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La première fois, ou comment être différent sans le savoir

Contre ceux qui trouvent l'homosexualité anormale et pour ceux que cette découverte déstabilise.


Pour faire écho à "gay mon malheur", je tenais à vous raconter brièvement quelle fut ma découverte de l'amour.

Une nouvelle année prit son essor. De nouveaux camarades envahirent la cour du collège avec plus ou moins de nonchalance ou d'affectation. Certains partageaient nos salles de cours ou d'études. Les premières semaines se sont écoulées, sans que j'y prenne garde. Aucun des trois nouveaux de la classe n'avait réellement éveillé mon attention. Je ne me rappelle pas avoir recherché l'un d'eux lors de discussions de récréation ou de travail en commun, ni de m'être spécialement attardé auprès de l'un ou l'autre à la fin des cours. Aucun ne m'y avait, en outre, particulièrement convié.

Il me fallut près de deux ou trois mois pour m'apercevoir que l'un d'eux se montrait peu à peu familier. C'était, précisément, ce garçon dont la rédaction avait obtenu un point de plus que la mienne, lors du dernier devoir... Mon attention à son égard s'en révélait plus vive.

Je remarquais une façon plus cordiale de saluer, une absence d'arrogance dans la voix, un sourire moins convenu, un regard plus pétillant. Je me surpris à l'épier durant les cours. Ses interventions, ses silences, sa façon d'être, son rire mêlé aux autres, certains gestes qui lui étaient propres, ses mains... Souvent il s'en prenait aux autres garçons de la classe, les provoquait sur leur taille inférieure à la sienne, sur leurs timidités, sur leurs performances sportives. Je trouvais inespéré, n'étant ni grand, ni sûr de moi, ni sportif, d'être exclu du lot des railleries. Ses attaques n'étaient pas violentes, mais il savait trouver pour chacun le mot juste, prompt à faire réagir. Et nul n'osait le mettre au défi de relever l'affront.

Lorsque j'y songe, cela reste encore un mystère. Nombre de mes camarades étaient en réalité capables de se battre avec lui, et peut-être de le vaincre. D'autres n'auraient pas hésité à se liguer contre un adversaire supérieur en force. Mais il avait su, insensiblement, avec presque chacun d'entre nous, je m'en rends compte à présent, si bien établir un lien personnel, fut-il ténu, par cette façon même de faire mouche quasiment à tout coup, que nul n'aurait osé déchoir à sa propre estime en ne se défendant pas individuellement. D'homme à homme...

J'avais tout d'abord imaginé que son absence d'attaques à mon sujet témoignait d'un désintérêt pour une proie trop facile. Mais, son attitude ne marquant en fin de compte aucune indifférence, je me pris à croire à sa bienveillance. Et, peu à peu, tous me considéraient obscurément comme une sorte de chasse gardée...

Dans cette jungle qu'est parfois une cour d'école, c'était d'abord rassurant. Cependant je redoutais que cette situation ne me rende, à la longue, antipathique. Le collège n'était pas seulement composé de notre seule classe et les rumeurs sont souvent traversières.

Je m'étais fait discret mais pas invisible. Je me tenais souvent en retrait durant les récréations, mais je ne le quittais pas des yeux, quel que soit mon interlocuteur. Dès la sonnerie achevée, nous réintégrions nos salles par de grands escaliers et de longs corridors. Pas une fois, durant cette période, je ne me suis tenu à plus d'un mètre de lui. Tantôt à son côté ou à peine décalé d'un rang. Et durant ces marches presque toujours silencieuses, je sentais son regard sur moi, sa chaleur à mon côté, une connivence inavouée, un amble insoupçonnable.

Les jours passaient, Noël approchait, et tout ce qui avait d'abord suffit à mon bien-être de collégien, sa présence, ses attentions inexpliquées, ses silences complices, faisaient à présent le sujet de rêveries ou d'interrogations interminables. J'éprouvais de plus en plus le désir de faire enfin la connaissance de ce camarade dont l'amitié se limitait à l'enceinte du collège.

