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Crépuscule

Courte nouvelle dans le Crépuscule, un lieu étrange où se mêle délire fantasmatique et réalité. La nuit s'installe, une voiture passe le long d'une autoroute et aucun rêve n'est blessé durant le tournage de la scène.


Barney se glissa dans sa salle de bain. Les premières heures de l'aube – ou était-ce les dernières du jour ? - arrivaient tout juste, déversant une lumière d'orange enflammée dans la pièce, tirant même jusqu'au rouge le long de la céramique. Barney n'aimait pas ça, on s'y serait cru dans un conte des milles et une nuit. Et il n'aimait pas le Moyen-Orient. Quel intérêt d'avoir laissé cette pièce devenir grise si c'était pour la retrouver orange tout les matins quand il se levait ? Il alluma l'eau, dénuda son épaisse carrure puis tâta de l'index si l'eau était suffisamment chaude. Il finit par se placer sous le pommeau de douche, qui déversait sa tiédeur sur son crâne dégarni et ses épaules. Il avait réellement mal vécu la perte progressive de ses cheveux. Parfois, il entendait dire qu'ils étaient tombés avec sa bonne humeur. Il passa sa main dedans, évaluant l'étendue de la rareté capillaire. Quelque chose s'entortilla contre sa main gauche, alors qu'il tentait de la rabattre, et il sentit que des cheveux cédaient sous la pression et s'arrachaient même. Sursautant, il regarda sa main et découvrit que le bracelet de sa montre avait dû prendre au piège quelques mèches survivantes. Il pesta. D'autant plus qu'étant donné les litres qui s'étaient déjà abattu sur sa malheureuse montre, elle devait être à présent fichue. Il tenta néanmoins de la retirer, rebroussant le pan de manche qui la couvrait. Quoi ? Bon sang, il avait même oublié de retirer son costume. Son plus beau costume, en plus, le bleu ciel, avec la cravate rayée. Il détestait être vêtu sous la douche, mais il était déjà trempé, cela ne valait plus la peine de bouger. Il fallait attendre que l'eau finisse de couler, sinon, il allait sentir le tissu mouillé sur sa peau et il ne supportait pas cela. Il avait l'impression de ruisseler de sudation. Heureusement qu'il n'était pas sorti ainsi.

L'eau s'arrêta de couler. Il tenta un premier mouvement. C'était comme d'évoluer dans de la lymphe, mais à l'état adulte. Bref, comme porter une couche, en somme. L'image de la couche se logea dans son cerveau au point qu'il n'en put plus supporter davantage. Il tira d'un coup raide le rideau de douche et sortit dans son box. Pendant un instant, il chercha son lavabo, mais ne trouva que son bureau – son ancien bureau – et l'observa d'un œil incrédule. Il n'avait pas pu se doucher au boulot, c'était impossible. Il tendit finalement le cou par la porte du box et remarqua ses anciens collègues, qui le regardaient tous avec des yeux vitreux. Il dégoulinait sur le moquette, s'excusant. Ils ne répondirent pas, formant une espèce de mur silencieux, barrant le chemin vers les bureaux plus haut. Derrière eux se déplaçait une figure noire et menaçante, comme une rumeur répandue parmi eux. On murmurait parmi eux, on le pointait du doigt. On l'indiquait pour ce qui se cachait derrière eux, la noirceur, qui marchait d'un bout à l'autre du couloir, comme une panthère en cage, prête à bondir. Et lui se sentait sale. Il était presque sûr à présent d'être dans un rêve. L'eau qui ruisselait sur lui lui donnait l'impression d'être couvert d'une pellicule de sueur et d'urine, ce mélange particulier propre au songe. A ses songes, en fait. A présent, il n'avait plus qu'une crainte, c'était de se réveiller baignant réellement dans son urine.


