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Quand les souris sont parties , les Hommes dansent...


...Une maison comme toutes les maisons, des fenêtres semblables à toutes les autres, mais à l’intérieur un sentiment d’horreur qui hante les êtres y vivants. Certes, la curiosité est un vilain défaut, mais ce sentiment est plus fort que moi. J’aurais pu passer ma route comme tout homme aurait pu le faire mais…



Le 16 janvier 1960


Une maison comme toutes les maisons, des fenêtres semblables à toutes les autres, mais à l’intérieur un sentiment d’horreur qui hante les êtres y vivants. Certes, la curiosité est un vilain défaut, mais ce sentiment est plus fort que moi. J’aurais pu passer ma route comme tout homme aurait pu le faire mais…

Je m’approchai du seuil et d’un geste frottai la buée sur la vitre. On aurait dit des flammes et des ombres qui dansaient sur les murs. Un homme se balançait dans son fauteuil à bascule au rythme des crépitements du feu. La lueur sortant de l’âtre dévoilait un vieillard dépourvu de toute force. Ses cheveux aussi longs et ébouriffés que sa barbe cachaient son visage. Au rythme du balancement, un bruit inconnu et pourtant familier à la fois me parvint. Je fixais attentivement l’homme et remarqua une jambe de bois. Horrifié et pris de surprise, je poussa un cri qui dérangea le sexagénaire. J’aperçus sa face terrifiante remplie de cicatrices et de pustules. Ni plus, ni moins. Pris de terreur, je m’encourus à toutes jambes dans le dédale des rues qui conduisaient à ma demeure. Ma sueur me dégoulinait sur les joues malgré le froid de l’hiver. Je ressentis un picotement dû au froid qui envahit mon corps. Mes pas résonnaient dans la nuit noire dénuée de toute vie. Seul le ululement d’une chouette accompagnait le ruissellement d’une ravine. Bien que mon chez-moi était assez sommaire, j’ étais ravi de l’apercevoir. Enfin arrivé, je referma la seule protection de cette maison : une vieille porte en chêne. Je repris des forces et me réchauffai en allumant un feu et en me préparant de quoi dîner. Je n’avais ni femme, ni enfant mais pour seule famille un chat. En face de moi, accroché au mur, au-dessus du meuble, ma mère et mon âme d’enfant encore naïve me fixaient du coin de l’œil.

Déposant ma veste sur une chaise pour en sortir un mouchoir, ma carte d’identité tomba.

« Ah ! Voilà, j’oubliais de me présenter » s’écria t-il tout en regardant la photo. « Je me nomme Loïc Jurans et suis né à Nantes en France le soir du 20 mars 1940. Oh ! Je n’étais pas bien riche mais avais une mère formidable. Avais, oui, vous avez bien entendu, morte de souffrance… Son image n’est plus très nette dans ma mémoire mais je garde d’elle son sourire magnifique. Bien sûr, vous allez me traiter de fou mais la photo que vous voyez là, sur le mur, est le pur fruit de mon imagination.

On m’a enfermé dans un orphelinat belge à la suite de son décès. » Me frottant les yeux pour revenir à la dure réalité, j’ingurgitai une gorgée d’eau. Par moment, je délirais dans ma solitude. Ni famille, ni ami, seul sans personne à qui parler. 23h sonna et je décidai d’aller me coucher. Une longue journée m’attendait demain. Me retournant sans cesse, je ne trouvais pas le sommeil. Je regardai une dernière fois l’âtre qui éclairait l’unique pièce et m’endormis.


Mmmumh, je sentais la chaleur du feu : divin ! Une fenêtre, de la buée, un trou, tout tourbillonnait. Des ombres difformes dansaient sur les murs. L’âtre révélait un feu, oui des flammes vives et chaudes, trop chaudes même brûlantes. Je…je brûlais, mon édredon s’enflammait. J’avais beau tapé pour l’éteindre, me débattre de toutes mes forces pour en sortir : pas moyen. J’étais pris au piège, j’allais mourir comme…

« Nooonnn… un sursaut, j’étais là, assis sur mon lit, la sueur sur le front mes draps trempés et tout en place. Pas de tourbillon dévastateur ni rien de ce genre. Je dus me résoudre à la seule possibilité : un cauchemar, j’avais fait un cauchemar.