Je ne sais comment il s'y est pris pour m'inviter chez lui. Il ne m'a pas décrit sa collection de timbres, de miniatures d'avions, de voitures ou de soldats, mais, lorsque je compris sa question, je fis tout mon possible pour étouffer un cri de victoire. Un "oui" tout juste murmuré est passé dans un souffle, avec une telle timidité que je le crû un instant inaudible. Puis il y eut une lueur cristalline dans son regard, un filament de sourire sur ses lèvres, un léger fard à ses joues, auxquels je reconnus une émotion identique à la mienne.

Pas un instant le doute ne m'avait effleuré sur la nature de ma réponse. Je ne savais dans quelles circonstances nous échapperions aux routines scolaires, mais l'espoir d'une rencontre future m'avait par avance déterminée à tout accepter.

Le rendez-vous était fixé l'après-midi même. Je dus encore patienter trois longues heures, convaincre mes parents de la banalité de cette escapade que la proximité des vacances concourrait à justifier, promettre de rentrer à l'heure... Mon cœur battait à tout rompre à la seule pensée d'une interdiction. Mais, toutes conditions acceptées, j'arrivais à peine en retard chez celui dont la rencontre, la première du genre, allait révéler mon destin.

J'avais presque treize ans, je m'en souviens, et lui comptait six mois de plus.
Il était grand et blond, les yeux bleus, musclé, j'avais pu m'en rendre compte lors des cours de sport... Je le savais intelligent, brillant parfois, provocateur, curieux, un peu dominateur ainsi que les rapports de force au sein du collège en avaient fait la démonstration. Hormis cela, j'ignorais tout de lui.

Sa mère me reçut avec une légère indifférence, puis-je l'entendis dévaler les escaliers à son appel. Les présentations étant faites, nous avions maintenant toute latitude pour nous isoler à l'étage. Nous gravîmes les degrés, lui précédant de quelques paroles mon émotivité mal contrôlée. Mes mains étaient moites, je me sentais parcouru de vagues frissons et mon cœur cognait sourdement. Je tâchais de me rassurer puisque nous n'étions pas seuls dans la maison...

La porte refermée, il me glissa que sa mère ne venait jamais ici, ce que j'eus peine à croire. Une conversation s'engagea ou plutôt une sorte de monologue vaguement entrecoupé de brèves réponses de ma part. Plusieurs jours auparavant, j'avais imaginé partager un moment d'intimité pareil à celui que nous vivions : être ensemble, parler, rire, rêver peut-être, construire peu à peu cette amitié tant attendue, que l'absence de fratrie me rendait si précieuse.

Je me trouvais soudain sans voix, sans esprit, inexplicablement inhibé, conscient que mon soudain mutisme allait devenir exaspérant... Il continuait de commenter les lieux, tout ce à quoi il tenait, l'origine de tel ou objet, il me parlait de l'Afrique où il avait vécu, récit confirmé par de belles photographies piquées aux murs comme autant de soleils radieux, insouciants...

Soudain, il se tut. J'étais assis sur son lit, lui sur le bureau, ses chaussures reposant sur la seule chaise de la pièce. Ma gêne ne lui avait pas échappé. Il y eut un court silence. Je sentais ses yeux sur moi. J'imaginais son expression interrogative plus que je ne la voyais. Pour ma part, cette sorte d'inventaire, à cet instant précis, n'aurait rien ajouté à ce que je connaissais déjà de son apparence, pour l'avoir fréquemment observée à la dérobée dans les semaines passées. Mais une confiance plus spontanée se serait immédiatement établie entre nous, si j'avais simplement osé lui rendre ce regard.

