Extrait du site https://www.france-jeunes.net

Après-midi de lecture


Elle ne savait pas qui il était, ni même comment il s'appelait. Elle savait qu'elle aimait ses cheveux d'un noir couleur charbon et ses yeux en forme de noisette. Elle n'en n'était pas amoureuse, elle était sous l'emprise de son mystère. Chaque jour, il s'asseyait en dessous du grand chêne au tronc meurtrit par les enfants du parc, et il lisait.



Elle ne pouvait pas prétendre tout savoir, mais elle savait beaucoup de choses. Elle savait ce qui serait bien pour elle et ce qui était plus mal. Elle savait comment manger, respirer, dormir et aimer. Le dernier étant nettement le plus important. Elle aimait presque tout. A des niveaux différents bien sur, mais presque tout. Elle aimait la pluie et le soleil. Les nuages et les éclaircies. La vérité et le mensonge. Le dépassement et la paresse. Le chocolat et la vanille, bien qu'une nette préférence pour le chocolat soit existante. Les amis et les ennemis. Pour elle, tout avait une raison d'être. Si quelqu'un ne l'aimait pas, tant pis. Si elle tombait amoureuse, tant mieux. Si elle échouait, meilleure chance la prochaine fois. Si elle réussissait, faisons la fête ! Tout était là avec raison. Tout sauf une chose. Lui...

Elle ne savait pas qui il était, ni même comment il s'appelait. Elle savait qu'elle aimait ses cheveux d'un noir couleur charbon et ses yeux en forme de noisette. Elle n'en n'était pas amoureuse, elle était sous l'emprise de son mystère. Chaque jour, il s'asseyait en dessous du grand chêne au tronc meurtrit par les enfants du parc, et il lisait. Une heure, deux heures, trois heures. Quelque fois, il levait le regard, sans rien chercher. Il regardait simplement ce qui avait changé depuis la dernière fois qu'il avait jetée un regard aux alentours. Après avoir constater que le monde était encore bien vivant, il se replongeait dans sa lecture, plus absorbé que jamais. C'était comme ça à chaque jour. Il sortait soigneusement un livre de sa mallette, le caressait comme pour lui rendre hommage et il ouvrait ce précieux trésor de mots à la page où il l'avait abandonné la dernière fois. Il venait toujours seul. Elle l'observait comme ça, du haut de sa fenêtre, depuis déjà plusieurs mois. Jamais il n'avait raté un après-midi de lecture. Elle croisa son regard à quelques reprises. Chaque fois, elle fit semblant de saluer une autre personne. Elle avait un peu honte de sa curiosité.

Elle le regarda pendant 1 an, sans jamais oser se rendre dans le parc. Elle voulait seulement savoir s'il allait être là. S'il allait revenir dans ce parc. C'était un tout petit parc, mais elle l'adorait. Elle y avait passé tellement d'heures étant petite. Elle le connaissait par cœur. C'était son refuge à elle. Sa grande maison pour la protéger de la pluie. Ce banc sur lequel il s'asseyait chaque jour, c'était un peu le sien, dans son cœur. Elle s'était fait un devoir de ne jamais manquer un de leur rendez-vous. Parce que oui, pour elle, ce regard discret qu'elle lui envoyait à chaque début d'après-midi, était un rendez-vous.

C'était une sécurité que de le voir, si paisible, assis sur ce banc, à chaque jour. La vie semblait un peu plus simple quand elle le regardait. Il la faisait sourire. Il la rassurait. Il la mystifiait. Tout ça, sans jamais lui avoir adressé la parole. Les mots bien souvent, viennent briser le lien qui s'est déjà établi entre les yeux et l'âme de deux personnes. Elle mourrait d'envie de savoir ce qu'il lisait, de connaître son nom, de comprendre ce qu'il venait chercher sur un banc de parc aussi banal, mais non. Elle l'observait de loin pour le garder près d'elle.

Elle quitta la maison un matin, comme à tous les matins, pour aller prendre une marche. C'était son rituel à elle. Elle aimait regarder les gens dans la rue. Leur regard, leur style, leur démarche. Elle aimait deviner la vie qui se cachait derrière les images que les piétons renvoyaient. Pour elle, l'individualisme qui s'installait dans notre société contemporaine n'était qu'un atout pour mieux comprendre les gens. Pour mieux saisir leur passé et leur avenir. Elle aimait tisser le récit probable de leur vie. Elle faisait toujours dans la simplicité pour rendre les visages plus accessibles. Elle aimait faire de ses souvenirs une anthologie des plus beaux sourires, des yeux les plus perçants, et recréer l'histoire de chacun d'eux. Elle aurait aimé être simple, mais voilà, elle était rêveuse !

