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Fight Club, Analyse Séquentielle d'un Film Post-Moderne 5e partie

Cinquième partie de l'analyse séquence par séquence, elle débute au moment de l'épreuve subie par le narrateur au chapitre 19 et se termine sur la mission de provocation de combats que les adeptes réalisent au chapitre 21.


Cette cinquième partie est en grande partie consacrée à la séance de masochisme plus ou moins volontaire subie par le narrateur, on suit dans la continuité l'expansion du club et la place de plus en plus importante qu'il prend dans la vie du personnage principal. Il en vient à se rebeller pour la première fois face à son patron, et avec des arguments de surcroit. Il retrouve ensuite Marla chez elle aprés que celle-ci ait trouvé un prétexte pour motiver sa venue, il croise ensuite Bob et les deux échangent sur leurs nouvelles "occupations". Au hangar du club, Tyler réalise un discours fondateur sur la génération X, il est interrompu par le patron du bar qui veut leur faire dégager les lieux mais il obtient finalement de conserver le local. Il termine la réunion en donnant une mission commune aux membres, à savoir provoquer en duel un parfait badaud et perdre volontairement. On conclura sur cette courte et sympathique séquence où chacun se livre à une parodie d'affrontement.

Le narrateur n'a pas encore rompu avec sa vie d'autrefois mais le Fight club devient prégnant.


Brûlure chimique

Quand Jack se rapproche, Tyler lui saisit la main et la recouvre de soude, ce qui va progressivement lui ronger une partie de la peau, Jack se débat physiquement et mentalement pour lutter contre la douleur face à son hôte qui le retient avant d'abdiquer quand Tyler lui démontre que lui aussi est passé par cette épreuve. On voit ensuite rapidement les protagonistes dans leurs tractations avec des grands magasins pour vendre le savon fabriqué. Retour au bureau de Jack où il se confronte à nouveau verbalement avec son patron qui a découvert dans une photocopieuse un document contenant le règlement du "fight club". Leur confrontation est interrompue par Marla qui appelle au bureau et demande à Jack de passer chez elle car elle craint d'avoir un cancer du sein. Il l'a rejoint et répond à sa demande. Peu après l'avoir quitté, il tombe nez à nez avec Bob dans la rue et ce dernier lui fait comprendre qu'il fréquente le "fight club". Lors de la soirée suivante les deux s'affrontent dans le hangar et Jack est défait ce qui ne les empêche pas de partir bras dessus bras dessous.

19.1 Le rite initiatique de Jack 2'28''
Tyler justifie d'entrée l'épreuve qu'il va faire subir à Jack par son anecdote concernant les sacrifices humains en amont de rivière. Il lui prend la main gauche et avant de lui administrer le produit il embrasse d'un baiser sec celle-ci. On peut y avoir la métaphore du baiser de Judas avant de trahir Jésus mais aussi un dernier ménagement à une main qui n'a pas assez souffert et qui est restée sans marques ostensibles de blessures car son propriétaire a surtout exercé des tâches bureaucratiques n'appelant pas à la souillure et à la scarification. Jack demeure ébahi devant la mise en scène de son ami et bondit instantanément lorsqu'il lui déverse une quantité importante de soude sur la main. Tyler a le bon réflexe de retenir un Jack peu coopératif, il lui précise tranquillement qu'il souffrira comme jamais et qu'il en gardera une trace indélébile. Ce détail confirme le point précédent sur la nécessité d'être marqué par la vie pour pouvoir mieux l'appréhender et ramène au fameux "comment peux-tu te connaitre si tu t'es jamais battu ?" (cf. Chapitre 15), battu pouvant être pris au sens physique et propre du terme tout autant qu'au sens d'une abnégation aux buts qu'on recherche.

