Extrait du site https://www.france-jeunes.net

La première fois, ou comment être différent sans le savoir


Contre ceux qui trouvent l'homosexualité anormale et pour ceux que cette découverte déstabilise.



Pour faire écho à "gay mon malheur", je tenais à vous raconter brièvement quelle fut ma découverte de l'amour.

Une nouvelle année prit son essor. De nouveaux camarades envahirent la cour du collège avec plus ou moins de nonchalance ou d'affectation. Certains partageaient nos salles de cours ou d'études. Les premières semaines se sont écoulées, sans que j'y prenne garde. Aucun des trois nouveaux de la classe n'avait réellement éveillé mon attention. Je ne me rappelle pas avoir recherché l'un d'eux lors de discussions de récréation ou de travail en commun, ni de m'être spécialement attardé auprès de l'un ou l'autre à la fin des cours. Aucun ne m'y avait, en outre, particulièrement convié.

Il me fallut près de deux ou trois mois pour m'apercevoir que l'un d'eux se montrait peu à peu familier. C'était, précisément, ce garçon dont la rédaction avait obtenu un point de plus que la mienne, lors du dernier devoir... Mon attention à son égard s'en révélait plus vive.

Je remarquais une façon plus cordiale de saluer, une absence d'arrogance dans la voix, un sourire moins convenu, un regard plus pétillant. Je me surpris à l'épier durant les cours. Ses interventions, ses silences, sa façon d'être, son rire mêlé aux autres, certains gestes qui lui étaient propres, ses mains... Souvent il s'en prenait aux autres garçons de la classe, les provoquait sur leur taille inférieure à la sienne, sur leurs timidités, sur leurs performances sportives. Je trouvais inespéré, n'étant ni grand, ni sûr de moi, ni sportif, d'être exclu du lot des railleries. Ses attaques n'étaient pas violentes, mais il savait trouver pour chacun le mot juste, prompt à faire réagir. Et nul n'osait le mettre au défi de relever l'affront.

Lorsque j'y songe, cela reste encore un mystère. Nombre de mes camarades étaient en réalité capables de se battre avec lui, et peut-être de le vaincre. D'autres n'auraient pas hésité à se liguer contre un adversaire supérieur en force. Mais il avait su, insensiblement, avec presque chacun d'entre nous, je m'en rends compte à présent, si bien établir un lien personnel, fut-il ténu, par cette façon même de faire mouche quasiment à tout coup, que nul n'aurait osé déchoir à sa propre estime en ne se défendant pas individuellement. D'homme à homme...

J'avais tout d'abord imaginé que son absence d'attaques à mon sujet témoignait d'un désintérêt pour une proie trop facile. Mais, son attitude ne marquant en fin de compte aucune indifférence, je me pris à croire à sa bienveillance. Et, peu à peu, tous me considéraient obscurément comme une sorte de chasse gardée...

Dans cette jungle qu'est parfois une cour d'école, c'était d'abord rassurant. Cependant je redoutais que cette situation ne me rende, à la longue, antipathique. Le collège n'était pas seulement composé de notre seule classe et les rumeurs sont souvent traversières.

Je m'étais fait discret mais pas invisible. Je me tenais souvent en retrait durant les récréations, mais je ne le quittais pas des yeux, quel que soit mon interlocuteur. Dès la sonnerie achevée, nous réintégrions nos salles par de grands escaliers et de longs corridors. Pas une fois, durant cette période, je ne me suis tenu à plus d'un mètre de lui. Tantôt à son côté ou à peine décalé d'un rang. Et durant ces marches presque toujours silencieuses, je sentais son regard sur moi, sa chaleur à mon côté, une connivence inavouée, un amble insoupçonnable.

Les jours passaient, Noël approchait, et tout ce qui avait d'abord suffit à mon bien-être de collégien, sa présence, ses attentions inexpliquées, ses silences complices, faisaient à présent le sujet de rêveries ou d'interrogations interminables. J'éprouvais de plus en plus le désir de faire enfin la connaissance de ce camarade dont l'amitié se limitait à l'enceinte du collège.

