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La philosophie interdite : 2° partie
Posté par echouekorps le 20/08/2004 07:53:34
Voici la suite de ce long article sur une philosophie secrette à passer de génération en génération, de connaissances en connaissances....

Voici la suite de la première partie de cette "philosophie interdite" ( 1° partie à lire avant celle ci : http://www.france-jeunes.net/article.php?artid=9826 )


La polarisation du Nagual, ou la lueur au fond du nihilisme

"Tout l'Art se résume à la dissolution" Fulcanelli

Etre athée tout en étant croyant. C'est ce semblant d'invraisemblance, préfigurant à quel point notre système cognitif reste victime de structures mentales ou, pire encore, esclave des mots, qui va constituer le développement le plus délicat de ce livre. Nous entrons là dans une dimension qui a toujours fait défaut à la philosophie, et qui lui a cruellement manqué, même si elle a eu l'impression de s'y pencher, par exemple en s'intéressant à Epicure, pour qui croyance et athéisme ne s'opposaient pas. La philosophie travaillait sur un plan et non dans un espace, confinée dans un descriptif, un système cognitif inadapté à appréhender la structure du monde, expliquant pourquoi elle n'a jamais rien résolu, voire pourquoi elle fait l'objet de dérisions l'étiquetant comme science de la paraphrase. Ceci, bien que certains philosophes, à la fin de leur vie, commencèrent à flairer cette dimension supplémentaire, comme par exemple Ernst Jünger dans "les ciseaux", et finirent par entrevoir des solutions concrètes, comme nous le verrons plus loin. C'est en particulier pour cela qu'aucune science humaine, en tant que tributaire d'un cadre social, lui-même dépendant d'une modalité d'époque, ne pourra jamais rien résoudre, aucun ordre valide, non corrompu et non lesté par des intérêts, n'étant à même de proposer un arbitrage transparent.

Quelle est cette dimension inconnue de la philosophie ? Comment peut-on être croyant, en particulier chrétien, tout en défendant la philosophie de Nietzsche, qui pourfendait sans ménagement les racines du christianisme, notamment via son point de vue relatif au nihilisme ? Contrairement aux idées reçues, j'affirme qu'on peut défendre les bases du christianisme tout en attestant la mort de Dieu. Nietzsche remettait en cause la structure du christianisme dans son aspect historique et dogmatique, et son analyse reste exacte. Il n'en demeure pas moins que l'enseignement chrétien, dans sa forme primitive et non corrompue, recèle une très forte valeur initiatique, si on se donne la peine de l'examiner dans la ligne traditionnelle comme l'ont fait, par exemple, Maître Eckart, ou plus tard Julius Evola ou Annie Besant, que je cite ici : "On ne peut du reste voir dans la révolte contre les dogmes de l'Eglise l'indice d'aucune décadence morale. Les révoltés n'étaient pas trop mauvais pour leur religion ; la religion, au contraire, était trop mauvaise pour eux. La révolte contre le Christianisme a été motivée par le réveil et le développement de la conscience ; celle-ci s'est soulevée, comme l'intelligence, contre des doctrines déshonorant à la fois Dieu et l'homme, doctrines représentant Dieu comme un tyran et l'homme comme essentiellement pervers et obligé de mériter son salut par une soumission d'esclave. 'Il ne faut prêcher que ce que tous peuvent saisir'déclaraient hautement les docteurs protestants'La gloire de l'Evangile est sa simplicité ; les enfants et les illettrés doivent pourvoir les comprendre et en suivre les préceptes'. Cela est vrai s'il faut entendre par là que certaines vérités religieuses peuvent être comprises par chacun et qu'une religion n'atteint pas son but si les plus humbles, les plus ignorants, les plus bornés échappent à son influence édifiante. Mais cela est faux, absolument faux, s'il faut en conclure qu'une religion ne renferme pas de vérités inabordables pour les ignorants et qu'elle est à ce point pauvre et limitée qu'elle n'ait rien à enseigner qui soit trop haut pour la pensée des inintelligents ou pour l'état moral des êtres dégradés. Cet examen de la pensée contemporaine nous montre que la question d'un enseignement caché se rattachant au Christianisme prend une importance capitale".

