Extrait du site https://www.france-jeunes.net

Battle Royale


Quand les nippons adaptent au grand écran l'une de leurs oeuvres littéraires les plus controversées de la fin du vingtième siècle, on obtient "Battle Royale", une virulente plongée en enfer métaphorique d'un archipel nippon au bord de l'implosion intergénérationnelle...



Avec la prophétique (mais tardive) imposition de l'animation japonaise en Occident, dont en France, et la reconnaissance du génie nippon en terme de cinéma ("Ring" en est une preuve indéniable), la production cinématographique de l'archipel s'impose petit à petit comme complètement autonome et gage d'une qualité certaine. Entre les génies tels que MIYAZAKI et TAKAHATA des studios Ghibli et le très controversé KITANO avec ses prods souvent ultra-violentes ("Sonatine", "Haniki mon frère", "Hana-Bi", etc...) mais d'une profondeur unique, les japonais nous montrent au fil des années qu'ils ne sont pas en reste en terme de septième art, quel que soit le genre. Innovante, souvent choc, toujours originale et apportant quoi qu'il en soit son lot de réactions spectatrices, la production nippone ne déçoit que très rarement. Et j'en veux pour preuve supplémentaire "Battle Royale" (réalisé par Kinji FUKASAKU : plus d'infos sur ce réalisateur ICI), film sorti l'année dernière dans nos salles obscures, et qui enfin est disponible à la vente et à la location. A noter tout de même qu'il est l'adaptation d'un roman éponyme de l'écrivain japonais Koshun TAKANO.


Avant tout, voyons ce que le scénario a à dire

Dans un Japon contemporain (comprenez de nos jours), le gouffre qui sépare les adolescents des adultes, et plus particulièrement du système éducatif, se creuse de plus en plus. A un tel point que la majorité des lycéens sèchent les cours. En réponse à ce mouvement protestataire, le gouvernement, en accord avec la population, crée un texte de loi poétiquement nommé "BR", ou "Battle Royale"... Le principe de cette loi est aussi simple qu'infect : chaque année, une classe de troisième est tirée au sort sur l'ensemble du pays afin de participer à un jeu de survie sur une île déserte de laquelle tous les habitants ont été expulsés. Ce jeu de survie n'a qu'une seule règle : à la fin, il ne peut en rester qu'un (tiens, j'ai déjà vu ça quelque part...). En bref, les élèves se voient remis en début de "jeu" un sac contenant quelques réserves alimentaires et liquides, un équipement basique, et une arme dont la nature reste secrète ("surpraïz !") jusqu'à l'ouverture du sac, et ils ont trois jours pour éliminer tous leurs camarades, et si jamais à la fin du temps réglementaire il subsiste plus d'un participant, les deux sont exécutés par leur collier... Car évidemment, ils sont tous surveillés, via un collier style GPS, qui a d'ailleurs rôle de bourreau autant que de mouchard, car il explose en cas de tentative de fuite de l'île, mais aussi en cas de présence de son porteur dans une "zone interdite" de la carte. Car l'île est "découpée" selon un quadrillage précis, et toutes les heures, un carreau devient zone interdite. Le seul contact avec l'extérieur que peuvent obtenir les "concurrents" est le rapport de leur superviseur toutes les quatre heures, qui leur annonce les nouvelles zones interdites, ainsi que les noms des morts...
Bref, une initiative barbare à laquelle sont forcés de participer une ribambelle d'adolescents qui pour seules objets de survie possèdent aussi bien un fusil mitrailleur qu'une batterie de GPS ou un couvercle de cocote-minute...
Au milieu de ces adolescents, il y a Shuya et Noriko, qui contrairement à beaucoup d'autres, vont tenter de rallier les autres élèves, refusant de se mêler au jeu et de se joindre aux manifestations des bas-instincts de survie des autres... Surtout que deux élèves mystérieux ont été incorporés au jeu, et qu'ils ne semblent pas commodes...

Je ne vous en révèle pas plus du scénario qui, même s'il rappelle un petit peu celui de "Running Man" (la version papier de KING sous le pseudo de BACHMAN plus que son adaptation très - trop - libre avec SCHARZENNEGER), possède une profondeur bien plus élaborée et pertinente.
Que dire, si ce n'est "superbe" ? Sans effets spéciaux grand-guignolesques ni maîtrise du plan génialissime, on obtient une production palpitante qui non content de proposer quelques scènes d'action bien foutues (un grand bravo pour certains gunfights sanglants vraiment efficaces), aborde sous couvert d'un prétexte scénaristique extrême (la loi BR en elle-même est une aberration...) tous les problèmes d'une jeunesse japonaise désenchantée et en qui ses pères ne croient plus tant ils dévient de leurs ambitions d'arriérés.


