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Le noël de Babel Amstrong

Suite de la première partie de la nouvelle "Le noël de Babel Amstrong".


Insomnie - suite
...
En scrutant ce regard, je prends alors pleinement conscience de l'absurdité de la situation.
Là, dans une ruelle noire, éclairée uniquement par les rayons affables d'une lune délavée. Moi, jeune paumé aviné, un pavé à la main, style mai 68 et lui, l'autre, le gros tas à l'odeur d'after shave.
Cette foutue odeur me donne la nausée.
Je le regarde, dégoûté, il est mon premier contact avec cette société pourrie depuis que je me suis engagé dans la ruelle dégoûtante où j'avais décidé de m'isoler dans la douceur fétide de mes pensées nauséabondes. La vue de cette loque et de ces paquets tombés (l'alcool y étant certainement aussi pour quelque chose) me rend soudain fou de rage. Rage contre l'autre, contre le whisky pas cher, contre les after shave de modistes, contre le silence froid des nuits de noël. Contre moi aussi certainement, mais je suis alors beaucoup trop conditionné par l'atmosphère de la ruelle sordide pour l'accepter. J'ai envi de crier sur le gros, ce déchet tout aussi affreux que moi, cette dégénérescence graisseuse qui reste là, à me regarder comme si j'allais lui tomber dessus, là. Sans quitter ma main le pavé dégoûtant se lève et retombe dans une danse violente.
Et je m'énerve, animé par les plus bas instincts dont la nature ait doté l'homme; mais quoi ? Mais qu'est-ce qu'il a ce gros ! Bah quoi ? Qu'est-ce que t'as à me regarder comme ça ? Oh ? !
Le gros tas se débiner. Ce rat à l'odeur putride gesticule, fait tomber ses derniers paquets et commence à reculer devant l'odeur de whisky bon marché, de fumée... Et devant le pavé encore dégoulinant de neige souillée.
Et bien sûr il finit par tomber, avec la neige rendue plus glissante et ses escarpins de bonhomme de la haute, luisants comme du beurre. Mmmpf ! Tout en lui, même ses chaussures, semble gras...
Et, d'un seul coup, toute ma colère retombe et laisse place à cette ironie purement mécanique et méchante qui fait tant de bien à l'être tout entier; il a complètement salit son pantalon graissé. Le pantalon n'est plus maintenant qu'une tâche moite et sale d'un noir un peu plus profond qu'avant. Le type se relève et me regarde. Il à l'air, pendant quelques microsecondes d'hésiter mais décide, avec cette lâcheté sociétaire d'aujourd'hui, de fuir comme un animal, blessé dans son orgueil de gentleman, dans un succession pathétique de petits gestes saccadés. Je m'autorise un dernier regard vers cette chose informe qui se dandine comme un canard ivre vers l'entrée de la petite rue.
Personne d'autre n'a vu la scène et je rigole encore de l'expression horrifiée des deux petits yeux porcins de l'autre lorsque je me suis approché de lui.
Le pavé est resté dans ma main pendant tout ce temps.
Je peste impulsivement en avançant à travers les paquets et sort de la ruelle. Mon esprit embrumé retourne alors à de profondes errances métaphysiques en se posant nombres questions existentielles telle que : Mais où je vais retrouver un bar encore ouvert à cette heure ? Ou encore C'est qui ce gros type qui vient me saouler avec ses vêtements crasseux... Enfin, non, ses vêtements, ils était plutôt classe. Bah plus maintenant. Euh... C'est la neige... Qui était... Dégueulasse...
Et de m'écrouler sur le bord de la rue.
Je ne me suis pas rendu compte que j'avais autant bu. C'est cette piquette qui me rend comme ça ? J'ouvre à demi les paupières mais les referme presque aussitôt pris d'une migraine affreuse. Ma nouvelle ruelle me semble plus oppressante encore que la précédente. Elle paraît plus minuscule si c'est possible et les murs nu et froids semblent m'entourer et me recouvrir. Je me fait alors la réflexion, dans un dernier effort d'ironie que l'on ne doit pas se sentir mieux allongé dans un cercueil.
Retenue par le mur de droite je me balance, gauche, et tente de sortir d'une léthargie rendue plus virulente par le froid oppressant. Au prix d'un râle plus animal qu'humain, je me détache de la portion de mur salutaire pour me remettre à marcher dans l'hiver, vaguement conscient que si je m'endors par un froid pareil et dans uns rue aussi sordide, je n'aurais que les mouches pour pleurer mon état d'hypothermie.
J'avance comme guidé par la lumière divine dans un dédale obscure, prêt à tomber sur le mythologique minotaure à tout moment. A défaut de cette rencontre absurde, je ne croise sur mon chemin que deux ou trois vieux SDF endormis sous un extraordinaire amoncellement de cartons et de journaux périmés. Leur odeur me révulse, mais me fait reprendre peu à peu conscience de mon corps maintenant frigorifié.
Je finis par trouver une cabine téléphonique taguée et dont une seule vitre a survécue a ce qui aurait pu être une attaque de barbares wisigoth armés uniquement de cailloux. A tâtons je trouve le combiné et insert une pièce d'un euro dans la fente. Je numérote mécaniquement le numéro des renseignements généraux...