Se sachant incapable de s'échapper de la tenaille formée par Tyler avec ses deux bras, Jack va envisager le terrain de la fuite mentale. Il replonge dans ses "acquis" de la méditation collective et cherche des représentations mentales qui lui permettraient de fuir l'état physique dans lequel il se trouve. Il se heurte à la réaction désabusée de Tyler qui incendie sa manœuvre de fuite du réel et lui fait l'injonction de vivre ce moment à part entière. Les propos de Tyler comportent d'étranges échos pour des spectateurs suivant le film comme si c'était un peu à eux qu'il s'adressait. En invitant son alter-ego à ne pas fuir la douleur il introduit des idées plus générales sur la vie et les valeurs qu'on doit accorder à l'instant précis comme par exemple ne pas détourner les yeux devant une scène violente au cinéma, ne pas cracher sur les plaisirs simples du quotidien, ne pas s'abandonner à une activité nous plaisant pour la seule raison que sa fonction est de faire oublier tout le reste. Conclusion de cette philosophie de vie ramenée au personnage de Jack : C'est bien d'assumer sa décadence volontaire lorsqu'on se trouve en milieu protégé tel que l'est le "fight club" mais il faut savoir l'exercer quelque soit le contexte et en faire plus qu'une idée abstraite.
A ce sujet je citerais à nouveau Les idiots de Lars Von Trier qui dans sa partie finale voit un personnage répondre au défi des membres de son groupe de "fous" consistant à adopter son comportement de débile lors d'une visite à sa famille la connaissant seulement comme normale. Autrement dit il est facile de jouer aux anarchistes parmi une communauté de libertins mais ça deviendra une forme de courage de le demeurer dans un environnement hostile.

Sur le plan de la forme, l'inventivité de cette scène est encore tout à fait étonnante. A mesure que Jack se débat mentalement l'image est entrecoupée de petits flashs reflétant ses pensées. D'abord il cherche un refuge ce qui est matérialisé par des images de forêts puis suffit-il qu'il tente d'évacuer les mots "morsure" et "chair" que les définitions de ceux-ci dans le dictionnaire lui sautent au visage. Par la suite il tente de retrouver la caverne où il avait croisé autrefois un pingouin mais cette fois pas d'animal porteur de force, juste une Marla à l'air mystérieux mais toute disposée à l'accueillir. Décidément il parait de plus en plus évident que Marla pourrait être l'élément salvateur de la recherche de stabilité du héros et qu'il n'aurait qu'à s'en rendre compte pour qu'elle le soit. Cependant, la caverne dans laquelle il la trouve est gelée et il ne peut guère y rester, n'étant plus à ce moment en état de résister psychologiquement à l'approche de Tyler.

Il tente encore une autre voie en criant à Tyler qu'il a compris mais ce dernier n'est pas dupe et parle "d'illumination prématurée", il lui assène même une gifle pour l'inciter à se concentrer à sentir la douleur. On peut regretter que les mots de Tyler dans la version Française disent "C'est le plus grand moment de ta vie et tu t'en évades" alors que dans la version originale il s'agissait de "C'est ton baptême... ". La connotation n'est plus du tout la même et nous touchons enfin du doigt le blasphème qui aura fait se déchainer les ligues religieuses de bonnes vertus à l'époque de la sortie du film. En effet, si le concept de rite initiatique pouvait déjà paraitre acquis on va encore plus loin en le comparant à un baptême. Il s'agit ici comme dans tout baptême de laver le pêché originel, de procéder par une cérémonie immuable à la mise en marche vers la rédemption. Quant dans le baptême classique le fait d'être né constitue déjà un pêché il serait ici fruit d'une nature conformiste et lâche. Autre procédé commun le fait de verser un élément naturel sur le commis, ici la soude venant se substituer à l'eau.
Loin de démentir cette outrage envers la religion, la fin du calvaire physique de Jack appuie encore plus précisément le propos, Tyler lâchant un énoncé sous forme de démonstration "Nos pères étaient nos images de dieu, si nos pères nous ont abandonnés, qu'est-ce que tu en déduis à propos de dieu ?". Cette question oratoire, à laquelle Jack ne trouve pas de réponse tout concentré qu'il est face à sa douleur, rappelle dans sa structure un syllogisme de première catégorie faisant apparaitre un troisième élément découlant des deux premiers. Plus précisément il refait surgir le célèbre "Si tout homme est mortel et que Socrate est un homme alors Socrate est mortel". Après son disciple Platon on fait cette fois appel au grand penseur originel, est-ce dans le but de contredire sa philosophie ou de l'approuver ? On s'étalera plus longuement sur la question dans la deuxième partie sur les thèmes résurgents de l'œuvre.