Je ne sais comment il s'y est pris pour m'inviter chez lui. Il ne m'a pas décrit sa collection de timbres, de miniatures d'avions, de voitures ou de soldats, mais, lorsque je compris sa question, je fis tout mon possible pour étouffer un cri de victoire. Un "oui" tout juste murmuré est passé dans un souffle, avec une telle timidité que je le crû un instant inaudible. Puis il y eut une lueur cristalline dans son regard, un filament de sourire sur ses lèvres, un léger fard à ses joues, auxquels je reconnus une émotion identique à la mienne.

Pas un instant le doute ne m'avait effleuré sur la nature de ma réponse. Je ne savais dans quelles circonstances nous échapperions aux routines scolaires, mais l'espoir d'une rencontre future m'avait par avance déterminée à tout accepter.

Le rendez-vous était fixé l'après-midi même. Je dus encore patienter trois longues heures, convaincre mes parents de la banalité de cette escapade que la proximité des vacances concourrait à justifier, promettre de rentrer à l'heure... Mon cœur battait à tout rompre à la seule pensée d'une interdiction. Mais, toutes conditions acceptées, j'arrivais à peine en retard chez celui dont la rencontre, la première du genre, allait révéler mon destin.

J'avais presque treize ans, je m'en souviens, et lui comptait six mois de plus.
Il était grand et blond, les yeux bleus, musclé, j'avais pu m'en rendre compte lors des cours de sport... Je le savais intelligent, brillant parfois, provocateur, curieux, un peu dominateur ainsi que les rapports de force au sein du collège en avaient fait la démonstration. Hormis cela, j'ignorais tout de lui.

Sa mère me reçut avec une légère indifférence, puis-je l'entendis dévaler les escaliers à son appel. Les présentations étant faites, nous avions maintenant toute latitude pour nous isoler à l'étage. Nous gravîmes les degrés, lui précédant de quelques paroles mon émotivité mal contrôlée. Mes mains étaient moites, je me sentais parcouru de vagues frissons et mon cœur cognait sourdement. Je tâchais de me rassurer puisque nous n'étions pas seuls dans la maison...

La porte refermée, il me glissa que sa mère ne venait jamais ici, ce que j'eus peine à croire. Une conversation s'engagea ou plutôt une sorte de monologue vaguement entrecoupé de brèves réponses de ma part. Plusieurs jours auparavant, j'avais imaginé partager un moment d'intimité pareil à celui que nous vivions : être ensemble, parler, rire, rêver peut-être, construire peu à peu cette amitié tant attendue, que l'absence de fratrie me rendait si précieuse.

Je me trouvais soudain sans voix, sans esprit, inexplicablement inhibé, conscient que mon soudain mutisme allait devenir exaspérant... Il continuait de commenter les lieux, tout ce à quoi il tenait, l'origine de tel ou objet, il me parlait de l'Afrique où il avait vécu, récit confirmé par de belles photographies piquées aux murs comme autant de soleils radieux, insouciants...

Soudain, il se tut. J'étais assis sur son lit, lui sur le bureau, ses chaussures reposant sur la seule chaise de la pièce. Ma gêne ne lui avait pas échappé. Il y eut un court silence. Je sentais ses yeux sur moi. J'imaginais son expression interrogative plus que je ne la voyais. Pour ma part, cette sorte d'inventaire, à cet instant précis, n'aurait rien ajouté à ce que je connaissais déjà de son apparence, pour l'avoir fréquemment observée à la dérobée dans les semaines passées. Mais une confiance plus spontanée se serait immédiatement établie entre nous, si j'avais simplement osé lui rendre ce regard.

La chambre était surchauffée, il en fit la remarque, j'en convins... Et il en prit aussitôt prétexte pour se déshabiller, m'affirmant y vivre nu la plupart du temps. Il avait déjà ôté son pull et ses chaussures. Il arracha ensuite ses chaussettes pour les jeter vers un coin de la pièce. J'étais estomaqué par son audace... Mais je n'en perdais pas une miette. Quelque chose de nouveau venait de se produire. Mon angoisse était oubliée. L'envie s'accomplissait sans que j'en aie conscience et mon cœur ne cognait plus sourdement. Le temps était suspendu... Il s'approcha. L'ambiance était bien différente des vestiaires où je l'avais vu s'extirper de ses vêtements avec précipitation et les jeter en boule sur le sol de ciment. Face à moi, devant la fenêtre à peine voilée, il déboutonna sa chemise avec une lenteur inconnue. Son torse apparut, lisse, déjà sculpté, les épaules solides et mouvantes, rassurantes, la taille marquée esquissait une silhouette presque féline, avec, à l'aplomb, le cercle parfait d'un nombril juvénile...