Le 17 janvier 1960



Mais pourquoi ce cauchemar si atroce ? Malgré mes souvenirs vagues, ma mémoire intervenait dans mes pensées. Tout ceci a sans doute une signification ! Mais quoi….

Le soleil venait de se lever , l’unique fenêtre ouverte laissait pénétrer l’air frais de la vallée. Un gazouillement d’oiseaux me fit vite oublier la nuit agitée. Je déjeunai et me préparai pour mes travaux habituels. J’avais trouvé une place accueillante me permettant de gagner ma croûte. Dans un manoir, à quelques kilomètres de ma demeure, se trouvait une immense propriété avec de gigantesques jardins. « Oui, vous avez deviné, mon métier était jardinier. Mes mains sont toute ma vie ».N’ayant jamais reçu que 3 ou 4 années d’enseignement, je m’étais résolu à cette solution qui n’était guère plus mauvaise. La nature me faisait vivre , me réjouissait et m’encourageait à persévérer chaque jour. C’est un don du ciel ce paradis ! L’hiver m’offrait moins de travaux mais ces derniers devaient être plus rigoureux. Tout cela remplissait ma vie. Mon cœur, lui, n’était rempli que pour la comtesse. Une femme magnifique remplie de charmes les plus fous. Toujours élégante à souhait, portant des robes de soie et ayant des mains propres et douces. Mmmumh… un délice qui ne me serait jamais permis à moi, petit paysan. Elle, elle m’admirait aussi, mais pas de la même manière. Elle me caractérisait par le courage acquis par l’endurance de ma vie si pénible.

Alors que je bêchais l’allée centrale, un cri retentit. Je lâchai mon outil et me dirigeai .à toutes jambes en direction de la demeure. J’entrai sans me faire annoncer et ouvris toutes les portes successivement. Là, j’aperçus ma maîtresse debout sur le sofa datant du XVIII ème, poussant des cris perçants.

« Là, là, monsieur Jurans, monsieur… Aaah…des sou sou, des souris. » Puis, la pauvre, épuisée par cet effort, s’évanouit. J’hésitais l’espace de deux secondes à rattraper la comtesse ou à abattre ces monstrueuses bestioles sanguinaires qui me narguaient. Le cœur me dit de prendre au vol la belle ; ce que je fis. J’ignorais pourquoi j’avais hésité un seul instant entre des bêtes et un être humain qui m’était cher. Je me rappelais que le mot souris m’était en horreur, sûrement à cause de l’orphelinat, peut-être un surnom… En tout cas, ce qui est sûr, c’est qu’il me donne des palpitations !

Je portai ma maîtresse dans le grand salon et appelai sa dame de compagnie. Je lui effleurai le visage d’une étoffe douce, légèrement humidifiée qui la réveilla. Elle me pria de chasser dès aujourd’hui ces muridés qui l’épouvantaient .

Quand mes besognes assez agitées furent terminées, je repris le chemin du retour. Exténué par la fatigue, je m’endormis sur la table remplie de pommes de terre à demi épluchées. Par moment, le goût de la vie m’était enlevé. On m’avait souvent répété dans mon enfance «fais de beaux rêves », mais chez moi, quelqu’un ne me laissait pas entrer dans le royaume des songes.



