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Mary Harriston (1)
Posté par emilymricardo le 21/08/2004 22:21:35
Mary était couchée dans son lit, ses longs cheveux brun foncé éparpillés sur l'oreiller d'un blanc immaculé. Elle avait remonté sa couverture jusqu'au menton, essayant tant bien que mal de réchauffer un peu ses membres gelés. C'était une froide nuit de décembre, un air polaire avait envahit la chambre au coucher du soleil et la ceinturait de son enveloppe glacée.
Elle regarda la petite fenêtre rectangulaire tout en haut des murs gris de sa chambre. La lune était presque pleine ce soir-là. Elle la voyait à travers la vitre salie par la poussière et elle resta un long moment à la contempler. Un de ses rayons s'infiltra alors dans la chambre et vint éclairer son visage pâle de sa lumière d'or.
Mary avait douze ans, elle était petite pour son âge, trop maigre également. Ses cheveux ondulés bien trop touffus qu'elle n'arrivait jamais à coiffer formaient un casque autour de sa tête, si bien qu'elle les attachait constamment. Son visage à la peau claire était illuminé par ses yeux d'un vert bouteille cernés de jaune.
Mary pensait beaucoup pour son âge, beaucoup trop au goût de certaines personnes. Elle pensait à tout et à rien. Et les autres souvent ne comprenaient pas ça, on le lui reprochait même. Dans la vie, disait-on, il ne faut passe poser trop de question, trop réfléchir. Il ne faut pas monter ses sentiments mais au contraire les cacher aux yeux du monde et demeurer avec un visage impassible, toujours...
Elle avait grandit dans une famille qui n'avait jamais voulu d'elle. C'était une enfant non désirée, une erreur. Elle était la cinquième, avait trois frères et une sœur, tous plus vieux qu'elle. Et comme leurs parents, eux aussi n'avaient pas voulu de cette gamine venue des années après eux. Mais Mary était là, et il fallait s'y faire.
Mary avait hérité de la chambre la plus petite et la moins éclairée de la maison. Le chauffage n'y était jamais allumé et il y régnait une odeur douceâtre de moisissure et d'humidité.
"Tu n'as qu'à prendre plus de couvertures ! Il y en des tas dans la cave, mais fais attention à ne pas prendre la grosse doublée, c'est la préférée à ton frère ! Et la bleue est à Vera, alors ne la touche pas, elle y tient ! Prends plutôt celle qui a les trous sur les côtés, celle-là n'est à personne !" Avait décrété Mme Harritson, la mère de Mary, lorsque celle-ci lui avait fait part de la froideur dans laquelle elle vivait.
Et Elle avait obtempéré. Il ne fallait pas faire de caprice quand on vivait dans cette famille et surtout quand on était Mary.
Mary ne trouvait toujours pas le sommeil, les yeux toujours rivés sur le clair de lune qui scintillait dans le ciel. Comme toujours les pensées tourbillonnaient dans son esprit. Cette fois, elles étaient toutes dirigées vers le lendemain, à l'école.
L'école, elle n'aimait pas ça. Elle n'était pas faite pour faire de longues études, bien qu'elle soit plutôt intelligente. Elle ne savait d'ailleurs pas pour quoi elle était faite, mais certainement pas pour travailler durant des heures dans une classe sinistre, avec des camarades qui ne la comprenaient pas et des professeurs aussi ennuyeux que des théières. Non, Mary était faite pour autre chose... Elle se voyait mal travailler des heures dans un bureau ou dans un hôpital. Elle avait des rêves de grandeur, voulait être quelqu'un parmi les autres... Mais qui ? C'était souvent la question qui lui passait par la tête et auquel elle ne trouvait aucune réponse.
"Tu as vu tes notes ? Tu ne seras jamais rien avec ça ! Oh, arrête de nous embêter avec tes problèmes à la noix, de toute façon, tu n'es qu'une gamine qui veut toujours plus !" Avait craché son père lorsqu'elle lui en avait parlé.
- Les notes... Je me fiche des notes... Murmura Mary d'une voix faible en remontant encore un peu la couverture jusqu'à son nez.
Depuis toujours elle se sentait destinée à quelque chose de bien précis, de spécial. Ce sentiment venait du plus profond de son être sans qu'elle ne sache trop pourquoi.
- Ce n'est que des bêtises, je ne suis rien, je ne suis destinée à rien... Je suis comme tous les autres, dit-elle d'une voix faible avant de fermer les yeux.
Un mal sourd lui empoigna l'estomac à cette pensée, mais elle n'y prêta pas attention. Quand on vit dans une famille qui ne cesse de nous répéter qu'on n'est qu'un moins que rien, on finit par le croire, et par le devenir, songea-t-elle avec effroi. Elle se jura intérieurement qu'elle leur prouverait, à tous ces membres cette famille irascible, qu'elle pouvait être bien plus qu'ils ne pensaient.
Alors les pensées dans son esprit se calmèrent et paisiblement, elle s'endormit.
Dehors, la lune brillait toujours, il n'y avait pas le moindre bruit, pas le moindre frémissement du vent qui secoue les branches des arbres, ni le moindre craquement de feuille, rien. Mme Harritson avait ouvert la fenêtre de la cuisine une heure auparavant et s'en était approchée, intriguée par ce silence pour le moins inhabituel. Normalement, il y avait toujours un tas de bruit. Elle et son époux habitaient à côté d'une vaste forêt, or tout le monde sait qu'il y a toujours du bruit dans une forêt ! Elle passa son nez par l'entrebâillement et sentit soudain le froid de la nuit lui frôler le visage. Elle referma brusquement la fenêtre en se massant le visage avec la paume de sa main.
- Saleté de mois de décembre, grinça-t-elle.
Mme Harritson était grande, avec une silhouette décharnée qui la faisait ressembler à un squelette juste recouvert d'un filet de peau grisâtre et terne. Elle avait deux grands yeux globuleux comme ceux d'une grenouille d'un bleu pâle et une bouche aux lèvres si fines qu'on les voyait à peine.
- Tu as dit quelque chose Marcia chérie ? demanda une voix grasse derrière elle.
Elle se tourna vers son mari, M Harritson, avachit dans un fauteuil près d'une large télévision posée à côté de la table à manger.
M. Harritson avait une forte ossature, qui au fil du temps se recouvrait de graisse, un triple menton se balançait au rythme de ses paroles et son crâne tentait péniblement d'être recouvert par quelques épars cheveux blanchâtres.
- Je disais que décembre était vraiment un sale mois, le pire de tous même ! gronda Mme Harritson en reportant son regard sur la fenêtre close.
- Tu as raison Marcy ! Décembre c'est le mois du froid, de la neige, de la pluie et...
M. Harritson se tût en jetant à sa femme un regard éloquent.
- Et le mois de l'anniversaire de Mary, grogna Marcia Harritson.
Elle avait prononcé le nom de sa fille avec répugnance et d'un geste machinal, elle s'essuya la bouche.
