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A la vie, à la mort... (suite et fin)


Notre héroïne passait jusqu'à présent un bon séjour avec son amoureux. Pourquoi sont-ils venus sur cette crique ? A présent, les ennuis se bousculent au portillon... Des voyous agressifs ont envahi le lieu favori de Marc, et celui-ci compte bien les remettre à leur place. Mais ce n'est peut-être pas la meilleure solution...



Les deux garçons debout, qui paraissent les plus sobres malgré leurs visages rougeauds, s'avancent vers Marc avec un sourire malsain.

Ils s'arrêtent à sa hauteur et l'un d'eux murmure : "Alors, qu'est-ce que tu viens foutre ici ?". Sans attendre de réponse, il lance :
"Allez, casse-toi, ça vaudra mieux pour toi !"
Marc le défie du regard pour lui faire comprendre qu'il ne bougera pas d'un pouce.
"T'as vu ça, mon pote ?" dit le jeune à son compagnon, un blond aux mains cagneuses. Il ricane.
"Tu veux jouer à ça ?" crache-t-il à l'intention de Marc. Celui-ci leur montre du doigt les ordures parsemés sur toute la plage. Soudain, il se dirige vers un tissu à terre et le soulève. Il éteint alors le feu en donnant des grands coups de tissu dessus. Les deux voyous, étonnés, se relèvent alors avec quelques difficultés. Leurs yeux sont rouges et ils reniflent bruyamment. Ils paraissent un peu plus jeunes. Marc secoue la tête : ils sont dans un état pitoyable. Marc s'apprête alors à ramasser quelques ordures, comprenant que les autres ne le feront pas. Ils préfèrent tout nettoyer plutôt que de laisser l'endroit dans cet état.
"Tu te crois où là, sale nain ?" envoie un des gars.

Alors, Marc, à bout de nerfs, fait toutes sortes de gestes incompréhensibles et bouge sa bouche dans tous les sens. Il essaie de communiquer avec ces individus, mais ils ne comprennent pas le langage des signes. Ils le regardent sans comprendre, avec des sourires mi-frustrés, mi-amusés. Marc s'emballe et donne des coups de pieds dans le sable, désigne le feu et pointe du doigt les déchets environnants. Il gesticule en tous sens, gigote en faisant de grands mouvements.
"Tu te fous de notre gueule en plus ?" demande une voix rauque.
Marc tente de s'exprimer, mais les autres pensent qu'il fait le mariole.

Je cours alors vers eux pour intervenir et pour tenter de leur parler, de les raisonner. Mais le plus grand attrape Marc par le col et lui donne un coup de tête. Marc recule, abasourdi, trébuche sur un rocher et tombe à l'arrière. Les quatre complices se jettent alors sur lui et je ne perçois plus son corps. Le roulement des vagues étouffe ses cris, ainsi que le rire de dément proféré par le dernier des voyou, toujours penché sur son joint. Je m'arrête net, paralysée, effrayée par la tournure que prend la situation.

Tout à coup, je le vois se relever, maîtriser les deux hommes complètement ivres, qui tombent dans le sable comme des paquets de linge sale. Ils ne contrôlent plus leurs faits et gestes, et perdent le sens de l'équilibre. Les deux autres garçons se battent avec Marc, qui a du mal à se détacher d'eux. Les coups s'enchaînent et les voyous se déchaînent. Ils sautent dans tous les sens, mais Marc les repousse avec une certaine puissance. Mes jambes sont lourdes, et une peur panique s'empare de moi. Je n'aime pas les bandes de gars qui traînent comme ça, pour boire et fumer, et qui agressent les gens sans raison. Je n'aurais pas du laisser Marc s'approcher d'eux, même si cette crique lui tient à cœur.