Jack va finir par abdiquer quand la persuasion de Tyler prend une toute autre forme. Après avoir poursuivit son discours sur le rejet par dieu des hommes comme eux et s'être heurté à l'incompréhension de Jack, il va lui présenter le dos de sa propre main pour lui faire constater qu'il est lui aussi passer par là. Cette fois le narrateur s'abandonne réellement à la douleur et Tyler en prend conscience puisqu'il le relâche. Jack tente de garder sa main le plus droit possible et suffoque en silence. Convaincu, Tyler lui renverse de l'eau sur la main après avoir terminé sa démonstration par le fameux "C'est seulement lorsqu'on a tout perdu qu'on est libre de faire tout ce qu'on veut". Point final d'un passage où l'adrénaline est montée aux sommets et où le discours de Tyler est passé du palier de diatribe contre la société de consommation à remise en cause des valeurs sur lesquels s'appuie la civilisation.
Bizarrement le chapitrage du dvd n'a pas isolé cette scène qui est pourtant déjà une belle avancée en elle-même. Je suivrais donc le précepte que je me suis fixé en commentant les autres actions présentes dans ce même chapitre 19 tout en le décomposant.

19.2 L'expansion du fight club 5'12''

Les protagonistes recueillent le fruit de leur travail en vendant le savon crée à la grande distribution. Il semblerait que Tyler fait cela depuis des années puisqu'une femme avec qui il traite lui indique que son savon est vraiment le meilleur sur le marché actuellement, sous-tendant que le secret de sa fabrication est vraiment bien gardé et qu'aucune grosse société cosmétique n'est parvenu à s'approcher de cette qualité artisanale. Le narrateur nous rappelle tout le côté ironique qu'il y a dans tout ça : La bourgeoise moyenne achetant un produit fabriqué avec des composants directement issus de ses fesses ou de ses cuisses. Il pointe aussi la logique du rapport gagnant-gagnant entre les deux parties de la transaction c'est-à-dire Tyler et les grands magasins, l'un exploitant ses connaissances et ses larcins pour vendre son produit aux distributeurs le répandant à plus grande échelle en s'octroyant une marge confortable, le dindon de la farce étant donc le consommateur friand de ce luxe. A signaler que durant ce court échange le narrateur se tient en retrait et a l'air absent laissant le soin à Tyler de régler l'entente avec le cadre commercial du magasin.

A nouveau face aux réflexions de son patron concernant sa décadence et plus particulièrement l'exemplaire du règlement du "fight club" qu'il a trouvé, Jack ne s'incline pas et va encore aller plus loin que la fois précédente. Au lieu de seulement se défendre il va attaquer. Ce qui n'était pas évident puisque en premier lieu il nie timidement être l'auteur du document incriminé par son chef et reste statique sur sa chaise. Puis son visage se transforme littéralement et il prend une grande inspiration avant de débuter une diatribe au sujet du danger que pourrait constituer la personne qui a écrit ce texte, que s'il était manager il se garderait bien de le crier sur tous les toits.
Lors de ce passage il nous ait finement rappelé que les insomnies du narrateur sont encore prégnantes et influentes sur sa vie, qu'il peut donc avoir commis des actes sans s'en souvenir, ce qui commence par oublier une feuille dans un photocopieur. Mais où cela s'arrête t-il ? Rien ne dit qu'il y aurait une limite à son somnambulisme productif. Aussi le simple état physique du personnage à ce moment là est un indice puisque son visage est marqué d'autant de cernes que de coups reçus. Quand après avoir mis la pression sur son patron il se dit que "Ce sont les mots de Tyler qui sortaient de ma bouche", il conclut justement à l'influence grandissante de son ami mais il ne sait pas encore que c'est même plus que ça puisqu'il s'agit d'une prise de pouvoir. Derrière tout ça, il y a toujours le même impératif : défendre l'avancé du projet qu'il met au point, le "fight club" n'en étant qu'une étape.