« Loïc, Loïc, viens mon ange, viens » Une voix mystérieuse et mielleuse m’appelait. Je jetai un coup d’œil dans la pièce qui n’était pas la mienne. Seule une lampe à pétrole éclairait la cave. Des courants d’air me glaçaient le visage pourtant emmitouflé. Je regardai sur quoi j’étais assis et avec stupeur, j’étais minuscule. Des couvertures m’étouffaient presque. Pris par l’appréhension, je descendis du coffre. Avec stupéfaction, je regardai la taille de mes pieds car mes pas avaient rétréci. Que s’était-il passé ? Mes membres inférieurs et postérieurs, ainsi que tout mon corps ,s’étaient transformés. Je voulu me précipiter vers un miroir de poche posé sur des caisses, mais je ne pouvais l’atteindre. M’agrippant aux boîtes de toutes mes forces, je parvins à l’attraper. Fixant la glace, je vis avec étonnement un garçonnet de trois ans. Mes yeux bleus ressemblaient fort à la réalité, par contre mon nez s’était retroussé. Des boucles blondes descendaient jusqu’aux oreilles légèrement retroussées. A mon cou pendait un médaillon avec à l’intérieur une photo. Je voulus l’ouvrir pour découvrir cette image ,mais n’eus pas le temps. Mes couvertures s’emmêlèrent dans mes petits pieds et je trébuchai.

« Loïc, viens mon chéri, je dois t’expliquer quelque chose. Dépêche-toi. » Une femme élancée et maigre s’approcha de moi et me prit dans ses bras. Un sourire ornait son visage défraîchit et envahit par la peur. La voix agitée, elle me caressa la frimousse et s’assit sur une caisse. Elle m’embrassa tendrement et me dit : « Maman doit sortir pour aller chercher de la nourriture. Tante Germaine et Gilberte vont rester avec toi. Je dois t’expliquer quelque chose. Lorsque tu es né… »

-« …la guerre a éclaté » déclara la vieille tante Gilberte.

-« Tante, un enfant de trois ans ne comprend pas ce langage. » Haussant le ton de plus belle, les deux femmes se chamaillèrent.

Eclatant en pleur, ma mère me prit d’un coup brusque et m’emmena dans la cage d’escalier.

-« Tu vois mon bonhomme, lorsque tu es venu au monde… »

La pauvre femme ne trouvait pas les mots pour interpréter ce cauchemar. Elle aperçut une ribambelle de souris qui passaient dans le couloir poussant des cris. Elle reprit le cœur battant la charade : « Lorsque tu es venu au monde, il y avait de bonnes et de méchantes souris qui ne s’aimaient pas. Comme certaines souris voulaient faire du mal à des petits enfants comme toi, les bonnes souris se sont battues pour nous protéger. Tu es né ici, dans cette cave, en dessous de notre maison. Ton papa a dû partir se battre pour nous protéger. » Elle poussa un soupir et reprit : « Aujourd’hui, nous n’avons plus rien à manger, alors maman va aller chercher de la nourriture. Mon bonhomme, si un jour les méchantes souris arrivent dans la cave, tu dois te cacher. » Elle emmena son garçon par la main, dans un faux plafond, et ajouta : « Si tu entends les méchantes souris, ne bouges pas tant que maman ne sera pas revenue. Maman va revenir, je te le promets ! Ne bouge pas. » Elle m’embrassa, referma la trappe et s’en alla.



Emmitouflé dans mon étoffe de laine, j’écoutais attentivement tous les bruits de la cave. J’étais terrifié : « Je vais revenir, je vais revenir » cette phrase résonnait toutes les secondes dans ma tête.


Après un long moment, j’entendis des pas dans l’escalier. Je ne bougeais pas comme prévu… Une larme coula sur mon visage ; je sortis une main de la couverture et me consola sans bruit en suçant mon pouce. Les pas se rapprochèrent de plus en plus et passèrent en-dessous de moi. Apeuré, Je ne remuais toujours pas. Les paroles expectatives me parvinrent : « Vous pouvez sortir, je n’ai pas été suivie. » Le souffle de ma mère, haleté par l’effort, donnait une impression d’étouffement. Des baisers et des mots réconfortants s’échangèrent ; puis les claquements de talons s’arrêtèrent net en-dessous de ma cachette. Un sourire ralluma une partie de moi éteinte dans le noir : on venait me délivrer. D’une main encore tremblante, elle passa ses ongles dans la fente et exerça une traction de bras pour essayer de décaler la trappe. La lumière de la lampe à pétrole illumina mon front et mes yeux pétillants de joie virent s'ouvrir la porte de la liberté. Le sourire de ma mère effaça les larmes ruisselantes sur mon visage. Un bonheur immense m’envahit malgré mon jeune âge. Cette fois, ce n’était plus les grimaces de Germaine, ni les comptines de Gilberte qui me faisaient oublier les petits rongeurs des villes, mais le vrai bonheur qui s’introduisait en moi. Une main glacée effleura ma figure et essuya une larme prenant naissance sur ma frimousse.


