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Le manga et la France : analyse d'un succès

Attention, article fleuve ! Aujourd'hui, les mangas font partie de la culture populaire en Occident où ils rencontrent un énorme succès. L'exemple le plus frappant est justement la France, pays occupant le deuxième rang des pays consommant le plus de mangas dans le monde, juste derrière le Japon. Une question vient alors : Pourquoi les mangas ont-ils acquis un tel succès en France ?


460 millions d'euros. C'est le poids du marché du manga en France en 2005. Ce marché suit une croissance moyenne de 22% par an. Ces dernières années, près d'une bande dessinée sur deux éditée en France est un manga. En 2007, ce sont 1172 mangas qui sont publiés sur le territoire français de la part de 33 éditeurs nationaux différents. Un succès considérable pour ces bandes dessinées japonaises, connues dans nos contrées depuis la fin des années 70 à travers leurs adaptations en dessins animés (communément appelés "animes").

Pourtant, il aura fallu attendre plus d'une décennie après la diffusion des premiers animes pour que les mangas rencontrent le succès dans leur format original. Le pari de les importer en France était osé, dans un pays traditionnellement attaché à la bande dessinée franco-belge. Leur arrivée dans notre pays fût d'ailleurs plutôt houleuse, et les critiques ont circulé depuis le début des diffusions des animes. Ces critiques prenaient pour cible le graphisme si particulier du style manga, mais aussi les scénarios de certaines œuvres jugées "crétines". La violence graphique de certains animes présentés à un public très jeune a également choqué et déclenché des polémiques, malmenant encore plus l'image des mangas en France. On se rend compte aujourd'hui que ces critiques acerbes provenaient surtout d'une incompréhension d'un genre étranger, avec ses codes propres, et néanmoins très riche.

Aujourd'hui, les mangas font partie de la culture populaire en Occident où ils rencontrent un énorme succès. L'exemple le plus frappant est justement la France, pays occupant le deuxième rang des pays consommant le plus de mangas dans le monde, juste derrière le Japon. Une question vient alors :

Pourquoi les mangas ont-ils acquis un tel succès en France ?

Nous allons tenter d'apporter une réponse à cette question, découvrir quels sont les facteurs du succès des mangas dans notre pays où ils ont été stéréotypés (et où ils le sont d'ailleurs encore), aller au-delà des idées reçues selon lesquelles les mangas ne sont que robots géants et personnages aux coupes de cheveux aériennes qui pulvérisent des planètes au rayon laser.


Qu'est-ce que le manga ?

Avant d'analyser le succès des mangas en France, commençons par définir précisément ce qu'est un manga et comment ils sont apparus au Japon.

Les origines du manga
Contrairement à ce que l'on croit à tort trop souvent, un manga n'est pas un dessin animé japonais (on préfèrera alors le terme "anime"). Il désigne une bande dessinée japonaise. Etymologiquement, le terme "manga" est formé de deux idéogrammes chinois : "man" et "ga". L'association de ces deux idéogrammes signifie "image dérisoire". Le terme fût inventé en 1814 exactement par un peintre, auteur et dessinateur japonais, Katsushika Hokusai (1760-1849), alors qu'il publie le "Hokusai Manga" (littéralement le Manga de Hokusai). Ce recueil de dessins conséquent traite de la vie du peuple japonais durant l'ère Edo. Son œuvre commença d'ores et déjà à toucher la France puisque de nombreux peintre impressionnistes tels que Paul Gauguin et Claude Monet s'en sont inspirés.

Mais on considère que l'histoire du manga débute bien avant Katsushika Hokusai. Les plus anciennes œuvres que l'on peut qualifier de mangas sont des e-makimono, rouleaux de dessins datant du XIIe siècle. Intitulés "Chojujingiga", ils représentaient des animaux anthropomorphes reproduisant des scènes de la vie à l'époque. Le plus célèbre de ces dessins représente des singes, des lapins et des grenouilles s'exerçant au Sumo. En plus d'être considéré comme le premier manga de l'histoire, il s'agit aussi du premier manga humoristique.