Quand il parle par la suite à Marla au téléphone il redevient assez vite le Jack qu'on connait depuis le début, relativement bien intentionné à l'égard des autres mais ne sachant s'en tenir à des positions radicales. Ainsi il n'a pas envie de la voir et sait bien que dans son intérêt il devrait écarter cette femme de sa vie mais il se résout à requérir à sa demande curieuse de venir observer un de ses seins qu'elle croit annonciateur de cancer. Dans les faits on peut remarquer d'abord une nouvelle contradiction du narrateur qui tout en voulant se débarrasser d'elle lui avait communiqué le numéro de son domicile mais aussi celui de son travail. Concernant le dialogue même qu'ils échangent on saluera le remarquable jeu de sens entre un Jack annonçant en décrochant l'intitulé pompeux de son poste "Mise aux normes et conformités" et une Marla répondant du tac au tac "J'ai un nichon qui pourrit". Comme si d'une certaine manière la polyvalence de son poste devait aller jusqu'à remettre en état de service tout ce qui peut être défectueux sans distinction de matière. Le nom de son poste est par ailleurs terrifiant par sa signification étymologique, il s'agit de mettre à niveau, de corriger les erreurs, de retirer ce qui dépasse bref d'uniformiser des éléments comme la société mondialisé tient à uniformiser les modes de vie et les pensées.
Jack perd un peu de la lucidité qu'il avait entrevue face à son patron car il note que Marla a choisit de l'appeler à lui plutôt qu'à Tyler car il serait une personne "neutre" à ses yeux. Il ne comprend donc toujours pas qu'elle est la clé lui ouvrant les portes d'une autre conception du monde que celle défendue par Tyler.

Il la retrouve fidèle à elle-même, usurpant des repas dans une camionnette de la cantine sociale, tirant profit du fait que ceux à qui ils étaient destinés sont décédés. Jack la sermonne mollement sur son petit délit puis s'en tient à un examen très professionnel de sa poitrine. Comme précédemment avec sa tentative de suicide, c'est à nouveau la peur d'une mort douloureuse qui pousse Marla à recontacter Jack, faisant fi des renvois brutaux qu'elle subit après chaque nuit passée à Paper street. Si on peut croire d'abord à un stratagème pour attirer Jack chez elle, l'angoisse de Marla est réelle et bien en phase avec son personnage de paumée aux allures gothisantes. Alors qu'elle se fichait bien de pouvoir être écraser par un bolide lancé à grande vitesse elle démontre une fragilité enfantine quand il s'agit d'une possibilité de mort lente et agonisante. Elle dégage dans cette séquence par ses attentions et ses regards une grande affection pour le personnage principal et parait au bord du point de rupture lorsqu'elle se résout à le laisser quitter son appartement après qu'il lui ait sorti un "C'est bon ? Je peux y aller ?" Comme s'il demandait une autorisation de débauchage après une tâche de travail classique.
Le comportement de Marla, tout touchant puisse t-il paraitre, n'est pas un élément d'indice en lui-même. Elle embrasse par exemple Jack sur la bouche avec la douceur qu'elle donnerait à un frère ou ami proche elle n'est pas du tout ici la bombe sexuelle décrite par Tyler. D'où la présence d'une certaine logique féminine de se donner à quelqu'un qui la traite mal comme Tyler et de n'entretenir que des relations platoniques avec quelqu'un de plus ouvert qui pourrait la comprendre comme Jack. Consciente d'être malheureuse elle n'en reste pas moins accrochée et n'arrive pas à comprendre ce qu'elle représente aux yeux de Jack. Ce dernier une fois en bas jette un coup d'œil à sa fenêtre soit la sentant capable de refaire une tentative de suicide soit hésitant fortement à remonter avec elle.

Il n'aura guère le loisir de s'attarder sur la question puisqu'il croise le gros Bob avec qui il va avoir une discussion codée très intéressante sur le plan formel de l'intrigue. Ce dernier l'appelle encore Cornelius ne se doutant pas de son identité et l'ayant cru emporter par le cancer puis il lui énonce de sa façon pataude les principes de son nouveau club qu'il juge supérieur aux groupes d'entraides classiques. Jack reconnait instantanément le "Fight club" et lui demande de ne pas être précis. Etonnement les deux ne s'étaient encore jamais croisés dans une soirée, Jack déclarant n'y aller que le week-end quand l'autre s'y rend les mardis et mercredis soir. Sur ce point, soit Jack est encore tiraillé par ses insomnies et n'a pas conscience qu'il dirige le "fight club" en permanence soit le groupe possède déjà un grand nombre d'actifs à qui des tâches de fonctionnement ont été déléguées. A ce sujet les propos de Bob rendent possible les deux hypothèses puisque d'une part il a entendu tout un tas d'histoires sur Tyler Durden comme quoi il ne dormirait qu'une heure par nuit par exemple mais que d'autre part il ne le connait pas personnellement et n'a pas conscience que Jack n'est pas un membre comme un autre. Jack a une réaction curieuse se sentant flatté en même temps qu'il se gausse du caractère déjà mythique autour du "fight club".