Que m'importent des Dieux, ou un Dieu, si je ne peux expérimenter aucune relation tangible avec eux, ou lui. Restons pragmatiques, et ne considérons que les aspects expérimentaux que nous pourrions avoir avec un éventuel irrationnel qui serait encore, éventuellement, inconnu de nos champs d'investigation, voire insoupçonné. Dieu n'est pas Dieu, c'est un mot, une idée, une représentation que l'intellect s'en fait, quelqu'en soient les raisons. C'est, dans un autre langage, ce que disait Maître Eckart, en distinguant le Père, non manifesté, et le Fils, principe émergeant et manifesté. Une préfiguration d'un Dieu inexistant pour l'homme, bien que le monde soit coéternel à Dieu. Au mieux, donc, peut-on se représenter le Fils, et engager une relation tangible avec lui, le cas échéant. C'est encore ce que disait, quoique différemment, Maître Eckart : "L'âme qui s'élève à ces sommets de la pensée sent en elle-même sa divinité, il n'y a alors plus de différence entre elle et le Fils unique". Quels étaient ces sommets ? Imposer silence au monde qui bruit à nos oreilles, et vivre comme si le monde n'existait pas. Dans le sens exposé dans sa doctrine, on peut affirmer sans se tromper que Maître Eckart était athée, ce qu'il traduisait par la pitié qu'il avait de la religion de ceux "qui veulent voir et aimer Dieu comme ils aiment une vache pour le lait et le fromage qu'elle donne". Pire encore, et cela lui valu le tribunal de l'inquisition, il disait : "Dans le cas que l'homme juste voudrait quelque chose, et qu'il fût possible à Dieu de ne pas le vouloir aussi, l'homme devrait braver Dieu et persévérer dans sa volonté". Le panthéisme d'Eckart ne s'arrête pas là : "Dans le principe, j'ai été et je me suis pensé moi-même, j'ai voulu produire moi-même cet homme que je suis, je suis ma propre cause. et si je voulais, je ne serais pas encore, ni moi, ni le tout". Voilà comment, par exemple, un des plus grands théologiens de tous les temps pouvait être à la fois croyant et athée. Toute l'ambiguïté des mots.

On retrouve exactement ce principe dans les traditions chamaniques, le chamanisme serait bien la plus vieille religion du monde, notamment dans celle rapportée par Carlos Castaneda. Imposer silence au monde qui bruit à nos oreilles, et vivre comme si le monde n'existait pas, c'est le principe de base de cette doctrine pour "faire bouger le point d'assemblage", clé de voûte de ce système sans Dieu (et dont une des révélations prestigieuses est l'identification de l'expérience de Dieu à une position du point d'assemblage) qui permet d'instituer au travers d'une force neutre et impersonnelle, le nagual, le principe de sa volonté, ou de son'intention', et d'y construire un principe qui deviendra tangible sous la forme d'un'feed-back', à la forme près, dans la réalité quotidienne. Il serait trop long d'exposer ici cette brillante et complexe doctrine fondée sur des principes cognitifs totalement différents des nôtres, retenons simplement qu'à la fin de son apprentissage, Castaneda devait sauter dans un ravin, se souvenant de ce que lui disait son maître : "Si tu n'as pas assemblé un autre monde avant d'arriver au fond, tu es mort". Là aussi, on reconnaît le même panthéisme inhérent à Eckart, appelé pour l'occasion "l'explication des sorciers" : "Le Nagual est l'indicible. Tous les sentiments possibles, tous les êtres et personnalités imaginables flottent en lui comme des chalands, paisiblement, immuablement, éternellement. Lorsque l'amalgame de vie ressoude ces sentiments, il se crée un être vivant, un être qui perd le sens de sa véritable nature et qui est aveuglé par l'éclat et la clameur de cet espace où les êtres planent, le tonal. Un être fait irruption dans le tonal lorsque la force de vie a rassemblé tous les sentiments nécessaires. Un sorcier qui est en possession de la totalité de soi-même peut diriger les parties constitutives de son faisceau, pour les réordonner de n'importe quelle façon (n. b. devenir n'importe quelle personnalité".