C'est lors du XIXe siècle que le manga prendra une forme plus actuelle. A cette époque, le Japon connait une vague d'occidentalisation lors de l'ère Meiji, abolissant le système féodal et le pouvoir des régents et des shoguns en place jusqu'alors. Des institutions sont développées selon le modèle occidental, accompagnées par des réformes militaires, économiques et sociales. Le Japon devint alors une puissance régionale en Asie.
A cette époque, les journaux satiriques se développaient fortement en occident, et plus particulièrement aux Etats-Unis. Cette forme de presse se développa également au Japon et vit l'apparition de dessins satiriques, de caricatures paraissant ainsi régulièrement. Le manga s'industrialise. Au début du XXe siècle, les mangas font leur apparition dans les journaux généralistes et la presse ciblée. Des séries sont publiées dans les journaux quotidiens et dans des magazines entièrement consacrés au manga tels que des mensuels pour enfants. On peut par exemple citer deux périodiques de l'époque : Shônen Club, créé en 1914, et Shôjo Club, fondé en 1923. Une association des auteurs de mangas est également créée en 1932, association qui publiera certains grands succès de l'époque. Cependant, jusque là, le manga ne représente pas d'intérêt tout particulier, à cause de sa grande ressemblance avec la bande dessinée occidentale.

La naissance du manga moderne
C'est après la Seconde Guerre Mondiale que le manga connaîtra une véritable ascension. Vaincu par les Etats Unis dans le Pacifique, forcé à la capitulation par deux bombardements atomiques, sur Hiroshima le 6 août 1945, et sur Nagasaki trois jours plus tard, dépossédé de sa puissance militaire extérieure, le Japon est un grand perdant de la guerre, choqué et, qui plus est, ruiné. C'est pour répondre à une très forte demande de distractions bon marché que les mangas se sont multipliés au lendemain de la guerre. De plus, les comics américains commencent à déferler au Japon, ce qui va alors inspirer les auteurs japonais, participer à la création d'un style de dessin bien particulier et encourager la production japonaise. Les ventes explosent. Parmi les auteurs de cette époque, un homme marquera de façon irréversible l'histoire du manga. Cet homme, c'est Osamu Tezuka.

Il publie son premier manga en tant que mangaka professionnel en 1946. Grand admirateur des productions de Walt Disney, il rêve de pouvoir se lancer dans le dessin animé. Seulement, il n'en a pas les moyens et le Japon est ruiné par la guerre et éprouve des difficultés à se reconstruire. Faute de pouvoir animer ses histoires, Tezuka emploie tout son génie à créer un style graphique et de mise en page dans le but de faire ressentir les mêmes émotions que la vision d'un film. Il découpe ses planches en plusieurs cases de taille et de formes variables, permettant de retranscrire un dynamisme cinématographique. La multiplication des angles de vues d'une même action reproduit une impression de ralenti. Le dynamisme est aussi appuyé par l'emploi de traits de vitesse, technique empruntée aux comics américains. Pour exacerber les sentiments et les émotions de ses personnages, il leur dessine des grands yeux très expressifs. On dit que cette idée lui viendrait du dessin animé Blanche Neige et les Sept Nains de Walt Disney, et que Tezuka serait tombé sous le charme des yeux du personnage principal. Toujours est-il que cette technique de dessin a depuis été constamment utilisée par les auteur jusqu'à aujourd'hui. Tezuka a ainsi défini le style dominant des mangas tels qu'on les connait aujourd'hui, ainsi que certains des codes dominants du genre.
En 1962, Tezuka réalise enfin son rêve. Il crée le Studio Mushi, et adaptera dès 1963 ses grands succès en dessins animés : Astro le petit Robot (appelé aussi Astroboy, première véritable série animée japonaise de l'histoire), suivi par Le Roi Léo et Princesse Saphyr. Il lance par la même occasion l'industrie du dessin animé au Japon, et installe le système selon lequel un manga à succès est généralement adapté en dessin animé pour une diffusion télévisée. C'est dans ce format que les mangas s'exporteront en occident.


L'introduction du manga en france

C'est à la fin des années 70 que le manga fait son entrée en France. A l'époque, les chaînes nationales de télévision sont à la recherche de programmes destinés à la jeunesse. C'est donc tout naturellement qu'elles se mettent en quête de dessins animés pour remplir leurs plages horaires à forte audience chez les jeunes. Mais un problème se profile rapidement : la production européenne de dessins animés est trop insuffisante pour répondre à la forte demande. Faute de productions occidentales, les grandes chaînes vont alors piocher dans les productions japonaises. Une aubaine : elles ont déjà largement fait leurs preuves au pays du soleil levant, elles sont nombreuses, variées et en plus elles sont achetées à bas prix, car leurs coûts de production sont bien plus restreints que ceux des dessins animés occidentaux.