Je ne parviens pas à bouger, je ne maîtrise plus mes jambes ; elles me paraissent peser des tonnes. Marc tombe alors dans le sable et le blond le frappe avec ses deux poings. Marc essaie de couvrir son visage et de donner des coups de pieds. Il envoie valser le bonhomme dans le décor avec un grand coup dans le ventre. Il se plie à terre, et la douleur soudaine se lit sur son visage. Le plus vieux, apparemment chef du groupe, se jette encore une fois sur Marc, ne voulant pas le laisser partir sain et sauf. Je vois Marc de dos, mais je perçois le visage du bandit qui grimace et tord sa bouche en tous sens, ne gérant plus sa colère. Alors, mes jambes se libèrent soudain, et je cours vers les garçons pour interrompre ce combat inutile.

Et tout à coup, j'aperçois le jeune garçon avec une chemise hawaïenne, qui me semblait encore assis au bord de l'eau il y a une seconde, se diriger vers Marc. Son joint consumé, il vient soutenir ses compères. Je le vois avancer vers Marc, de dos, qui ne se rend pas compte de sa présence. Il se bat toujours avec le plus vieux des cinq. Je distingue alors la main du jeune, qui caresse le sable et saisit une bouteille vide gisant à terre. Il lève alors le bras en direction de Marc.
Je hurle alors : "MARC, ATTENTION !!!".
Celui-ci tourne rapidement la tête et me jette un regard apeuré. Il saisit alors tout le sens de mon message et ouvre la bouche pour crier. Mais aucun son n'en sort, assurément. Il n'a pas le temps de réagir qu'il gît déjà à terre.


J'ai vu sa bouche se tordre, ses yeux s'agrandir et son regard s'assombrir, ses jambes se raidir lorsqu'il a vu la bouteille à quelques centimètres de son visage. A présent il est allongé, face contre le sol. Les garçons reviennent tous à l'assaut et lui donnent de grands coups de pieds, dans les jambes, les côtes, et surtout dans la tête.
Ils ne cessent pas leur violence, et pour moi le temps s'arrête.

Je me précipite vers le corps de Marc, et m'écroule à ses côtés, passant mes mains sur mon corps, pleurant, gémissant interminablement. Les garçons ricanent encore quelques instants, se donnent de grandes claques dans le dos en signe de victoire. Ils poussent des hurlements inhumains, et grognent comme des bêtes. Je renverse alors le corps de Marc sur le côté, et j'aperçois son visage en poussant un cri étouffé. Son corps baigne dans une mare de sang qui s'est répandue rapidement. Il a un gros trou dans le front d'où le sang coule à flots. Son nez est violacé et ses lèvres et ses joues creusées par des plaies béantes. Ses yeux sont ouverts, son regard est vide. Il n'exprime plus rien. Sa bouche est entrouverte, comme s'il voulait tenter de parler, pour la première et la dernière fois. Ses yeux vitreux et inexpressifs inspirent le néant.


Je veux faire quelque chose, mais quoi ? Appeler une ambulance ? Pas de téléphone à l'horizon, les voyous ont l'air d'en être dépourvus également. Je tente d'entendre le pouls de Marc. Je cale mes doigts à différentes parties de son corps mais ne perçoit rien. Je place ma tête sur son torse.
Il ne respire plus.

Les ricanements s'apaisent et laissent place à des expressions toutes autres. Les sourcils sont relevés, les bouches pendantes. La bande se rend compte de ce qu'elle vient de faire. Même le shooté à la chemise hawaïenne regarde Marc avec de grands yeux effarés.
"Beuh, pourquoi il se relève pas, le mec ?" demande un des grands niais.
"Putain les gars, il est mort, il dit plus rien..." ajoute l'un d'eux.

La vie lui promettait déjà un silence éternel, la mort lui apporta une bonne fois pour toutes...

Je me plaque contre lui, l'entoure de mes bras et pleure à chaudes larmes. Je crie, je pleure, je gémis, mais rien n'y fait. Je secoue Marc dans tous les sens, frotte sa peau encore chaude, tente de le réveiller... En vain. Je sais au fond de moi que Marc est déjà loin.

