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Hélène... Et moi...


Pour ses dix ans, les parents d'Hélène lui offrent un cadeau dont ils ne soupçonneront pas l'importance. Entre Hélène et moi naîtra une amitié particulière, jusqu'au jour où...



J'étais là parmi tant d'autres, nous étions tellement semblables, et pourtant c'était moi qu'ils avaient choisie, et pas une autre, avec ma petite robe à fleur, un peu passée de mode, mes souliers blancs, trop salissants, mes nattes et les rubans roses qui fixaient mes cheveux couleur châtain, un rien banale. Et pourtant c'était bel et bien moi qu'ils avaient décidé de sortir de cet endroit, afin de m'offrir une nouvelle vie, auprès de personnes attentionnées, je l'espérais, et j'en étais même sûre, en les voyant sourire. Ils m'emmenaient chez eux, dans leur maison, où ils m'avaient assurée qu'une jeune demoiselle au doux prénom d'Hélène m'accueillerait à bras ouverts, elle était plus qu'impatiente. Je l'étais moi aussi, même si j'avais un peu peur, c'était la première fois qu'on s'intéressait à moi, qu'on allait jouer avec moi, j'étais tellement heureuse.

A mon arrivée, Hélène se précipita, me serra contre elle, elle effaça de cette étreinte toutes mes craintes de la décevoir, et je la laissais me montrer sa chambre, au combien remplie de mille et une merveilles que je ne connaissais pas. C'était fabuleux, elle parlait sans cesse, riait, et respirait la joie de vivre. Du haut de ses dix ans, elle pétillait, et ne me quittait jamais. J'avais la chance de pouvoir l'accompagner partout où elle allait : à ses cours de piano, équitation, mais aussi aux goûters chez ses amies, aux après midis dédiés aux vêtements, et j'étais toujours actrice, Hélène ne me laissait jamais spectatrice, elle voulait que je participe à toutes ses activités, j'ai pu ainsi pour la première fois de mon existence caresser les touches d'un piano, monter un somptueux cheval, avoir toute une garde robe pour moi toute seule, avec autant de tenues que je ne pourrais jamais en porter, écouter les conversations de demoiselles aisées. Hélène vous vous en doutez était issue d'une riche famille. Et pourtant, elle n'a jamais eu ce regard que les autres enfants avaient porté sur moi, un regard de pitié, non, Hélène m'aimait.

Hélène, comme toutes les petites filles, n'a jamais cessé de grandir, et même si elle m'emmenait moins souvent avec elle pour ses sorties, elle me parlait toujours autant, et je l'écoutais des heures durant me raconter ses journées, je la regardais grandir, et devenir une belle jeune fille. De dix, elle est passée à douze, quatorze, puis seize ans, sans perdre cette étincelle pétillante que je lisais dans son regard, elle était douée pour tout, jouait du piano à la perfection, bavardait sans jamais être impolie ou grossière, était une élève modèle, sans autre ambition que de devenir professeur. Car même si ses parents étaient à l'abri du besoin, elle voulait travailler et surtout enseigner.

C'est au lycée qu'Hélène a rencontré ce garçon, un certain Jimmy. Elle est rentrée un soir de ses cours, avec un étrange sourire aux lèvres, l'air absent. Elle m'a serrée dans ses bras, et s'est mise à me parler de lui. Il était tellement beau, tout droit sorti d'un rêve, il incarnait tout ce qu'elle n'a jamais su être, un rebelle, un adolescent sûr de lui, il envisageait de faire le tour du monde après ses années de lycée. Bref, Hélène était tombée amoureuse de lui. Elle ne me parlait plus que de lui, et des rêves qu'elle faisait, où elle se voyait partir à l'aventure avec lui. Je m'inquiétais de la voir délaisser ses cours pour cet amour qui j'en étais certaine ne tarderait pas à s'éteindre aussi rapidement qu'il était venu.