Un succès inattendu
C'est ainsi que sont arrivées les premiers dessins animés japonais (appelés généralement "animes") sur les ondes françaises. UFO Robo Grendizer, le premier d'entre eux, débarque sur Antenne 2 en 1978. On le connait chez nous sous le nom de Goldorak. C'est un succès aussi considérable qu'inattendu, Goldorak aura même droit à une couverture dans Paris Match, sous-titrée "La folie Goldorak". L'anime met en scène l'histoire d'un prince nommé Actarus défendant la planète Terre à bord de Goldorak, un robot de combat. Les jeunes français sont conquis, et Goldorak restera un véritable symbole des années 80 et de l'animation japonaise en France (bien que n'ayant pas du tout connu le même succès dans son pays d'origine). Suite au succès de Goldorak, Antenne 2 s'empresse d'acquérir et de diffuser trois autres séries, dont deux officiant dans un registre de science fiction proche de celui de Goldorak et une autre plutôt orienté vers des histoire d'amour et d'amitié. Le succès est encore une fois au rendez-vous pour Albator le corsaire de l'espace, Capitaine Flam et Candy. C'est l'époque de Récré A2, l'émission consacrée à la jeunesse sur Antenne 2, qui diffusait autant des dessins animés occidentaux (comme des adaptations de bandes dessinées franco-belges telles que Boule et Bill, Yakari ou Johan et Pirlouit) que des animes japonais.

On retrouvera par la suite à la télévision française les animes de Osamu Tezuka précédemment évoqués : Le Roi Léo et Astro, le petit robot.
En 1983, Antenne 2 diffuse un anime réalisé par l'association entre des studios français, luxembourgeois et les japonais du célèbre Studio Pierrot (qui réaliseront quelques uns des plus grands succès animés récents, en France comme au Japon, tels que GTO, Bleach ou Naruto). Intitulé Les Mystérieuses Cités D'Or, il rencontrera un grand succès, autant public que critique, et reste un des plus célèbres exemples de l'animation japonaise des années 80.

Une guerre d'audience
Durant cette même décennie, les chaînes privées se lancent aussi dans la diffusion des animes, encouragés par le succès considérable qu'ils rencontrent sur Antenne 2. Ainsi, La Cinq, via son émission Youpi ! L'école est finie, importe en France ses premiers animes se déroulant dans un cadre sportif : Attacker You ! (diffusé sous le titre Jeanne et Serge) en 1987 et Captain Tsubasa (Olive et Tom) en 1988. Ces deux animes auront un tel succès qu'ils déclencheront de nombreuses vocations sportives chez les jeunes, leur donnant goût respectivement au volley-ball et au football. D'autres séries rencontrent un grand succès sur La Cinq, les plus connues étant la comédie romantique Max et Compagnie et la série d'action mecha Robotech.

Devant le succès des émissions jeunesse sur Antenne 2 et La Cinq, TF1 décide de riposter avec les grands moyens. La chaîne nouvellement privatisée s'offre les services d'une nouvelle directrice de l'unité des programmes jeunesse qui n'est autre que Frédérique Hoshede, alias Dorothée, l'animatrice vedette de Récré A2, et lance par la même occasion en 1987 l'émission Club Dorothée, qui portera l'estocade à la concurrence sur Antenne 2. TF1 s'appliquera dès lors à importer du Japon les plus gros succès du moment : Saint Seiya (Les Chevaliers du Zodiaque), Hokuto No Ken (Ken le Survivant), Bioman (déjà diffusée en 1985 sur Canal+) et surtout Dragon Ball.

Ken le survivant fait polémique
Cependant, c'est également à cette époque que de vives critiques se sont élevées contre les animes diffusés à la télévision. Un exemple marquant est celui de Ségolène Royal, alors députée dans les Deux-Sèvres, qui publie en 1989, aux éditions Robert Laffont, un livre intitulé Le Ras-le-bol des bébés zappeurs. Dans ce livre, elle fustige sans vergogne les dessins animés japonais qu'elle juge excessivement violents. Ses propos caricaturaux à ce sujet montrent une absence de compréhension assez flagrante, mais toujours est-il qu'ils illustrent les préjugés qui se sont forgés à l'époque. En effet, l'élément perturbateur dans tout ça est l'anime Ken Le Survivant. Adapté d'un manga publié au Japon (et qui sera plus tard importé en France), il raconte l'errance d'un certain Kenshirô utilisant les arts martiaux pour défendre les innocents dans un monde post-apocalyptique où règnent les crapules en tout genre.

Diffusé dans le Club Dorothée parmi les dessins animés pour enfants, il se démarque particulièrement par sa violence. En effet, au Japon, cet anime a été conçu pour un public plus âgé, mais tout en ayant été diffusé à une heure de grande écoute. Pourtant, il n'a jamais fait scandale dans son pays d'origine, car les japonais ont une perception de la violence très différente de celle que nous avons en Occident. De plus, les doubleurs français, particulièrement hermétiques à l'animation japonaise, ont truffé la version française de jeux de mots crétins, mais ayant contribué au statut aujourd'hui culte de cette version, édulcorant artificiellement la violence de l'anime tout en augmentant la frustration des amateurs d'animation japonaise à l'époque. Ainsi, Kenshirô est l'héritier de l'école d'arts martiaux du "Hokuto de cuisine" et pour trouver un certain Ryûga, il faut le chercher à Montélimar.