- C'est quand déjà ?
- Vendredi prochain... il ne reste que cinq jours... seulement cinq jours...
- On fait quelque chose pour... l'occasion ? demanda M. Harritson d'une voix rauque, avec un air interdit.
- Il n'y a rien à fêter George, sa naissance n'est pas réjouissante ! Nous étions si bien avec les autres ! Et elle... Ah !
- C'est comme ça Marcia chérie, nous n'y pouvions rien.
- Si ! On aurait dut faire attention ! grogna Mme Harritson. Tu aurais dut faire attention !
- Mon Amour, nous avions fais attention, tu le sais bien.
- Pas assez ! Beugla Mme Harritson si fort que son époux sursauta dans son fauteuil.
- Elle devait arriver. Il faut un fléau dans chaque famille, et pour la notre, c'est elle.
- Oui, elle devait arriver... C'est ça... Il ne reste plus que six ans et elle aura atteint sa majorité. Alors... alors on pourra la chasser ! Aha ! déclara Marcia, une lueur folle au fond de ses yeux.
- Nous aurions aussi put la mettre dans un internat quand elle est née... nous pourrions toujours d'ailleurs.
- Je t'ai déjà expliqué que dans ma famille on ne laisse jamais les autres s'occuper de ses gosses, et cela même s'ils sont aussi... aussi horribles qu'elle.
- Je sais, je sais... Tu as raison.
Mme Harritson ferma alors violement les rideaux sur la lune et avec une colère froide, elle dit :
- Je vais me coucher.
- J'arrive à la fin de mon émission.
Avec une hargne décuplée, Mme Harritson monta l'escalier qui menait à sa chambre, une belle pièce aux dimensions respectables, avec un lit à baldaquin au centre. Et tout en se changeant, elle ne cessait de penser :
"Pourquoi, mais pourquoi cette gamine devait-elle naître ?"
Puis elle éteint la lumière brusquement et se coucha.
George était toujours devant son poste de télévision lorsque l'horloge du salon se mit à sonner deux heures du matin. Il réalisa alors que le lendemain il devait se lever pour aller travailler et s'apprêtait à éteindre le téléviseur lorsque le présentateur du journal dit :
- Aujourd'hui, une sinistre découverte a été faite dans le cimetière de Wechminster. En effet, une tombe a été ouverte dans la nuit d'y hier et le corps qu'elle comportait a été emporté. C'est déjà le deuxième de la semaine, le précédent était situé à Marstud. La police a déclaré n'avait encore trouvé aucun indice mais qu'elle faisait tout son possible pour retrouver les coupables de ces horribles actes. Les tombes qui ont été ouvertes sont celle de M. Pierre Poorsoon et de Diane Kleton, mort tout deux à la même date, le vingt-six décembre mille neuf cent, soit il y a pratiquement cent ans...
M. Harritson se figea, son teint blafard prit une teinte violette et il lâcha son verre de bière sur le sol. Le vingt-six décembre, le jour de l'anniversaire de Mary. Tout ce qui lui rappelait ce sombre jour était tout sauf agréable, mais en plus lorsque c'était l'exhumation des corps de personnes décédées cent ans auparavant le même jour... Il y avait de quoi faire froid dans le dos. Il appuya fébrilement sur le bouton de la télécommande avec ses doigts gras et le poste s'éteignit aussitôt, faisant sombrer la maison dans un silence totale. Il se leva lentement, peu sûr de ses gestes, et il monta ensuite l'escalier plongé dans l'obscurité. Il crut sentir une chose le frôler et fit subitement volte-face, il n'y avait personne, juste l'obscurité. Etait-ce le vent dehors qui poussait ce souffle pareil à un soupir ? Les pins de la forêt ne bougeaient pourtant pas ! Il les voyait par la fenêtre, totalement immobiles ! George ne tint pas à vérifier ce qui faisait ce bruit étrange et en passant une main moite sur son front, il gagna sa chambre le plus vite possible, avant que d'autres frissons ne viennent l'effleurer à nouveau.
Au-dehors, le jardin était tranquille, totalement silencieux. Une grosse chouette effraie vint se poser sans un bruit sur une branche du pin situé au bord du large bois. Elle jeta un regard de biais sur la maison endormie. Soudain une ombre sur le parterre de fleures de Marcia Harritson attira son regard. Il n'y avait rien, mais pourtant la chouette s'envola aussitôt et s'enfuie le plus loin possible, de ce jardin et de cette ombre qu'elle avait crut voir, de cette présence inhabituelle qu'elle avait ressentie.

Le lendemain passa lentement pour Mary et l'école fut tout aussi désagréable que les autres jours.
L'école était divisée en deux parties, celle des riches où tout était beau, avec des professeurs reconnus, et celle des pauvres, là où était Mary.
La partie des pauvres était un grand bâtiment de briques suintant la pourriture, aux classes à peine éclairées par quelques vitres et bougies disposées ici et là, des dalles couvertes de poussières qui semblaient n'avoir jamais été lavées et où régnait une forte odeur nauséabonde. Quand on pénétrait dans cette école, on se croyait transporté dans les temps passé, sans électricité ni eau courante. Si on voulait boire ou se laver les mains, on se devait de prendre avec soi un seau pour le plonger dans les puits qui trônait au centre des toilettes. Les maîtres qui enseignaient dans les différentes branches étaient les plus mauvais qu'on puisse trouver. Ils ne connaissaient rien à la matière qu'ils devaient expliquer et ils infligeaient encore des punitions corporelles.
Mary était la seule de la famille Harritson à être dans cette partie-là de l'école. Ses frères et ses sœurs étaient tous allés chez les riches, mais ses parents avaient décidé que pour elle, ce serait différent, comme pour tout le reste d'ailleurs. Et c'est ainsi qu'à quatre ans elle se retrouva dans la partie pauvre de l'école.
Il n'y avait que le préau qui rassemblait les élèves riches et pauvres, c'était le seul endroit où ils étaient mélangés.
Mary détestait la pause, elle appréhendait chaque jour ce moment car il ne s'en passait pas une où elle ne subissait pas de moqueries de la part des riches. Avec ceux de sa classe, ce n'était pas non plus facile, et durant les cours, elle s'obligeait à garder la tête baissée et de ne rien dire. Elle savait que si elle ouvrait la bouche, elle subirait immédiatement les railleries des autres.
Elle devait se taire, c'est tout.
Persifla Marston vint la retrouver à la grande pause de dix heures, au milieu du préau. Persifla était une fille rousse aux multiple tâches de rousseur et à l'air railleur. Elle avait noué ses cheveux en deux tresses, mais étrangement disposée sur le côté droit de son crâne, près de son oreille.
- Eh, mais c'est Mary la pleurnicharde ! s'exclama-t-elle lorsqu'elle arriva à sa hauteur.
- Je ne suis pas pleurnicharde, répondit simplement Mary en se détournant pour ne pas avoir à affronter l'autre.
