Extrait du site https://www.france-jeunes.net

Ce n'est qu'un cauchemar...


Où suis-je ? Mais qu'est ce que je fais là ? Je ne me sens pas bien... Je ne suis pas dans mon corps ! Et mon esprit n'est pas dans ma tête ! Aïe ! Je n'aurais pas du boire hier soir !



Mais enfin ! Qu'est-ce qui m'arrive ? Qu'est-ce qui se passe ? Est-ce que je pourrai me relever un jour ? J'essaye et, à mon plus grand étonnement, j'y parvient... Je me dirige alors vers un miroir, pour voir le corps qui s'est emparé de mon esprit, et... Surprise ! Je tombe à la renverse : c'est mon corps ! Il a, certes, changé, ça n'est plus le même, mais c'est formel, c'est bien moi ! Mais alors, pourquoi ce sentiment étrange à mon réveil ? Pourquoi cette impression de pouvoir me voir sans me regarder dans un miroir, me voir comme si je regardais une personne... était-ce un rêve ? Peut-être, après tout... Je ne sais pas, je ne sais plus... alors je me lève et je quitte ma chambre...
Soudain, j'ai un mouvement de recul : que vont dire mes parents quand ils verront à quel point j'ai changé ? Puis, me raisonnant, je me dis que je n'ai sûrement pas changer plus que ça ! Et, que si c'est vraiment le cas, mes parents seront les personnes les mieux placées pour me comprendre, ils sauront ce qui m'arrive, ils m'expliqueront tout et tout rentrera dans l'ordre, qui d'autres qu'eux, me connaissant par cœur, pourraient mieux me guider ?
Alors je descends les escaliers, j'ai l'impression qu'ils craquent beaucoup plus que d'habitude ! Qu'ils craquent comme le bois craque quand il brûle dans la cheminée... Les bruits de ma maison sont sourds, mats, comme figés mais présents tout de même... c'est étrange...


J'aperçois le soleil qui se lève par la fenêtre, on dirait qu'il a saigné toute la nuit tellement il est rouge, puis, ses rayons m'aveuglent, je reste sur cette marche, un instant, et cet instant semble durer une éternité... Et je me sens bien, j'ai l'impression d'absorber l'énergie que m'offre la terre, sous mes pieds... Alors, je continue à marcher, telle une somnambule... Je traverse la maison, je me dirige vers la porte, sans réfléchir, sans pensées aucune... et je sors. Le ciel est embrasé, mais je sais qu'il n'y a pas le feu, le ciel est juste une explosion de couleurs dégradées et crues, douces et dures, il n'y a pas de mots... Il fait très froid. Mais étrangement, j'ai l'impression que la température est très douce... mes pieds s'enfoncent dans la neige, et je ressens encore cette impression de bien-être et de chaleur dans tout mon corps.
Je me laisse tomber dans la neige... elle est délicieusement tiède... pourtant, je ne suis vêtue que d'une nuisette blanche... d'ailleurs, cela doit faire drôle si on me voit de là-haut, on ne doit distinguer que mon visage, mes bras et mes jambes...
Pourquoi ? Ce sentiment de bien être et de mal être ? Ces bouffées de chaleurs, ces frissons le long de ma colonne vertébrale... ces picotements, dans mes jambes, dans mes pieds... pourquoi donc ? Pourquoi moi ? Et pourquoi cette impression si étrange d'énergie débordante, cette impression de pouvoir gommer les horreurs de ce monde d'un seul geste de ma main...


Décidément, je pense trop ! J'en ai même mal à la tête. Alors je rentre dans ma maison... Je n'avais pas remarqué tout à l'heure, mais les murs ont de grandes taches rouges... du sang... Je m'en rends compte, parce que ça n'est pas uniforme... ça ressemble à... du sang... Mais je ne réagis pas comme je devrais réagir, je sais que c'est ma famille qui a été massacrée cette nuit... Je sais que ce sang appartient à mon père, à ma mère et à mon jeune frère... Je le sens, dans mon cœur... mais je n'ai plus de sentiments, je suis comme bloquée...
Pourquoi ai-je été épargnée ?
Je rentre dans la salle d'eau, tout est noir par terre. Crasseux.
J'écarte la porte et m'appuie contre la vitre glacée de la douche, prend le tuyau dans mes mains et arrose la pièce. Puis, je me lave. Je laisse couler ma tristesse, ou plus exactement mon mal être avec l'eau sur ma peau. C'est comme si mes sens étaient amplifiés, je suis très réceptive... le moindre courant d'air, la moindre odeur, le moindre mouvement...
Un mouvement, c'est bien ça que je viens d'apercevoir... alors, sans prendre le temps d'essuyer les gouttes d'eau qui glissent le long de mon corps nu, j'enfile un long t-shirt et je me lance à la poursuite du "mouvement". Ma tristesse remonte en moi comme un raz de marée et ma colère fait surface. Il n'y a plus que moi, je n'ai plus que moi. Je m'envolerais s'il le faut mais je frapperais ce mouvement jusqu'à ce qu'il crève des mille et unes souffrances que je lui aurais fait subir. Je veux qu'il connaisse la souffrance comme je l'ai connue, à cause de la vie... peut-être, après tout, que je le laisserai vivre, car c'est bien ça la pire des souffrances. Vivre sans aimer la vie... Sans avoir envie de vivre !
Mais si cette chose n'était pas vivante, ni même morte ? Je réfléchis trop. Je m'essouffle !