Les animes des années 90 à aujourd'hui
Les années 90 comporteront elles aussi leur lot d'animes cultes, dont un qui remportera un succès fulgurant, jamais vu depuis Goldorak : c'est Dragon Ball Z, la suite de Dragon Ball, toujours diffusé dans le Club Dorothée en 1993. Cet anime est à l'origine de l'engouement de beaucoup de jeunes de l'époque envers l'animation japonaise et le manga en général. C'est d'ailleurs à partir de la diffusion de Dragon Ball Z que les mangas rencontreront le succès sous leur forme papier.

De nos jours, et ce notamment à cause de leur mauvaise réputation, les animes japonais se font bien plus rares à la télévision. On notera quelques exceptions comme l'adaptation animée de Pokémon, le jeu vidéo de Nintendo, et de Digimon son concurrent créé par la firme japonaise Ban Dai, tous deux diffusés sur TF1 ainsi que Naruto sur France 3. Le plus souvent, ce sont des grands succès qui sont rediffusés sur les chaînes généralistes (Olive et Tom sur La Cinq devenue France 5). La diffusion d'animes se concentre aujourd'hui sur les chaînes payantes comme Canal+ qui rediffuse des succès des années 90 (Cowboy Bebop, Neon Genesis Evangelion, GTO) ainsi que des nouveautés (Full Metal Alchemist). C'est sur les chaînes câblées que l'on retrouve le plus d'animes, via des chaînes spécialisées (Mangas anciennement AB Cartoons, Game One ou plus récemment NoLife), les chaînes destinées à la jeunesse (Fox Kid, Cartoon Network), certaines chaînes musicales (MCM), ou sur les chaînes de la TNT (NT1). Parallèlement, le marché des DVD des séries animées se porte très bien.

L'essor du marché du manga papier
Contrairement aux animes, les mangas sous forme de bande dessinée sont aujourd'hui un succès colossal en France. Pourtant, il aura fallu attendre 1993 et la traduction de Dragon Ball pour que la machine se mette en marche. De 1978 à 1982, un magazine nommé Le Cri Qui Tue aura pourtant essayé de publier des mangas. Sans succès, le magazine ne publiera que six numéros. En 1983, la maison d'édition Les Humanoïdes Associés (à l'origine entre autres de la revue Métal Hurlant) tentent de publier Gen d'Hiroshima, mais peinent à trouver un public. La France ne semble pas prête à accueillir les mangas à cause d'un ancrage trop fort de la bande dessinée franco-belge. En 1988, Jacques Glénat, de retour d'un voyage au Japon, rapporte dans ses valises un manga prometteur intitulé Akira. Il paraît d'abord en 1990 en kiosque sous forme de fascicule en couleurs, sans grand succès. C'est la sortie en France du long métrage animé tiré du manga, en 1991, qui va servir de déclencheur. Akira accèdera rapidement au statut de film culte et va subitement éveiller en France un vif intérêt envers l'art des mangakas. Glénat publie le manga Akira dans un format cartonné, tel un livre de poche, et le succès est enfin au rendez-vous. Le véritable envol des ventes de mangas a lieu avec la sortie en librairies de Dragon Ball. Son personnage principal, San Gokû, devient le héros préféré des jeunes français. Les ventes atteignent deux cent mille exemplaires pour chaque tome d'une série qui en compte quarante deux.

Dragon Ball ouvre le bal et rapidement, d'autres séries viennent fournir le catalogue de Glénat. Mais cette naissance du marché du manga attire de nouveaux acteurs. Casterman lance sa collection "Manga" en 1995 et Dargaud crée sa filiale Kana spécialisée dans le manga. On compte aujourd'hui trente-trois éditeurs spécialisés en France, dont les plus importants sont Glénat, Kana, Pika, Kurokawa, Tonkam, Asuka, Delcourt et Panini Comics.

Le long-métrage animé
La consécration ultime pour un mangaka, c'est de voir son œuvre adaptée en anime, puis ensuite en long métrage animé. Le pas a été franchi en France avec la sortie d'Akira en 1991. Le film Ghost In The Shell de Mamoru Oshii, considéré comme un chef d'œuvre de science fiction d'anticipation, sort en France en 1997. Sa suite, Innocence, fait partie de la sélection officielle du festival de Cannes 2004, un vrai signe de reconnaissance.