Par la suite les deux se calent un affrontement et Bob a le dessus ce qui est sans grand intérêt finalement mais confirme la propension à la défaite de Jack. En quittant le local Bob le soutient physiquement pour l'aider à marcher et se montre très prolifique en remerciements à son égard. A ce moment là on peut percevoir que ce n'est pas l'ami qui a accepté un combat contre lui qu'il remercie mais le fondateur du club qui lui a permit de se libérer de ses frustrations et de retarder son inéluctable mort. La situation de Bob sous-tend la supériorité d'un défouloir physique cathartique sur l'extériorisation des sentiments par la parole comme le proposait le groupe du cancer des testicules. Ainsi pointe la théorie du mal primaire qui a accepté à tort de brider sa nature pour bien configurer dans une société du service très féminisée qui lui a appris à refouler ses bas instincts. La séquence où les membres du club vont devoir provoquer un affrontement avec des inconnus complétera ce point par la suite (cf. Chapitre 21), c'est-à-dire l'inadéquation des occupations proposé par le système à des individus qui ne demandent qu'à libérer leur être de la quotidienneté assommante. A noté l'absence totale de Tyler pendant ces passages avec Bob.


Les enfants oubliés de l'histoire

Nouvelle soirée au "fight club" où Tyler sermonne les membres pour avoir fait connaitre leur activité à beaucoup trop de monde puis il se lance dans un pamphlet contre les valeurs étalées par la société. Au moment où il allait réciter le règlement pour lancer les combats arrive Lou, le propriétaire du bar dont ils occupent le hangar sans sa permission. Celui-ci exige qu'ils déguerpissent tous, Tyler le provoque et subit un rossage en règle sans à aucun moment se défendre, se montrant si borné que de peur Lou consent à les autoriser à utiliser son local. Après avoir été remis sur pied, Tyler édicte une mission aux membres consistant à provoquer une bagarre avec un individu dans la rue et à volontairement perdre.

On revient dans la pénombre, que l'on avait à peine quittée, du lieu où se tiennent les réunions du "fight club" pour entendre un nouveau discours fondateur de Tyler. Celui-ci prolonge ce qu'il a déjà exprimé précédemment (cf. Chapitres 9 et 11) sans être répétitif. Notons d'emblée le fameux "Je regarde autour de moi... " Faisant le lien avec le fameux gourou de "Restons des hommes ensemble" (cf. Chapitre 5). Si la méthode d'expression revendiquée pour se sentir mieux est opposée, la base du discours de la manipulation des masses est la même et demande un grand charisme d'orateur.
On peut voir que Tyler a véritablement la main sur ses acolytes quand en levant à peine le ton il les fait arrêter de rire et même baisser les yeux, tout penauds qu'ils sont de s'être montrés trop bavards. Il pourfend le caractère aberrant de leur vie quotidienne, de leurs tâches répétitives et restrictives, ne faisant pas de distinction entre ceux qui sont utilisés pour leurs compétences physiques et ceux qui exercent dans des activités dites plus intellectuelles. Il enchaine sur la superficialité après laquelle le système veut nous faire courir telle les belles voitures et les vêtements de marque et parle de ces fameuses "merdes qui nous servent à rien" que l'on se hâte d'acheter. C'est la logique du toujours plus, notamment dans le domaine technologique, qui est pointé et l'entourloupe entrepris et réussi par la société quant à nous faire passer un désir luxueux pour un besoin primordial et à nous faire croire que tout progrès est forcément bon pour l'homme.

La teneur du discours se veut adressée aux personnes présentes mais elle franchit aisément les portes du hangar pour prendre des proportions universelles sur lesquelles chacun pourra s'interroger et se sentir visé. Il nous parle d'une génération sans voie, ne pouvant plus se baser sur les valeurs traditionnelles dans un monde s'étant mondialisé sans qu'il n'y ait paradoxalement un facteur d'unification entre les êtres qui ait justifié ce rapprochement ("Pas de grandes guerres, pas de grandes dépressions"). La mondialisation s'étant faite au contraire sur un pacte de non-agression entre les grands pays et dans une volonté de donner une primauté au domaine de la finance sous tout autre facteur. Citons Andrew Johnston du Time Out N. Y qui pose une réflexion très juste "C'est le premier film sur ce que l'on appelle la génération X. Malheureusement, il arrive à une époque où il est sûr d'être incompris."
En effet, c'est tout le côté utopiste de la démarche militante de Tyler qui affirme que de nos jours la guerre est "spirituelle" et que nos dépressions "c'est nos vies" mais qui s'attaque aux problèmes en fondant un groupe activiste qui n'est pas sans rappeler sur certains points les mouvements terroristes d'extrême-gauche des 70's. Or si les problèmes sont individuels les moyens utilisés pour les résoudre devraient l'être tout autant. Les méthodes de Tyler tendent à croire que le remède est le même pour tous et ignore les spécificités humaines qui sont que chacun n'aura pas besoin du même taux et de la même forme de considération.
De plus les grands tournants importants du mode de vie consumériste ont été pris depuis des décennies et leur remise en cause parait bien dépassée à l'aube des années 2000.

