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Le noël de Babel Amstrong


Voici une petite nouvelle en cours d'écriture. Les amateurs de jolies phrases (prose et vers) sont les bienvenus. Voici l'histoire du Noël de Babel Amstrong - Première partie (texte de Kali).



Jeudi, Vendredi ou peut-être Mardi, je ne sait plus où ce p... De calendrier est passé.
Il est sept heures du mat', le réveil gît lamentablement parmi ses congénères, au pied du mur face à mon lit, après avoir sonné et volé un court instant. Instant caractérisant une tentative de sommeil avortée. Mon pied gauche tâtonne le sol à la recherche d'une charentaise, le droit attend son tour. Les orteils bien au chaud, je me déplace avec une certaine nonchalance en direction de la salle de bains. Après quelques discussions frontales avec les murs de mon deux pièces, je me retrouve devant mon lavabo, rasoir bi-lames en main. Le visage dévasté et échevelé qui apparaît devant moi confirme mon analyse pour cette matinée ; je suis de mauvais poil.

Je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit, malgré une lente lobotomie tentée par les rediffusions télévisées de nos chaînes privées et leurs incessantes rotations de programmes achalandés pour un peuple absorbé par l'électron.
Je me remémore cette nuit passée à ne plus penser, à n'être qu'un outil de consommation acceptant l'absurde réalité d'un monde stérile dans un état second. Le constat est accablant ; les yeux creux, la face ravagée de ridules, l'index calleux par un usage intensif de ma zapping machine, le cerveau liquéfié et ce sentiment étrange d'avoir séjourné dans une éplucheuse à patates.
Une buée persistante recouvre la fenêtre de ma chambre, je l'ouvre et en profite pour mettre le nez dehors, nez suffisamment éloquent pour n'avoir pas à y mettre la tête entière ; il fait pluvieux et froid, l'anticyclone des açores ayant sûrement préféré survoler le flot de touristes attardés sur nos côtes méditerranéennes.
La journée s'annonce maussade. Je vais voir du coté de la cuisine histoire de me préparer un petit déjeuner correct. Royal ; beurre rance sur pain rassis accompagné d'une gelée verdâtre injustement affublée du nom de confiture de reine-claude par les supermarchés Carrefour-Rhone-Poulenc. Le summum du luxe ; coupure générale de gaz. À moins d'un briquet, ma dose quotidienne de caféine me sera servie froide.
Après avoir soigneusement disposé ce frugal repas sur un plateau, je retourne au salon afin de justifier une flegme naissante. Le canapé Konfo me tend ses bras de Bakélite, pourquoi refuser cette invitation à la paresse ? Je m'installe confortablement et retrouve mon téléviseur, fidèle compagnon de mes solitudes. Je n'ai pas de chat. Télécommande en main, je m'apprête à me fusiller les quelques neurones qui me restent et étudie le Télézede. Programme alléchant ; japoniaiseries animées dégoulinantes d'hémoglobine, feuilletons lacrymogènes et jeux-concours animés par une espèce de clown hydrocéphale à la limite du has been. Bref, nos chères têtes blondes seront des composants essentiels d'une future génération de légumes. C'est bon pour la santé, les légumes.
Page de pub après lesquelles il faut se retrouver. Je reste devant l'écran, subjugué par la vision de splendides pétasses gonflées nous vantant un déodorant écolo tout en déchiquetant un arbre Amazonien, pauvres de nous ! Shampooing deux en un, lessive deux en un, gel douche deuzenhin et enfin, la suite de notre programme d'eux en un.