La chambre était surchauffée, il en fit la remarque, j'en convins... Et il en prit aussitôt prétexte pour se déshabiller, m'affirmant y vivre nu la plupart du temps. Il avait déjà ôté son pull et ses chaussures. Il arracha ensuite ses chaussettes pour les jeter vers un coin de la pièce. J'étais estomaqué par son audace... Mais je n'en perdais pas une miette. Quelque chose de nouveau venait de se produire. Mon angoisse était oubliée. L'envie s'accomplissait sans que j'en aie conscience et mon cœur ne cognait plus sourdement. Le temps était suspendu... Il s'approcha. L'ambiance était bien différente des vestiaires où je l'avais vu s'extirper de ses vêtements avec précipitation et les jeter en boule sur le sol de ciment. Face à moi, devant la fenêtre à peine voilée, il déboutonna sa chemise avec une lenteur inconnue. Son torse apparut, lisse, déjà sculpté, les épaules solides et mouvantes, rassurantes, la taille marquée esquissait une silhouette presque féline, avec, à l'aplomb, le cercle parfait d'un nombril juvénile...

Il aurait pu s'arrêter là, ce que je voyais était déjà une joie. Mais il détacha sa ceinture et le jean vint sur ses chevilles avec douceur. Tandis qu'il s'en libérait, je vis le mouvement arrondi de ses cuisses fermes et lisses reprenant leur station debout. Il n'avait gardé que ce morceau de coton blanc, ultime écran de convenances, redoutant peut-être de m'effaroucher tout à fait... Je n'étais pas farouche. Ce que voyais, et ce que je devinais plus encore, me transportait dans un monde inconnu, un jardin d'Eden plus fidèle à l'Eden lui-même que les descriptions des textes sacrés.

Je me tenais immobile, captivé par ce spectacle de jeunesse et de beauté. Il me demanda soudain de l'imiter, de me déshabiller à mon tour... Je n'osai pas. A ses côtés, je me sentais laid, honteux... Pourquoi me voulait-il nu ? Son corps était digne d'être montré, mais pas le mien... Je me préparais à exprimer un refus, quand il me poussa en arrière, enjambant mon torse, un genou de chaque côté, et, s'asseyant sur moi, il se saisit de mon sweater et le fit passer en un clin d'œil au-dessus de ma tête. J'eus un instant de panique, entreprenant une manœuvre pour le repousser et m'enfuir... Il y eut une lutte, où sa riposte s'ajustait exactement à la mienne, m'enseignant l'inutilité de toute forme de résistance. Quoique supérieur en force, il ne cherchait pas à me vaincre... Cette démonstration emporta ma reddition... Je me livrais sans conditions... Puisqu'il voulait nu ce corps dont je ne faisais pas ma fierté, puisqu'il avait insisté de ses mains et de ses jambes plaquées, puisqu'il avait affirmé physiquement sa volonté de le connaître, puisqu'il avait manifesté depuis des semaines une complicité sereine, dont je me réjouissais secrètement quand rien ne me semblait devoir y prédisposer, avais-je le droit refuser... En éprouvais-je seulement l'envie ?

Aujourd'hui, je conçois que sa force était d'une mesure bien paradoxale pour un combat, si bref soit-t-il, et, qu'il avait décelé en moi, comme pour d'autres, le seul argument susceptible d'amadouer mes craintes

J'ai patiemment attendu que ses gestes fassent leur œuvre, que mon corps aussi nu que le sien soit offert à lui, qu'il s'allonge contre moi, que sa voix étouffée me rassure de mots simples, une conversation presque banale dont la seule particularité venait de notre quasi-nudité et de notre proximité... Je n'osai ni le toucher, ni l'embrasser, ni le caresser. Je ne refermais pas mes bras sur lui. Alors il s'est serré plus près encore, il a glissé son bras sous ma nuque, il a posé sa tête sur mon torse, il s'est étonné d'entendre mon cœur battre aussi vite, il m'a demandé d'écouter le sien. A mon tour, j'ai entouré son torse. La chaleur de son cœur aux pulsions régulières irradiait ma joue. Sa peau exhalait un discret parfum de savon et de fleurs. Une fragrance inconnue et vivante dont je ne parvenais plus à me détacher.