En 1995 sort Porco Rosso, un long métrage du célèbre réalisateur Hayao Miyazaki. L'acteur français Jean Reno assure le doublage du personnage principal du film, un pilote d'hydravion italien de l'entre-deux-guerres transformé en cochon. C'est en 2000 que Miyazaki obtiendra une immense renommée en France grâce à son film Princesse Mononoke, pourtant sorti en salles au Japon en 1997. Suite à ce succès public et critique, ainsi qu'au triomphe en salles du Voyage de Chihiro (Ours d'Or au festival de Berlin en 2002 et plus d'un million et demi d'entrées en France), les précédents films de Miyazaki voient le jour en France, renforçant la réputation de ce dernier et l'admiration que lui portent les enfants et les amateurs de manga en France.

On peut aussi noter la sortie en France en 2003 d'Interstella 5555. Ce film est issu de la collaboration entre Leiji Matsumoto, le créateur d'Albator, et du groupe français de musique électronique Daft Punk. Le film est une sorte de mise en image de l'album Discovery de Daft Punk par Leiji Matsumoto, ce qui en fait un long-métrage animé des plus atypiques.


Les raisons d'un tel succès

Comme nous l'avons vu précédemment, l'introduction du manga en France résulte avant tout des nécessités du marché télévisuel à la fin des années 70. Durant les années 80, c'est une vraie course à l'audience qui s'est engagé entre les différents programmes de chaque chaîne destinés à la jeunesse, par animes interposés. Mais quelles sont les raisons de telles audiences ? Qu'est-ce qui a autant plu aux téléspectateurs et qui a ensuite conquis les lecteurs de mangas ?

L'exemple Goldorak
Tout d'abord, nous pouvons analyser le public qui s'est intéressé aux premiers animes diffusés à l'époque. On y trouve le public effectivement ciblé par ces programmes : les enfants. Mais pas seulement. Les adolescents se sont aussi vite intéressés aux animes. Prenons l'exemple de Goldorak : il se différencie des dessins animés occidentaux de l'époque par un scénario de science fiction innovant, d'autant qu'à l'époque, c'est la folie Star Wars qui débute (le premier épisode Un nouvel espoir étant sorti un an plus tôt). Du point de vue de la réalisation, c'est du jamais vu, bien que l'animation soit plus faible que celle d'une oeuvre occidentale. Ce défaut est compensé par une mise en scène dynamique et cinématographique, avec divers types de cadrage, allant du gros plan insistant sur les visages des personnages au plan large laissant place à la contemplation d'un décor. On y trouve également la célèbre technique du face à face entre deux personnages (un de dos, un de face) avec un mouvement ("scrolling") de caméra, simulé par le glissement de deux calques devant un décor. La série comporte également de nombreuses scènes d'action, efficacement mises en scène comme un film de cinéma.

Une narration innovante
L'une des innovations majeures apportées par le manga est que les séries se suivent comme des feuilletons. Ainsi, cela permet de développer des scénarios parfois complexes, contrairement au dessin animé occidental dont les épisodes étaient autant d'histoires séparées qui ne présentaient pas de continuité dans leur déroulement. La trame en feuilleton permet de développer le scénario, mais aussi un univers propre à chaque série, ainsi que des personnages fouillés et aux psychologies parfois complexes. Ces derniers évoluent au fil de l'histoire et engrangent de l'expérience grâce aux évènements qu'ils traversent. Les flashbacks sont d'ailleurs courants dans le manga et surgissent souvent lorsqu'un protagoniste se remémore un évènement particulier. Cette technique est aussi utile pour les spectateurs ou les lecteurs qui auraient manqué un épisode important. Les personnages parfois grandissent et mûrissent, mais ils restent rarement immuables tout le long d'une série.

Des mangas pour tous
Une des particularités du manga est qu'il en existe des styles pour tous les publics. On les classe en plusieurs catégories afin de les différencier et de définir le public auquel ils sont adressés. Parmi les plus populaires, on trouve les mangas de type shônen, destinés à l'origine aux jeunes garçons. Ce genre regroupe de nombreux mangas à succès tels que Goldorak, Captain Tsubasa, Dragon Ball, ou récemment Naruto. Il est le plus souvent question de science fiction, de mecha, d'histoires sportives, de la vie de lycéens ou d'aventures faisant la part belle aux affrontements entre les personnages. Les mangas de type shôjo, destinés aux adolescentes, ont aussi un très grand succès. Ce genre regroupe entre autres des récits de romances (Nana), de jeunes filles aux pouvoirs magiques (Sailor Moon, Card Captor Sakura) et d'histoires sportives ayant comme personnages principaux des jeunes filles (Jeanne et Serge).

