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Espoir à la lettre |
Un facteur, vieil homme solitaire et aigri, fait sa tournée quotidienne tout en bougonnant... Soudain, il tombe sur une enveloppe sans expéditeur ni destinataire. Que contient-elle ? Que va-t-il faire de cela ? Son contenu, il ne peut même pas l'envisager... |
Les lettres arrivaient en grand nombre, même dans le village désert. Il avait donc du travail par-dessus la tête, celle-ci bouillonnant sous les supplices que lui faisaient subir le roi du ciel. Il s'amusait, il le voyait lui faire de l'œil, caché derrière les pins. Il jouait de ses faiblesses et se divertissait en voyant ses pauvres jambes s'exténuer, son corps tout entier se décomposer tout au long de la journée, après chaque maison et chaque boîte aux lettres. Personne n'avait pitié pour lui, "pauvre facteur bientôt à la retraite", comme il disait si bien ! C'était son seul but, attendre encore quelques années pour dire "Zut !" à son patron. Il se la coulerait douce et sourirait en coin en observant le nouveau facteur de sa fenêtre... Ha ! Il attendait ces instants avec tant d'impatience ! Le facteur était fier de lui, fier de l'ombre qu'il projetait dans l'âme de ces enfants innocents par l'intermédiaire de ces orbites plein de mépris. Il aimait jouer avec les gens, martyriser ceux qui ne comprenaient pas encore... Il serait donc là, sur son fauteuil, les pieds confortablement glissés dans ses pantoufles, et ceux qui oseraient lever la tête vers sa fenêtre recevraient une douloureuse vision de l'avenir, telle une gifle inattendue, que nous trouvons injuste mais que nous ne pouvons éviter... Bon gré, mal gré, le facteur serait là. Le facteur trébucha sur le rebord du trottoir et tituba légèrement. Il se rapprocha des haies en grommelant des paroles inaudibles et en traînant des pieds. Il arriva devant chez les Delhomme et jeta un coup d'œil au-dessus de leur portillon d'un jaune passé. Leur chien, un énorme molosse, ne détecta même pas sa présence et poursuivit sa sieste sans ciller. "Satané chien... " pestiféra le vieil homme. Il souleva l'ouverture de la boîte aux lettres et inséra trois enveloppes dont une bien lourde dont le contenu dégringola à l'intérieur du contenant. L'homme sénile ricana bêtement et poursuivit son chemin de ses pas lents et pesants. Il faillit marcher sur une crotte de chien et, l'esquivant, profita de l'occasion pour donner toutes sortes de petits noms déplaisants à nos amis les animaux. C'était bien simple, il n'aimait personne. Le bonhomme grotesque dans son uniforme trop étroit et sa casquette ruisselante posa sa sacoche à terre pour mieux la fouiller de fond en comble. Les enveloppes s'étaient mélangées et le méli-mélo lui déplaisait fortement, d'autant plus qu'il en était l'origine. "Si y'avait quelqu'un pour m'aider, y'aurait peut-être pas autant de bazar !" déclara-t-il en guise de justification. Ses monologues, plutôt courts et polémiques, ne le lassaient jamais. Il s'en prenait à toute personne autre que lui-même, il jouissait des reproches formulés et des injustices qui ne le concernaient point. Le facteur trouva deux enveloppes au nom de Dubois, qu'il tâcha de ses doigts sales. Il les inséra dans la boîte aux lettres en jetant un regard mauvais sur les dessins colorés. Même le portail le repoussait : tant d'agressivité, de spontanéité enfantine dans cette couleur frappante parsemée de fresques grossières... Il rassembla petit à petit les objets répandus. Soudain, une enveloppe attira son attention. Il la prit dans ses mains et la retourna en tous sens. D'un blanc poudreux, elle n'annonçait aucun destinataire. Il n'y avait pas de timbre. Aucune trace humaine ni sur le recto, ni sur le verso de l'enveloppe. "Mais j'ai pas que ça à faire, bon dieu !" lâcha le fainéant dans un long râle. Il secoua l'enveloppe, la soupesa, sans curiosité aucune. Il faisait son travail, et c'était pour lui largement suffisant. Rien de spécial à signaler. L'enveloppe devait contenir une petite lettre, rien de plus. Après un instant de réflexion, l'indifférent se résolut à ouvrir l'enveloppe. Cela ne lui semblait pas impoli, ni irrespectueux. Une fois de plus, il se justifia à voix haute comme si quelqu'un observait et jugeait ses moindres faits et gestes : "La personne n'avait qu'à mettre son nom et celui