Un long moment s'est écoulé. La chambre n'oscillait plus que du murmure de nos respirations maintenant apaisées. Je percevais, comme une source lointaine, envahi de douce quiétude, les sons assourdis de la maison, des pas, des voix... Nos corps s'attachaient l'un à l'autre. La moindre ébauche de mouvement nous roulait dans les draps comme une marée montante sur une grève de lin... Nos lèvres, quant à elles, sont restées bien chastes ce jour là. Nous étions si intensément enivrés l'un de l'autre, qu'il n'était besoin de nulle autre expérience...

Je songe à ceux qui n'ont pas découvert la sensualité avec autant d'innocence, à ces adolescents qui subissent, aujourd'hui, pour bon nombre d'entre eux, une sexualité précoce et violente... Quel dommage ! Ce que j'ai connu cet après-midi là m'a rendu humain pour toute ma vie.
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Re: La première fois, ou comment être différent sans le savoir
Posté par fallen angel du 59 le 22/08/2004 01:13:21
superbe histoire qui clouera le bec à tous ceux qui ose dire que l'amour entre 2 personnes de même sexe est impossible, voire immorale. Dommage que mtn la passion se fait rare. Comme dit crazy man, tu as un superbe style d'écriture qui personnellement ma captivé du début a la fin de ce récit. Grand bravo et merci.
Re: La première fois, ou comment être différent sans le savoir
Posté par crazy man du 67 le 20/08/2004 07:52:09
Une histoire pareille à 13-14 ans c'est fort et beau aussi. Si j'ai bien compris c'est fini entre vous???Si oui désolé. En tout cas c'était une belle expérience. Je suis gay moi aussi, le premier jour ou je suis sorti avec mon premier gars et d'ailleur toute la relation n'a été que du sex. Toi on sent la passion, j'aimerais bien que ça m'arrive. Ce que tu ressens on le ressent en le lisant, tu as un style d'écriture vraiment très bien fait il n'y a rien à dire là-dessus. Bravo et merci de nous avoir fait part de cette extraordinaire aventure.
Re: La première fois, ou comment être différent sans le savoir
Posté par fallen_angel le 20/08/2004 07:52:09
Je voulais te dire plein de choses par rapport à la suite de ton histoire mais je ne sais mettre d'ordre dans les sentiments et émotions qu'on fait naître en moi ce texte fabuleux. Tu as un style merveilleux et tu sais si bien décrire ce que tu as ressenti avec passion et une sorte de retenue, c'est magnifique! Autant te dire que je suis déja fan! Pourrais tu me dire s'il te plait si tu compte écrire un suite??? Merci beaucoup!
Re: La première fois, ou comment être différent sans le savoir
Posté par miguelito bueno le 20/08/2004 07:52:09
Merci à tous de m'avoir répondu.

Pour vous, je livre la suite de cette aventure,la découverte de l'acte d'amour, dans un certain contexte, et les prémices d'une perception nouvelle de la vie. C'est un peu long, 2 ou 3 pages, j'espère que vous pourrez le recevoir sans problèmes.


"Une main chaude à mon épaule vint secouer ma torpeur…Je lançais un regard en direction de mon agresseur, tout éveil est une agression n’est-ce pas, pour identifier les contours d’un visage que je savais être le sien…Ses bras me soulevèrent et me soutinrent jusqu’à ce que mon corps ankylosé retrouve une station debout naturelle…

Alors, je retrouvai mes pieds nus foulant l’herbe mouillée, l’empreinte humide du sol collant à mes vêtements, le vent de la nuit voilant ma peau d’une rosée glaciale sous la chemise ouverte et toutes les sensations anesthésiées par son absence s’éveillèrent à ma conscience, une à une incendiées par son retour…Je le sentis étreindre avec force un corps frissonnant qui était le mien…Ses lèvres marquèrent les miennes avec une impétuosité jusqu’alors inconnue…Je répondis à leur morsure avec toute la suavité dont j’étais capable.

