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Fight Club, Analyse Séquentielle d'un Film Post-Moderne 1ère partie

Fight Club, film culte s'il en est, diffuse un message idéologique bien plus compliqué que ce qu'il semble être. Tentative d'en ressortir l'essentiel par une analyse séquence par séquence.


Cette analyse se concentre sur deux axes principaux :

-Les thèmes abordés à travers l'intrigue principale, ce champ est très large puisque si l'histoire du personnage-schizophrène est celle qui domine en surface et automatiquement dans la mémoire collective, sont évoqués pêle-mêle la société de consommation, le monde du travail, la religion voire les sectes, l'individualisme et la lâcheté de l'homme, etc.

-La stylistique mise en place par David Fincher et son équipe, ce qui va des mouvements de caméra aux procédés utilisés pour conduire le récit : Voix off, flashbacks, flashforwards, apartés à la caméra, Incrustations et autres subterfuges typiquement cinématographiques.

Je m'appuie sur l'édition dvd à ma disposition qui découpe le film en trente six séquences. Cette première partie porte sur les cinq premiers chapitres du film, c'est à dire environ les dix premières minutes.
A chaque début de paragraphe, je ferais un résumé formel de l'intrigue. Je chercherais ensuite à décrypter ce qui est suggéré derrière les images et les mots.


Au cœur de la peur (générique de début)

Un générique de film, c'est à priori la banalité même mais ici on place d'entrée la barre très haute comme pour signifier que même si on a affaire à un film de studio Hollywoodien, il y a un ou des auteurs derrière le projet.

Ainsi après le logo initial de la 20th Century Fox, une musique tournoyante nous entraîne à travers les arcanes d'un cerveau humain (difficile à percevoir à la première vision). On y voit ce qu'on pourrait apparenter à des fils entrecroisés, une circulation de vaisseaux sanguins, de l'eau, ... La caméra ne s'attarde pas sur ces éléments et les traverse, franchissant un bassin d'eau comme pour descendre à un autre étage, une autre case du cerveau sur lequel on ignore encore tout. L'ensemble est montré de manière virtuose, en parfaite adéquation avec la bande son, des mouvements très rapides et faussement confus qui donnent l'impression de chercher une issue.
Enfin le tout se stabilise et remonte jusqu'au cuir chevelu du personnage principal (dont le nom ne sera jamais explicitement cité, on l'appellera par pratique X ou Jack pour des raisons que nous verrons plus tard) où on perçoit des gouttes de sueur dégoulinantes. Dans la continuité du mouvement, on remonte sur une structure apparemment métallique qui s'avère être une arme à feu pointé dans la bouche de Jack. On est à présent sorti d'un circuit intérieur somme toute perturbé pour aboutir sur une situation extérieure tout aussi inquiétante.

En réalité, dés la première scène tout est là et on nous annonce qu'on va jouer avec notre vision du réel à travers l'esprit d'un homme et que rien ne sera facile à discerner. Cette séquence est un vrai bijou pour le cinéphile regardant le film pour une seconde fois, un indice qui dirait "on vous avez prévenus alors pourquoi avoir été surpris par les rebondissements" mais comme je le rappelais en avant-propos, difficile d'avoir perçu durant sa promotion le côté cérébral du film.

La volonté de David Fincher de ne pas faire un générique plat (constante chez lui tel celui de Panic room évoquant Hitchcock) figure sans doute parmi les choses qui ont fait dire à Chuck Palahniuk "Toutes les personnes impliqués dans le film ont apporté tellement plus de choses à l'histoire qu'au final j'avais un peu honte du roman".


Le point zéro

Toute cette scène fonctionne sur un mode d'anticipation. D'abord, on découvre un homme braqué par un autre sans en connaitre les causes puis la voix off, étant celle de celui retenu en otage évoque un certain "projet chaos" et l'explosion imminente d'une dizaine d'immeubles. Le même nous cite les prénoms de Tyler et de Marla, mettant cette dernière en relation avec tout ce qui l'a amené à cet instant fatidique, ce point zéro. Aussitôt, on rompt avec cette idée floue et on évoque un certain Bob, connu au sein de l'association "ensemble restons des hommes". On voit le narrateur être serré, presque étouffé dans les bras de ce fameux Bob.