Je pose un dernier baisé sur ses lèvres délicates, parcourues maintenant de sillons ensanglantées. Mes mains et mes lèvres sont aussi rouge maintenant que les plaies de Marc, que son corps inerte. Le masque de la mort s'est posé sur lui, et par la même occasion sur moi.

Sans Marc, la vie n'est plus rien.

Je réalise alors que tout est si court, la vie, l'amour... L'avenir parait déjà tracé, tout nous parait possible, à portée de main, mais le destin nous contrôle et fait ce qu'il veut de nous, de nos pauvres vies trop ambitieuses...

Les assassins bafouillent quelques excuses, mais je n'entends déjà plus rien. Ils n'osent même pas toucher Marc, ils l'observent, hébétés, ne peuvent détacher leur regard de son enveloppe charnel.

Je le contemple une dernière fois, sourire aux lèvres, bercée par les larmes qui s'écrasent contre le sol.
Le bonheur est toujours de courte durée. Pourquoi lui... Pourquoi nous... ?


Je ne fais plus qu'un avec les éléments. Le vent entre en moi comme en une porte ouverte, l'air gonfle mes cheveux ; je m'avance vers la plage, laissant le corps de mon tendre bien-aimé et les meurtriers derrière moi. Mes pieds, à présent nus, s'enfoncent dans le sable et me guident vers le clapotement de l'eau. Il fait nuit noire, mais les vagues crépitent et m'appellent, je les sens qui reflètent ma douleur, elles seules m'animent à présent... Le vent fouette mon visage, la pluie se mêle à mes larmes et je deviens un être liquide en m'enfonçant dans l'eau. J'avance inlassablement dans les vagues déchaînés, qui me lèchent les jambes, et atteignent petit à petit mon ventre. J'avance, j'avance sans cesse, n'ayant plus qu'une envie, devenir une créature aquatique, atteindre les bas fonds et retrouver mon bien aimé... Marc, Ô Marc, je t'aime tant... Ton sourire est éternel, tes yeux profonds me guident... je ne veux faire plus qu'un avec toi maintenant, je veux te retrouver, je veux t'aimer dans la vie comme dans la mort...

J'entends au loin les garçons s'affoler. Les pauvres... Ils vivront avec la mort d'un couple sur la conscience. Ils ont tout brisé... Mais ils n'y sont pour rien, après tout. Les hommes sont comme ça. Leur cœur est noir, ils sont bêtes et inconscients, égoïstes et avides de pouvoir. Ils tuent toujours sans scrupules, et regrettent parfois par la suite... Ces garçons sont jeunes, ils ont gâché leur vie... Tout comme celle de Marc, et la mienne par la même occasion. Mais je ne ressens aucune haine, aucune rancune à leur égard. Je les plains... La vie est moche, tout simplement, et leur punition est de rester à ses côtés.


Les vagues submergent maintenant mon sourire, mais mes pas ne s'arrêtent pas pour autant. Ma tête entière se laisse avaler par les flots. Mon dernier regard se dirige vers les nuages sombres et bruyants, les éclairs et le tonnerre qui gronde, les étoiles camouflées, espiègles et bienveillantes, et je soupire une dernière fois en attendant le long voyage qui me mènera parmi elles... Marc, j'arrive... Je ressens le bien être, la plénitude, le froid m'engourdit mais la voix imaginaire de Marc me cajole, me rassure... Ses yeux sont devant moi, derrière, de toutes parts, ils me protègent... Je suis en parfaite sécurité, les cristaux de froid transpercent mon corps et la pluie me terrasse, mais je fais maintenant parti d'eux, je suis en eux...


Alors, la mer m'engloutit définitivement, et le ciel, la mer, la terre, les étoiles, soudain, ne forment plus qu'un. Le néant.
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