Tyler fustige enfin la société du rêve, celle du "tout est possible", message encore plus porteur dans le pays le plus libéral au monde qu'est les Etats-Unis. Il parle des désillusions et des traumatismes que créent ces types de discours faisant croire que chacun peut devenir riche et célèbre si il le veut. Ce dernier point met en avant l'opposition entre la société fantasmée aux soucis désuets et le terrain concret qui oblige chacun à ronger son frein dans sa volonté de gloire et fait naître des frustrations qui ne devraient pas avoir lieu d'être. En starifiant ceux qui sont au sommet de l'empire économique on envoie une malsaine suggestion qui dirait au citoyen lambda "Et toi qu'as-tu fais pour y arriver ?". En somme ce serait une propagande efficace pour miner les individus plus que pour les inciter à utiliser leur potentiel. On retrouve l'idée de personnes si couvées (cf. Chapitre 14) qu'elles n'ont pas appris à se défendre et à résister à un monde carnassier et déshumanisant.

Le passage où Tyler reçoit de Lou une dérouillée qu'il appelait de toutes ses forces est essentiel à la bonne compréhension de la psychologie Durdenienne. En effet c'est un véritable numéro de manipulation auquel nous assistons, le renversement de comportement d'un Lou qui exigeait l'expulsion du groupe sur son seul statut de propriétaire et qui va concéder à leur demande lorsqu'il aura été empreint lui-même de cette nécessité de se soulager. Tout au long du dialogue Tyler parle avec dédain et légèreté face à la demande d'explications somme toute légitime du point de vue de Lou. Le leader du "fight club" se moque du supposé poids hiérarchique qu'incarnerait Lou, il ne voit en lui qu'un individu frustré et matérialiste qui vient réclamer qu'on ne touche pas à son jouet. D'ailleurs il l'enjoint assez vite de se joindre au club ainsi que son homme de main ayant identifié le type de personne qu'il est.
C'est-à-dire quelqu'un très soumis aux codes en vigueur dans la société et si son costard-cravate ne suffisait pas à le trahir, il le démontre par les questions qu'il pose. Ainsi il s'interroge sur l'éventuel argent que se ferait son barman dans son dos en louant le local avant même de savoir ce que les gens y font. Peut-être aurait-il été intéressé de prendre sa part de cash sur ce que produirait le club mais il n'ira pas plus loin puisqu'il apprend ébahi que l'adhésion est gratuite et qu'aucun argent n'est généré lors des soirées.
Il devient d'autant plus furibond contre Tyler qui va le pousser à libérer sa frustration sur lui et par là en quelque sorte à ouvrir le bal de la soirée. Aucun des membres présents, pourtant au minimum une cinquantaine ne prêtent mains fortes à Tyler et pour cause puisqu'ils ne font qu'appliquer à la lettre le règlement et laissent se concrétiser le processus classique de défouloir qu'il revendique même si Lou doit sortir une arme pour les intimider.

