Extrait du site https://www.france-jeunes.net

Je ne veux plus jamais...


Je ne veux plus jamais qu'on me pointe du doigt, je ne veux plus jamais qu'on rit de moi comme ça, je ne veux plus jamais être la petite fille trop fragile qu'on insulte sans regrets, comme si c'était normal.



Je suis pas grande, je suis pas forte, je dis pas grand chose. J'ai reçu des coups, leurs coups, de sales petits coups bas, je les encaissés, sans un mot dire, les yeux fermés et pleurant en silence pour qu'on me remarque pas.
Pour qu'on ne remarque pas que derrière mes cheveux noirs, comme un rideau devant mes yeux mouillés, je ne souriais pas. Que je ne souris toujours pas, noyée dans mes baggys trop grands, je ne sais pas si c'est moi qui maigris ou si c'est mon pantalon qui agrandit, perdue dans mes chandails à manches longues pour qu'on ne voit pas les traces de ma rage sur mon corps et toujours abritée derrière mes cheveux, bleus et noirs, pour la forme, pour faire dur, pour faire pas comme tout le monde, pour avoir l'impression que, peut-être, ils ont une raison de me cracher à la figure, de pointer du doigt et de rire. Je ne réponds toujours pas, j'encaisse en silence leurs regards moqueurs et leurs airs hautains, je ne réponds pas, je baisse les yeux et serre mes poings, mes dents jusqu'à sentir le goût du sang sur ma langue.
Je serre mes poings, je me retiens de les mettre en plein dans leur gueule parce que ça ne se fait pas, parce que je ne suis pas capable, et que, devant eux, je tremble, je fixe le plancher, ma bouche se tord et les mots se déforment.

Mon poids plume, ils l'enfoncent dans l'eau et me maintiennent collée au fond, la tête dans le sable.
Je ne sais pas leurs noms, je ne sais pas qui ils sont, et je sais encore moins pourquoi ils prennent tout ce plaisir à m'en faire baver.

J'ai encaissé et j'encaisse toujours, leurs mots durs qui résonnent dans ma tête et l'auto-critique qui s'y ajoute, j'encaisse encore leurs sales petits coups bas, le rasoir qui découpe ma peau pour ne pas détruire leurs sales sourires avec mes poings qui font mal à force de se tenir si serrés.

Ma tête baissée, mon regard vers le plancher ou en-bas des escaliers, si je m'écrasais sur le carrelage en faisant un idéogramme chinois avec mon corps, peut-être qu'ils cesseraient de rire si fort, peut-être que, peut-être.

Je n'ai jamais cru qu'ils comprenaient tout le mal qu'ils peuvent faire, tout ce qu'ils peuvent détruire à l'intérieur de moi.
Anna, la petite fille qui se cache pour qu'on ne la voit pas, surtout pas, il ne faut pas lui parler, on va encore se moquer, elle se bouche les oreilles.
Anna qui, gamine, était presque sourde et qui ne jouait pas avec les autres parce qu'elle ne les entendait pas.
Anna qui a commencé à les entendre à neuf ans, ils se moquaient déjà d'elle et elle ne disait rien parce qu'on lui disait de faire semblant, de faire comme si ça ne lui faisait rien, comme si les moqueries et les mots durs pouvaient s'envoler comme ça. J'ai grandi, j'ai encaissé, et j'encaisse encore, j'ai frappé une fois, ça n'a servi à rien, deux ont cessé de parler, d'autres ont continué encore plus fort. Je ne frappe plus, j'encaisse et je regarde le plancher, au moins, le carrelage reste silencieux sous mes pieds.
Je plaque mes écouteurs sur mes oreilles et je monte le volume, en souhaitant ne pas les entendre entre deux chansons.