- Si, si... Tu es Mary qui pleure tout le temps. C'était pour quoi déjà l'autre jour ? Vendredi c'est ça ? Hum... Ah oui, je m'en souviens ! C'était parce que Pierce a abattu ce moineau minuscule !
- Il n'avait pas le droit ! C'était horrible ! s'écria soudainement Mary.
- Pff... tu es misérable. Ce n'était qu'un oiseau. Tu fais pitié Mary-la-folie.
- Fiche le camp ! ordonna Mary sans la regarder.
- Oh, tu vas quand même pas pleurer ? Si ?
- Vas-t-en.
- Non, je suis très bien là, avec toi ! refusa Persifla avait un reniflement moqueur.
- Très bien, alors c'est moins qui part.
- C'est ça, fuie ! Tu crèves de trouille, tu es tellement peureuse !
Et Persifla éclata d'un rire goguenard en regardant Mary s'éloigner vers un coin sombre du préau. Les autres qui n'avaient pas perdu une seule miette du spectacle lançaient de basses insultes sur son passage.
Elle s'assit loin des regards, sur un banc de bois miteux, à l'ombre d'un large escalier de pierre. Oui Persifla avait raison, elle n'était pas courageuse du tout. Elle aurait du lui en filer une à cette pimbêche au lieu de partir comme ça. Elle aurait dut lui dire qu'elle n'était qu'une sale gosse de riches pourrie gâtée.
Elle voudrait tant être intrépide et faire face aux gens sans crainte comme tant d'autres le faisaient.
Le reste de la journée, elle ne cessa de penser à ce que Persifla lui avait dit, ça la travaillait. Elle y songea durant le cours de français, d'allemand et de mathématique. Ces insultes ne la quittèrent pas non plus lorsqu'elle rentra chez elle, ou même lors du repas où personne ne lui adressa la parole, juste quelques regards de dégoût. A la fin, sa mère lui ordonna de ranger la cuisine et de faire la vaisselle. Il y avait une montagne d'assiettes sales dans le lavabo mais elle obéit sans discuter, elle n'aurait jamais le dernier mot de toute façon. Mais alors qu'elle s'approcha de l'évier, les paroles de Persifla vinrent à nouveau la hanter :
"Tu es tellement peureuse !". Elles résonnèrent dans son crâne avec force. Elle se mordit la lèvre de colère. Alors, elle serra le torchon qu'elle utilisait normalement pour laver et elle se retourna brusquement.
- Je ne veux pas le faire, dit-elle avec vigueur. A peine eu-elle fini sa phrase qu'elle la regrettait déjà, mais c'était trop tard.
Ses parents la dévisagèrent, bouche bée. Son père fut le premier à réagir.
- Tu quoi ?
- Je ne veux pas le faire, répéta Mary. C'est toujours moi qui le fais. Ce pourrait être un peu les autres aussi, c'est injuste.
- Parce que tu crois qu'on se préoccupe de ce que tu penses ? Lave cette vaisselle.
- Non.
- Fais-le !
- NON ! cria Mary.
George Harritson la gifla alors de toute la force dont il était capable et elle vacilla.
- Fais-le, grinça-t-il.
Elle ramassa le torchon qui était tombé sur le sol et sans un mot, elle se tourna vers les assiettes, s'avouant vaincue. Elle ne pouvait rien contre ses parents, ils étaient trop forts. Mais en cet instant, elle se sentait étrangement bien. Même si c'était durant un court moment, elle leur avait résisté. Ce que ça pouvait être agréable de ne plus se sentir si minable, ça valait bien une claque.
Et ce fut avec un sourire aux coins des lèvres qu'elle lava soigneusement la vaisselle. Elle avait gagné un peu de la bataille pour une fois.
Mary demeura éveillée pendant une bonne partie de la nuit du lendemain, les yeux encore rivés sur la lune toujours un peu plus ronde. Ce serait le vingt-six décembre, date de son anniversaire, qu'elle serait pleine. Elle entendait des bribes de paroles provenir du poste de télévision, comme toujours allumé pour son père. Ça parlait de cimetière d'après ce qu'elle entendait. Puis soudain un brusque cri de son père la fit tressaillir :
- OH NON ! ENCORE UN !
Elle ne comprenait pas ce que pouvaient bien signifier ces paroles prononcées avec une certaine frayeur dans la voix. Soudain, elle entendit la voix glacée de sa mère dire :
- Qu'est-ce qu'il y a George ? Ça ne va pas d'hurler comme ça ?
- Ils... ils ont encore enlevé un corps !
- De quoi tu parles ? interrogea Mme Harritson avec une pointe d'exaspération.
- Dans un cimetière, un corps a été volé ! C'est le troisième en une semaine !
- Et alors ?
- Alors les trois corps sont décédé le vingt-six juin il y a cent ans pratiquement ! s'exclama George d'une voix aiguë comme étranglée.
Mary ne bougea plus dans son lit sous le coup de cette nouvelle. Elle entendit un bruit de verre cassé et une exclamation perçante de sa mère.
- Tous les trois étaient morts il y a cent ans, le vingt-six décembre ?
- Oui !
- Eh, bien ça alors !
- Ça fait peur, non ?
- Certes un peu... mais... voyons George... ce ne sont que des coïncidences, ce ne peut être que ça.
- Dans quatre jours maintenant nous serons le vingt-six Marcy ! Et ce sera le treizième anniversaire de... d'elle.
- Chut George ! Parle moins fort !
- Désolé chérie... C'est que je trouve ça terriblement frustrant !
- Allons, je te dis que ce ne sont que les fruits du hasard ! Des tas de gens sont naissent et meurent un vingt-six décembre ! Il n'y a pas que... qu'elle, déclara Mme Harritson comme si elle voulait s'en convaincre.
Il y eu une long silence pesant, Mary sentait son cœur battre avec force dans sa poitrine.
- Tu... tu as raison Marcia chérie. Ce ne sont que des coïncidences ! Je suis bête de m'en faire ! finit par dire George en tapant du poing sur l'accoudoir du fauteuil
Il poussa ensuite un long soupir de soulagement.
- Viens te coucher et éteint moi cette stupide télévision ! Ne vas pas te mettre des idées folles dans la tête !
- Je... oui... c'est vrai... j'arrive tout de suite.
Mary entendit les pas de ses parents au-dessus d'elle et une porte claquer. Elle se retourna dans son lit, repensant à ce qu'elle venait d'entendre. Trois corps en une semaine, mort à la même date, il y a pratiquement cent ans. C'était étrange. De sombres pensées vagabondèrent dans sa tête. Il faudrait qu'elle se renseigne le lendemain sur ces corps déterrés, c'était morbide mais il fallait qu'elle le fasse.