Ce nagual fut connu de tous temps par les occultistes, notamment les kabbalistes, qui travaillaient sur l'interprétation sémantique et numérique de la genèse biblique. Citons par exemple Stanislas de Guaita : "Dans tous les sanctuaires du vieux monde, la substance universelle, avec son double mouvement, a été représentée avec le signe symbolique de Mercure". Cette substance, appelée ici "Nagual" pour reprendre la terminologie de Castaneda, a été suffisamment évoquée par les alchimistes pour que nous y revenions ici ; à noter que l'alchimie n'est pas ce labeur destiné à transformer le plomb en or, comme l'ont cru à tort les croyances populaires investies de vénalité, mais bien une science multimillénaire, connue de Babylone jusqu'à nos jours, destinée à décrire les pérégrinations du voyage initiatique de l'individu (comme les argonautes ou Saint Jacques de Compostelle, que les catholiques reproduisent, sac à dos, stupidement au pied de la lettre), pour devenir maître des deux mondes (voir à ce sujet l'excellent ouvrage de J. Campbell "les héros sont éternels". Ce qu'en dit d'ailleurs Mircéa Eliade est très explicite : "Le rétablissement du sens et des buts originels de l'alchimie est dû surtout à la perspicacité de l'historiographie contemporaine. Il y a peu de temps encore, on considérait l'alchimie comme une protochimie, c'est-à-dire une discipline naïve, pré scientifique, ou au contraire comme un amas de sottes superstitions sans rapport avec la culture. Le thème mythologique de la révélation primitive, cachée depuis des temps immémoriaux, qui a été dévoilée et redécouverte depuis peu, prit une grande extension au cours des quatre derniers siècles avant notre ère. Les écrits alchimiques chinois, indiens, islamiques et européens se réfèrent à des méthodes, des recettes, des expériences capables de guérir les hommes et ainsi de prolonger la vie humaine indéfiniment". L'alchimie, science des sciences, usine à décrypter la mythologie entendue comme langage surhumain, est la fille de la celle-ci. L'auteur qui a le mieux exprimé la relation inextricable entre le quotidien et la mythologie est certainement Leisegang : "Le mythe exprime, sous la forme du récit d'un cas particulier, une idée éternelle intuitivement reconnue par celui qui le revit dans l'action".

Le Nagual. Le Mercure. Georges Lucas l'appelle "La Force". Les frères Washovski l'appellent "Le simulateur de Matrice, où l'on peut violer les règles (lois physiques)". Nous avons là la substance qui permet enfin l'impossible alliage ocuménique entre toutes les traditions, mythologies, religions de tous temps. Il est, dans l'univers, une substance neutre, impersonnelle, que l'homme va pouvoir et devoir polariser par une "intention" ou une "volonté", avant qu'elle ne lui le rende sous des formes parfaitement palpables et tangibles. C'est là le seul Dieu, si on peut lui attribuer ce terme, vis-à-vis duquel l'homme puisse entrevoir un rapport pragmatique, bien qu'éloigné, tout au moins dans les premiers temps, d'une relation directe et immédiate. Celui qui en a fait la description la plus exacte, la plus à même d'unir l'ensemble des enseignements religieux, mythologiques ou ésotériques, est Castaneda : "Seuls les sorciers peuvent transformer leurs sentiments en intention. L'intention crée des édifices devant nous et nous invite à y pénétrer. C'est de cette façon que les sorciers comprennent ce qui se passe autour d'eux. Les traqueurs appelaient l'intention à haute voix. Il insista sur le fait que le plus indispensable, dans l'acte qui consistait à appeler l'esprit, était une concentration totale sur ce dont on avait l'intention. La clé de tout semblait être d'accepter en confiance la possibilité que de telles ressources existent et puissent être atteintes. Je t'ai dit que le Nagual est aux ordres du guerrier. Les êtres humains, - et toutes les autres créatures vivantes d'ailleurs - sont des esclaves de l'intention. Tu en es le maître, et en même temps tu en es l'esclave".