"Barney !" Barney se réveilla en sursaut. Il se redressa dans son fauteuil, qui grinça sous le changement de disposition de son poids, et tâta avec angoisse son entre-jambe. "Tu t'es encore endormi. Tu as bu ? Tu as encore trop bu ? L'harcela sa femme, qui lui lorgnait le visage avec un air mauvais.
- Non, je n'ai pas bu, marmonna-t-il, en essayant de retrouver ses esprits.
- Tu te fais trop vieux pour ce boulot. On devrait demander à Arnie de reprendre la station, tu sais très bien qu'il accepterait de lâcher ses études à Philadelphie." Barney cligna des yeux en regardant sa femme comme si elle était devenue folle. Puis, d'une voix pesante, il parvint à lui dire :
- Qu'est-ce que tu fous ici ? Tu n'as pas un boulot, toi non plus ? Fous-moi le camp d'ici avant que je ne me mette réellement à boire." La menace était suffisamment claire pour que son épouse batte en retraite, sortant par derrière pour gagner le snack. Il se remit à l'examen de son entre-jambe dès qu'il eut entendu la porte se clore derrière elle. Outre quelques sudations qui lui causaient des doutes, il n'y avait pas de quoi s'inquiéter. Il n'était pas encore en âge d'être incontinent, qu'on se le dise. Il se tassa dans son fauteuil, soupirant. Il ne savait pas à quel âge on finissait incontinent, mais certainement pas au sien. Il atteignait à peine la cinquantaine, c'était amplement insuffisant. Seuls les vieux se voyaient mettre des couches. Qu'on se le dise. Il s'étira dans son large fauteuil et s'y tassa à nouveau, tapotant du bout des doigts son bureau. A ce rythme-là, il était reparti pour s'endormir. Le seul bruit qu'il entendait était la musique qui lui arrivait, étouffée, du snack adjacent. Il ne devait y avoir personne. Aussi alluma-t-il la télévision et zappa. Des lueurs bleutées jaillirent alors sur le dépotoir devant lui. Il toisa d'un peu plus près son bureau, en bois blanc décharné, où s'étendait tout une paperasse inutile, du magazine porno jusqu'aux nouvelles du village d'à côté. Il avait posé, sous le rebord de la fenêtre de plexi, une boîte de métal nu, cabossée et plutôt ancienne, portant le poids de son âge sur ses contours enfoncés. Et dans cette boîte, il avait entreposé plusieurs objets, avec une ferveur patiente, confinant à la méticulosité religieuse Ils demeuraient là, invisible aux clients, ni, normalement, à sa femme. Il prit délicatement la boîte et l'ouvrit, allumant et rapprochant l'ampoule montée sur un bras articulé. A l'intérieur se trouvaient des objets qui partageaient tous une origine plus ou moins commune. Il les avait pris et les avait conservés pour les souvenirs qu'ils lui évoquaient puissamment. Il y avait la petite bouteille d'eau savonnée – pour faire des bulles –, une toupie en bois, très ancienne, une petite culotte, un tube de rouge à lèvres, une serviette hygiénique – propre. Il observait ces objets avec un sourire lointain, des images traversant son esprit, des senteurs, des gestes, des cris. Cette cavalcade dans sa mémoire lui fit bientôt sentir à nouveau peser sur lui le poids du sommeil. Il rangea soigneusement la boîte et se redressa à nouveau pour regarder l'horizon.

Le seul point commun entre le paysage de ses rêves et le paysage qui s'étendait devant lui était cette couleur orange qui noyait tout, comme si un peintre fou s'était chargé de réarranger l'horizon à coups de rouleau. S'y découpaient avec une netteté digne d'un tableau ou d'une photo d'art les deux fois trois bornes, un véritable luxe, une mine d'or pour qui se trouvait de ce côté-ci du désert. Mais qui n'accueillait plus autant de monde qu'auparavant. A bien y réfléchir, il lui semblait que tout ceci aurait pu représenter une publicité pour la fin du monde, si tant est qu'on en fasse. Il ne manquait plus qu'une carlingue de voiture rouillée.
Une voiture l'arracha à ses pensées. Il la vit arriver au loin, les phares ne mentent pas sur les routes désertes. Il avait jugé, par l'écartement des feux qu'il devait s'agir d'une cadillac et ne fut pas déçu. Elle était rutilante, d'un vert assez pâle, bien lissée et décapotable. A bord, Barney – qui comptait râler sur les propriétaires – remarqua rapidement une fille aux longs cheveux blonds, sans doute jeune, et un conducteur portant un casque de moto, sans doute, qui apparaissait, sous la lune, blanc os. Malgré le couple bigarré, qui lui coupa l'envie de commenter, il se ressaisit et se leva de son fauteuil. Il ouvrit le petit frigo sous le comptoir et en tira deux bières. Autant jouer au pompiste sympa. Il sortit alors, faisant le tour par le petit drugstore, poussant au passage les présentoirs à cartes grinçants.