Un bruit retentit soudain au bout de la chambre, Mary s'assit d'un bond sur son lit. Quelque chose était tombé et roulait sur le sol jusqu'à son lit. C'était un gros sablier de bois vieillit et noirci, contenant des milliers de grains de sable. Mary le prit d'une main hésitante. Dessous, sur le bois, il y avait gravé : 13. Elle lâcha aussitôt le sablier, comme brûlée et le regarda rouler un peu sur le sol avant de revenir vers le pied de son lit comme aimanté. D'où venait-il ? Elle ne l'avait jamais vu auparavant dans cette chambre, et elle n'était pourtant pas bien grande pour qu'il puisse lui avoir échappé.
Alors instinctivement elle le reprit, et doucement, elle le retourna et le posa sur sa table de nuit, le chiffre "treize" brillant sous les rayons de la lune, le sable doré s'écoulant lentement.
Au loin, elle entendit minuit sonner...

Le mercredi matin elle fut réveillée en sursaut par son frère Marcelin, un garçon dodu de deux ans son aîné. Il avait un visage rougeau à la peau rugueuse, des cheveux plaqués sur le crâne à l'aide d'une épaisse couche de vaseline grasse, une bouche pratiquement dépourvue de lèvre tout comme sa mère et un gros nez épaté qui le faisait ressemblé à un cochon.
Marcelin s'approcha à pas de loup jusqu'à l'oreille de Mary. Il prit sa respiration et...
- DEBOUT ! hurla-t-il au creux de son oreille d'une voix de porcelet and la secouant Mary sans vergogne, la faisant presque tomber du lit.
Bien qu'ayant bientôt quinze ans et demi, il n'avait toujours pas mué et avait la même voix que lorsqu'il avait huit ans.
Mary se débattit et voulu se retourner vers le mur pour échappé à son frère. Ce dernier lui prit les pieds et les tira hors du lit.
- DEBOUT ! répéta-il alors qu'elle tombait sur le sol.
- Qu'est-ce qu'il y a ? grommela-t-elle en tentant de se relever, ses genoux étaient tout rouges après avoir frappé le parquet moisi de la chambre.
- On doit aller faire les courses ! Bouge-toi un peu !
- Oui, oui... j'arrive, dit-elle en se dirigeant vers son armoire d'habits.
"Armoire" était un grand mot pour désigner la caisse de bois où traînaient les anciens habits de Vera et qui lui servait de garde-robe, la grande sœur de Mary.
Vera était une fille de seize ans, qui devait bien faire le double de sa taille et ses habits étaient dix fois trop longs pour elle. Mais Mary ne s'en plaignait jamais, à quoi bon de toute façon ? Elle attrapa un pantalon qu'elle dut replier cinq fois pour qu'il lui aille et un pull mauve dont le bas lui arrivait aux genoux. Elle poussa un soupir en se voyant attifer de la sorte et attacha ses cheveux.
Puis elle sortit.
Ses parents l'attendaient en tapant du pied devant la porte d'entrée. Ils ne la saluèrent pas, au contraire : ils grimacèrent. Mary qui était habituée à ces réactions ne dit rien et s'affaira à lacer ses chaussures.
- C'est le moment ! grogna dans son dos Alfred et Peter, les deux derniers frères de Mary.
Ils était jumeaux et se ressemblaient à un tel point qu'elle avait parfois de la peine à savoir qui était qui, et comme ils ne voulaient jamais passer du temps avec elle, ça n'arrangeaient rien à ce problème.
Ils étaient grands et costauds, avec des visages ronds à la teinte de lait caillé, des yeux de la taille d'œuf et des nez longs et pointus.
- J'arrive, souffla Mary en enfilant un imperméable vert ou elle dut remonter les manches pour pouvoir laisser voir le bout de ses doigts, mais les autres étaient déjà sortis sans l'attendre et lui avaient claqué la porte au nez.
Elle éteignit les lumières de la maison en essayant d'effacer ce sentiment désagréable qui lui enserrait la gorge.
Dehors, le temps était sombre, des nuages couvraient le ciel et une pluie fine lui griffa le visage lorsqu'elle sortit. Elle courra jusqu'à la grosse voiture de ses parents mais lorsqu'elle ouvrit la porte les frères jumeaux lui dirent :
- Vas dans le coffre, y a plus de place ici !
La porte du coffre était déjà ouverte et Mary résignée s'y dirigea. Elle se coinça péniblement entre les corbeilles pour les courses et le matériel pour changer une roue et elle entendit ses frères et sa sœur s'esclaffer sur la banquette arrière.
Le trajet en voiture fut très inconfortable pour Mary, elle était secouée dans tous les sens, et lorsque M. Harritson freina, pour éviter un cycliste d'après ce qu'elle entendu, elle fit tomber une bouteille d'huile de vidange. Le liquide graisseux s'écoula sur son imperméable jusqu'à ce qu'elle réussisse à trouver le bouchon qui avait roulé de l'autre côté du coffre.
Lorsqu'elle sortit de la voiture après une demi heure, sa famille la dévisagea avec des yeux ronds. Une grosse tache brune s'étalait le long de sa fermeture éclaire.
- Qu'est-ce que t'as fait encore ? grinça sa mère en montrant la tache d'un doigt maigre et noueux.
- J'ai renversé l'huile de vidange lorsque père a freiné tout à l'heure, expliqua-t-elle d'une voix faible en baissant les yeux vers ses chaussures.
Marcia Harritson sembla doubler de volume, ses joues et sa poitrine se gonflèrent sous l'effet d'une brusque colère, alors que George s'était déjà précipiter dans le coffre.
- Aaaaaaaaaaahhhhhhhhhh ! TU EN AS MIT PARTOUT ! hurla-t-il soudain.
Mme Harritson poussa une exclamation suraiguë avant d'aller voir le désastre.
- Mais non, j'en ai juste mit sur ma veste, je ne...
- VIENS ! ordonna sa mère d'une voix perçante qui lui attirèrent les regards indignés d'une femme et de son mari, tout deux d'un âge fort respectable, qui allaient chercher un chariot pour leurs courses.
Mary s'avança d'un pas hésitant jusqu'à l'arrière de la voiture où l'attendaient ses parents, l'air aussi enragé que lorsque, sans faire exprès, elle avait mit le feu aux rideaux du salon. En fait ce n'avait même pas été sa faute, c'était Marcelin qui l'avait enflammé, mais il avait accusé sa sœur et ses parents ne l'avaient pas crut et l'avait traité de menteuse.
Mary arriva à la hauteur de ses parents et regarda dans le coffre. Il n'y avait rien.
- Je ne vois pas de... de tâche, dit-elle après un moment.
- Et ÇA c'est QUOI ? s'écria son père en montrant dans le côté gauche une minuscule tâche graisseuse d'un centimètre de diamètre.
- Ça ? Mais c'est tout petit... s'indigna-t-elle d'une voix faible.
- Petit ? PETIT ? Tu entends ça Marcy ? Cette tâche est petite ! Non Mary, il prononça son nom avec une grimace de dégoût, cette tâche n'est pas petite ! Ça va nous coûter une fortune à nettoyer !
