Extrait du site https://www.france-jeunes.net

Destin d'un clandestin


Voici l'histoire d'un clandestin Algérien qui a du quitter son pays pour fuir une misére qu'il croyait avoir semé definitivement...



Hocine est arrivé à Paris depuis déjà six mois. Peu de temps après avoir obtenu un visa de tourisme, Il a quitté l'Algérie un matin de mai, le coeur déchiré parce qu'il venait de laisser derrière lui sa mère et ses frères et soeurs en Kabylie.
Durant la traversé du bateau qui l'emmenait vers Marseille, il était appuyé sur la rambarde, le regard perdu vers l'horizon, ressassant dans la tête tous les moments qu'il avait vécu avec eux. Les reverrai t'il un jour ? Car Hocine savait que la France avait arraché bon nombre de fils a leur mères.

Mais pourquoi faut il toujours partir ? Le chômage et la pauvreté qui faisaient rage en Algérie avaient contraint les jeunes des villes et des villages à chercher du travail a l'étranger pour subvenir aux besoins de leurs familles. Hocine avait porté son choix sur la France qui etait sans nul doute le pays le plus propice a lui fournir ce qu'il cherchait. Hocine était francophone, il pensait à ce moment que son insertion au sein de la communauté française se ferait sans mal, d'autant plus que l'aisance qui émanait des immigrés algériens de France le rassurait presque.

Arrivé au port de Marseille qu'il regardait avec fascination tant l'environnement différait de celui qu'il connaissait depuis toujours, il se dirigea vers la gare et avec ce qu'il lui resta de ses maigres économies il acheta un billet de train pour Paris.
Installé prés de la fenêtre de la machine, il contemplait le décor qui défilait sous ses yeux, et ne pouvait s'empêcher de se replonger a nouveau dans ses souvenirs. Il se revoyait encore en train de rire avec Sofiane, le plus jeune de ses frères, au milieu du champ ou ils emmenaient très souvent paître les moutons :

- Yemma (maman) m'a dit hier que tu n'etais pas allé a l'école lundi ! C'est vrai ?
- Non c'est pas vrai...
- Alors yemma est une menteuse ?
- Non mais...
- Mais quoi ? C'est a cause de Mehdi le voisin ? Tu l'as encore suivi dans la foret ? Allons répond moi !
- ... C'est a cause du Cheikh Mustapha !
- Ton prof ?
- Oui... Il me fait peur !
- Pourquoi ?
- Il arrête pas de me frapper !
- Il a peut être de bonnes raisons de le faire... Qu'est ce que t'a encore fait cette fois ci ?
- Je te jure... J'avais rien fait ce jour la !
- C'est encore une de tes ruses pour te faire oublier ?
- Non... Regarde toi même !
- ... Qu'est ce qui est arrivé à ton bras ?
- C'est lui... Il a pris la règle en bois et m'a frappé plusieurs fois ! alors tu me crois maintenant ?
- Si ce que tu dis est vrai alors je vais aller le voir demain !
- Non s'il te plait, n'y vas pas ou ce sera encore pire !
- Oui s'il recommence se sera pire pour lui crois moi !
- Alors... tu viendras avec moi toutes les autres fois aussi !
- D'accord mais seulement si tu me jure d'arrêter de traîner avec ce Mehdi ! C'est un voyou, il traîne dehors a longueur de journée, je ne veux pas te voir finir comme lui ! alors ?
- Mais... c'est'est mon copain, je peux pas faire ça !
- Alors je ne viendrais que demain et les autres fois tu y iras seul et crois moi si après j'apprend que t'as encore raté les cours, c'est moi qui m'occuperai de l'autre bras !
- Attend... c'est bon, j'accepte mais t'es vraiment qu'une pourriture Hocine !
- Oui je sais, mais tu verras plus tard, tu me remercieras !
- Monsieur votre titre de transport s'il vous plait ?

Hocine se réveilla en sursaut et l'air hagard sortit son billet de train pour le présenter au contrôleur.

- C'est bon monsieur et passez une bonne journée !
- Merci !

Arrivé à la gare de Lyon, Hocine marcha longtemps le long des quais pour trouver la sortie. Lorsqu'il quitta la gare, il faisait déjà nuit. Hocine erra dans les petites rues de Paris dans l'espoir de trouver l'adresse du café que tenait son oncle Idir, le frère de son défunt père, mort il y a 6 ans dans un accident de voiture sur les routes de Tizi ouzou en Kabylie. Après de longues heures de marches, Hocine complètement épuisé, finit par appeler un taxi. Celui ci le conduisit a l'adresse indiqué, puis se tourna vers son client :

- Bon nous voilà arrivé monsieur ! ça fera donc... attendez voir... 30 euros !
- Euh... oui... est ce que vous pouvez m'attendre ici ? mon oncle est le propriétaire de ce café et...
- Vous ne pouvez pas me payer ?
- Mon oncle va vous payer mais il faut m'attendre un peu, je reviens avec l'argent je vous jure !
- Non non ! pas question on me la fait pas à moi celle la alors tu vas payer ou je te jure que tu vas goûter a mon poing !
- Alors venez avec moi, c'est juste la vous verrez, il va vous payer !
- D'accord mais s'il a rien pour moi je te dénonce aux flics !