Tout cet enchainement provoque de la confusion chez le spectateur, on a encore qu'une notion abstraite de selon il s'agit, juste une multitude d'éléments se croisant.
Ce puzzle décomposé peut revêtir deux objectifs : présenter les personnages d'entrée de jeu, comme dans une pièce de théâtre écrite, donner ainsi un aperçu de ce à quoi on va être confronter même sans connaitre les tenants et les aboutissants ; faire comprendre qu'il ne va pas s'agir, comme dans un film strictement qualifiable de thriller, de mettre en place un suspense savamment entretenu et que l'intrigue de fond ne vaudra finalement que par les micro-intrigues qui la composent. La réflexion qui va habiter ne serait pas tant "Que va-t-il se passer à présent ?" mais "Qu'est-ce qui est en train de se passer ?". C'est un rapport d'interaction, presque de complicité entre le média et le spectateur qui est mis en place.
De même, lorsque Jack fait mine de grommeler quelques mots quand Tyler lui demande s'il a un mot à dire pour marquer le coup ("Là y'a rien qui me vient"), il fait un clin d'œil au spectateur, en rompant par une réflexion légère avec un cadre dramatique. Ce type de procédés, repris de nombreuses fois tend à convaincre définitivement qu'on ne peut accoler un genre au film.
D'ailleurs, en toute fin, Jack va boucler la boucle une fois que la partie linéaire du film nous aura renvoyé à cette séquence initiale. Il répondra comme si lui-même avait suivi les quasis 2h du flash-back.
Un nouvel indice sur l'identité des hommes présents est glissé quand Jack dit "Je le sais car Tyler le sait", l'idée d'un seul esprit pour deux.

L'explication concernant la position des explosifs est particulièrement réussi d'un point de vue cinématographique, la caméra dévale littéralement les étages de l'immeuble pour s'embarquer dans le camion rempli de charges, un mouvement transversale nous bascule ensuite de l'autre côté du sous-sol, tout cela d'une grande fluidité qu'on retrouvera lors du passage sur la supposée explosion de la cuisinière de l'appartement de Jack.
Quand Bob est évoqué, un mouvement très maitrisé nous donne l'illusion que c'est le Jack du présent, assis sur une chaise, dont la tête bascule pour se superposer à celle du Jack du passé qui s'écrase sur la poitrine de Bob. Ainsi la connexion entre les deux instants se matérialise de manière moins conventionnelle que de coutume dans la fiction (l'utilisation notamment d'un changement de filtre ou d'une image encerclée signifiant la plongée dans les pensées du personnage).

Cette scène se termine quand Jack décide de revenir encore plus en arrière et nous l'annonce, une façon définitive d'impliquer le spectateur, de l'associer à l'histoire. Si cette scène contient en substance le final du film et l'évocation de ses acteurs principaux, elle a la faculté de se faire très vite oublié dés que la narration devient linéaire à partir du chapitre 3 et malgré un spoiler même pas masqué (les attentats à venir), on s'interroge tout le long du film jusqu'à craindre la mort de Jack au moment de la sortie de route volontaire et jusqu'à s'étonner de la dérive du "fight club" en "projet chaos".

Cette scène dégage donc deux grandes dimensions : le scénario sait où il va d'une part donc elle est connectée aux autres mais en même temps elle ne marque pas une phase de progression, la compréhension pure ne l'a nécessite pas donc en ce sens elle se détache de l'ensemble.


Insomnie

Le narrateur évoque ses insomnies régulières durant une période de six mois puis on le voit travailler de manière guère convaincue dans une tâche des plus administratives. Son patron lui amène un dossier à étudier.

Cette scène, très courte, possède pourtant un contenu et des idées de mise en scène très significatives concernant l'identité du personnage auquel on a affaire. On pourrait croire qu'il est tout simplement quelqu'un de déprimé mais en réalité la névrose schizophrénique qui va l'habiter tout au long du récit est déjà présente. Premier signe en témoignant, l'image subliminale de Tyler qui clignote au moment où il fait des photocopies, détail dédié au public observateur, sorte de nec plus ultra qui achève d'en faire un film culte.
Tandis que Jack est affairé sur son ordinateur, un plan insistant pointe son verre de café estampillé Starbucks, mettant en évidence l'omniprésence de la marque numéro 1 mondial dans ce domaine et dévoilant une part d'agressivité envers celle-ci. Le distributeur et le gobelet auraient pu être neutres mais ne véhiculeraient alors pas de message précis. Ici le fait d'insérer cette publicité furtive pour cette société dominatrice et tentaculaire reflète une soumission du salarié à sa condition et son allégeance aux multinationales. Est-elle aussi une concession de la production à la règle du placement de produit ? C'est moins sûr.

