Extrait du site https://www.france-jeunes.net

Comment j'ai survécu à Hiroshima


Cinquante huit ans après Hiroshima, les survivants vivent le plus souvent comme des parias. Bien des questions restent en suspens. Pour Keiji NAKAZAWA, les responsabilités n'ont jamais été évoquées et des procès restent à intenter, notamment contre Hiro HITO.



Vous aviez six ans le 6 août 1945. Aujourd'hui vous avez soixante-quatre. Souffrez-vous encore des radiations dont vous avez été victime ?

A vingt-sept ans je suis devenu diabétique. On dit que cette maladie est due à la suralimentation et au stress. On dit encore qu'elle est souvent héréditaire. Au Japon on l'appelle maladie de "luxe". Moi, j'ai trouvé bizarre de développer ce type d'affection car aucune des causes connues ne se retrouvait de façon caractéristique dans mon cas. J'ai entrepris des recherches qui m'ont permis de découvrir qu'un nombre anormalement élevé de survivants irradiés sont diabétiques. J'ai aussi découvert que le diabète est bien parmi les maladies dues aux bombes atomiques. Donc, depuis trente-sept ans, je souffre de diabète. De plus, dès que je ne me sens pas bien, même pour une simple grippe, je me demande toujours quelle autre maladie due à la bombe atomique va me toucher. Cette inquiétude pèse lourdement et je dois dire que ce n'est pas facile à supporter psychologiquement. Je crains toujours qu'un excès d'angoisse ne m'entraîne dans la dépression. Même en lisant le mot genbaku (bombe atomique), j'éprouve une sorte de peur. Je vis en permanence dans la douleur pysique et morale.



Quelle sont, en 2002, les séquelles de la bombe d'Hiroshima ?

On dit dans les milieux proches des survivants que toutes les maladies peuvent frapper en même temps. En effet, fragilisés, les survivants sont globalement plus vulnérables à toutes sortes de maladies. A une époque, les leucémies se sont multipliées, faisant beaucoup de victimes.Puis le nombre des leucémies a relativement diminué mais d'autres cancers se sont développés. Selon l'évolution physiologique des survivants, telle ou telle maladie "attaque" de façon plus ou moins "concentrée". Ainsi ma mère a-t-elle été atteinte par plus de vingt maladies graves : maladie de coeur, ulcère à l'estomac, hypertension...
Elle a succombé à une hémorragie cérébrale. Une cousine de mon âge, elle aussi irradié, est morte d'un cancer de l'utérus à l'âge de quarante-cinq ans. L'un de mes meilleurs amis a été victime d'un cancer de l'estomac, à trente-cinq ans. Un nombre anormalement élevé de mes proches ont ainsi disparu au fil du temps. Cinquante huit ans après la bombe atomique, il est difficile de dire si un malade contracte tel ou tel symptôme à cause des effet de la bombe. Il est difficile aussi de dire l'inverse !



Meurt-on encore des radiations ?

Selon les médecins, les réponses varient. Des structures médicales spécifiques continuent encore de suivre les irradiés. Deux hôpitaux ABCC (Atomic Bomb Casualty Commission), créés par les Etats-Unis à Hiroshima et à Nagasaki sont devenus aujourd'hui RERF (Radiation Effects Research Foundation). Ils sont gérés maintenant conjointement par les Etats-Unis et le Japon mais en fait, à mon avis, les Etats-Unis en gardent le leadership. Ces organismes ne peuvent ni affirmer ni nier qu'un individu meurt à cause des radiations. Cependant, les risques d'une mort prématurée sont plus nombreux pour les irradiés. Par conséquence, les radiations provoquent une mort instantanée ou réduisent la durée de vie.



Comment vivent les irradiés dans le Japon contemporain ?