S'il y a un marché que les mangas ont réussi à s'accaparer faute de concurrence sérieuse, c'est bien celui de la bande dessinée pour adolescents, grâce à des thèmes jusque là jamais abordés dans la bande dessinée franco-belge. Le shônen et le shôjo sont les deux genres ayant le plus de succès en France. Dans les années 90, lors de leur apparition en France, les jeunes ne se retrouvaient plus dans les bandes dessinées franco-belges. Les Tintin, Astérix et autres, personnages intemporels et immortels, lassent alors les jeunes lecteurs. Ils ne se retrouvent pas dans ces personnages qu'ont connus leurs parents et même leurs grands parents et qui sont tellement éloignés d'eux. Dans les mangas shônen et shôjo, les personnages sont souvent des adolescents. Il est donc facile pour le lecteur de s'identifier à un héros de la même tranche d'âge. Ces héros sont ensuite appelés à évoluer tout au long du scénario du manga, et à côtoyer d'autres personnages charismatiques parfois récurrents qui évolueront de même. Parfois, le rythme de publication soutenu aidant, le héros prend de l'âge en même temps que le lecteur-spectateur, ce qui renforce l'identification et l'attachement à ce héros.

Le shônen et le shôjo ne sont pas les deux seuls genres existants, loin de là. Parmi les plus populaires on trouve les seinen. Ce genre est destiné à la base à de jeunes adultes. Les thèmes abordés dans les œuvres sont plus matures, et la violence (tant visuelle que psychologique) est plus présente et plus crue, bien que présente régulièrement dans certains shônen. Les possibilités de scénarios sont ici très libres, les personnages ont fréquemment des psychologies très étudiées et exploitées en tant que telles par le scénario. Un des plus célèbres mangas seinen est la sanglante épopée médiévale Berserk. Les seinen peuvent aussi aborder des problèmes de société japonais, comme par exemple le système hospitalier dans Say Hello To Black Jack. Les seinen sont très appréciés, entre autres, des lecteurs qui ont vécu pendant leur enfance les grandes heures de l'anime à la télévision pendant les années 80 et 90. Le pendant féminin du seinen est le josei.

D'autres genres plus spécifiques existent, comme les yaoi (romances entre personnages masculins), les yuri (romances entre personnages féminins) ou même les hentai (mangas pornographiques). Il existe vraiment des mangas pour tous les publics, toutes les tranches d'âge, ce qui explique pourquoi ils plaisent à un public aussi large.

On peut aussi évoquer les longs métrages de Hayao Miyazaki qui jouissent d'une très bonne réputation, tant chez le public que chez les critiques cinéma. Ses films ont la particularité de transcender les genres et de ne s'adresser à aucun public particulier, et donc de pouvoir toucher tout le monde. De plus, ils sont toujours empreints d'une certaines poésie et d'une importante connotation écologique. Par exemple, dans Princesse Mononoke, une partie du scénario concerne la survie de divinités animales garantes de la survie de tout un écosystème menacé par l'industrie des hommes. La poésie qui se dégage de l'ensemble évite au message de tomber dans la démagogie et permet au spectateur de s'évader intelligemment tout en s'assurant un divertissement efficace. L'histoire n'est d'ailleurs jamais manichéenne : aucun personnage n'est totalement bon ni totalement mauvais, à l'inverse par exemple des films de Walt Disney qui mettent en scène des vrais méchants de contes, sans véritable nuance.

Un style graphique séduisant
Si les mangas se démarquent et séduisent tant, ils le doivent aussi par leur style graphique si particulier. L'élément le plus récurrent du chara design est la taille conséquente des yeux (constante inspirée par Osamu Tezuka, qui a été sujette à critiques car jugée caricaturale). Les chevelures des personnages sont souvent très étudiées, essentiellement dans les mangas shônen et shôjo, assurant un chara design original et séduisant faisant partie intégrante du charisme du personnage. Selon les thèmes du manga, les tenues vestimentaires sont plus ou moins étudiées. Par exemple, dans un manga dont l'histoire se déroule dans un lycée japonais, les personnages seront forcément vêtus de leurs uniformes de lycéens. Au contraire, dans le cas d'un manga d'heroic fantasy, les tenues de chaque personnage sont pensées jusqu'au moindre accessoire. Un chara design original assure très souvent un grand charisme au personnage, et le lecteur ou le spectateur est donc plus susceptible de l'apprécier.

Le style dynamique de la mise en page et de la mise en scène des actions est aussi essentiel à l'explication du succès du manga. La bande dessinée franco-belge est organisée en cases de tailles pouvant varier mais tout en gardant une forme rectangulaire. Dans le manga, la seule limite pour la mise en page est l'imagination du mangaka. C'est une technique ingénieuse pour rendre le dynamisme de certaines scènes et donner un style moderne au manga, par rapport au format beaucoup plus strict de la bande dessinée classique.