La polarisation du nagual, appellation inconnue, baptisée ainsi par mes soins car évoquant en deux mots l'intégralité du processus, est le fondement même de l'univers, fondement connu depuis la nuit des temps. S'il y avait une seule chose à retenir de l'ensemble du monde, ce serait celle-là. Les vestiges de cette connaissance nous entourent de toutes parts dans cette époque où l'ignorance des grands principes du monde a atteint son paroxysme; par exemple, les rapports, déjà connus des Pythagoriciens (eux-mêmes instruits par l'Orphisme, cette haute science alchimique) entre la musique et les nombres ; les dénominations de chaque jour de la semaine, jour associé à une planète, planète associée à un métal alchimique. Les dénominations zodiacales, traduisant les isomorphismes entre la structure céleste et la structure humaine. Ces rapports ne sont pas seulement symboliques, comme le croient la plupart des analystes, notamment les analystes décadents comme les psychanalystes ; ces rapports sont avant tout physiques, les règles mensuelles de la femme associées aux cycles lunaires en sont l'exemple le plus immédiat ; quand la "science" sera moins sectaire, elle découvrira les autres, d'ailleurs déjà connus depuis longtemps et explicités dans certains livres (introuvables dans ce temple de la pensée unique qu'est la Fnac). La polarisation du Nagual explique tout ce qui est un mystère pour la "Science", la maladie héréditaire, l'allergie, la phobie, la malédiction, la psychopathie, et même, dira Castaneda, la mort. Elle explique les stigmates, émanations physiques de la polarisation intense générée par le chrétien obsédé par la crucifixion. Elle explique pourquoi ceux qui marchent sur les braises ne sont pas brûlés (phénomène curieusement passé sous silence par la philosophie, préférant exclure de sa représentation cet aspect dérangeant du monde). Elle explique les vertus curatives, ou destructives, des plantes, la plante n'étant que l'aspect émané, la signature physique d'un principe inhérent au Nagual.

Celui qui a le mieux expliqué cette polarisation, bien que dans une terminologie propriétaire propre à l'ésotérisme, est Stanislas de Guaita, donnant au passage la signification clé du phénomène communautaire, entendu dans son sens initiatique : "Les grands courants de vertu ou de perversité, de fanatisme ou de foi, dont une chaîne magique plus ou moins artistement tendue est toujours la pile génératrice, sont régis par les dominations collectives de l'invisible. Les verbes créateurs : bénédictions, anathèmes, puisent là leur force et leur efficacité. On ne bénit, on ne réprouve qu'au nom de quelque principe, et conséquemment de quelque puissance, traduction vivante du principe abstrait. Par ces actes solennels, l'on attache, à celui qui en est l'objet, la protection ou la vengeance de l'Egrégore, recteur de la collectivité au nom de laquelle on se prononce. Si les églises et les associations occultes possédaient encore la sève et la virtualité de leur prime jeunesse ; si l'Egrégore qui constitue leur âme ne s'abâtardissait ou ne se civilisait à la longue, tandis que leur corps social se débilite à sommeiller dans la nécropole de la lettre morte, l'excommunication serait encore une sentence capitale. L'aphorisme bourgeois "il ne faut pas braver l'opinion" n'est point aussi ridicule qu'on serait tenté de le croire. La volonté active détermine sur le plan astral des courants fluidiques. Un vouloir isolé, si énergique soit-il, ne brave pas sans risque un faisceau de vouloirs hostiles, groupés avec intelligence et dirigés selon la norme dont nous avons dit la formule. La volonté humaine est une puissance formidable ; mais il est dans sa nature de se diviser aisément. Alors, elle s'oppose volontiers à elle-même, cependant qu'elle croit encore agir dans une direction unique. Voilà qui nous ramène de nouveau aux mystères de la chaîne sympathique".

