Extrait du site https://www.france-jeunes.net

Blanc


Tout est blanc ici, tellement qu'on distingue mal le sol des murs, les murs du plafond. Mais qu'est-ce exactement que cet endroit ?



Où suis-je ? Qui sont-ils ? Tout est blanc autour de moi, lumineux, ça fait mal aux yeux. Ils sont réveillés et me regardent, silencieux. Deux garçons, une fille et un vieil homme. Tous habillées en blanc de la tête aux pieds. Je m'appuie contre la paroi derrière moi et m'aperçois que je suis aussi tout en blanc, comme eux. Où sont donc mes vêtements ? Quel est cet endroit ? Une prison ? Et les quatre ahuris qui me regardent comme une apparition céleste, qu'est-ce qu'ils font ici ? Les questions se bousculent dans ma tête, à une vitesse fulgurante qui accentue ma migraine. Les mains devant les yeux, je gémis sous la douleur qui dessine des cercles rouge sang devant moi. Un ange passe, un blanc, sans vouloir faire de mauvais jeu de mot. Alors je me décide :
- Vous savez où on est ?
La fille sursaute, elle a l'air effrayée tout à coup. Le garçon à côté d'elle lui passe un bras sur l'épaule et la serre contre lui. Ils ont le même regard, la même expression. Ils doivent être frère et sœur. En tout cas on parle pas la même langue.
- Do you know where we are ?
Prononciation et grammaire approximative, mais au moins j'aurais essayé. Rien en face. Ils sont russes ou quoi ? Si c'est le cas, je suis mal. En tout cas ils sont pas chinois, c'est déjà ça.

Allez, un dernier essai. Ils ont l'air morts de trouille, je vais me présenter, ça pourrait les rassurer je pense.
- Je m'appelle Marc, dis-je alors. Et vous ?
Le vieux semble avoir compris, il prononce un "Stanislas" timide. Le grand frère au regard bleu électrique toujours braqué sur moi, désigne sa sœur : "Laura", puis lui-même, "Giovanni". Des Italiens. Si seulement je me rappelais mieux mes années lycée, je pourrais peut-être dire plus que les deux seuls mots que j'en ai retenu : Ti Amo. C'est important à savoir, mais je crois que le frère apprécierait pas. N'empêche que, face à elle, je serais pas loin de la vérité : elle me fascine et m'engloutit au plus profond de ses yeux d'Océan. Elle a dû être sirène dans une autre vie.
Le dernier, recroquevillé en position fœtale dans un coin, bégaye avec peine : "Lars".

Les présentations achevées, on se jauge, on essaie encore de communiquer. Noyé dans les yeux de Laura, j'ai du mal à me concentrer sur ce que son frère essaie de me dire. Si j'ai pas trop compris de travers, il se souvient s'être endormi quelque part chez lui et que plus tard il s'est réveillé ici. Lars était déjà là depuis un moment semblait-il. Sa sœur est arrivée juste après, en même temps que Stanislas. C'est vrai que moi aussi, la dernière sensation que j'aie en mémoire, c'est de m'être endormi. Pas moyen de savoir ce que j'ai fait avant.
Soudain un grésillement à fendre les tympans retentit, tout se brouille autour de nous comme une image atteinte de parasites à la télé. Puis tous les "parasites" convergent dans le coin où Lars a élu domicile et prennent possession de lui... Avant de l'emporter, hurlant, à travers la paroi blanche.

Le silence qui suit me fait presque oublier les autres personnes présentes ici. Laura pleure dans les bras de son frère, alors que je me tuerais pour être à sa place en ce moment. Une éternité passe comme ça, chacun méditant de son côté, puis la fatigue prend possession de moi et je finis par m'endormir.

Viviane... regarde-moi, je suis juste à côté de toi. J'aimerais tant que tu te réveilles... Que tu ouvres tes yeux, que tu voies ce que je suis devenu. Je suis tout en blanc, je suis un ange tu vois ? Mais non, j'ai pas d'ailes, on est au 21ème siècles, ils ont plus d'ailes aujourd'hui les anges. Viens prends ma main, je t'emmène dans mon paradis, dans l'Océan des yeux de Laura...

Pure délire qui me réveille en sursaut. Stanislas manque à l'appel et Giovanni a pris la place de Lars, recroquevillé dans son coin, en proie à des tremblements convulsifs. Laura m'explique alors tant bien que mal, qu'une voix s'est élevée dans les airs, une voix de femme, alors Stanislas a souri, a fait un signe d'adieu vers eux et s'est évaporé doucement. Giovanni s'est alors mis à trembler et est allé là-bas, dans le coin. Laura pense que c'est le coin des "parasites" et que Giovanni les attend aussi. Elle conclut en disant qu'il est froid comme un mort. Eh ben, c'est gai tout ça.

Le souvenir de Viviane revient à mon esprit, douloureux. Je sais que c'est moi qui l'ai tuée, c'est moi qui ai conduit la voiture et qui me suis endormi au volant. C'était il y a longtemps... mais pour moi, c'était hier. Les yeux de Laura m'apaisent et guérissent la douleur. Je la prends dans mes bras, lui murmure des "ça va aller, t'en fais pas" le plus rassurant possible. Elle s'endort sur mon épaule, et n'entend pas les grésillements qui vont emporter son frère.

A son réveil, nous ne sommes plus que deux. Une larme coule sur sa joue, comme une goutte de l'Océan. Je l'essuie, elle sourit, et de fil en aiguille... Jamais une fille ne m'avait embrassé comme ça. Cette fois c'est sûr, où qu'on soit, j'ai trouvé l'âme sœur.
Le temps passe lentement, nous laisse nous découvrir entièrement, elle se donne à moi comme un dernier cadeau avant que les Parasites – ou les Voix – passent nous prendre.
Enfin, une voix d'enfant, appelle de loin Laura et la vapeur pénètre dans la pièce. Elle commence à disparaître lentement, puis tourne une dernière fois son visage vers moi en murmurant : "Ti amo". Je savais que ça me servirait un jour.

Un peu plus tard, recroquevillé à mon tour dans le dernier refuge de Lars et Giovanni, j'attend les Parasites. Ils ne sont pas loin, je les entends et je les sens, c'est eux qui me donnent froid comme ça. Grésillement. Convergence des parasites. La paroi se dérobe derrière moi, ils vont m'avoir. Non ! Une voix me sauve.
- Marc ! Marc, je t'en prie, reviens !
"Maman ?? "
Alors je prend toute ma volonté, bondis hors de la paroi, droit dans la vapeur...

Un néon au plafond me perce la rétine, ça fait mal. "MARC !!" hurle ma mère, pleurant de joie. Une foule de blouses blanches s'activent comme des fourmis au-dessus de moi. Je peux pas parler avec ces tuyaux dans ma bouche.

Plus tard on m'explique enfin. J'ai eu un accident de voiture, avec Viviane. Elle est morte. Je sais tout ça. C'est pour ça que ça me paraissait si proche. Depuis je suis dans le coma... Alors le coma, c'est blanc, on y rencontre des gens, et on en sort que par le réveil... ou la mort. Je me demande ce qui est arrivé à Laura. Tout ce que j'espère c'est qu'elle ne m'oubliera pas.


Fin
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