Car c'est bien de cela dont il s'agit ici : d'une critique, et pas piquée des vers, vous pouvez me croire. Une critique d'une société japonaise qui ne sait que martyriser et opprimer sa jeunesse, voyant qu'elle n'arrive plus à la suivre, et lui interdisant la libre-pensée.
Evidemment, tout le monde n'est pas au fait de cette implosion. C'est bien légitime, on ne voit malheureusement les japonais que comme une bande de cinglés serrés les uns contre les autres sur leur archipel minuscule, scotchée à leurs consoles de jeu dernier cri et travaillant vingt-deux heures par jour. Et il est légitime de penser ainsi, puisque c'est exactement ce que veulent faire paraître les autorités du Japon aux yeux de la communauté internationale. Mais la vérité est toute autre : elle se trouve dans la rue, et la jeunesse, qui bien évidemment avec le temps aspire à bien autre chose que ce que veulent (voulaient) leurs aînés, se retrouve étouffée et contrainte au silence.
Avec "Battle Royale", point de chichi. On dénonce ouvertement les autorités, leurs mesures extrémistes quasi nazies, leur non-compréhension d'une population dont le mal-être n'a d'égal que leur besoin d'expression, besoin compressé et censuré. Ici, le rôle symbolique du bourreau est tenu par le maître (oui, le maître, le senseï, le génie) KITANO lui-même (qui d'ailleurs conserve le même nom dans le film), dans un contre-emploi splendide qu'il aborde avec lucidité et brio. KITANO tient le rôle d'un professeur en ayant eu assez de ses élèves au fil des années, et qui a trouvé un moyen de se venger en participant en tant que superviseur à "l'aventure" Battle Royale. Il est froid, cynique, moqueur, méprisant et dénué de toute compassion, en faisant l'ordure par excellence, à marquer d'une pierre blanche dans l'histoire du cinéma.

Puisque l'on parle d'interprétation, le niveau global à ce niveau est plutôt bon, sans plus. Certains jeunes acteurs sortent vraiment du lot, comme Tatsuya FUJIWARA, Aki MAEDA et Taro YAMAMOTO (les trois héros interprétant respectivement Shuya, Noriko et Kawada), ainsi que quelques autres (un vingt sur vingt pour le "second élève mystère", antagoniste complètement défracté du cerveau interprété par Ando MASANOBU déjà vu dans "Kids Return" de KITANO, et à Kou SHIBAZAKI qui endosse le rôle de Mitsuko, d'une peste en pleine crise d'adolescence complètement barjo et prête à tout pour gagner), d'autres sont beaucoup moins convaincants, mais comme en guise de punition, ils se font immédiatement trucider par un moyen ou un autre...

Mais une autre critique particulièrement acerbe émerge de l'impression générale du film, et prend complètement à contre-pied la première. Car loin de là l'idée Kinji FUKASAKU de ne pointer du doigt que les oppresseurs. Les oppressés en prennent aussi pour leur grade ici-bas, démontrant dans cette course contre la mort à quel point ils sont désorganisés, égocentriques et incapables d'un quelconque esprit de communauté. Vous l'aurez en effet compris, au lieu de s'entraider et de se donner une chance à plusieurs de survivre et de se mutiner, un sacré paquet des quarante-trois élèves du début vont décider de se prendre au jeu, sombrant dans la folie pure et simple (l'intello qui pète un câble en est un exemple très pertinent : en balayant tout ce qui bouge devant lui de son fusil-mitrailleur, il récite en hurlant, les yeux exorbités, une leçon de mathématiques...), ou ayant décidé que c'était eux ou les autres... Malgré les communautés qui arrivent néanmoins à se former afin de résister à leurs bourreaux, elles finissent presque toujours par être détruites au propre comme au figuré par les doutes de certains ou les peurs des autres. Une belle dénonciation de ce manque de cohérence au sein d'une population qui devrait faire état de compassion et de résistance, mais qui préfère se terrer dans la voie de l'égoïsme en se mêlant au jeu dont les organisateurs n'attendent qu'une participation violente et destructrice.

Doté d'une réalisation efficace et d'un scénario en béton armé, l'ambiance est parfois encore renforcée par des messages subliminaux faisant apparaître en toutes lettres les phrases importantes des dialogues ou des pensées des personnages, faisant ressortir au final un message de résistance autant que de communautarisme. Oscillant entre découverte d'une adolescence en fin de vie (les passages se voulant "romantiques" procurent une émotion rares, sans gnangnantisme débile ni grandes eaux inappropriées) et action de survivance pure et dure, on obtient un produit d'une qualité exceptionnelle. La violence, évidemment explicitement montrée, est ici relégué au quatre-cent cinquante-huitième plan, pire, on n'y fait quasiment même pas attention à la première vision, tant ce n'est pas cela qui importe. Les multiples critiques ainsi que la foultitude de sentiments qui fourmillent au sein de tous les personnages prennent indéniablement le dessus sur l'action en elle-même, et c'est tant mieux.

Evidemment, ce film n'est pas à visionner par n'importe quels yeux. Je ne peux renier une violence parfois assez poussée (ce n'est pas du gore, quand même), et même si les considérations métaphoriques semblent ici les plus importantes, le sang et les exécutions sont légions, aussi le déconseillerais-je aux moins de douze ans, voire de seize (je crois que c'est la norme officielle adoptée pour ce film) pour qui ne serait pas assez éveillé pour comprendre d'une part que ce n'est que du cinéma, et d'autre part pour saisir les parallèles avec la jeunesse nippone qui y sont exprimées.

Un film tout bonnement faramineux, comme seuls les japonais savent nous en procurer, sur fond de musique classique (on reconnaîtra entre autres l'"Aria" de BACH ou encore "Le beau Danube bleu" de STRAUSS), comme pour adoucir la cruauté du concept de la Battle Royale. C'est fort, choc et intéressant, menant à un final plutôt très bien foutu et pensé. Le rythme ne se casse jamais, les surprises sont nombreuses et les trouvailles scénaristiques très ingénieuses. Un film à découvrir, mais surtout à acheter d'urgence, pour le mettre au milieu d'une collection de films rares en qualité.

(Dernière info : une séquelle à "Battle Royale" a vu le jour au Japon, remettant en scène Shuya et Noriko dans l'édition du "jeu" de l'année suivante, aux côtés d'une classe franchement moins commode que la leur... En attendant une hypothétique sortie en France, rendez-vous sur allocine. Fr où toutes les infos sont présentes sur le sujet).
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