Quel bonheur que d’avancer dans sa quatorzième année sous escorte d’un amour naissant à l’effigie d’une si belle tête blonde…Quel plaisir prenions-nous à cette liberté d’être où nos seules limites se mesuraient à l’aune de nos désirs…La nuit affranchissait nos timidités de la cécité des autres, tous les autres qui n’étaient pas nous et ne pouvaient ni comprendre, ni partager, l’intense émotion où nous nous trouvions réunis…Je le sentais vibrer contre moi sous le joug de ces retrouvailles dont le poids avait également usé sa patience…Ainsi, la relative brièveté de cette séparation avivait-elle la conscience d’une dépendance librement espérée…

Je m’apprêtais à retourner au camp quand sa main, doucement, m’entraînât dans une autre direction. Nous franchîmes le ruisseau, pénétrant jusqu’à la taille dans l’onde bavarde et glacée. La rosée voilant encore mon torse me fît en contraste l’effet d’une ancienne et tiède aspersion…Il s’avançât encore et disparût soudain sous la surface, pour se rafraîchir sans doute, mais je ressentis avec surprise l’évidence d’une ablution, comme si les souvenirs de cette journée de séparation et de convenances devaient céder la place à un instant de purification…Je le cherchais des yeux dans l’onde quand la clarté de la lune le fit apparaître tel un vif argent à mes pieds…Il surgit de l’eau dans un souffle d’animal blessé, éparpillant alentour une myriade scintillante de gouttelettes acérées d’un bref mouvement de tête…A nouveau, je sentis ses lèvres contre les miennes, fraîches, douces, fermes. Je portais la main à ses joues, comme pour prolonger ce baiser inattendu et le meilleur de sa sensualité. Sa peau, tonifiée par le flux, résistait sans violence à la caresse de mes paumes. Je me serrais contre lui, décidé à capter entièrement cette sourde énergie dont il semblait maintenant totalement investi. Le haut de mes vêtements encore sec s’amollit au contact des siens, dégoulinants…Ce fut une sensation que je ne pus supporter. J’ôtais ma chemise fripée dont le courant se saisit. Ses bras noués à mon cou me laissaient libre d’agir…Il me semblait à présent que nos vêtements eux-mêmes s’alourdissaient sous le poids de conventions informes, prêts à nous entraîner par le fond. Sa chemise de cérémonie n’opposât aucune résistance à mes doigts habiles…Ses muscles apparurent sous la clarté lunaire comme un secret alliage se fortifie dans le bain du fondeur…A mon tour, je coulais sous le liquide froid et tourbillonnant, me laissant dériver un instant au gré du courant. Un poigne solide vint à mon aide…J’aspirai à nouveau une goulée d’air dense, tandis que mon visage et mon corps ruisselaient ensemble de cette eau brièvement distraite de son cours…Nous nous étions insensiblement rapprochés de la rive opposée où il aborda le premier…Je vins m’agenouiller auprès de lui, et, d’un geste instinctif et sûr, j’ôtais ce qui lui restait de vêtements humides…

Il y eut une lueur de surprise dans son regard, j’y perçus un élan de générosité et de consentement. Enfin, après des mois d’approche et d’attente, de patience tranquille et sereine, je parvenais à vaincre la timidité où mes gestes du premier jour s’étaient annihilés…Je contemplais sans angoisse son corps dénudé autrement qu’en rêve, ce bas-ventre inconnu qui devenait le sien, ce sexe proprement ahurissant dont j’avais pu sentir la pression lors d’étreintes fréquentes, plus ingénues aussi…Enfin, je découvrais la liaison du torse et du ventre avec ces hanches minces, ces jambes lisses, que je savais douces pour les avoir effleurées souvent, dont le mouvement délié ne cessait de me fasciner…Je comprenais soudain comment se tient un homme, par quel miracle de constitution harmonieuse et souple le primate de notre ascendance se mue peu à peu en athlète agile et divin…