Hocine alla donc en compagnie du chauffeur de taxi frapper au rideau métallique a moitié baissé d'un petit café de coin de rue ; la lumière etait encore allumé et on y pouvait voir des silhouettes y bouger, et subitement sortit de sous le rideau un vieil homme au regard sombre et à l'allure très négligé :

- Oui qu'est ce que c'est ?

Hocine intimidé par ce qu'il revoyait son oncle Idir pour la première fois depuis qu'il avait quitté le pays pour la France il y a de cela 21 ans, suait de tous ces membres !

- Oncle Idir c'est moi... tu me reconnais ?
- ... Hocine ??? C'est toi ?
- Oui...
- Mais... c'est pas possible ! qu'est ce que tu fais là ?

D'un seul coup, le chauffeur de taxi mit un terme aux retrouvailles en réclamant l'argent de la course. Hocine expliqua alors à son oncle toute l'histoire et celui ci sans dire un mot se dirigea vers le comptoir du café et tira de la 30 euros, puis les donna au chauffeur de taxi qui s'eclipsa rapidement.

- Ca fait longtemps que tu es arrivé ?
- Aujourd'hui même mon oncle !
- Comment tu as fait pour me retrouver ?
- Au village j'ai rencontré Youcef !
- Youcef ?
- Oui... un de tes anciens locataires !
- Ah oui je vois maintenant !
- Il m'a dit aussi que tu avais des chambres a louer !
- Oui... deux seulement et elles sont prises !
- Tu peux m'héberger cette nuit mon oncle ?
- Je ne sais pas... mais à propos d'héberger, pour avoir le visa il t'a fallu avoir un certificat d'hébergement de quelqu'un d'ici ! Comment as tu fait pour l'avoir ?
-C'est un ami qui me l'a envoyé d'ici !
- Alors pourquoi tu ne vas pas plutôt chez lui que chez moi ?
- Et bien tout simplement parce que je sais qu'il est dans la même situation que moi et qu'il habite déjà avec 2 personnes dans une petite chambre de 25 mètres carré ! et j'ai pensé qu'il etait aussi plus logique que je vienne te voir car tu es le frère de mon père alors...
- Oui je sais... mais vois tu en ce moment ça tombe très mal car je suis débordé, et en plus mes chambres sont prises alors je ne sais pas ou te mettre !
- Et chez toi ce n'est pas possible ?
- Non vois tu... Je ne suis pas seul chez moi...
- Tu n'es pas seul ?
- Non... Je vis avec une femme !
- Une française ?
- Oui ! et j'ai aussi deux enfants avec moi
- Mais... tu es déjà marié à ma tante Yamina en Algérie et tu as aussi 5 enfants !!!
- Ecoute ! tout ce que je peux faire pour toi, c'est t'héberger pour cette nuit dans la cave du café mais demain il faudra que tu partes !
- Mais ou vais je aller après ?
- Je ne sais pas mais je ne peux rien faire d'autre pour toi !

Hocine suivit son oncle a l'intérieur du café la gorge encore noué par ce qu'il venait d'apprendre à son sujet mais aussi et surtout par la froideur de cette homme qu'il ne reconnaissait plus, cette homme qui le chérissait tant pendant son enfance ! Que lui etait il arrivé ? Comment avait il put changer à ce point ?

Hocine s'installa comme son oncle lui avait indiqué dans la cave du café ! L'oncle Idir avait préparé sur le sol un matelas de fortune composé de simples couvertures posées sur une longue planche de bois. Hocine prit pour coussin quelques habits de son cabas et les plaça sous la nuque. Avant d'éteindre la lumière son oncle le mit en garde de monter la haut pour éviter d'attirer l'attention sur le café. Le lendemain matin a l'aube, lorsque l'oncle de Hocine descendit pour le réveiller il se rendit compte que son neveu n'avait pas fermé l'oeil de la nuit.

- Tu as réussis a dormir ?
- Non mon oncle... pas du tout ! la planche etait trop dur et il faisait trop froid !
- Oui c'est vrai c'est à cause de l'humidité ça !
- En plus ton chat n'a pas arrêté de me réveiller en se frottant à moi !
- De quel chat tu parles ?
- Tu as bien un chat dans cette cave ?
- Non pas du tout ! aucun chat mais par contre beaucoup de rats !
- tu veux dire que c'etait des rats ?
- Eh ! tu dors dans une cave pas dans un château ! Maintenant tu va te lever et te laver ! Ca fait combien de temps que tu t'es pas douché ?
- ... Heu, quatre jours je crois !
- Oui ça m'étonnes pas vu que tu sens le fauve ! bon alors tu vas monter ! la haut tu trouveras une salle de bain à coté des chambres et fait attention que personne ne te voit en montant d'accord ?
- Oui merci mon oncle !
- Attends une minute ! avant de monter passe moi ton cabas, je vais laver tes vêtements !
- Mais ils sont propres !
- Oui peut être mais plus depuis cette nuit ! regarde a l'intérieur !