Anna, elle a dix-huit ans. J'ai dix-huit ans, donc.
Et les chimères de mes dix ans, ces garçons et ces filles qui se sont plantés devant moi pour m'empêcher de passer et salir mes cahiers d'écolières me poursuivent encore. Ils ne tâchent plus mes cahiers de fillettes de boue, ils ne s'amusent plus à cacher mes choses, ils me pointent du doigt et s'esclaffent parce que je ne suis pas comme eux, pas comme elles.
Ils font semblant de se planter deux doigts dans la gorge quand je change de couleur de cheveux, ils crient haut et fort que mon habillement est ridicule, que je ne suis pas normale.
Et moi, je marche sans les regarder parce que les yeux fermés, ça les fait trop rigoler, ils en seraient trop fiers.

Je suis pourtant là, je les entends pendant le vide entre deux pièces de CDs que j'écoute.
Toujours cachée derrière mes cheveux qui passent par les couleurs de l'arc-en-ciel, histoire de changer de décor, j'ai même tenté le rose, mais ça n'a pas marché ou c'est que la vie en rose est aussi moche que celle en noir. Je me noie dans mes t-shirts extra-small et dans mes baggys que ma ceinture ne retiendra bientôt plus malgré les deux trous supplémentaires. Je sens encore et toujours leurs insultes dans mes tympans, elles résonnent encore, même celles de mes dix ans, surtout celles de mes dix ans parce que quand j'entends leurs voix, je redeviens cette petite fille qui ne parle pas parce qu'elle ne comprend pas, je me réfugie dans les pages blanches de mes cahiers que je remplis pour oublier, dans les accords et les hurlements de groupes punks ou hardcore parce que j'ai de la rage dans le ventre, de la rage à revendre ou j'oublie ma vie dans les livres qui racontent celles des autres.
Et le soir, quand les lames courrent sur ma peau, j'imagine que c'est leur sang qui coule alors qu'en réalité, c'est ma vie qui s'en va.

Je suis là, je ne pardonne, je les hais, ils m'ont volé ma vie, ils ont volé le peu de confiance en moi que j'aurais pu avoir, je suis là, à me cacher dans les coins en espérant que personne ne me voit, qu'on ne remarque pas les cicatrices sur mes bras, les larmes sur mes joues, mes lèvres abîmées par mes dents et mes poings crispés.
Je pleure en silence pour qu'on n'entende pas mes faiblesses, mes baggys s'agrandissent encore comme si ça pouvait changer quelque chose, comme si je pouvais véritablement disparaître derrière le noir et le bleu de mes cheveux, me perdre dans les accords de la musique que j'écoute qui ne leur plaît pas non plus.
À croire qu'avoir une identité est un crime.
À croire qu'il n'y a qu'eux qui sont corrects dans le monde entier.
Et moi, je suis encore là, à penser, à enrager, à pleurer ma vie qui s'envole avec leurs insultes, leurs moqueries, je ne crois plus aux autres, je ne crois plus au monde entier, je reste assise par terre sur le plancher trop froid mais pas moqueur, au moins.
Je reste assise là jusqu'à ce qu'on me tende une main, qu'un rare ami me secoue un peu, me montre sa paume en disant hey Anna... ça n'en vaut pas la peine... Je suis là, si t'as besoin...
Ne rien dire parce que, de toute façon, en parler ne fait qu'aviver la douleur même devant quelqu'un qui comprend et qui réussis à s'en foutre, ils ne lui font plus rien à lui, mais moi, je ne peux pas passer par-dessus.

Je ne veux pas qu'on m'entende parler, je ne veux pas qu'on m'entende pleurer, avouer des faiblesses qui pourraient leur servir.
Je n'ai rien à dire...
Que ma rage à leur cracher au visage, que ma vie à détruire pour que, peut-être, ils finissent par se taire et que leurs voix ne filtrent plus à travers la musique...

Je veux ma vie, rendez-la moi...





Inspiré d'une histoire vraie.Mais modifié.Parce que je ne dis jamais rien que la vérité,et tout le vérité,je le jure.
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