Hein ?... Quelqu'un ? Mais non, non j'veux pas y'aller à c'te putain d'refuge m'enfin...
Ah non, ouf, ça va c'est qu'un de ces autpaumés de noël comme il les appelle le vieux Jack. Y s'ont personne personne avec qui bouffer alors y's'partagent la table avec la bouteille mmmpf... Et pis c'ui là il a vraiment l'ait bourré ; comme moi tout à l'heur tien mmmpf... Pff.
Y fait quoi l'con dans c'te cabine, il a même pas capté qu'l'était coupée la ligne ?
Bof. Bah tien j'vais rien lui dire pour voir ! Gard'le le con ! Même pas aussi futé qu'le vieux Jack ! L'vieux Jack y s'est trouvé une bonne bouteille bien pleine avec qui passer la nuit et pis il est bien au chaud sous ses couvertures et son journal ! Alors que l'auty s'traine son p'tit cul glacé dehors tout seul. Paumé !
Pauvre type...

Pas de tonalité ... A moitié ivre encore, je remets l'appareil. Il me faut deux tentatives pour venir à bout de cet absurde combat contre mon tournis intérieur. Alors que je m'apprête à tirer à nouveau le combiné, j'aperçois enfin le fil rouge barré de jaune, coupé, qui pend à la base l'appareil.
Merde !...
Je suis coupé du monde dans une prison froide et venteuse ou je ne peux même pas donner un unique coup de téléphone ! Je jette un coup d'œil en arrière où un vieux SDF se retourne en grommelant dans son sommeil. J'ai vraiment tout gagné : perdu dans un trou à rat avec pour seul compagnon un marginal décadent à l'odeur nauséabonde. Pauvre type !
Impulsivement je me met à rire : maintenant je suis aussi seul que lui, aussi marginal peut-être, aussi gelé sûrement. En fait, si je n'avais pas mon imperméable noir encore clean et plusieurs billets de vingt euros en poche... Et aussi une odeur à peu près convenable pour un être humain.
Une demi heure s'écoule durant laquelle je perds complètement toute notion de temps et d'espace. J'avance, finalement, en traînant les pieds dans un univers morose peuplé de SDF, de journaux périmés et de murs sales et décrépits. Je regarde ma montre, une vieille swatch grisonnante. Il est minuit un 24 décembre. L'heure des lutins rouge et des minuscules étoiles blanches à la lumière blafarde sensées illuminer le visage, lui-même bien plus lumineux, de gamins ensommeillés. Pff... Ce soir je n'ai de rouge que le nez, d'illuminé que mon esprit défaillant. Et de toute façon cette fête d'apparence débonnaire, devenue de plus en plus commerciale avec les années m'est toujours passée au dessus de la tête alors comment comprendre, sinon en invoquant mes derniers relents d'alcoolique, qu'un début de larmes se mette à couler le long de mes pommettes bleuies ?
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L'auteur : Julien V....
36 ans, Orléans (France).
Publié le 27 juin 2006
Modifié le 10 mai 2006
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