Le chaman polarise "l'énergie étrangère" infiltrée dans le Nagual par "l'intention", la "volonté", au même titre que l'alchimiste va féconder le Mercure, élément passif et féminin, très difficilement captable de part sa nature furtive et volatile, par le soufre, élément actif et mâle. Le "Solve" représente le mouvement du point d'assemblage, le "Coagula" sa fixation, légitimant respectivement les deux spécialités des guerriers que sont "l'art de Rêver" et "l'art de Traquer" ;ce pourquoi un couple de guerriers se doit de proposer des prédispositions opposées, l'un compensant les carences de l'autre, règle attestée d'ailleurs par la nécessité de l'exogamie, principe d'union d'énergies de natures très différentes. Sur le plan individuel, le voyage initiatique et mythologique a pour but, dans un premier temps, la dissolution (en alchimie, c'est le démembrement, comme celui d'Orphée) ou chute dans le temps mythique, puis, dans un second temps, la coagulation (comme celle d'Osiris), ou retour dans le temps profane, où l'on va sceller le second anneau du pouvoir élaboré dans le temps mythique avec le premier anneau de pouvoir, pour devenir maître des deux mondes, comme on le voit par exemple dans le film'Avalon'. Ainsi se résume le processus du voyage initiatique ; La réintégration du physique avec la plus-value du patrimoine nagualiste ; nous avons là les réitérations alchimiques qui permettent, à titre individuel, de modifier la structure, au semblant rigide, de la "matrice".


Le bonheur de l'horreur

"Et pourtant, il faut entrevoir dans le nihilisme la présence d'un grand destin, une force originelle, à l'influence de laquelle nul ne peut se soustraire". Ernst Jünger

"Celui qui connaît le monde découvre un cadavre. Et celui qui découvre un cadavre, le monde ne peut le contenir". Th. Log 56


"La plus grande utilité du polythéisme - Que chaque individu puisse édifier son propre idéal pour en déduire sa loi, ses joies et ses droits, c'est ce qui fut considéré jusqu'à présent comme la plus monstrueuse de toutes les aberrations humaines ; en effet le petit nombre de ceux qui ont osé cela a toujours eu besoin d'une apologie devant soi-même : 'Non pas moi ! pas moi ! Mais un Dieu à travers moi'". Nietzsche

Ceux qui pensaient et pensent que liberté rime avec égalité ou fraternité sont légions. Comme il a été montré plus haut, ces légions, myopes comme des vieilles taupes, tant vis à vis de l'histoire que de la nature humaine, sont les instigateurs du nihilisme. La constitution des droits de l'homme, outre qu'elle soit bafouée précisément et en premier lieu par ses promoteurs, est une des pires escroqueries de tous les temps, à la base d'un nivellement totalement contre-nature. La liberté ne se marie avec aucune valeur communautaire, et peu d'individus sont prêts à payer le prix exorbitant qu'elle coûte. Les moutons sont peut-être, à la rigueur, égaux et frères, mais certainement pas libres. L'un d'eux deviendrait-il libre, toute égalité n'aurait plus de sens. Viviane Forrester l'a bien ressenti ; "Quiconque choisit ces chemins se fracasse, est fracassé. On songe, pour ne citer que des écrivains, à Nietzsche, Nerval, Hölderlin, Poe, Baudelaire, Woolf, Arthaud. Leur sort, leur condamnation, leur maladie, ne signifient pas que leur voie soient néfastes, morbides, mais que l'exactitude, la vie, sont les maladies de l'existence, telle qu'elle nous est dictée".