A mon tour, je connus la nudité, pas celle des visites médicales déshumanisées où la seule question préoccupante se résume à conserver ou non un peu de pudeur et de manières avec un sous-vêtement, pas plus celle des vestiaires, teintée de gêne et de gaudriole, mais celle de l’intimité, celle où deux êtres imparfaits abandonnent toute défiance l’un envers l’autre en même temps que leurs vêtements, celle par laquelle l’on accepte d’avance le jugement de l’autre, quel qu’il soit : la véritable nudité du don de soi…

Il y eut une seconde inachevée dans le déroulement du Temps, comme si de lointains auspices avaient interrompu leurs oracles sentencieux pour donner licence à deux jeunes gens amoureux de goûter leur destin hors de toute contingence, suspendus à ce silence tels de simples spectateurs en haleine de dénouement…

Ses bras m’attirèrent avec une lenteur marquée et son corps entier soumit le mien avec une bienveillance inhabituelle…Contre ma peau, je sentais la caresse d’une peau amie. Ses mains agrippées à mes hanches, ses bras enserrant mon thorax , ses lèvres ouvrant les miennes avec plus d’intensité, me persuadaient de répondre à son désir ainsi que je n’avais jamais eu l’audace de le faire…Je sentis son sexe dur et chaud à même la peau de mon ventre, moins comme une évidence que pour une bénédiction et j’acceptai cette caresse nouvelle, à la fois plus troublante et plus intense que celle de mes songes…Nous roulions sur nous-mêmes, soudés plus qu’enlacés l’un à l’autre , tremblants de désir et de joie, faisant de courtes poses où nos respirations presque saccadées ne cédaient en rien au plaisir de se noyer dans le regard de l’autre…

Ses lèvres parcoururent mes épaules, mon ventre lisse, puis mon sexe soudainement tendu. Je compris que je venais de céder à son engagement par une manifestation physique à laquelle je ne m’étais jusqu’alors point résolu, qu’une sorte de retenue m’avait intimement interdit de manifester en sa présence depuis le début de notre relation…Sans doute, avant cette découverte, avais-je uniquement été préoccupé de répondre à son intérêt et sa sensualité à l’exacte mesure de son expression…Mais j’éprouvai tout à coup le besoin vital de ne pas cantonner notre partage à de simples réactions de ma part et d’y ajouter aussi ses réponses à mes propres sollicitations.

J’ignore s’il est demeuré, cette nuit-là, une seule parcelle de nos corps que n’aient anobli nos lèvres, nos mains et nos regards. Nous étions devenus impatients l’un de l’autre, avides de prolonger ce don aussi loin que nos inspirations pourraient nous le suggérer…Pour, ma part, je chavirais à chaque toucher…Aussi, après de si soudains émerveillements, lorsque je lus dans ses yeux le désir d’une expérience dont je ne soupçonnais pas l’existence quelques secondes plus tôt, j’y consentis d’un mot simple dont le sens m’avait toujours paru autre, mais avec une détermination si claire que je doute presque aujourd’hui de l’avoir jamais prononcé dans le ressac mystérieux de la nuit…

Il vint donc, comme je l’y invitais, avec un savoir-faire si naturel, une compassion si attentive, que j’aurais pu douter qu’il s’agisse, pour lui, de la première fois…Mais l’ingénuité de ses réactions me confirmerait bientôt la pertinence de cette intuition…

Pour deux jeunes gens n’ayant aucune pratique de l’amour, et donc aucune référence certaine de ce que l’on peut présenter tantôt comme une joute, tantôt comme un duo, voire un duel, il est permis de se demander si cet acte est susceptible d’entraîner des souffrances ou des désagréments…Nombre de jeunes filles désireuses de s’adonner au plaisir pour la première fois hésitent à céder immédiatement à cette curiosité tant l’opinion s’avère répandue qu’un premier rapport est presque inévitablement douloureux et inachevé, voire brutal.