Pourtant, il n'y a pas que les problèmes mentaux de Jack qui existent déjà à ce stade, ses oppositions idéologiques au fonctionnement des grandes entreprises sont déjà évoqués. Il parle d'un air résigné, condamné à ne ramasser que les miettes que le système lui octroie. Quand il fait son laïus sur l'expansion voulue par les dirigeants pour que la planète conquière la galaxie, un effet d'agrandissement et de mouvement tourbillonnant nous donne l'impression de voir des objets en orbite or cela s'avérera le contenu d'une poubelle. Est-ce une façon de représenter le résultat de l'état général de la planète devant la volonté de contrôle et d'uniformisation/mondialisation des décideurs ?
Quand son patron lui confie une mission "prioritaire", Jack ne peut contenir un certain sarcasme mais il fait preuve de tellement de nonchalance dans son intonation que ce propos ne peut qu'être destiné à lui-même et ne vise en rien à une remise en cause. Pour lui, ça revient à toujours faire la même chose donc tout "prioritaire" qu'elle soit cette mission ne le sortira pas de sa routine, si poussée qu'il devine le jour de la semaine en fonction de la cravate porté par son patron.

Si court qu'il soit ce passage est le premier à aller dans un sens explicite pour faire comprendre le propos au spectateur. Certains se reconnaitront en voyant Jack exerçant sa triste besogne quotidienne et ce pourrait bien être le but recherché.
Une critique paru dans le Aint-it-cool news situe le débat en ces termes : "Si vous craignez que ce qui se passe dans le film arrive vraiment, c'est bien, vous devez avoir peur ! C'est le but du film de vous faire peur, de vous donner envie de ne pas être un singe de l'espace, un fou, un nazi, un autre mouton".


L'instinct de la nidification

L'essentiel de la scène voit le narrateur au téléphone en train d'équiper son appart de meubles, présentés simultanément à l'écran puis on le voit en consultation chez un médecin qui ne le prend pas au sérieux et refuse de lui donner des médicaments radicaux contre l'insomnie.

Ici on touche au problème du mode de vie du héros et par extension à celui de nombreuses personnes vivant dans un monde d'apparence où ne compte que les signes extérieurs de richesse et de bien-être. Ainsi la visite guidée de cet appartement est très révélatrice : du mobilier au goût du jour mais un frigo vide comme Jack le reconnaitra lui-même au moment de l'incendie, de même que sa garde-robe ne constitue qu'un moyen tape à l'œil d'avoir une certaine classe et de se distinguer du citoyen lambda.
L'idée pour bien montrer la consommation compulsive du narrateur a été ici de le faire circuler au milieu de son appart comme s'il se trouvait au milieu d'un catalogue, ainsi sous chaque équipement/produit voit-on apparaitre le descriptif et le prix avec des caractères plus flashants pour les nouveautés et ceci alors que Jack est en train d'en commander d'autres.
L'accumulation des énoncés pendant qu'il survole son appart montre à quel point il est prisonnier de ce système et que quelque soit le nouvel achat qu'il fera, il en appellera un autre car il vit au sein d'un monde de l'éphémère où la logique veut qu'on se rénove constamment et où il ne fait pas bon de garder des choses passées de mode.

Le passage du médecin est intéressant à double titre : d'abord il précise la névrose dont souffre le narrateur quand il déclare "se réveiller dans des endroits sans savoir comment il y est arrivé". Le médecin ne se montre pas convaincu et ne lui prescrira rien pour soigner son mal, rangeant sans l'avouer cette demande sous le compte du domaine psychosomatique. Il lui dit même avec dédain qu'il devrait faire du sport, supposant que si son patient dormait mal c'est forcément qu'il ne se dépense pas assez, forme de mépris bien médical en soi.
Ensuite, lorsque les deux protagonistes sont dans le couloir, on perçoit la deuxième image subliminale de Tyler, un peu plus visible que la précédente (l'arrêt sur image est plus facile à réaliser) comme pour mieux nous signaler que le point de rupture est proche.