du destinataire, bon sang ! J'ai pas que ça à faire moi, c'est pas mon boulot, je dois juste distribuer les lettres et pas me mêler de la vie des gens... ". Les paroles se finirent dans un murmure. Le facteur sortit machinalement la lettre de l'enveloppe, sans abîmer celle-ci tout de même. Il se fichait pas mal de ce que les gens pensaient, si le courrier arrivait ou non à destination, mais il avait tout de même une conscience professionnelle... parfois ! Il déplia le papier et sans jeter le moindre coup d'œil au corps de la lettre, il observa l'en-tête et le pied de page. Pas de date, pas de nom de destinataire, pas de nom de locuteur, pas d'adresse. Aucune signature, rien. Juste des mots qui se suivaient, s'entrechoquaient, aucune rature. Juste une écriture neutre, droite, ou légèrement penchée sur la droite, simplement. Une marge de quelques centimètres sur la gauche, de larges débordements sur la droite. Pas de paragraphe, juste une longue tirade qui paraissait interminable tellement les lignes étaient rapprochées. Il se leva dans un soupir, la lettre à la main, et s'approcha dangereusement de la poubelle. Il allait la lancer, quand il vit son contenu : des canettes de soda vides et broyées par les mains puissantes d'adolescents fougueux, une peau de banane, un trognon de pomme envahi par les asticots, un tissu crasseux qui avait dû être jaune, des papiers froissés, des sacs, un bic, une trousse usagée, des morceaux de cartons, un paquet de bonbons... Depuis quand ne lui avait-on pas écrit ? C'est ce que se demandait à l'instant le pauvre facteur, frappé par une nostalgie morose. Bercé par la nostalgie, il se laissa transporter par ses souvenirs, qui le ramenèrent à l'époque où il avait des amis, où ceux-ci, pendant des vacances à la mer ou bien à la montagne, lui envoyaient de jolies cartes postales, avec des mots gentils, chaleureux, qui réchauffaient le cœur... Le facteur se reprit, et fut indigné de s'être laissé emporté. Quelle honte ! Son passé osait le rattraper, sans prévenir ! Mais si la lettre qu'il tenait encore à la main faisait partie de ses lettres chaleureuses, aimantes, qui redonnent la joie de vivre ? Après tout elle n'était destinée à personne, autrement dit à tout le monde,... alors pourquoi pas à lui ? Peut-être ne méritait-elle pas de finir froissée et salie dans une poubelle, parmi tant de déchets sans importance, déjà rattrapés par le temps... "C'est qu'une lettre, celui qui l'a écrit n'avait qu'à indiquer à qui elle devait être remise ! décida-t-il. De toutes façons, c'est pas mes affaires !" Il lâcha prestement la lettre, qui disparut dans les tréfonds de la poubelle. Soulagé, il soupira longuement et se rassit sur son banc, pensant reclasser les enveloppes éparpillées ici et là. Soudain, un garçon âgé d'une quinzaine d'années, perchés sur ses rollers, déboula de la rue voisine et stoppa net devant la poubelle. Il ouvrit son sac à dos et sortit toutes sortes de déchets, des restes de pique-nique apparemment. Il s'apprêtait à les lancer dans la poubelle, lorsque le facteur cria : "Attends !". L'enfant ouvrit de grands yeux étonnés : c'était la première fois que cet homme lui adressait la parole. Le jeune garçon ne fit plus aucun mouvement et attendit d'un air effarouché. Le vieux bougre se redressa du banc et se massant les reins, et passa la main dans la poubelle, évitant le regard de l'enfant. Il sortit la lettre encore intacte d'un air gêné et lança : "C'est bon, me regarde pas comme ça, fais ce que tu as à faire... ". L'enfant n'attendit pas un instant de plus, laissa la poubelle odorante engloutir de nouvelles ordures, et s'éclipsa rapidement. "Sale gosse... " murmura le facteur machinalement. Il ne contrôlait même plus ses paroles, ses petites remontrances et ses plaintes quotidiennes étaient devenues machinales, elles faisaient partie de sa vie de tous les jours. Il se retrouva seul, assis sur le banc, en pleine confusion. Une légère brise lui caressait le sommet du crâne et la chaleur se fit moins suffocante. Il contempla la lettre, qui n'avait été ni salie ni endommagée par les ordures avec lesquelles elle avait du cohabiter quelques instants. Elle était si propre, si lumineuse, si belle. Et l'écriture, si avenante... C'était si tentant... {La suite bientôt ! } |
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