Cette interrogation n’avait pas accédé à ma conscience, aussi quand je senti son sexe en moi, je n’eus aucune hésitation à me laisser aller à la révélation que cette houle me procurait...Pas un instant je ne ressentis autre chose qu’un bien-être total, enivrant et finalement dévastateur…Je sus qu’il avait atteint au même sommet presque simultanément, la nuit ne résonnant plus que du battement affolé de son cœur contre le mien…

J’ouvris les yeux pour apercevoir malgré moi, dans cet état de grâce, au-delà de son visage épuisé de bonheur et des mots confus qu’il balbutiait à mon oreille, une somptueuse parcelle de la voie lactée graduellement allumée à nos pieds…

Jusqu’au petit jour, je demeurais insatiable du plaisir qu’il m’avait enseigné, certain que cette connaissance ne formait encore qu’une extraordinaire ébauche. Et, désormais, je ne fermais plus les yeux pour me laisser incliner à sa pente, à cette spirale à la fois ascendante et descendante de l’amour. Il ne me suffisait plus de sentir sa force en moi, d’être uni à lui au point de ne plus appréhender l’univers autrement que d’un seul cœur et d’un seul sexe, il me fallait aussi ne rien perdre du spectacle de nos deux êtres soudés l’un à l’autre par ce mouvement de baisers, de sourires, de gémissements involontaires alternés en réponds. Mon attention se fixait tour à tour sur le roulement d’une épaule, sur le soulèvement spontané d’une inspiration à peine contenue dont je sentais le poids de vie à mon thorax haletant…Mes mains exploraient au lointain des galbes fessiers sous-tendus de contractions, ou, plus aisément, à travers une peau toujours satinée, les muscles de ses cuisses solidement appuyées au sol, comme deux amarres que la tempête n’effraie point…Je revenais à son visage, éclairé d’une plénitude inconnue, à des expressions d’étonnements voilés, de bonheurs incontrôlables, que les lignes régulières de ses traits soulignaient d’un cadre juvénile…Lorsqu’il ouvrait les yeux à son tour, je plongeais dans l’eau d’une limpidité cristalline, insouciante, et son regard aussi m’était un ondoiement…

Jusqu’au petit jour, ai-je dit. Jusqu’à l’abîme d’une séparation mélancolique ourdie par nos consciences adverses…Jusqu’aux premiers rayons du soleil décochés comme autant de flèches fatales…Céder à nouveau aux convenances, reprendre à nouveau possession de nous-mêmes et nous déposséder de l’autre ; contre toute attente, contre toute espérance, affronter cette brûlure qui veut que l’ordonnancement de la nuit s'efface comme une source se mue en rivière souterraine et suit un cours secret connu d’elle seule…

Jusqu’au renoncement…Jusqu’au néant…

Des vêtements humides sur une chair encore émue, un instant encore grappillé à la solitude par la tendresse et le remerciement d’un baiser , une assurance que l’on se donne d’un bras fort étreignant la fuite d’un songe, une affirmation appuyée d’un regard désespéré, à laquelle on consent pour ne pas communiquer plus de doutes que l’on n’en éprouve…Je compris qu’il me faudrait chaque jour, pendant longtemps encore, payer d’amertume le prix du bonheur."
Re: La première fois, ou comment être différent sans le savoir
Posté par folkschild le 20/08/2004 07:52:09
j'en ai des frissons, c'est si beau et...pur, je crois que c'est le mot.
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Publié le 11 août 2003
Modifié le 11 août 2003
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