A la lueur du passage avec le médecin associé à celui sur le mobilier dans ce chapitre, on voit bien à quel point le personnage X n'arrive pas à se dégager de sa condition d'opprimé, n'a pas la force d'imposer ses avis/envies, en cela la discussion avec le médecin équivaut à celle avec son patron plus tôt. Jack contredit aussi bien l'un que l'autre mais sans aucune force, presque sur un ton de supplique, car il demeure trop respectueux de la hiérarchie et autres codes d'autorité prévalant dans la société.


Des hommes malgré tout

Suivant les conseils du médecin, Jack se rend dans un groupe de soutien portant sur le cancer des testicules, une personne témoigne de son cas devant l'assistance disposée en cercle. Il fait ensuite la connaissance du Bob évoque plus tôt quand il faut se mettre en groupe de deux. Retrouvant son sommeil profond suite à cette expérience, il se met à recueillir des informations sur ce type de groupes caritatifs et va en fréquenter de nombreux.

Quand il se rend sur les lieux pour la première fois le visage du narrateur est marqué d'un fort scepticisme, on le voit toucher nerveusement l'étiquette de membre qu'on lui a collé sur la chemise répondant au nom de Cornelius, probable invention comme la suite le confirmera. Il écoute ensuite sans s'en émouvoir le témoignage d'un malade, reste stoïque et les yeux levés quand tous les autres s'inclinent de compassion. Son regard finit par s'affoler quand il s'agit de trouver un partenaire pour l'exercice d'évacuation de la douleur intérieure. Il va se retrouver avec Bob, le "gros nounours" dont comme par hasard nul n'a voulu. Ce n'est pas sans rappeler le processus de composition d'une équipe en cours de sport où les mauvais et les gros sont relégués en derniers choix quant après élimination on arrive à devoir faire avec eux.
Son comportement change suite aux confidences de Bob et c'est sous les encouragements de son partenaire de fortune qu'il parvint à évacuer des larmes qu'il ne soupçonnait même pas avoir en lui.
Il croit avoir trouvé le moyen de lutter contre ses insomnies et devient accro à divers groupes quant en réalité il s'agit d'un refuge, d'une fuite vaine ne permettant pas d'accéder à un véritable changement de vie. Une nouvelle apparition de Tyler vient rappeler que rien n'est réparé dans le cerveau de Jack, elle est des plus édifiantes puisque c'est d'un air de soutien cynique qu'il entoure le cou de la personne encadrant la réunion.

Si Jack n'a pas trouvé la solution ultime à ses problèmes en se réfugiant dans ces groupes, on peut penser que tous les discours entendus l'ont aidé à forger ses talents d'orateur quand il sera venu le temps pour lui de créer son propre club et de manipuler les foules.
Ainsi un énoncé du "gourou" de "restons des hommes ensemble" est étrangement similaire avec une formule utilisée par Tyler plus tard : "Je parcours des yeux cette pièce et je vois... ".
Les larmes de Jack, pour réelles qu'elles soient, ne font que répondre à un stimulus, il l'explique lui-même quand on le voit passer de groupe en groupe "S'ils pleuraient plus fort, moi aussi je pleurais plus fort". En ce sens, il est encore incapable de prendre toute initiative et de trouver des solutions par lui-même donc il s'en remet à un sous-système. Il veut évacuer sa condition de prisonnier (de son travail, de son appart/cocon) mais choisit un cadre qui s'il est certes moins rigide que celui d'une entreprise, est tout de même cloisonné.
Ces associations cautionnant d'ailleurs le fonctionnement global de la société comme le suggère un plan dans les "coulisses" d'une réunion où est présente une machine à café, de la nourriture dans une boite, des produits en sachets industriels et une cagnotte pour récolter l'argent. D'où l'idée en fin de compte qu'on va à ces réunions comme on irait au bureau.
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L'auteur : Emilien Bartoli
41 ans, Toulouse (France).
Publié le 20 mars 2010
Modifié le 07 mars 2010
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