- Je suis désolé, murmura Mary en détournant la tête pour ne pas voir ses trois frères et sa sœur qui pouffaient de rire derrière leurs parents.
- Ce sera prit sur ton argent de poche, tu peux en être certaine ! beugla son père.
Mary serra les dents, elle ne recevait comme argent de poche qu'un seul et maigre franc toute les deux semaines, à peine assez pour acheter un paquet de friandises.
- Très bien, lâcha-t-elle au bout d'une minute.
Son père souffla comme un buffle en la regardant, sa mère était toujours aussi enflée de colère, mais Marcelin cria :
- J'ai faim ! Faut qu'on aille acheter à manger !
- Oh oui, mon chéri ! C'est vrai ! s'exclama Marcia Harritson en se tournant vers lui avec un grand sourire, avant de regarder Mary une dernière fois.
- Tu as intérêt à te tenir tranquille ! Je savais qu'on n'aurait pas dut la prendre avec nous George !
- Tu avais raison mon Amour, comme toujours d'ailleurs. La prochaine fois on la laissera à la maison, elle la nettoiera comme ça.
- Quelle bonne idée mon chéri ! Viens toi ! Vas chercher le chariot ! dicta-t-elle à Mary en lui lançant un regard noir.
Elle lui tendit une pièce de deux francs et elle et son mari accompagnés de leurs enfants se dirigèrent vers l'entrée du grand magasin.
Mary marcha d'un pas lent jusqu'aux chariot accroché un peu plus loin et mit la pièce dans un d'eux. Elle le tira, mais il restait coincé. Elle recommença, mais ce fut pour le même résultat.
- Zut !
Elle regarda sous le chariot mais rien ne le bloquait. Elle tira encore, mais rien.
- Attendez ! s'écria une voix calme derrière elle.
Elle se retourna et trouva une grande et vieille femme, aux longs cheveux argentés qui lui descendait jusqu'à la taille.
- Je vais vous aider, ça se bloque souvent ces machins-là, lui dit-elle avec un sourire.
Elle se tourna vers le chariot et sans que Mary vit comment elle s'y était prit, elle le dégagea.
- Voilà !
- Merci beaucoup madame, vraiment, remercia-t-elle, intimidée.
- Oh ce n'est rien ! C'est bien de servir à quelque chose parfois à mon âge... Enfin... Tenez, voici pour vous, murmura-t-elle ensuite en sortant d'une poche de sa veste de tweed un objet doré très étrange.
C'était une sphère de fils doré et au centre de celle-ci, il y avait une bague qui tournoyait sur elle-même dans le vide.
- Que... qu'est-ce que c'est ? balbutia Mary en contemplant le magnifique objet que la femme lui avait mit dans les mains.
Elle eut un sourire bienveillant.
- Tu comprendras bientôt.
- Je... je...
- Je dois te laisser, aujourd'hui le temps est très précieux. Ne t'inquiète pas, bientôt tu auras toutes les réponses. Je te reverrai.
- Merci madame, souffla Mary en caressant d'un doigt la sphère.
Elle garda son regard quelques instants sur la bague d'émeraude qui tournait toujours et lorsqu'elle releva la tête pour dire au revoir à la femme, elle vit qu'elle avait disparu. Elle n'était plus nulle part dans le parking. Elle resta une minute à chercher autour d'elle avant de ranger l'objet dans une poche de sa veste avec précaution. Ensuite, elle prit le chariot et s'en alla retrouver ses parents.
- T'en as mit du temps ! s'exclama Vera de ce ton mesquin qui lui était coutumier lorsqu'elle s'adressait à Mary.
- Tu parlais aux chariots ou quoi ? demanda Peter avec un rictus moqueur.
Mary tâta d'une main la sphère dans sa poche.
- J'avais un problème, il était coincé... dit-elle ensuite d'un air vague.
- Hum... Tire-toi, on n'a pas le temps de causer avec toi ! grogna Alfred en lui balançant un sac de pommes dans les bras.
En silence, elle le rangea et suivit sa famille dans les grands rayons du magasin. Parfois, elle enfonçait ses doigts dans sa poche et faisait tourner l'étrange objet. Elle ne cessait de se répéter les paroles de la vieille femme un peu plus tôt. Bientôt elle aurait les réponses à ses questions, elle frémissait déjà d'impatience. Le sablier la veille avec le chiffre treize gravé dans le bois qui était retourné sur son bureau et dont les perles de sable s'écoulait lentement, et aujourd'hui cet femme qui lui donnait cet instrument qui brillait de mille feux comme si une flamme se consumait dans chaque fil.
Et aussi, elle y repensa soudain, ces trois corps déterrés et qui étaient décédés cent ans auparavant. Il faudrait qu'elle regarde le journal télévisé ce soir, quand tout le monde serait en train de dormir, elle irait allumer la télévision dans le salon, pour la rediffusion de quatre heures du matin.
- Eh ! Tu te réveille ou quoi ? s'écria une voix près de son oreille. En sursaut, elle émergea de ses pensées et trouva Marcelin qui lui tapait sur l'épaule avec un journal plié.
- Que... quoi ?
- Les parents veulent que tu pousses le chariot jusqu'à la voiture et que tu commences à ranger les affaires dans le coffre pendant qu'on va faire quelques achats.
- Quoi comme achats ?
- Rien qui ait à voir avec toi ! Aller, grouille-toi ! dit-il en la poussant de ses deux grosses mains pleines de gras, apparemment, il s'était gavé un peu plus tôt de rognons frits, un plat qu'il affectionnait particulièrement.
- Laisse-moi ! s'exclama Mary, mais Marcelin l'avait déjà lâchée en faisant un brusque saut en arrière.
Il regarda ses mains qui avaient prit une teinte étrangement mauve.
- Comment tu as fait ça ?
- Quoi ?
- Ça m'a brûlé ! Tu m'as brûlé !
- Mais non, pas du tout, tu as dut halluciner ! protesta-t-elle sans pour autant pouvoir ignorer que les paumes de son frère devenaient de plus en plus violettes.
- MAMAN ! hurla ce dernier en courant vers sa mère qui l'attendait à cent mètres de là.
Quand elle vit les mains de son fils, elle poussa un cri aigu et appela à tout va un médecin.
- A l'aide ! Un docteur ! A l'aide !
- Qu'est-ce qui t'es arrivé fils ? demanda M Harritson d'une voix bourrue. Vas-y raconte-nous.
- C'est Mary ! C'est elle qui m'a brûlé !
- Mais non ! Je ne sais pas comment ça s'est passé mais je n'ai rien fait !
Mais ses paroles furent noyées dans le torrent de jurons que déversa son père en la prenant par l'épaule et en l'amenant au-dehors avec brutalité.
- Alors comment ça tu brûles ton frère ? Tu es une vraie malade ou quoi ?