La crise de rire de Tyler est le degré ultime de sa provocation et illustre une situation paradoxale dans le monde normal mais logique dans sa philosophie de vie : A chaque coup de poing supplémentaire qu'il porte, Lou apparait de plus en plus désarmé tandis que celui sur qui il tape s'en trouve renforcé dans ses certitudes. C'est symboliquement le port de la cravate qui va se retourner contre Lou puisque au moment où il relâche ses coups Tyler bondit et le saisit par celle-ci une fois qu'ils se soient retrouvés ensemble au sol. Dans un mouvement frénétique, Tyler éclabousse de tout son sang son agresseur et lui fait promettre qu'il les laissera continuer à utiliser cet endroit pour leurs rencontres. Son martellement de la phrase "Tu ne sais pas d'où je viens" peut éventuellement faire référence à la rumeur de la jeunesse dans un asile psychiatrique relayée auparavant par Bob mais elle exprime plus globalement la récurrente idée qu'un individu qui a déjà tout perdu est prêt à tout.
Lou cède autant par rapport à la peur que lui a causé la réaction de son adversaire que par l'effondrement sous ses yeux du système de valeur auquel y croit : quelqu'un créant un rassemblement d'hommes sans vouloir en tirer des bénéfices, un individu se complaisant dans la douleur au lieu de la fuir, ... C'en est trop pour lui qui n'a pas les moyens de lutter face à une telle conviction.
La mission que donne Tyler à ses adeptes en fin de chapitre n'est autre qu'une application à eux-mêmes de l'acte qu'il vient de réaliser : c'est-à-dire provoquer quelqu'un en duel et après avoir réussi à l'énerver suffisamment se laisser démolir. L'ordre n'est aucunement discutable et discuté puisque le chef a démontré sa légitimité à le donner.


Devoirs

On suit les différents stratagèmes déployés par les membres du "fight club", dans le cadre de leur vie civile, pour accomplir leur mission consistant à se faire rosser par un inconnu.

Cette petite séquence illustre la difficulté de l'homme moyen, absorbé par une rigueur sociétale castratrice, à faire usage de violence pour se faire respecter. Ainsi chaque disciple Durdenien a beau rivaliser d'originalité dans ses provocations, (Celui qui fait tomber et maltraite la mallette d'un cadre pressé, le vendeur automobile qui projette son client contre un véhicule, le pompiste qui arrose des passants avec un jet, ...) le citoyen moyen a perdu le réflexe originel de la castagne. C'est encore la société matriarcale qui est montré du doigt dans cette scène, la société des gens aseptisés ne concevant pas la violence comme une solution, celle des premiers de la classe qui ont subis les foudres de leurs camarades en leur temps et se vengent de leurs frustrations par le pouvoir bureaucratique.

Si la scène précédente ne nous a pas donné tous les détails spécifiques à cette mission ni laisser apercevoir les fiches que remet Tyler à ses adeptes, on comprend bien que cette tâche était très ciblée. Il ne s'agit surtout pas de provoquer un dealer ou une personne rompu à la loi de la rue pour le simple plaisir de prendre une dérouillée, ce qu'il faut c'est se concentrer à repérer le citoyen lambda, celui qui est suffisamment esclave de son statut et de ce qu'il possède pour ne pas avoir envie de se battre. Ce qui est épinglé ce sont ces gens qui se croient arrivés pour toujours, ont fondés une famille, ont un travail fixe, une vie réglée comme une horloge Suisse et qui ne voudront pas de prime abord risquer une bagarre par peur de tout perdre ou même simplement de changer l'image que leur entourage a d'eux. Autrement dit des gens à qui il faut selon Tyler ouvrir les yeux face à la société proprette et factice dans laquelle ils évoluent.

La réaction la plus notable et drôle est celle de ce personnage à l'allure intello, chaussé de lunettes et s'exprimant d'une toute petite voix. Il va lui falloir plusieurs secondes pour réagir par les poings (et encore de faible façon) face à son agresseur l'inondant de l'eau du jet. La situation lui parait si inconvenante que dans un premier temps il fait mine de croire à une maladresse puis il tente de jouer la carte morale avant de donner un coup de poing embarrassé ce dont il s'excuse aussitôt. Cet homme est l'emblème de la dérive d'une société qui sous prétexte de l'équité entre les sexes a tellement fait la propagande des valeurs féminines et des supposées capacités semblables entre une femme et un homme, qu'elle a diffusé un négationnisme sexuel dans les esprits. Celui-ci visant à nier farouchement les différences intrinsèques et incompressibles entre les deux sexes créant une perte de repères et l'avènement d'êtres bridés.

Sur le plan narratif, la voix de Jack est accompagnée d'une petite musique entêtante et festive qui rappelle que les actions engagées sont somme toutes infantiles et sans conséquence. Pour l'instant les adeptes sont encore dans le dépassement de leur soi passé et la mutation du "fight club" en mouvement influent n'a pas encore eu lieu.
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L'auteur : Emilien Bartoli
41 ans, Toulouse (France).
Publié le 24 mai 2010
Modifié le 02 mai 2010
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