L'histoire ne date pas d'hier. Cette hégémonie du système sur l'individu a pris de nombreuses formes, la dernière étant la pire - l'émancipation de l'esclave, Nietzsche en a assez parlé, et la disparition de la fonctionnalité de l'individu ; l'égalité de la femme sera certainement une des dernières grandes décadences de notre civilisation. Cette hégémonie, à laquelle l'histoire de l'humanité a donné de nombreuses formes, est une constante, et cette hégémonie, ce totalitarisme, est nécessaire comme environnement propice à l'émergence des esprits puissants. Cioran l'avait d'ailleurs noté : "Hume disait que le plus grand esprit de l'antiquité, ce n'était pas Platon, mais Tacite. Je suis de son avis. La position des stoïciens est admirable, et je me sens toujours bien en compagnie de ces hommes qui étaient tous livrés sans merci à des fous, à ces autocrates, à ces cinglés qui ont gouverné l'empire romain. Ils ont vécu complètement à l'écart. Je trouve que notre position ressemble un peu à celle de ces temps là".

"La grande rupture vient de ce que le néant est d'abord subi passivement" disait Jünger. Ce nihilisme, que Nietzsche jugeait décadent, car empreint d'un violent ressentiment, d'une méchanceté froide et inflexible, n'en est pas moins un passage obligé. Même aussi dangereux que Charybde et Scylla - un homme, qui entre dans un lieu public et abat méthodiquement vingt personnes au hasard, en est l'illustration -, il demeure "le passage de la ligne" qui constitua l'essence de la correspondance entre Jünger et Heidegger. Cette froideur fut mise en évidence par Jünger, dans l'interview qu'il accorda en 1995 et publiée dans "Les prochains titans" ; "L'anarque vit dans les interstices de la société, la réalité qui l'entoure lui est indifférente. Ce qui est conseillé, c'est la froideur : sur un marais gelé, on avance plus sûrement et plus rapidement". Ce "passage de la ligne" est aussi connu des "sciences obscures" ; Castaneda le nomme "le lieu sans pitié", camp de base indispensable à toute opération supra-humaine : "Mais, afin que les sorciers puissent utiliser l'éclat de leurs yeux pour déplacer leur propre point d'assemblage ou celui des autres, ils doivent être implacables. C'est-à-dire que la position précise du point d'assemblage qu'est le lieu sans pitié doit leur être familière. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne les naguals (n. b. ; à ne pas confondre avec le Nagual). N'importe quel mouvement du point d'assemblage ressemble à la mort. Tout en nous se débranche puis se rebranche à une source de puissance bien plus grande. Cette amplification d'énergie est ressentie comme une anxiété mortelle".

Soyons précis sur le terme de ressentiment ; Il ne s'agit nullement d'envie ou de jalousie, ni de comportement réactif vis à vis d'un environnement que l'on sait hostile. La plupart des philosophes du nihilisme sont unanimes pour qualifier à juste titre ce comportement de décadent. Le ressentiment de haine, passage obligé pour alimenter sa force de vie, se mue en ressentiment d'élitisme. Celui qui a le mieux évoqué ce passage est probablement Max Scheler : "Par cette sublime vengeance, comme dit Nietzsche, le ressentiment joue véritablement un rôle de créateur dans l'histoire des jugements moraux et des systèmes de la morale. Vengeance sublime, parce que la haine et la rancune à l'égard de ceux qui sont forts, sains, riches, beaux, etc, est totalement abolie, et que le ressentiment guérit l'individu du tourment de ces sentiments. Car, dès là que c'est le sens des valeurs qui est perverti, et que le jugement des valeurs s'est en quelque sorte universalisé, ces hommes forts, sains, etc, cessent d'être enviables ou haïssables, pour devenir, au contraire, dignes de pitié, de compassion, puisqu'ils sont censés souffrir un mal. L'homme du ressentiment devient pur au regard de sa conscience, désormais libérée du tourment de vengeances ou de haines qu'il serait, par ailleurs, impuissant à réaliser".

