, il m'a trop sauvé la vie, je l'aime trop, et il m'aime trop aussi.
Merde, j'ai fini ma clope. J'en ai plus. Je demande à la jungle si elle en a une. Elle me répond que non, que j'en ai une dans ma poche. Je regarde. Je l'avais pas vue, mais par contre j'ai pas de feu. J'en demande au soleil, il en a toujours. Il en a. Il m'allume ma clope, il est sympa le soleil.

L'hélicoptère fait tourner ses pales. Cà fait un bruit d'enfer. Salaud l'hélicoptère. On est censé être rapatrié. On nous avait promis qu'un beau jour, comme celui-là, on devait finir par rentrer chez nous, trouver un job, mais la plupart d'entre nous n'a pas fini ses études, et à ce qu'il paraît, c'est la merde en ce moment à la maison. Plus de job, trop de monde,... En plus de ça, on n'aura plus personne sur qui tirer. Je les aimais bien, moi, les chinetoques et les viets, même s'ils nous tiraient dessus, mais on leur tirait dessus aussi, c'était qu'un jeu, c'est tout...
L'hélicoptère gueule plus fort. Cà doit vouloir dire qu'il va tarder à s'envoler. On devrait y aller, mais on reste tous là à fumer notre merde sans rien dire. On pense à la maison.
Pour la première fois en des années, -des siècles, qui sait ? - on pense qu'on aimait trop la guerre, et maintenant, on devrait prononcer l'adieu aux armes, mais on veut pas, on ne peut pas.
Un cri. Ou plutôt un chant. On l'aime ce chant, il chante bien. C'est un AK-47, ça veut dire que c'est le moment où on tire. La jungle toute entière crie, elle nous appelle, elle veut jouer. Dans les grands moments, les grands dragons venaient et crachaient le feu qui sent l'essence sur la jungle, mais ils ont trouvé mieux depuis quelque temps, "l'agent orange" qu'ils appellent çà. Une espèce de gaz à la con qui fait tomber les feuilles et les bridés, mais c'est moins marrant et çà pue.

La jungle crie bien et fort, on y va. Ils nous ont laissé les flingues, on tire. C'était bon, on tirait, et on se posait pas de question à propos d'après, tout ce qu'on savait, c'est qu'on tirait et que des citrons tombaient de l'autre côté du canon, mais maintenant, c'est différent, on sait que c'est la dernière fois qu'on tire.
C'est peut être çà, l'adieu aux armes.
J'ai très mal à la jambe, d'un coup. Je tombe. Mais la terre est sympa, elle amortit ma chute. Merci, la terre. Mon frère aussi tombe. Puis un autre. Tous mes frères tombent. L'hélicoptère va partir. La jungle crie plus fort. Un peu partout, elle accouche, des dizaines de jaunes. L'un d'entre eux vient jusqu'à moi. J'ai envie de rire. J'en ai tué des dizaines, et j'en avais jamais vu un d'aussi près. Je veux rire, mais je n'y arrive pas, il me braque son canon dans la gueule. Sale con. Mais c'est pas grave, je l'aime bien quand même. Jusque là, on a toujours gagné le jeu, maintenant, c'est lui qui gagne. Bravo, mec. Le soleil me réchauffe. Je suis bien.
J'entends un cri. Mon frère est mort. Puis plusieurs de mes frères meurent. Puis rien.
Le silence.

Je regarde l'hélicoptère partir là d'où viennent les oiseaux, les avions et les hélicoptères. Puis le soleil me lance de la lumière. Beaucoup. Puis plus rien.
L'adieu aux armes se fait dans la lumière.
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