Le syndrome du vilain petit canard

J'ai trois frères et soeurs : une grande soeur, une jumelle et un petit frère. Moi je suis le vilain petit canard. Pourquoi ? C'est très simple. La grande soeur est l'aînée, la première, la plus belle (à voir)... On oublie ses défauts. Ma soeur jumelle et moi avont une maladie génétique, mais elle ne s'exprime que chez elle. Il faut faire attention, ils la surprotègent (surtout étant petite), ils s'occupent beaucoup d'elle, s'inquiètent de ce qu'elle a fait à l'école... On oublie ses défauts. Mon petit frère est le petit dernier, le seul garçon de la famille, le seul petit fils de mes grands parents, le portrait craché de son père, bref... Chouchouté. On oublie ses défauts. Bon et moi dans tout ça ? Je suis quoi ? Aucun "don", aucune "spécialité" tombés du ciel.

Toute la famille était focalisée sur mes frères et soeurs. En particulier ma tante, qui ne m'a pas souvent dit ou donné quelque chose de sympa. Pour les autres, c'est tout con : la grande soeur est sa filleule, la soeur jumelle est sa patiente (elle est infirmière) qui a souvent besoin de ses conseils avisés et le petit frère... Ben c'est le petit frère, le seul garçon de la famille...

En grandissant j'ai voulu me faire remarquer, me faire voir, aimer au même titre que les autres. J'ai sauté deux classes. Largement suffisant en théorie pour trouver ma place dans la famille. Il n'en fut pas ainsi. J'ai donc adopté un plan de secours, je me suis refermée sur moi-même, et alors que ma soeur jumelle s'habillait de plus en plus voyant, passant par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel (salopette orange fluo, colants rayés multicolors, valise et sac eastpack jaune fluo, pulls dans ces tons...), je me fondait dans le décor. Je porte des jeans, beaucoup de jeans, et des pulls gris, blancs, noirs, tous ces tons que tout le monde porte. Je ne suis plus qu'une ombre. Et j'en ai marre d'être le vilain petit canard. Je le crie au monde entier.


Et je suis désormais en conflit avec mes parents, ma famille. Je veux leur ouvrir les yeux, mais c'est trop tard. Ils ont beau comprendre, on ne revient pas en arrière. J'ai été toute mon enfance le vilain petit canard de la famille et même s'ils veulent changer quelquechose maintenant, il est trop tard. L'injustice et la frustration que j'ai stockées dans mon coeur éclatent au grand jour, ils veulent comprendre, mais ce qu'ils ne peuvent réaliser, c'est qu'il aurait fallu comprendre il y a quatorze ans, et non maintenant, c'est trop tard... c'est trop tard... c'est trop tard... Et même si mes parents veulent à partir de maintenant rétablir la justice, l'entourage ne comprendra pas quelle justice. Ils ont été habitués à ces traitements de faveurs et n'ont pas vu ma révolte. Ils en auront juste le compte rendu, insuffisant à leurs yeux pour changer quelque chose.

Il ne me reste qu'une chose à leur dire : j'ai vécu ma vie jusqu'à présent en vilain petit canard, mais souvenez-vous de l'histoire. Après s'être brouillé avec ses "parents" canards, le vilain petit canard erre tout seul, désespéré dans l'hiver. Mais quand arrive le printemps, il est devenu le plus beau de tous les oiseaux. Moi aussi je deviendrais un bel oiseau, et alors seulement, ils se rendront compte de ma valeur. Mais ce sera trop tard, trop tard.