Le fait que les mangas soient imprimés en noir et blanc (avec parfois des trames) et publiés en format "livre de poche" leur procure à la fois un aspect épuré et une dimension pratique et conviviale. Et pour finir sur un argument purement financier, le format réduit implique un prix faible (en moyenne entre 6 et 7€), tout à fait abordable pour des achats réguliers.


Au-delà du manga

Le manga, depuis son arrivée, a pu marquer deux générations de fans. Les premiers l'ont découvert lors de sa diffusion télévisée dans les années 70 et 80. Les autres s'y sont intéressés grâce aux séries des années 90 comme Dragon Ball Z et à l'essor du manga papier à cette même époque, voire à des œuvres plus récentes qu'ils ont découvert pour la plupart via Internet. Mais on peut constater qu'au-delà du manga, il y existe une vraie implication des amateurs français, et même une fascination grandissante envers le Japon.

Des fans impliqués
Dans les années 90 sont apparus ce que l'on appelle des fanzines, c'est-à-dire des magazines conçus et édités par des fans. En 1991, un fanzine intitulé AnimeLand fait son apparition. Il deviendra un magazine mensuel à part entière, publié en kiosques, en 1996, et est toujours en activité aujourd'hui. Il se consacre à l'animation japonaise et au manga en général, mais aussi en partie à l'animation occidentale. En 2006, les Humanoïdes Associés débutent la publication en France de Shogun Mag, un magazine de prépublication comme il en existe au Japon. Il faut savoir qu'au Japon, avant de sortir sous forme de volumes reliés, les mangas sont d'abord publiés dans un magazine de prépublication hebdomadaire, regroupant parfois une vingtaine de chapitres d'une vingtaine d'œuvres différentes. C'est ainsi que les œuvres se font connaître du grand public et leur popularité est régulièrement étudiée via des sondages. Le plus célèbre de ces magazines est le Weekly Shônen Jump, publié depuis 1968 au Japon et ayant l'exclusivité sur les mangas actuels les plus populaires au Japon comme en Occident (Naruto, Bleach, One Piece, etc.). Le Shogun Mag suit le même principe : il publie des extraits de mangas japonais, mais aussi de bandes dessinées Occidentales, voire même françaises, d'inspiration manga. En 2007, Shogun Mag éclate en plusieurs magazines spécialisés par genre : Shogun Shônen, Shogun Seinen et Shogun Shôjo.

Internet est un outil essentiel dans le partage de la passion du manga, et c'est sur la Toile que se réunissent des passionnés de toute la France et même du monde entier. On peut considérer que l'arrivée d'Internet a grandement aidé le manga à se propager et à trouver le succès. Un autre phénomène observé dans le cercle des amateurs de manga est le fansub. Cette activité consiste à traduire des animes et à les sous-titrer. Les fans qui s'adonnent au fansub se regroupent en "teams" et diffusent le fruit de leur coopération sur Internet. Certaines teams ont la chance de compter dans leurs rangs un ou des traducteurs pouvant traduire directement du japonais, mais la traduction se fait généralement à partir du travail de teams de fansub anglophones. Le scantrad suit le même principe que le fansub mais concerne les mangas sous leur forme papier, numérisés puis ensuite traduits.

Le fansub et le scantrad sont un très bon exemple de l'implication des amateurs de manga et de leur volonté de partager leur passion, d'autant que cette communauté est très active et organisée. En outre, ces activités concernent majoritairement des séries qui ne sont pas licenciées et traduites en France, dans un souci évident de légalité (quoiqu'encore discutée), mais aussi par volonté de faire découvrir aux internautes des séries inédites qui auront peut-être la chance d'être diffuées à la télévision française et éditées en DVD, ou publiées en librairies dans le cas d'un manga papier. Ils sont donc un bon moyen de promotion pour des séries avant même leur arrivée sur le sol français, et un indicateur de popularité efficace

Un Japon qui fascine et inspire
Les mangas sont aussi un important vecteur de découverte. La plupart montrent la société japonaise mais véhiculent aussi l'exotisme asiatique, un exotisme qui séduit beaucoup. Le manga fait apprécier le Japon et le Japon fait apprécier le manga. Les amateurs de culture japonaise font découvrir leur passion via des sites Internet. Nautiljon par exemple est une sorte d'encyclopédie collaborative, à l'instar de Wikipédia, mais consacrée à tout ce qui concerne le Japon. Chacun peut y écrire des articles concernant les mangas, la culture japonaise, la musique japonaise (appelée J-Music), le cinéma japonais, les célébrités nippones ou même la cuisine japonaise ! Très complet, il témoigne du fort intérêt porté envers le Japon de la part du web français.