Un coup d'oeil rapide sur l'horloge ; Déja onze heures et, bien qu'ayant ingurgité mes somptueuses tartines tout au long de la matinée, je mangerais bien encore un p'tit quelque chose.
Cuisine, deuxieme prise. Mon vieux frigo est laid, vieux, blanc... Et vide. Pas de bol. Il me reste tout juste un fond de beaujolais Villages, c'est mieux que dalle. Mouais, ça ne vaut pas le blanc sec de chez Kamel, le patron du bar à l'angle de la rue Jules Verne et de la rue Hugo Hachebuisson après le vendeur de machins à dix balles. La pression n'est pas mal non plus. Et là, bizarrement, je me souvient...
Je me souvient de jours entiers passés à user le comptoir en inox de ce vieux bar, un verre de mauvais scotch à la main, regardant les habitués jouer au 421 ou à la belote, attendant je ne sais quoi dans cette ambiance enfumée, ecoutant le juke box nous jouer ses rengaines commerciales.
C'etait un soir d'hiver assez banal. Il neigeait et l'on approchait Noël. Le mercure s'en etait allé faire un tour en dessous du zero. Dehors, la neige avait pris l'aspect d'une boue assez immonde, resultat d'une succession de pas cadencés provoquée par une foule de gens pressés d'arriver à temps pour les soldes de nos grandes surfaces. La ville etait revetue de ses habits de lumieres et de sapins tronçonnés à la hâte. L'air ambiant etait pris d'une fievre tres caracteristique à ces periodes de fin d'année; deux reveillons à une semaine d'intervalle, ça se prepare...
Et moi, bien au chaud, dans ce bar à brouillard, saisit par cette agitation febrile, j'en oubliais mes petits problemes, berçé par de douces musiques de Noël dont il y a un quart d'heure de cela je n'en aurais eu rien à battre. L'enfance, mon enfance, remontait à la surface. L'enfance des Noëls hypocrites, des obligations de bonne tenue annuelle, des repas interminables, de toutes ces messes de minuit celebrées dans cette chapelle minable de ma ville natale, Noëls insouciants, Noëls egoïstes, Noëls, Noëls, Noëls...
Pere Noël, petit Jesus, creche et sapin multicolore, que Dieu les garde...
Profitant d'un moment de lucidité, je decide de m'extraire de ce bar, les yeux un peu alourdis par l'exces d'alcool et la fumee, les jambes prises dans une sorte de coton et l'esprit encore travaillé par mes reflexions à la con.
La neige continue à tomber, s'agglutinant sur le sol, rendant encore plus consistante cette boue qui me gele les pieds. J'ai un trou d'au moins vingt-cinq kilomètres de diamètre dans la semelle de ma chaussure gauche, et c'est gênant. Toutes les vitrines des magasins se sont parées de la décoration traditionnelle et de toutes ces petites bouboules qui clignotent et colorent ce sol terne. C'est ainsi tout les ans à la même période. Et il y a toujours cette saleté de boue.
Je ne savait pas vraiment ou aller, il fallait simplement que je sorte de ce bar, mais maintenant, j'ai l'air d'un con, un con gelé qui déambule sur le boulevard de l'est, ne sachant que faire de cette foutue soirée. Et c'est sans raisons particulières que je pris la première rue à gauche, un sorte de ruelle assez sale, peu éclairée et sans issue. Le décor me semblait familier, il me faisait penser à ces endroits sordides issus de séries policières ricaines illustrant le moment ou la jeune et jolie blondasse va se faire trucider contre une poubelle par le tueur au taille- crayons.
Je regarde le sol, la boue est accompagnée d'une pâtée de détritus en tout genres et je me demande ce que je fait ici, au milieu de cette nuit terne, à regarder par terre les pieds plantés dans cette boue de neige et de déchets urbains.
Sous mes pieds, je sens le sol inégal d'une rue pavée, comme dans la plupart des petites rues oubliées par le goudron. De mon pied, j'écarte un peu de neige d'un mouvement circulaire pour découvrir la nature du pavé, ma chaussure est souillée par cette pâtée, je secoue mon pied et envoie toute cette boue voler au hasard autour de moi. Mon pied touche un pavé, il bouge un peu. Je décide de le dégager à l'aide d'un petit canif que j'emporte quelques fois avec moi. Je gratte tout autour du pavé et commence lentement à le sortir. Mes doigts sont gelés par l'absence de gants et le pavé est humide, il glisse légèrement. Je parvient finalement à le déloger et, le tenant d'une main, je l'observe curieusement comme un objet venu d'une autre planète ou je ne sait quoi. C'est un pavé pourtant banal, sans rien de particulier, pesant un ou deux kilos, humide et froid.
Il s'est bien écoulé une bonne demi-heure depuis mon arrivée dans cette rue et je n'en ai pris conscience qu'à l'instant, je ne sait pas ce qu'il m'a pris de vouloir absolument dégager ce foutu pavé dans une ruelle sale et sordide un soir d'hiver mais maintenant je le tient en main et je me demande bien ce que je vais pouvoir en faire.
J'entends des bruits de pas derrière moi, quelqu'un s'avance, cette ruelle n'est peut-être pas aussi abandonnée qu'elle le paraît. Je recule et me met un peu en retrait pour pouvoir l'observer de loin, il n'avance pas tres vite.
C'est un homme, un homme assez gras, à en juger son apparence, il doit faire un sacré poids, cent dix kilos au moins. Il porte une dizaine de petits paquets enrubannés, son costume etriqué lui donne un air ridicule. J'entends egalement sa respiration ; un souffle court accompagné d'un leger sifflement de bouilloire, un probleme cardio-vasculaire sans doute. Il se trouve maintenant à un dizaine de metres de moi, un vent violent s'engouffre entre les batiments et tout d'un coup les paquets du gros homme se retrouvent par terre,
l'homme lance un juron, regarde le ciel en ecartant les bras, baisse la tête, la releve et regarde autour de lui. Je pense qu'il m'a vu mais qu'importe. La neige sale semble lui poser un probleme; se baisser pour recuperer ses stupides paquets salirait son beau pantalon et son beau pardessus, alors il reste planté là en attendant un signe divin.
Je l'observe encore quelques secondes et decide de m'approcher de lui sans pouvoir m'expliquer pourquoi, surement pas pour l'aider a ramasser ses cadeaux, je ne suis au service de personne, il n'a qu'a se debrouiller tout seul.
Lhomme que j'ai en face de moi me regarde d'une etrange maniere, il n'a pas l'air de vouloir me parler, et d'un coté cela m'arrange car je n'aurait pas eu envie de lui repondre. Il est encore plus gras que je ne le pensait, de plus, je perçoit l'odeur immonde d'un after shave de modiste, ça me brouille les tripes ce genre de truc. Néanmois son regard me fait un drole d'effet, je lui fait peur ou quoi ?
Les paquets sont toujours par terre, eparpillés autour du gros homme qui me regarde et semble avoir peur...
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