Hocine jeta un bref coup d'oeil.

- Mais c'est plein de cafard dedans !!!
-O ui j'avais vu que tu avais laissé ton cabas ouvert avant de dormir !

Hocine donna ses affaires a son oncle et monta se laver a l'étage.
Quelques minutes plus tard, il descendit voir son oncle qui lui avait préparé une tasse de café.

- Tes affaires sont dans la machine à laver, il ne reste plus qu'à attendre maintenant !
- Merci mon oncle pour tout ce que tu fais pour moi !
- Ecoute... c'est normal ! après tous je suis ton oncle et je te dois bien ça quand même !
- Dis moi oncle Idir, je voudrais te poser une question !
- Vas y je t'écoute
- Pourquoi est ce que tu n'as plus donné de nouvelles après ton départ du village ?
- Oh... et bien c'est une longue histoire et je ne voudrais pas m'attarder dessus !
- Tu sais... ma tante Yamina t'a attendu depuis 1981 et tu n'as pas donné signe de vie !
- Oui... Je sais et même si je te paraît amer je te jure que ça m'a toujours rongé de l'avoir laisser la bas avec les petits !
- Mais... Qu'est ce qui t'a empêché de la ramener après que tu sois parti ?
- Tu sais, il y a des choses qu'il est difficile d'expliquer !
- Je ne peux pas me permettre de te juger et...
- Bon assez parlé maintenant, il est presque 6h00 et je dois faire l'ouverture du café, alors si tu veux un bon conseil, change toi puis enfile ce tablier !
- Je vais travailler pour toi alors ?
- Juste aujourd'hui ! tu me dois 30 euros je te rappelle ! Comme je sais que tu ne peux pas me les rembourser alors tu vas t'acquitter de ta dette en travaillant pour moi en tant que plongeur !

Hocine se mit immédiatement a la tache sans rechigner. Son oncle le mit a nouveau en garde de ne sortir de la cuisine sous aucun prétexte. Le soir, le vieil homme se rendit au cuisine pour prévenir son neveu que sa journée etait fini. Il trouva Hocine complètement extenué.

- C'est pas un travail facile hein ?
- ... Oh tu sais j'ai connu pire chez nous !
- Oui c'est vrai, nous les algériens on a pas toujours eu la vie facile hein ? !
- Oui ! on est un peuple qui a appris à côtoyer la souffrance et la mort depuis longtemps !

Hocine avait remarqué que son oncle était totalement absorbé par ses souvenirs, son regard avait changé subitement de forme.

- Depuis mon enfance je n'ai connu que ça tu sais Hocine ! notre famille vivait à 20 dans une petite maison en torchis ; il n'y avait qu'une seule pièce et nous dormions la nuit cote à cote en nous racontant des histoires près du feu. Dehors il faisait noir et très froid à la campagne d'ou l'importance que l'on accordait à ces soirées la !

Nous étions pauvres, très pauvre même ! mais ma mère nous apprenais cependant à rester digne ! elle nous disait toujours qu'on pouvait vivre pauvre mais debout ! évidemment la mort de ton grand père nous avait rapidement privé du seul revenu qui nous permettait de vivre, il nous a fallu alors quitter assez rapidement l'école et travailler dans les champs. Etant l'aîné de mes frères et soeurs, la lourde charge de nourrir la famille me revenait.

J'ai travaillé d'arrache peut être et fait tous les métiers que je pouvais trouver, parfois même a mes risques et périls.
Il m'etait parfois arrivé d'aller cueillir des olives pour les colons français pendant la guerre et je ne sais combien de fois j'ai été pris en embuscade entre deux fusillades. Pendant que d'autres voyaient leurs actes guidé par l'argent moi c'est la faim qui a guidé les miens. C'est vrai, j'ai fait des choses dont je ne suis pas fier maintenant mais c'etait la guerre et chacun se débrouillait comme il pouvait. Plus tard, ta grand mère fut atteinte du typhus et je l'ai vu mourir sous mes yeux petit a petit à la maison sans pouvoir la soigner. Quand nous nous retrouvâmes seul moi et tes oncles et tante, nous fumes pris en charge par des pères blancs qui nous avaient soigné, nourris, habillé, et appris a lire et a écrire. C'est d'ailleurs le seul bon souvenir qui me revient en tête quand j'y repense !

Quelques années plus tard après l'indépendance en 1962, j'ai appris qu'avec le retour des pieds noirs au pays, on recherchait de la main d'oeuvre en France, alors je suis parti et j'ai tenté ma chance !

A suivre...
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