Il aurait pu s'arrêter là, ce que je voyais était déjà une joie. Mais il détacha sa ceinture et le jean vint sur ses chevilles avec douceur. Tandis qu'il s'en libérait, je vis le mouvement arrondi de ses cuisses fermes et lisses reprenant leur station debout. Il n'avait gardé que ce morceau de coton blanc, ultime écran de convenances, redoutant peut-être de m'effaroucher tout à fait... Je n'étais pas farouche. Ce que voyais, et ce que je devinais plus encore, me transportait dans un monde inconnu, un jardin d'Eden plus fidèle à l'Eden lui-même que les descriptions des textes sacrés.

Je me tenais immobile, captivé par ce spectacle de jeunesse et de beauté. Il me demanda soudain de l'imiter, de me déshabiller à mon tour... Je n'osai pas. A ses côtés, je me sentais laid, honteux... Pourquoi me voulait-il nu ? Son corps était digne d'être montré, mais pas le mien... Je me préparais à exprimer un refus, quand il me poussa en arrière, enjambant mon torse, un genou de chaque côté, et, s'asseyant sur moi, il se saisit de mon sweater et le fit passer en un clin d'œil au-dessus de ma tête. J'eus un instant de panique, entreprenant une manœuvre pour le repousser et m'enfuir... Il y eut une lutte, où sa riposte s'ajustait exactement à la mienne, m'enseignant l'inutilité de toute forme de résistance. Quoique supérieur en force, il ne cherchait pas à me vaincre... Cette démonstration emporta ma reddition... Je me livrais sans conditions... Puisqu'il voulait nu ce corps dont je ne faisais pas ma fierté, puisqu'il avait insisté de ses mains et de ses jambes plaquées, puisqu'il avait affirmé physiquement sa volonté de le connaître, puisqu'il avait manifesté depuis des semaines une complicité sereine, dont je me réjouissais secrètement quand rien ne me semblait devoir y prédisposer, avais-je le droit refuser... En éprouvais-je seulement l'envie ?

Aujourd'hui, je conçois que sa force était d'une mesure bien paradoxale pour un combat, si bref soit-t-il, et, qu'il avait décelé en moi, comme pour d'autres, le seul argument susceptible d'amadouer mes craintes

J'ai patiemment attendu que ses gestes fassent leur œuvre, que mon corps aussi nu que le sien soit offert à lui, qu'il s'allonge contre moi, que sa voix étouffée me rassure de mots simples, une conversation presque banale dont la seule particularité venait de notre quasi-nudité et de notre proximité... Je n'osai ni le toucher, ni l'embrasser, ni le caresser. Je ne refermais pas mes bras sur lui. Alors il s'est serré plus près encore, il a glissé son bras sous ma nuque, il a posé sa tête sur mon torse, il s'est étonné d'entendre mon cœur battre aussi vite, il m'a demandé d'écouter le sien. A mon tour, j'ai entouré son torse. La chaleur de son cœur aux pulsions régulières irradiait ma joue. Sa peau exhalait un discret parfum de savon et de fleurs. Une fragrance inconnue et vivante dont je ne parvenais plus à me détacher.

Un long moment s'est écoulé. La chambre n'oscillait plus que du murmure de nos respirations maintenant apaisées. Je percevais, comme une source lointaine, envahi de douce quiétude, les sons assourdis de la maison, des pas, des voix... Nos corps s'attachaient l'un à l'autre. La moindre ébauche de mouvement nous roulait dans les draps comme une marée montante sur une grève de lin... Nos lèvres, quant à elles, sont restées bien chastes ce jour là. Nous étions si intensément enivrés l'un de l'autre, qu'il n'était besoin de nulle autre expérience...

Je songe à ceux qui n'ont pas découvert la sensualité avec autant d'innocence, à ces adolescents qui subissent, aujourd'hui, pour bon nombre d'entre eux, une sexualité précoce et violente... Quel dommage ! Ce que j'ai connu cet après-midi là m'a rendu humain pour toute ma vie.
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