- Je n'ai rien fait père, rien du tout ! Il m'a poussé, il y a dut avoir de l'électricité statique et ça lui a fait mal ! Mais je n'ai rien fait !
- Menteuse ! MENTEUSE ! Tu vas voir ! Tu seras punie, ah ça oui ! Tu vas rester dans ta chambre et tu ne sortiras que pour faire le nettoyage à fond de la maison lorsque nous seront partis pour l'école ou le travail !
- Mais je dois aller à l'école moi aussi !
- On s'en fiche ! Ça ne t'a jamais préoccupé auparavant d'y aller ! Tu ne mangeras pas avec nous non plus ! Ah, peste ! Tu martyrises ton frère ! Je savais que tu étais horrible !
- Je n'ai rien fait ! Ce n'est pas moi !
- Alors c'est qui ? Les trois petits cochons ? Allez, avoue !
- Non !
Mary ne vit pas la claque arriver, mais elle la sentit bien. Elle planta son regard dans celui venimeux de son père et imaginait tout ce qu'elle aimerait lui faire subir comme châtiment.
Presque Aussitôt, il poussa une exclamation en sautant violemment. Il se retourna, ses deux mains étroitement crispées sur son gros derrière.
- Qui a fait ça ? hurla-t-il.
- Quoi ? dit Mary en ouvrant de grands yeux étonnés.
- Tu l'as vu ?
- Qui ?
- Celui qui m'a donné un coup de pied ! Où est-il ? OÙ EST-IL ?
- Mais il n'y avait personne !
- Raaah ! Tu ne veux pas me dire qui c'est ! Tu me le caches !
- Mais non père ! Je le jure, il n'y avait personne !
- D'abord tu martyrises ton frère, ensuite tu protèges le vaurien qui m'a frappé !
George Harritson respira lentement, deux grosses traînées roses marbraient ses bajoues.
- Vas à la voiture et range ça ! Après tu te mettras dans le coffre, comme pour l'aller.
- Il n'y aura pas de place !
- Et bien tu en trouveras ! Vas-y maintenant avant que je t'en refile une ! ordonna-t-il en la menaçant de sa grosse main aux doigts tout boudinés.
Elle lui jeta un regard noir et sans rien ajouter, elle se détourna et alla à la voiture se coincer entre les bouteilles de limonade d'un rose fluo et la charcuterie.
Lorsqu'elle arriva chez elle, elle alla directement à sa chambre et s'y enferma. Sa joue lui faisait encore un peu mal mais elle n'y prêtait pas attention. Elle avait prit le petit objet doré de sa poche et l'avait posé sur le lit à côté d'elle. Elle l'examinait sous toutes les coutures mais ne comprit pas comment il pouvait bien marcher. Elle remarqua qu'il y avait une espèce de petite serrure sur le dessus de la sphère mais étant donné qu'elle ne possédait aucune clef pour l'ouvrir, cet étrange instrument restait un total mystère pour elle, pourtant elle ne se lassait pas de le contempler.
Au bout d'un long moment, elle le posa à côté du sablier sur la table de nuit. Pour une fois, elle était contente que ses parents ne viennent jamais dans sa chambre, ils n'apprécieraient certainement pas ces objets bizarres arrivés ici dans de mystérieuses circonstances. Ses frères et sa sœur aussi ne venaient qu'extrêmement rarement, ils détestaient mettre les pieds dans cette pièce sombre et minuscule, il n'y avait donc pas trop de risque. De plus ils étaient bien trop bêtes pour ne prêter attention à ce qui les entourait où que ce soit.
La nuit tombait déjà alors qu'il n'était même pas encore cinq heures. Il régnait dans la chambre une température glaciale et Mary avait déjà enfilé quatre pulls l'un par-dessus l'autre. Pourtant le froid polaire collait à sa peau comme si elle ne portait rien. Elle s'enfila sous les couvertures de son lit et regarda le sablier. D'ici deux jours elle allait avoir son treizième anniversaire, comme le chiffre marqué sur le bois et elle était persuadée que le jour ou le dernier grain de sable tomberait, ce serait le jour de son anniversaire. Ainsi un compte à rebours avait commencé le soir où elle l'avait reçu et il lui tardait qu'enfin il finisse, elle voulait savoir pourquoi toutes ces étranges choses se passaient ces derniers temps.
Quelques instants plus tard, elle entendit son nom crié du haut de l'escalier suivit d'un grand bruit. Lentement elle ouvrit la porte de sa chambre. Une gourde d'eau et un bocal de riz gisaient au bas des marches.
- Ton repas ! hurla sa mère au-dessus d'elle en lui lançant un regard haineux. Ton père va venir fermer ta porte tout à l'heure quand il aura finit de lire le journal !
- Oh non... la punition, murmura Mary, elle avait complètement oublié cette punition injuste, mais il était certain qu'elle n'y échapperait pas.
- Qu'est-ce que tu dis ? demanda Marcia de sa voix pointue comme un souffle glacé.
- Rien, rien...
- Bien, alors vas dans ta chambre tout de suite et ne discute pas !
- Je ne discute pas, maugréa Mary avant de se détourner pour revenir dans la pièce exiguë et sombre.
Elle s'assit sur le lit et posa le maigre repas sur ses genoux, c'était ce qui pouvait le mieux servir de table. Le riz semblait sortir du congélateur tellement il était froid, et l'eau, au contraire, était tiède, presque chaude. Elle avala le tout en quelques secondes et quand elle eut finit, elle entendit la clef tourner dans la serrure de sa chambre. Ainsi son père avait finit sa passionnante lecture. Il ne lui dit pas un mot et elle entendit son pas lourd faire vibrer les murs lorsqu'il remonta l'escalier.
Son ventre gargouillait alors qu'elle éteignait la petite lampe de chevet qui diffusait une mince traînée de lumière jaunâtre dans la chambre. Puis, elle s'enfonça le plus possible dans son lit, ne laissant dépasser de la couette que ses yeux pour qu'ils puissent voir la lune.
Bien que le manque de sommeil des nuits passées se fasse cruellement sentir, Mary ne s'endormit pas. Elle attendait le journal de dix heures, son père ayant manqué celui de huit heures à cause du repas familial. Elle voulait savoir si un nouveau corps avait été déterré. Et étant donné que son projet d'aller voir la rediffusion de quatre heures était tombé à l'eau, il ne restait que cette solution.
Les minutes passèrent, interminables. Pour passer le temps, Mary s'affaira à compter les étoiles qu'elle voyait par la fenêtre, mais elle laissa vite tomber, il y en avait trop. Elle voulu rallumer sa lumière, mais pour faire quoi ? Elle n'avait pas de livre à lire car malgré sa passion pour la lecture, ses parents lui avaient toujours interdis d'en amener à la maison, selon eux, les livres c'étaient des trucs pour les gamins de l'ancien temps.