Brusquement, la porte qui menait à la cave éclata en morceaux. Des voies étrangères ainsi que des claquements de ferraille perturbèrent notre réjouissance éphémère. Comprenant que les Allemands l’avaient suivie, ma mère mit son doigt sur ma bouche et referma d’un coup la trappe libératrice. Dans un déchirement de hurlement, maman me cria : « Les méchantes souris, les méchantes souris sont ici… »Sa voix protectrice divulguait une peur de perdre ceux qu’elle aimait. Une fusillade incessante renversa tout sur son passage. Des cris de douleur et de peur se gravèrent dans ma mémoire à jamais. Mes tantes s’étaient tues, sûrement avaient-elles trouvé une échappatoire. « Attends que les rongeurs soient partis… » Puis plus un bruit, le calme était revenu.

J’attendis des heures durant, pétrifié comme mes petits soldats de plomb. A demi-mort, je ne rêvais plus que du retour de ma mère et de mes tantes. Je me ressassais sans cesse le mot «souris » qui me hantait. Après m’être endormi, je fus réveillé par l’explosion d’un obus. Le plafond trembla et le faux plancher s’effondra. Je penchai ma tête légèrement vers l’extérieur et vis le massacre. D’un coup, le froid m’envahit et me donna des frissons. Perdant malencontreusement l’équilibre, je fis une vilaine chute.

A moitié évanoui, j’aperçus mes deux tantes endormies dans leur rêve lointain. Je n’avais pas bien compris que leurs souffles s’étaient éteints. Effrayé par la peur de ne revoir la silhouette de ma mère, je m’assois dans le coin de la pièce recroquevillé sur moi-même.


D’un sursaut, je me réveillai. Je regardai mes mains, mes pieds : tout était normal. Loïc Jurans était bel et bien âgé de 20 ans et venait de découvrir la vérité.

Assis sur mon lit, au milieu de mes larmes et de ma souffrance, je réalisais ce qui m’empêchait d’accéder à la liberté de mes rêves. Enfouis au fond de moi, un petit garçon pleure encore sa maman évaporée de son milieu familial. Je venais de comprendre le sens de ma vie. Je n’ai jamais été conçu pour entretenir la nature mais pour divulguer la vraie facette de la vie à ceux qui l’auraient perdue sans aucun droit. Dès aujourd’hui, j’ai compris que le vrai bonheur de vivre est la liberté d’expression, de l’âme et du corps. Puisse un jour, tous les hommes de la terre, avoir le même avis sur ce point de vue. Je décidai de terminer mon récit un soir de février en ajoutant : « Aujourd’hui, je pense que ma mère est morte dans les camps de concentrations. Comment ? Personne ne le sait. Peut-être asphyxiée ou encore brûlée ce qui pourrait être l’origine de mon premier cauchemar. Même si je n’ai pu jouir que d’un minimum de la présence de ma mère, elle m’a légué un esprit et une force d’expression capable de rendre le sourire enfoui en chacun de nous. Cette horreur humaine nécessitant seulement d’une poignée d’hommes au commencement, n’est que le fruit de notre déboussolement. Aussi, ceux qui n’ont pas connu ce carnage ne savent pas à quel point ils sont heureux. Leurs yeux devraient scintiller à la lueur de la flamme qui brûle en chacun de nous. »Je regardai la lune et me posai une ultime question : « Et si la lune était restée pour ne rien oublier ? » Tel est l’hypothèse…
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