Les irradiés perçoivent actuellement une pension de blessés de guerre d'environ 105 ou 115 euros par mois. Un "carnet", remis aux irradiés, leur donne accès à la gratuité des soins médicaux. Une loi récente vient tout juste d'accorder un dédommagement de 100000 yen (environ 762 ou 838 euros) pour les familles dont un membre est mort le jour de l'explosion. Mais de nombreuses victimes ont perdu tous leurs biens et, à ce jour, elles n'attendent que la mort dans la solitude, la pauvreté et l'inquiétude provoquées par leur état de santé. Certains ont la volonté de témoigner sur les horreurs du nucléaire. D'autres continuent de se taire, car ils craignent de gêner leurs enfants ou leurs petits-enfants susceptibles d'être encore victimes de discrimination. La crainte d'avoir des enfants anormaux à cause de la contamination d'un aïeul continue de faire souffrir. Beaucoup de ces craintes relèvent du préjugé, de l'ignorance.



Hiroshima, cinquante huit ans après, est-elle toujours irradiée ?

Récemment des scientifiques ont mesuré le taux de radiation de la terre et des ruines de bâtiments conservés (le Genbaku-Dîme : ancienne chambre de commerce, devenue le symbole d'Hiroshima) à l'hypocentre de l'explosion. Les résultats restent secrets. Nous savons que l'atoll de Bikini est inhabitable pendant 24000 ans à cause de la contamination radioactive provoquée par des essais nucléaires américains en 1950.
En juin 1992, je suis allé à Tchernobyl pour effectuer un reportage dans les zones dangereuses situées à moins de 30 kilomètres du réacteur détruit par l'explosion. Les rivières et la terre sont encore contaminées. Les spécialistes s'accordent pour dire que dans un siècle, voire plus, ces territoires seront toujours dangereux. L'explosion de la bombe d'Hiroshime date de 58 ans ! Le silence des scientifiques et les observations effectuées m'amènent à penser que des radiations résiduelles contaminent encore les territoires des villes d'Hiroshima et de Nagasaki.



Les Américains se sont-ils servis des irradiés d'Hirosima comme de "cobayes" ?

J'affirme avec certitude que les irradiés d'Hiroshima et de Nagasaki ont été les cobayes des Etats-Unis. La bombe d'Hiroshima, dénommée Little Boy (Petit Garçon), était fabriquée avec de l'uranium. Celle de Nagasaki, appelée Fat Man (Gros Bonhomme) contenait du plutonium. Les Etats-Unis ont évidemment expérimenté sciemment deux techniques différentes pour en mesurer les effets. Comment expliquer autrement l'installation de centre spécialisés dans l'étude des corps des victimes des deux explosions. Chaque irradiés est fiché, moi comme les autres.



Personne n'a été jugé responsable de ce masscre. Selon vous, qui sont les vrais responsables de cette explosion ?

Je pense que le criminel numéro 1 est l'autorité politique impériale qui a procédé au "lavage de cerveau" méthodiquement du peuple japonais pour en faire une masse militariste. A part une minorité persécutée, souvent des progressistes ou des communistes, la plupart des Japonais ont participé avec plaisir aux guerres d'agression en croyant faire la guerre pour la justice. Avec les guerres sino-japonaises, la guerre du Pacifique, les Japonais ont passé leur temps, pendant quinze ans, à guerroyer. Ils ont applaudi à l'attaque de Pearl Harbor. Tout cela s'est achevé à Hiroshima et Nagasaki.
Les Japonais auraient dû juger et condamner l'empereur Hiro HITO et les chefs militaires. Il n'en reste pas moins que l'utilisation des bombes atomiques est aussi un génocide, un crime contre l'humanité. Il serait donc normal que la Cour internationale de justice juge aussi le président Américains, les militaires, les scientifiques responsables de l'utilisation de cette arme.



Croyez-vous encore à une possibilité de guerre nucléaire ?

Le danger de guerre nucléaire existe réellement. Les Médias délaissent les questions de fond Il faudrait au contraire développer l'information sur les risques nucléaires.
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