Enfin, dix heures sonnèrent en même temps que le jingle du journal télévisé. Elle entendit son père grogner de contentement :
- Raahh, enfin ! J'ai envi de savoir si mon équipe de football a gagné lors de leur match cet après-midi ! l'entendit-elle expliquer à sa mère.
Mais son bonheur fut de bien courte durée.
- Aujourd'hui, une nouvelle tombe a été déterrée dans le sud de la ville, à Port Island. Les ravisseurs sont venus dans la nuit et ont ouvert le tombeau d'un certain McLoan, décédé lui encore il y a pratiquement cent ans, le vingt-six décembre mille neuf cents. Il est le quatrième dans notre ville et nous avons apprit il y a quelques heures que de très nombreuses sépultures ont été également exhumées depuis une semaine dans tout le pays, la liste dépasserait même les deux cents tombes. De nombreuses questions se posent aujourd'hui un peu partout. Qui peut bien réussir à retirer tous ces morts chaque nuit sans ne laisser aucune trace pour les enquêteurs ? La police nous a indiqué que toujours aucun indice n'a été retrouvé. Nous allons maintenant retrouvé dans le cimetière de McLoan notre envoyé spécial Patrick Senderson. Monsieur Senderson, avez-vous en ce moment quelques nouveaux éléments de l'enquête qui ne semble pas beaucoup avancer depuis une semaine presque ?
- Bridget arrête de me m'embêter avec ton pinceau plein de poudre ! Non je n'ai pas besoin de me remaquiller ! Que... Pourquoi tu me fais des signes ? Non je ne veux plus sortir avec toi ! Que dis-tu ? Qu... Quoi ? On passe à l'antenne ? Et m... Je... Ah... Bon... Bonjour, ici Patrick Senderson. Oui, en effet Douglas, je peux apporter quelques nouvelles fraîches que nous venons tout juste d'apprendre par la bouche de l'un des policiers mené de cette tortueuse enquête.
- Lesquels ?
- Eh bien, il se trouve qu'après avoir fouillé dans le passé des gens dont les tombes ont été exhumées qu'ils avaient tous un lien entre eux. En effet, ils sont tous morts le même jour et au même endroit ! Ces quelques deux cents personnes, dont le nombre pourrait bien encore s'allonger d'ici quelques temps, ont été retrouvé sans vie voilà cent ans dans la campagne de Walbrit. Certaines personnes de mon équipe se sont rendues là-bas pour essayer de trouver plus de renseignements quand aux circonstances de leur mort, nous pourrons certainement vous en dire plus d'ici demain ! En tout cas, nous sommes face à une sérieuse énigme qui nous donnera, je suis sûr encore bien du fil à retordre. C'était Patrick Senderson au cimetière de McLoan.
- C'EST PAS POSSIBLE ! s'exclama M. Harritson un étage au-dessus de Mary en frappant ses pieds par terre. DEUX CENTS TOMBES !
- Au nom du ciel, ce n'est pas croyable ! s'époumonait sa femme d'un ton aiguë qui fit dresser les cheveux sur le crâne de Mary.
Mary, elle, avait déjà fermé les yeux. Elle avait entendu ce qu'elle voulait et emportée par la vague de sommeil qui depuis des heures essayait de prendre le dessus sur son envie d'entendre le journal, elle s'endormit.
Au salon, l'atmosphère n'était pas à l'assoupissement. George faisait les cents pas dans le salon en jetant des regards venimeux au poste de télévision qui continuait de lancer des nouvelles à tout va. Marcia avait ses ongles largement enfoncés dans ses joues, ses grands yeux ouverts fixaient son mari.
- George... Tu ne crois pas que tout ça aurait un rapport avec... avec elle ?
- Groum... Allons non ! Il n'y a aucun raison que ça ait un quelconque lien avec cette maudie gamine !
- Mais tous ces personnes déterrées la veille du centenaire de leur mort, c'est... étrange !
- Non, c'est sûrement un coup monté pour terroriser le pays... Ce doit être le gouvernement ! Tu sais comment ils sont là-bas ! Sûrement pour les présidentielles dans trois mois ! Oui, ce doit être ça...
- Ils... ils sont tous morts le même jour et au même... même endroit George...
- Marcy chérie, c'est très bizarre, d'accord, mais pourquoi est-ce que ça aurait un rapport avec... elle ? C'est toi qui me disait hier ou avant-hier soir que je me mettais des idées folles dans la tête, et que tout ça n'était dû qu'au hasard. Et voilà qu'aujourd'hui tu...
- Tu m'as dit l'autre jour... tu m'as dit : elle devait arriver...
- J'ai dit ça comme ça ! grogna M. Harritson avec un geste vague de la main comme pour chasser une mouche.
Malgré ses paroles, une goutte de sueur perlait près de sa tempe.
- Mais, et si elle devait arriver ? On avait tout fait pour ne plus avoir d'enfants George, tu te rappelles ?
- Hum, oui.
- Et elle est quand même venue ! s'écria soudainement Marcia.
- Et alors ? On n'a pas du faire assez attention !
- Non ! Non ! Je te dis que c'est... que c'est le DIABLE !
- Arrête de dire des bêtises !
- Allons, elle n'est pas comme les autres enfants, elle est bizarre ! Je te dis que c'est le mal personnifié !
- Laisse ça de côté ! Je te dis qu'elle n'a rien à voir avec ces tombes exhumées, ok ? Et quel lien pourrait-elle avoir avec tout ça ? Hein ?
- Ce... ce doit être elle qui va toutes les déterrés ! Pour... pour nous faire peur à nous ! Pour se venger !
- Et comment s'y aurait-elle prit pour faire ça dans tout le pays en l'espace d'une nuit ?
- Je te dis que c'est le Diable !
- Tu es fatiguée Marcia mon Amour. Viens dormir, de toute façon, elle est enfermée en ce moment, alors si c'est elle qui fait cela, nous verrons demain soir au journal si il y a eut de nouvelles tombes qui ont été ouvertes, d'accord ?
- Ou... oui, c'est une bonne idée... Nous verrons demain... Oh, mais George, je n'arriverai pas à dormir avec elle ici ! Je ne vais pas arrêter d'y penser toute la nuit !
- Elle est enfermée je te dis !
- Ah ! Comme je la hais !
- Ce n'est peut-être pas elle, nous aurons la preuve demain.
- Demain... demain... répéta Mme Harritson, le regard dans le vague alors que son mari la poussa doucement dans le dos pour la mener dans la chambre, en passant il éteint la télévision qui diffusait sa dernière nouvelle :
- Et quelle mauvaise nouvelle pour notre équipe nationale ! Hélas, les Balckbrids ont lamentablement perdus aujourd'hui contre l'équipe de NewPort ! Le score final était de dix contre quatre !
M. Harritson poussa un juron sonore avant de claquer la porte de la chambre. Et la maison devint alors totalement silencieuse.