Sur son chemin, le soleil brillait ce matin-là. Il brillait très fort. Elle s'arrêta sur le bord de l'eau. Elle voulait se ressourcer un peu. C'était un petit coin de la rivière plutôt inconnu. Elle l'avait découvert par hasard, le jour où elle avait couru en sens inverse. Elle avait envie de briser ses habitudes et elle partie de l'autre côté, comme pour se défier. Depuis 5 ans maintenant, elle connaissait ce petit coin du monde, très petit endroit, qui était aussi un peu comme chez elle. Le temps passa, mais elle ne le vit pas. Elle se réveilla, sans soucis et pleine d'une forme d'énergie tellement bouillonnante, qu'elle prenait un malin plaisir à la savourer lentement, très doucement. Elle avait décider de tout faire au ralenti. Elle marchait sur le trottoir, sans toucher aux séparations. Elle mettait ses bras dans les airs. On aurait dit un oiseau prêt à s'envoler. Les yeux presque fermés, elle entra dans sa chambre, sur le bout des pieds et s'effondra sur son lit comme si c'était un nuage. Elle prit le temps d'apprécier le sourire qui prenait un espace considérable sur son visage. Elle le sentait vivre à travers cette légèreté dont elle était victime. Elle s'approcha de la fenêtre, regarda son horloge et constata qu'il était 3 heures. Déjà. Elle précipita son regard vers le parc, mais il n'était plus là.

Elle ne comprenait plus. Elle était déboussolée. Elle avait tout à coup perdu ses repères. Il était toujours là, il devait être là. Sans trop comprendre pourquoi, elle avait envie de pleurer. Où était-il cet inconnu insaisissable qui remplissait son cœur d'espoir depuis un an. Il était venu, mais il n'y était plus. Du moins, c'est ce qu'elle espérait.

Elle dormit très mal cette nuit-là. Elle se tournait et se retournait régulièrement. Il lui manquait quelque chose. Le lendemain matin, il faisait gris. Le temps était humide. Dame nature était triste, c'était imminent. Aucun doute, le ciel était lourd de pleurs ce matin-là. Mais elle n'avait aucune crainte, il allait venir, il venait toujours. Aussi bien les jours de pluie que les jours de neige et les jours de soleil. Il était toujours assis sur ce même coin de banc. Sur son petit coin de monde juste à lui. Elle attendit à la fenêtre, encore vêtue de son pyjama, l'heure de son arrivée. Elle attendit longtemps. Son ventre réclamait de la nourriture, mais tant pis. Elle n'allait pas risquer de ne pas le voir. Elle attendit. Elle avait très envie de bouger, elle regorgeait d'énergie, mais tant pis, elle attendrait. Elle attendit. Une heure, puis deux et trois. Elle attendit encore. Longtemps. Très longtemps, mais il ne vient pas. Elle eut peur. Elle se recoucha. Elle dormit.

Le lendemain, elle attendit. Elle mangea très tôt, s'installa à la fenêtre et attendit.

Ce fût ainsi pendant une longue semaine. Elle ne comprenait pas pourquoi elle avait besoin de le voir. Tout ce qu'elle savait, c'est qu'il lui manquait. Ses cheveux qui descendent dans sa nuque avec une telle grâce. La lenteur de ses mouvements quand il tourne les pages de ses romans. Ses pieds qui traçait un corridor dans le sable sans même qu'il ne s'en rende compte. La profondeur de son regard quand il levait les yeux pour se détacher un peu de son histoire. Tout lui manquait de cet homme. Elle n'était pas amoureuse, mais elle voulait le voir, sentir sa présence.

Il n'était plus là, il ne venait plus. Elle s'habitua à cette absence en la regrettant malgré tout. Les gens, les choses, les moments disparaissent un jour ou l'autre, mais ils nous laissent quelque chose. À l'intérieur de nous, quelque chose sera demeurera changer pour l'avenir. Bien qu'il ne soit plus jamais venu sur ce banc, elle sentait encore sa présence rassurante. Il l'avait sécurisé l'espace de quelques temps. Elle aimait le regarder et elle gardera toujours le souvenir de ce jeune homme discret qui aimait lire.

Elle marche encore dans la rue le matin. Elle invente encore la vie des gens. Elle rêve encore de ces bonheurs qui font d'elle une entité complète.
Elle lit beaucoup plus maintenant. Elle espère être la muse de quelqu'un. Sans le savoir, il lui a apporté une douceur et un apaisement dans son cœur. La vie qui court prend toujours le temps de s'arrêter, dans un parc où ailleurs. Mais malgré tout, quelque chose vient apaiser la course folle de notre cœur qui ne cherche qu'à trouver ce qu'il y a de mieux...

Elle cherche son visage dans toutes les foules, dans toutes ses solitudes. Elle lit beaucoup plus maintenant, mais elle n'est plus jamais seule. Elle garde en elle se souvenir qui l'aide à bâtir son avenir.

Elle n'a pas cessé d'imaginer la vie des autres, elle le fera toujours. Mais à présent, qu'il pleuve ou qu'il neige, elle se lève tous les matins. Non pas pour lui, qu'elle voulait voir assis sur son banc, mais pour elle. Pour qu'elle puisse un jour, prendre le temps de lire, quelque part où elle se sente chez elle...
Extrait du site https://www.france-jeunes.net
Tous droits réservés