Nietzsche connaissait la valeur du ressentiment. La solution réside ici-bas et non dans un quelconque au-delà. Ce à quoi Heidegger ajoute, comme commentaire à "la volonté de puissance" nietzschéenne, "C'est pourquoi le nihilisme visant au renversement (des valeurs) ainsi compris ira chercher ce qui renferme le plus de vie. Le nihilisme devient ainsi lui-même l'idéal de la vie la plus débordante". On comprend ainsi simplement pourquoi le basculement dans la démence, dans le suicide, dans la maladie est si fréquent pour un individu en qui les forces de la vie deviennent dominantes. Comment trouver à ce feu débordant une terre d'accueil dans un système civilisateur dont l'objectif non avoué est l'étouffement de l'individu sous couvert d'idéalisme démagogique ou de structure civilisatrice au seul profit d'un noyau, qui précisément pratique cette philosophie qu'elle condamne ? Par l'humide, répond l'ancien testament, qui envoie Moïse, persécuté par l'hégémonie égyptienne, jusqu'à la mer rouge. La mythologie est très prolixe à ce sujet. Létone, poursuivie par la colère d'Héra, ira accoucher d'Apollon sur le seul lieu hors d'atteinte, Délos (voir Callimaque), l'île flottante (l'huile visqueuse des alchimistes flottant sur les eaux). Les tapisseries de l'Apocalypse (cf. XII, 13), à Angers, montrent le même aspect salvateur de l'eau, puis de la terre : "Quand le dragon se vit précipité sur la Terre, il poursuivit la femme qui avait mis au monde l'enfant mâle. Et les deux ailes du grand aigle furent données à la femme pour s'envoler au désert, en sa retraite. Alors le serpent lança de sa gueule, après la femme, de l'eau comme un fleuve, afin de la faire entraîner par le fleuve. Mais la Terre vint au secours de la femme". Cette constante mythologique a également été reprise dans les évangiles : "Heureux serez vous lorsqu'on vous haïra, lorsqu'on vous persécutera, nul ne trouvera le lieu où vous n'êtes pas persécutés".

Voilà notre homme nouveau, devant toute l'horreur d'un monde nouveau lui aussi : Un vent polaire à l'image que lui a justement donnée Jünger : "le nihilisme, avec sa violence destructive et riche d'avenir, rappelle le fohn qui souffle des montagnes". Un regard exempt des structures mentales en vigueur et indépendant des modalités d'époque. Une vivacité décuplée par le cisaillement des chaînes qu'il vient d'opérer, et par le ressentiment qui vient d'être évoqué. Comment cet homme nouveau, tel un chat en équilibre sur le bord d'un toit, tel un empereur sur un royaume sans interdits, va-t-il gérer ce très délicat "passage de la ligne" que les argonautes appelaient les symplégades ? (ces roches mobiles qui se déplaçaient plus vite que la nef Argo pour la broyer, comme le système civilisateur pourrait le broyer à la moindre faute de navigation, passage qui marquait, pour ces anciens navigateurs, l'entrée dans le temps mythique - rappelons que le passage du temps profane au temps mythique se fait en toute continuité. Heidegger dira : "C'est pourquoi la volonté de puissance, en tant que principe reconnu et donc voulu, devient en même temps le principe d'une nouvelle institution de valeurs". Aucune des règles habituelles qu'on lui avait jusque là apprise ne s'applique plus, et l'homme nouveau se retrouve en face de cette effroyable liberté où tout est permis.