Dans le jardin, les bêtes de la nuit se terraient au fond de trous ou sous les branches feuillues des buissons. Tous sentaient une étrange présence, obscure entre les arbres de la forêt, sur le parterre de fleurs multicolores de Marcia Harritson ou contre les murs de la maison. Des ombres se mouvaient lentement, frémissantes au clair de lune et luisantes sous sa lumière. Leurs paroles semblables au souffle du vent erraient en écho tout atour de la résidence pour aller comme frapper contre la fenêtre de Mary.
- Elle eest làààààààà... murmura une voix grave et douce.
- Ne laaa réveiiiille pas, il n'eeeest paaas encoooore l'heuure, dicta une autre, plus féminine, sortant du coin entre la cabane de jardin et la barrière qui l'entourait.
- Ouuiiii... Maais bientôôt...
- Chuuut ! Il nouus fauut atteeendre encoore... Revieeens ici maintenant. Ordonna une troisième voix plus froide que les deux autres.
L'ombre qui avait frôlé le mur jusqu'au dessus de la fenêtre de Mary hésita un moment, puis alla retrouver son amie dans un épais arbre bordant la forêt. Alors tout redevint silencieux et lentement, les animaux ressortir de leurs cachettes.
Jeudi passa lentement pour Mary, bien trop lentement. Elle resta enfermée sans rien pouvoir faire et mangeant trois fois rien. Ses parents ne lui servirent qu'un croûton de pain et du café froid pour le petit-déjeuner, à nouveau du riz froid pour le déjeuner et enfin une feuille de salade défraîchie pour le dîner. Elle ne toucha pratiquement à rien et attendait impatiemment le soir pour une raison bien précise : entendre le journal télévisé de dix heures. Elle voulait savoir enfin si on avait trouvé de nouveaux indices quand aux corps déterrés et comment ils avaient été assassinés voilà cent ans, le même jour au même endroit.
Le lendemain, ce serait le jour de ses treize ans, le sablier sur la petite table arrivait presque à sa fin. Qu'allait-il se passer après ? Une certaine appréhension grandissait dans son cœur au fur et à mesure qu'elle le voyait s'écouler.
La bague tournoyait toujours dans l'étrange instrument offert mercredi par la femme à la longue barbe. Mary avait bien essayé d'ouvrir l'objet avec une épingle à cheveux qu'elle utilisait pour ses chignons mais la serrure était restée bloquée malgré tous ses efforts.
Elle entendit les couteaux et fourchettes s'entrechoquer contre les assiettes en haut et un délicieux parfum parvenait jusqu'à sa chambre. Mais ça ne lui mettait pas vraiment l'eau à la bouche, la crainte de voir le dernier grain de sable du sablier tomber lui nouait l'estomac.
Enfin, le journal télévisé commença et elle oublia ses préoccupations pour l'écouter.
- Bonjour chers téléspectateurs, aujourd'hui le premier titre de ce journal est la découverte d'une nouvelle tombe exhumée dans notre ville, ainsi que plusieurs autres un peu partout dans le pays. Nous pouvons en dénombrer au deux cents cinquante quatre et comme notre envoyé spécial vous l'a dit hier, il existe un lien pour le moins bizarre entre elles. Mise à part que toutes les personnes de ces sépultures soient mortes le même jour voilà cent ans, elle sont également décédées au même endroit et, semble-t-il, de la même mort. Nous pouvons ainsi vous dire en ce jour que ces hommes et femmes de toutes nationalités ont été retrouvés à l'orée du bois de Baldcoon, en pleine campagne de Walbrit, au petit matin du vingt six décembre mille neuf cent. Etrange coïncidence, les médecins qui ont autopsié les corps à leur découverte n'ont trouvé aucune raison de leur mort. Ils n'ont en effet pas été poignardé, ni abattus avec une arme à feu, ni étranglé et ne portaient aucune trace de coups. Sur les différents rapports d'autopsies, il n'y avait qu'une seule chose que les médecins ont trouvée, ce sont deux petites entailles sur chacun des pouces des victimes. Cela aurait put indiqué une piqûre d'insecte ou d'aiguille, mais aucun venin ou poison n'a été retrouvé dans le sang de ces personnes. Encore aujourd'hui le mystère qui entoure ces centaines de décès restent entier, mais les enquêteurs jurent que lorsque les corps seront retrouvés, le dossier sera rouvert et tout sera mit en œuvre pour découvrir les raisons de cette "mort commune". Voilà tout ce que nous savons à cette heure, mais il peut-être que nous pourrons certainement mieux vous renseigner d'ici quelques heures. A part cela...
Mary soupira et prit dans ses mains la sphère de fils dorée et la fit tourner entre ses doigts en la contemplant. Elle avait voulu en savoir plus au sujet de ces corps et se retrouvait avec une énigme encore plus grande. Ces gens étaient morts sans qu'on en trouve la raison de leur décès. Juste de petites blessures sur les pouces, voilà tout... Vraiment, ce qui se passait ces derniers temps n'avait aucun sens, que ça soit la réouverture de ces tombes ou le sablier tombé comme par magie dans sa chambre, ou encore cette vieille femme qui lui donne un objet sans aucun sens qui ne s'ouvre pas et avec une bague qui tourne toute seule à l'intérieur !
Il étai très tard à présent. Onze heures avaient sonné depuis longtemps déjà.
Mary sentit un étrange fourmillement dans ses mains mais elle n'y fit pas attention. Son regard s'était posé sur le sablier et elle avait remarqué avec stupeur qu'il ne restait que très peu de sable à l'intérieur.
Comme hypnotisée, elle les regarda s'écouler, lentement, avec une peur grandissante, bientôt ce serait la fin... soixante... quarante... vingt... puis dix... il ne restait que cinq grains de sable dans le sablier... plus que deux...
Elle retint sa respiration et enfin, le dernier tomba.
Du premier étage, elle entendit l'horloge sonner minuit...

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génial
Posté par enzomydog le 24/08/2004 21:58:39
j'adore ton texte, et bravo pour l'idée! Vite!!!!!!! La suite!!!!!!!! kiss

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Re: génial
Posté par carla.truc le 29/08/2004 14:09:21
arg, y'a pas la fin.
et tu t'arretes au moment le plus interessant
c'est dommage
vivement la suite

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Re: génial
Posté par carla.truc le 29/08/2004 14:09:33
arg, y'a pas la fin.
et tu t'arretes au moment le plus interessant
c'est dommage
vivement la suite

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Re: Mary Harriston (1)
Posté par méony le 03/09/2004 11:37:18
j'ai lu le debut ça à l'air vraiment bien mais comme j'ai pas trop le temps je lis pas tout... T'aurais peut-être du faire plusieurs articles plus courts !

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Re: Mary Harriston (1)
Posté par adadas le 06/10/2004 11:35:15
C pour quand la suite ?

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Re: Mary Harriston (1)
Posté par adadas le 22/10/2004 19:59:08
Allez dis nous quand !!!!

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