Ca y'est ! La chose, le mouvement est coincé au coin d'une rue, je vais le tuer, la rage me brouille la vue... L'air m'étouffe. J'ai l'impression d'être un vulgaire chewing gum. Le mouvement me regarde alors, il lit en moi comme dans un livre ouvert, je le sais, je le sens, il aspire mon âme. Je tombe, au ralentit, lentement, doucement, sans un cri, sans un souffle : comme dans les films en noir et blanc. Ceux que j'aime tellement regarder avec maman, et me moquer des acteurs. Parce qu'ils ont l'air bien cruche. Maman est morte, son corps gît sur le carrelage. Dur. Froid. Ses yeux sont vides, sa peau est du marbre, un rayon de lune. Oui, j'aime la lune. J'aime tout ce qui vient du ciel. Qui est naturel. Mais j'aime le ciel.
Maman.
Alors c'est vrai, je ne te verrais plus jamais ? Je tombe toujours. La neige est froide. Mon petit frère aimait bien manger de la neige. Avant. La chose voit tout ça dans ma tête. Je le sens toujours. Mes yeux sont redevenus secs. Je la regarde. On dirait un petit animal, une fouine, ou une belette... avec des yeux rouges, méchants, cruels. Je n'ai pas peur. Je ferme juste les yeux. Et je pénètre dans ses pensées. Ses pensées sont les miennes. Cette chose immonde se nourrit de mes pensées, elle s'en délecte. Se nourrit avec mon souffle et ma haine. Je la vois sourire. Alors j'ouvre les yeux. Elle a perçu le mouvement de mes paupières. Maintenant, je perçois de la crainte dans ses yeux. Je peux ressentir la peur glisser le long de son échine.


Le vent m'entoure de ses bras, je me blottis contre lui. J'y suis bien. Le mouvement s'enfui, ça m'est égal. Je le regarde partir ; je sais que je le retrouverais... Le vent me couche, doucement, et glisse sur moi comme une couverture. Je ne dors pas, cependant mon âme est fermée. Mon esprit aussi. Je sombre, inlassablement. Les secondes passent, les heures, les minutes, les heures, les journées... Les années, peut-être même les centenaires. Je ne sais pas. J'ai perdu toute notion du temps et de l'espace. Mais peut-être qu'il n'y a plus de notion de temps et d'espace ! Peut-être la Terre s'est-elle arrêtée de tourner quand ma vie n'a plus eu de sens.
Je peux fermer les yeux, afin que mes larmes roulent le long de ma peau... Si seulement elles pouvaient entraîner dans leur longue chute ce cauchemar... Je peux fermer les yeux... Je peux m'endormir. Je peux rêver.
Je suis dans une chambre immense. Les murs sont nus, blancs, froids. Je suis allongée dans un lit chaud. Le velours des draps caresse ma peau nue. J'ouvre mes yeux. Le plafond au-dessus de moi est une immense coupole de verre avec des arcades dorées. Je peux voir le ciel. Je tends le bras, comme pour le toucher, le caresser. Le ciel est bleu, bleu électrique : presque surnaturel. Puis, il s'éclaire, il devient de plus en plus clair, lumineux : bleu, bleu clair, bleu pâle, blanc ; il éblouit. On dirait que le soleil a remplit le ciel tout entier. Est-ce normal d'avoir peur de la lumière ?


Une tâche encore plus lumineuse se rapproche. Elle brise la coupole. Il pleut des éclats de verres tranchants comme des lames et scintillants de ces reflets irréels. Tout autour de moi... L'ombre de lumière souffle. Son long cri ressemble à un corps de brume. L'ombre change de forme : elle prend l'apparence de ma mère, elle devient elle. Une averse éclate dans le ciel doré. Le vent se lève. L'apparition semble avoir un mouvement de recul. Je perçois de la crainte dans ce qui remplace ses yeux : un vide froid et profond. La pluie glisse sur son corps comme des larmes de sang. Maman...
Elle s'approche. Mes lèvres sont sèches. Mes yeux humides. Elle attrape ma main. A son contact, j'ai très froid, j'ai très peur... Je me débats. Je crie.
"Non ! Je ne veux pas ! Tu n'es pas ma mère !"
Sa main se met à saigner. Comme si mes mots l'avaient blessée ; puis, c'est son corps entier qui saigne. Je pleure. Ses yeux me fixent, ses lèvres s'ouvrent et se referment, en un souffle :
"Leukos... aloneleukos..."


Je me cache de mes deux mains, je ferme les yeux, je me bouche les oreilles. Je ne veux plus voir, je ne veux plus entendre... Elle m'aggripe, me secoue... Je crie, je supplie...
"NON ! Non ! Laisse-moi ! Tu n'es pas elle ! Nooooon !
J'ouvre les yeux : je suis toujours dans l'immense chambre mais elle semble moins froide. Et la coupole n'est pas brisée. Pourtant, je sens toujours un contact sur ma peau : mais ça n'est pas le spectre ensanglanté qui me secoue. C'est un jeune homme :


"C'est fini ! Ce n'est qu'un cauchemar... "
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