En 1999 est créé un festival français nommé la Japan Expo. Il se déroule au Parc d'Exposition Paris-Nord Villepinte et réunit des expositions concernant le manga, l'anime, le jeu vidéo, le cinéma, la J-Music et la culture japonaise. Ce festival est aussi un prétexte aux manifestations de cosplay, où des fans se déguisent afin de ressembler le plus possible à des héros de manga ou de jeux vidéos et peuvent participent à des concours. La Japan Expo a accueilli en 2008 plus de 120 000 visiteurs venant de toute la France, de Suisse, de Belgique et d'ailleurs.

Le Japon et l'art japonais du manga fascinent aussi les auteurs français de bande dessinée. Le célèbre dessinateur et scénariste de bande dessinée Jean Giraud, dit Moebius, auteur entre autres de Blueberry, collabore avec le japonais Jirô Taniguchi pour Icare, un manga franco-japonais publié en France en 2005. Jean David Morvan a fondé un atelier à Tokyo, en collaboration avec des mangakas japonais. Il est le scénariste actuel de Spirou et Fantasio, et est en partie responsable d'une "mordernisation" de cette série traditionnelle de la bande dessinée franco-belge, empruntant quelques éléments inspirés du manga, notamment au niveau du dessin. Il publiera d'ailleurs en 2006 Spirou et Fantasio à Tokyo avec le dessinateur José Luis Munuera. On assiste également à l'apparition du manga français, surnommés "manfra" dans le jargon spécialisé. Si certains dessinateurs publient des bandes dessinées inspirées par le manga mais dans un format traditionnel, d'autres produisent des œuvres très fortement inspirées du manga et dans le même format que leurs homologues japonais. C'est le cas de DYS, DreamLand ou Dofus (inspiré d'un jeu vidéo français sur Internet).


Conclusion

La France, après 30 ans de manga sur son territoire, témoigne du potentiel et de l'impact de l'imaginaire japonais et de la culture nippone. Depuis que les mangas sont publiés en tant que bandes dessinées, ils font partie des plus grands essors du marché des produits culturels en France, avec entre autres le jeu vidéo. Ils finissent même par toucher les auteurs francophones qui en empruntent des éléments, des codes, parfois pour s'en imprégner totalement, souvent pour compléter un style plus personnel.

Mais qu'on se rassure, la bande dessinée francophone n'est pas prête de s'éteindre : les amateurs d'hier le sont toujours aujourd'hui et certains lecteurs assidus de mangas s'intéressent progressivement à une frange plus occidentale du neuvième art tout en restant fidèles à la bande dessinée japonaise. Toujours est-il que le manga fait partie de notre culture populaire, car la plupart des adultes d'aujourd'hui ont vu leur enfance bercée par les dessins animés japonais que faisaient s'affronter les grandes chaînes de télévision en quête d'audience et de parts de marché.

Cependant on assiste plus récemment à une arrivée en France, timide certes, d'autres bandes dessinées asiatiques : des bandes dessinées coréennes (appelé "manhwa") mais aussi chinoises (les "manhua"). De plus, les éditeurs, profitant du succès du manga, sortent de plus en plus de nouveaux titres, à tel point qu'on en vient à se demander si on ne court pas vers une saturation du marché. Trop de choix tuerait-il le choix ? Cette question est d'autant plus légitime que le manga qui se vend le plus à la sortie de chacun de ses tomes reste invariablement le même : Naruto de Masashi Kishimoto, avec 175 000 exemplaires vendus pour le dernier tome en date.

L'immense succès des mangas aurait-il trop fait tourner la tête des éditeurs ? C'est une question qui mériterait d'être étudiée.
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Re: Le manga et la France : analyse d'un succès
Posté par ephraim le 28/11/2011 16:13:36
Bravo ! C'est vraiment intéressant et ça résume tout ce qu'on peut trouver sur les autres sites. Là ça va plus vite, on perd moins de temps à chercher le bon site. Merci !
Re: Le manga et la France : analyse d'un succès
Posté par cara-nona le 01/08/2009 20:53:52
Je compte en tout 19 paragraphe! Rien que pour cet articles tu mérites tes fliz (même trois par clic ><) Sérieusement quand on compare à certain article qui font 10 lignes bah sa c'est du boulot! Bravo!
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L'auteur : Christophe Gouix
33 ans, Lyon (France).
Publié le 28 mai 2009
Modifié le 25 avril 2009
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