Dehors, le type finissait son plein tranquillement. Sa tête était un bordel épars de cheveux noirs, son visage faisait presque poupon avec ses pommettes saillantes. Il rangea le bec de la borne à sa place et se retourna instinctivement vers le pompiste, qui s'arrêta, de fait, à bonne distance. "Bonsoir, murmura-t-il en s'essuyant les mains. Il mit un instant à comprendre pourquoi son interlocuteur lui tendait une bouteille et la prit soigneusement.
- B'soir mon p'tit m'sieur, répondit Barney. Votre mam'zelle n'est pas là ? J'avais une bouteille pour elle. Offerte par la maison" ajouta-t-il. L'homme se retourna, guettant par-dessus son épaule. Un coup d'œil à gauche, puis à droite, vers le désert, puis il secoua la tête. "Elle a dû aller se dégourdir les jambes.
- Elle est drôlement rapide, je ne l'ai pas vu. Elle a fait le tour du bâtiment ?
- Elle m'a dit vouloir aller aux toilettes." Barney regarda son interlocuteur avec suspicion. Il savait quand les gens mentaient. Surtout si le mensonge était aussi éhonté. Les toilettes étaient closes et il était bien placé pour le savoir, c'est lui qui en avait la clé. Le silence s'éternisa et l'invité commença à danser d'un pied sur l'autre. "Je pourrais vous régler c'que je vous dois ? Lui lança-t-il, tout en posant la bouteille sur le coffre de la cadillac.
- Bien sûr. Vous pouvez même manger, j'ai un snack à côté, il est tenu par ma femme. Vous pourrez prendre une table seul. Ou à deux." Le jeune homme observa posément Barney. Ses yeux étaient d'un noir telle qu'on eut dit qu'il y avait une pièce vide derrière ses pupilles et qu'ils n'étaient que deux petits judas ouverts dessus. "Elle reviendra.
- Nous pouvons l'attendre ici, alors, insista Barney.
- Je vais aller m'installer dans votre snack et je commanderai pour deux. Et je l'y attendrais." Barney n'insista pas. Il hocha la tête et s'en retourna à son comptoir, avec ses deux bières, qu'il rangea. L'homme vint lui régler ce qu'il lui devait pour l'essence et partit pour le snack. Barney avait du temps, il regarda bien alentours s'il voyait quelqu'un, mais il était formel, il n'y avait personne.
L'homme prit place dans le snack et quand l'épouse de Barney vint lui demander sa commande, il lui répondit qu'il prendrait bien deux sandwichs, un pour lui et un pour sa compagne qui n'était pas encore là. Les sandwichs furent servis avant son retour et l'étranger mangea le sien, seul. Il prit un café, le regard posé sur la porte d'entrée du snack, face à laquelle il s'était assis. D'abord énervé, il en devint pensif, tout en buvant son café et finalement, il commença à devenir suspicieux. Il se leva au bout d'une heure et sortit pour gagner sa cadillac. Les pneus crissèrent un peu quand il se plongea dans la nuit naissante.


La voiture fonça à travers le crépuscule, vers une nuit insaisissable, les phares balayant une bande de route lézardée devant elle. La région n'était pas venteuse, mais plutôt fraîche de nuit et si le conducteur avait eu des oreilles, il aurait entendu le hurlement de l'air en déplacement. Dans les feux, il vit soudainement apparaître une courte silhouette, la chevelure balayée par les souffles venant de la route. Il freina brutalement, et les pneus crièrent leur désapprobation. Il se jeta sur le côté passager de l'habitacle et ouvrit la portière. Une main menue s'en saisit et la petite jeune femme, si frêle et fragile, se glissa sur son siège. "Ne me fais plus ce coup-là, tu m'as foutu la trouille, gronda-t-il, sans réelle colère.
- Le type de la station service me faisait peur.
- C'est un con, mais sans doute pas un violeur d'enfants, marmonna-t-il en redémarrant.
- Tu ne l'as pas vu quand on est arrivé ?
- Non, mais j'ai dû lui parler pendant une vingtaine de minutes alors qu'il me tenait la jambe comme un chieur. Et j'ai dû expliquer que tu étais aux toilettes. Et je suis presque sûr qu'il n'a rien gobé. Oh merde... ça devait être fermé, comme dans les films. Fait chier !
- Il m'a fait peur" répéta-t-elle. Il lâcha un peu le volant, ses épaules faisant le mouvement d'inspiration alors même qu'aucun air d'entrait dans sa bouche. "Et pourquoi t'a-t-il fait si peur ?
- Il portait un costard bleu et il était trempé" lui dit-t-elle.
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Re: Crépuscule
Posté par innamoramento2 le 11/04/2009 21:29:03
Original malgré les deux ou trois fautes d'orthographe.
Re: Crépuscule
Posté par mayunine le 19/03/2009 19:48:52
ton texte me laisse perplexe ^^
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L'auteur : Clément Holmenschlager
38 ans, Metz (France).
Publié le 11 mars 2009
Modifié le 22 février 2009
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