Quelles sont ces nouvelles valeurs que l'on va placer sur cette table rasée ? Quel est cet humide, cette mer rouge qui permet d'échapper à la gloutonnerie du prédateur ? Nous entrons là dans un domaine que les philosophies et les théologies ont abandonné ou détourné, vraisemblablement car il n'arrangeait en rien leurs affaires. C'est la notion de Nature (Nature s'enjouit en Nature, dira l'alchimie, rappelant que tout "sec" doit boire avidement son "humide", ou plus précisément la notion de fonction. Ce concept est connu de la plus haute antiquité orientale sous le nom de Dharma, règle céleste fondatrice de la caste, et on le retrouve encore en occident, comme l'a démontré Georges Duby, dans l'ancien régime, bien que sous une forme terminale et dégénérée, comme étant l'ordre social institutionnalisé (le guerrier, le prêtre et le tiers-état). On retrouve là le principe ancestral de la race, au sens métaphysique du terme, que Phèdre a simplement résumé en ces mots : "Parce que je suis Lion". Le monde animal, par ailleurs, donne des modèles évocateurs, comme le rappelle Jünger dans la référence qu'il fait à son livre'chasses subtiles'dans l'interview donnée à Gnoli : "En outre, on peut étudier le monde des insectes comme on étudie le monde des hommes".

On commettrait un grave contresens d'associer la notion susdite de race à un concept ethnologique, d'autant qu'avec la moralisation à outrance du langage, nul ne peut parler librement avec certains mots sans risquer le code pénal. La race est relative ici à une notion de fonction, à une notion de fraternité. Non une fraternité patriotique ou une fraternité d'humaniste démagogique, mais une fraternité, plus ou moins restreinte, relative à un noyau d'individu de même essence qui se reconnaissent d'instinct. C'est ce que Stanislas de Guaita nommait la "chaîne sympathique". Ce qu'a ressenti par exemple Pier Paolo Pasolini : "Je suis une force du passé, seule la tradition a mon amour. J'erre par la Tuscolane comme un fou, par l'Appienne comme un chien sans maître. Ou je regarde les crépuscules, les matins sur Rome, sur le monde comme les premiers actes de l'après-histoire auxquels j'assiste, par privilège d'état civil, du bord extrême d'un âge enseveli. Monstrueux qui est né des entrailles d'une femme défunte ! Et moi, fotus adulte, je rôde, plus moderne que n'importe quel moderne, à la recherche de frères qui ne sont plus".

Il y a des gens d'un tempérament guerrier. Il y a des femmes maternelles. Il y a des femmes qui ne supportent pas les enfants. Il y a des hommes laborieux. Castaneda disait : "Mon bénéfactor me dit que mon père et ma mère avaient vécu uniquement pour m'engendrer, et que leurs propres parents avaient fait de même pour eux. Il ajouta que les guerriers étaient différents parce qu'ils déplacent assez leur point d'assemblage p

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Re: La philosophie interdite : 2° partie
Posté par mendax le 20/08/2004 07:53:34
Marcher sur des braises n'est pas rendu possible grâce "à la polarisation du Nagal"... c'est en fait une conjugaison de deux phénomènes physiques: l'état sphéroïdal et la conductivité thermique...

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Re: La philosophie interdite : 2° partie
Posté par echouekorps le 20/08/2004 07:53:34
Tu peux développer?

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Re: La philosophie interdite : 2° partie
Posté par mendax le 20/08/2004 07:53:34
Je développe, je développe...

Comme je n'ai absolument rien à dire sur ta philosophie, et que de surcroît, je suis passé, histoire de, sur ton sacré site, j'ai préféré m'abstenir au commentaire de ton article... Ne m'en veuille pas si après avoir lu ledit article et parcouru ton site, j'ai constater que ces derniers prêtaient à sourire... (sans aucun sarcasme de ma part). De fait, j'ai préféré joué dans l'implicit, comme tu l'as remarqué, avec mes références en thermodynamique poisseuses... (n'empêche que les termes, bien qu'il ne faille pas remettre en cause la véracité de mes propos zététiques, sont tripants... "état † sphéroïdal"

Doit-on prendre au sérieux la "polarisation du Nagal"? Faut-il appréhender la Philosophie Interdite?
Le commentaire que j'avais fait comporte des réponses latentes...

A quand la suite? Ce serait bien que tes articles sur la Phil-Interdite servent ... de catharsis pseudo-savantique...

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