Extrait du site https://www.france-jeunes.net

Conversation sur le palier


Ils sont compréhensifs, ils sont généreux, ils sont amoureux. Mais...



Jeanne : tu étais maussade ce soir, il y a quelque chose qui ne va pas ?
Philippe, caressant tendrement ses cheveux : mais non, t'en fais pas, tout va très bien : il suffit que tu sois présente pour que ma vie rayonne. C'est ton copain, sa tristesse m'a touché beaucoup.
Jeanne : le pauvre Séraphin, il enchaîne les détresses depuis tout petit.
Philippe : tout le problème est là, il a commencé trop tôt à souffrir, maintenant il a pris l'habitude (il prend sa main et joue avec jusqu'à ce qu'elle soit occupée)
Jeanne : oui, depuis la mort de son chat il n'arrive pas à se relever.
Philippe : il s'appelait comment, son chat ?
Jeanne : Magic. C'était un chat noir mais très civilisé. Quand il allait faire caca il disait "miaou. "
Philippe : il y a des animaux qui mériteraient d'être des humains. Et vice versa. Il avait quelle âge Séraphin quand Magic a décédé ?
Jeanne : il venait d'avoir ses trois ans.
Philippe : trois ans seulement ? Je ne savais pas qu'il était si jeune ! C'est pour ça qu'il n'arrive pas à redémarrer. Il est presque impossible de surmonter les traumas acquis avant l'âge de cinq ans.
Jeanne : je sais. C'est pour ça que j'essaye de lui rendre la vie plus agréable. Le riz indien que j'ai préparé aujourd'hui, j'y passé six heures ! Pour le plaisir de faire son plaisir, le tien aussi mais surtout le sien.
Philippe : t'as raison de te concentrer sur lui. Il a plus besoin que moi de ces détails insignifiants qui nous rendent la vie moins insupportable. Et de toutes façons, (prenant un air malicieux) j'ai la cuisinière : tu pourras me faire autant de riz indiens que je le souhaiterai...
Jeanne : oh, Philippe, quand tu me parles comme ça je n'ai qu'un seul envie : t'appartenir pour toujours (des larmes lui montent aux yeux)
Philippe : levant les bras au ciel, vivement le jour où tu auras enfin ton doctorat ! J'y rêve jour et nuit.
Jeanne : moi aussi. Si je pouvais faire plusieurs années d'études en même temps je le ferais, pour pouvoir nous marier plus vite, mais hélas, je n'en ai pas la capacité... (Son visage se couvre d'un voile d'amertume)
Philippe : ne dis pas ça. Tu es capable de tout... Si tu n'y arrives pas, c'est parce que tu penses trop à moi, c'est de ma faute, je te perturbe. Tu m'aimes trop, mais comment te blâmer de m'aimer trop ?
Jeanne : c'est vrai, je perds beaucoup de temps à nous visualiser, étendus sur notre lit nuptial, à te voir partout où tu n'es pas : les regards des poissons, les feuilles qui tombent des arbres, les arrêts du tram...
Philippe : tais-toi, mon amour, où j'aurai dû mal à réprimer une érection (le devant de son pantalon est visiblement grossi)
Jeanne : ça te dérange pas si je te quitte tout de suite ? Je voudrais t'écrire un poème, je me sens très inspirée.
Philippe : vas-y. Mais ne te sens surtout pas coupable. J'allais partir, demain je me lève tôt et il est minuit passé.
Jeanne : tu ne veux pas savoir ce que racontera mon opus ?
Philippe : bien sûr, j'allais te le demander à l'instant même.
Jeanne : je suis à l'arrêt du tram, celui de cinquante otages. Je me mets à l'abri du vent, de la pluie et du froid. Une fille fait de même mais elle fume, et elle parle très fort au portable. Ça me dérange, énormément. Alors je ferme les yeux et je pense à toi... "qu'est-ce que nous sommes bien sur notre lit nuptial, complètement nus... As-tu sommeil ?... Non, je regarde le plafond... Où se trouve le bouton pour éteindre ?... Au pied du lit... Tu me fais mal avec ton coude... Je suis bien comme ça, restons ainsi, ne bouge pas... ça fait longtemps que je rêvais de cet instant, quelle joie, quelle joie, d'avoir acheté mon diplôme... Mon amour, mon amour, mon amour, mon amour... " J'oublie les intempéries, la fumée et les cris de la fille mais aussi le tram. Le tram s'en va, sans moi. Et j'arrive en retard à la fac.
Philippe : oh, qu'est-ce que c'est beau, ma poétesse ! (l'embrassant sur le front) un peu tragique à la fin, mais l'amour a toujours ce côté sombre. C'est indispensable au bonheur.
Jeanne : c'est vrai ? Tu le trouves beau ?
Philippe : j'ai dit beau ? Exquis ! Parfait ! Et ce sera encore mieux lorsque tu y ajouteras des rimes et des allitérations. Tu en mettras en abondance, n'est-ce pas ?
Jeanne, très excitée : oh, oui, des allitérations en "l" pour imiter la tombée de la pluie, et en "k" pour suggérer mon agacement à cause de la fille, ça sera des octosyllabes monorimes en "ip" comme si je murmurais avec insistance ton prénom : Philippe... Tulipe... Pour que tu viennes me sauver dans l'imaginaire d'une si atroce réalité...
Philippe : et pourquoi des octosyllabes ?
Jeanne : parce qu'un huit renversé signifie l'infini, comme notre amour...
Philippe, très ému imaginant la tombée du huit : ça va être une Ĺ“uvre d'art. Je ne te mérite pas. Tu es trop bien pour moi.
Jeanne : ne dis pas ça, sans toi je n'écrirais pas ce poème. Aucun poème. Il n'y aurait aucune poésie dans ma vie. Je vivrais comme tout le monde : de pain. Et le pire c'est que je trouverais la vacuité de mon existence tout à fait naturelle (cette fois-ci ses larmes tombent)
Philippe, ramassant ces gouttelettes salées avec ses chastes lèvres : va te coucher, ma déesse. L'émotion t'a épuisé. J'ai peur de te perdre un de ces jours à cause d'un excès de lyrisme.
Jeanne, l'embrassant : bonne nuit. À demain.
Philippe : bonne nuit, fais de beaux rêves, mon amour...
Jeanne : éclatant de rire, tu imagines si l'on avait vécu à l'époque où il fallait arriver vierge à l'autel ?
Philippe : t'aurais été prostitué, ça c'est sûr !
Jeanne, lui prenant la bite avec les deux mains : et tu aurais payé pour me baiser, plusieurs fois par semaine...
Philippe : et tu aurais refusé de prendre d'autres clients, car amoureuse de moi...
Jeanne : mais comme tu serais pauvre, j'aurais pas pu devenir une courtisane... Je t'aurais quitté malgré mon amour...
Philippe : pourtant tu aurais fini comme la dame aux camélias : empoisonnée de trop avoir mal vécu...
Jeanne : et hanté par mon souvenir, tu aurais gardé ton superbe phallus dans un tiroir...
Philippe, bandant furieusement en raison de caresses que Jeanne lui prodigue : ... La première année seulement, après je reprendrais goût aux bordels...
Jeanne : mais vite tu attraperais une syphilis, et tu me rejoindrais pour toujours, dans l'au-delà...
Philippe : t'as les horaires du tram ?
Jeanne : pourquoi faire ? Le dernier est déjà passé.
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