Extrait du site https://www.france-jeunes.net

Danse


On rit de voir le petit vieux, on rit de le voir peiner en descendant les escaliers, mais est ce qu'il faut, est ce qu'on doit, ne serait-ce qu'un jour, ne serait-ce qu'une fois, entrer dans sa peau pour voir ?



La lucarne s’agite étrangement, au rythme contrebalancé de la musique. Il fait nuit, les étoiles veillent sur le monde. La pièce coule de lumière.
Sur l’écran, des images et des sons se mêlent. Une femme danse, sur un tempo vif et irrégulier. Les hommes la regardent. Elle danse. Les yeux posés sur elle. Elle danse.

C’est une inconnue. Mais elle danse pour eux, pour moi, ses hanches ondulent, son corps virevolte, elle danse, et sa féminité est exaltée par l’ombre qui ne fait qu’illuminer sa langueur. L’image m’hypnotise. Son corps devient serpent, les hommes galets et la scène sable. Les projecteurs sont soleils, et son corps se réchauffe.

Le téléphone sonne, ma douce rêverie s’interrompt.
Devant la lucarne, le songe continue.
Elle est indienne, la scène est palais, les hommes sont sultans, son corps joyau et la lumière devient voile. Elle danse. C’est une vie, c’est un siècle, c’est un millénaire qui s’écoule et elle danse toujours, devant la pitié du Monde.

La musique continue sur le même tempo, et elle danse toujours, infatigable et inaccessible. Son corps devient cygne, les hommes avions, la scène nuage, la lumière air. Et elle danse toujours. Et je la regarde toujours.

Elle danse pour moi. Je le sais, je le vois.

Les hommes deviennent journaux, la scène cheminée, la lumière lampe et son corps feu. Elle virevolte et s’acharne, rêvant à son tour. Elle danse, et tous les malheurs du Monde traversent son corps. Elle danse, et tous les malades sont guéris, et tous les tristes deviennent gais.

Et toi, tu la regardes. Et elle, elle danse.

Les hommes deviennent nuages, la scène ciel, la lumière Dieu et son corps Ange. Et moi, le vieux du quatrième étage, je suis oiseau. Et je la vois qui danse pour moi.

Et les malheurs du Monde s’écoulent encore par son corps. Et elle ne s’arrête pas de danser, et même la lumière retient son souffle. Les nuages font ronde autour d’elle, et elle danse. Et moi, avec mes ailes, je la survole et je la rêve. Elle danse encore et dansera toujours.

Sa frénésie est telle que je ne pourrais vous la décrire de façon concrète.
Elle danse. Elle n’est ni le Bien ni le Mal. Elle danse, au-dessus de tout ça. Elle est. Elle bouge, et sa respiration est comme cette musique qui marque le rythme de ce Monde. Elle danse.

Je me pose sur son épaule, me maintenant en équilibre. Et je vois des yeux. Et je vois une larme. Et de mon bec, doucement, je cueille cette larme.

Même les anges ont besoin de pleurer.
Et soudain, la Terre s’arrête de tourner. Elle s’arrête de danser.
La télévision s’est éteinte. Elle a disparu, les hommes toujours à ses pieds. Et toi, le petit vieux du quatrième, tu penses à elle. Va te coucher, va.
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