Et puis un jour, elle est entrée en trombe dans sa chambre, sans me regarder elle a pris un sac et s'est mise à le remplir de vêtements pris au hasard. Pour répondre à ma question silencieuse, elle m'a juste dit : "Je pars avec Jimmy faire le tour du monde." Et sans même un dernier regard, elle est partie. J'ai été incapable de la retenir, de l'empêcher de faire cette folie. Et même si j'avais pu, m'aurait-elle seulement écoutée ? Ses parents ont trouvé un mot griffonné hâtivement sur son bureau, et ont appelé la police. Les recherches n'ont abouti sur aucun indice quant à leur destination. Pendant près d'un an, nous n'avons eu aucune nouvelle d'Hélène.
Et je suis restée à l'attendre, que pouvais –je faire d'autre ? Elle avait toujours été là pour moi, elle était tout pour moi. Je suis restée assise sur son lit pendant tout ce temps, les yeux ouverts la nuit à penser à ces merveilleux instants que nous avions partagés, rêvant le jour, de son retour.
Ses parents se sont battus pour que les policiers ne cessent pas les recherches, ils ont toujours cru qu'elle reviendrait, elle était heureuse auprès d'eux, ils ne perdaient pas espoir.

Hélène est revenue. En pleine nuit, j'ai entendu sonner à la porte d'entrée, les pas des parents d'Hélène dans l'escalier, et un cri. Ce n'était pas un cri de joie, mais bien un cri d'horreur. Sans laisser à ses parents le temps de lui poser des questions, elle est montée dans sa chambre, s'est enfermée à double tour. Avant qu'elle ne se jette sur le lit, j'ai pu la voir, était-ce bien mon Hélène ? Méconnaissable, où était donc passée la jolie jeune fille souriante, pleine de vie ? Elle était si pâle, les cernes sous ses yeux étaient immenses, comme si elle n'avait pas dormi depuis qu'elle avait quitté la maison. Couchée sur le ventre, elle pleurait d'épuisement, de rage. Et je la regardais, j'étais tellement soulagée de la savoir près de moi à nouveau. Mais par quoi était-elle donc passée ? Peut être m'en parlerait-elle...

Je l'ai laissée s'endormir, je l'ai regardée, elle semblait si calme, comme soulagée d'un lourd fardeau, apaisée. Toute la nuit j'ai veillé sur elle. Pas par peur qu'elle ne s'en aille, juste pour savourer cette sensation que me procurait sa présence à nouveau auprès de moi. Elle a dormi longtemps, très longtemps. A aucun moment ses parents ne sont venus troubler son sommeil, comme si ils comprenaient qu'elle en avait besoin.

Dans l'après midi qui a suivi son retour, elle s'est réveillée, m'a regardée, et m'a sourie. J'étais si heureuse. Elle m'a juste serrée tout contre elle. Comme lorsqu'elle était une petite fille, elle s'est mise à me bercer, je sentais son cœur battre, elle est restée longtemps comme ça, sans arrêter de me serrer très fort. Et puis elle m'a dis : "Jimmy et moi, nous n'avons pas fais le tour du monde, il m'a violée. J'ai essayé de m'échapper à plusieurs reprises, mais il m'a toujours retrouvée. Il me battait, pour empêcher que je ne me sauve, il me droguait, il me disait qu'il tuerait mes parents. J'étais à sa merci. Et puis, il a fait une overdose, je l'ai laissé mourir, je me suis enfuie, et je suis revenue ici comme j'ai pu. Je suis en manque de cette merde qu'il m'injectait. Je voudrais mourir, à cause de lui regarde ce que je suis devenue ! Une moins que rien, une fugueuse, une droguée, une prostituée... "

"Comme je regrette mes dix ans, tu sais. J'étais tellement heureuse quand mes parents t'ont emmenée à la maison, je ne sais pas pourquoi, mais je savais qu'avec toi ça allait être différent. Et ça l'a été, j'ai pu enfin avoir une véritable amie, pas comme une de ces filles qui m'invitaient à prendre le thé pour faire les grandes. Non, avec toi c'était merveilleux, je pouvais tout te raconter, tout te dire. Je t'ai toujours un peu enviée, tu sais. Mais aujourd'hui, je sais ce que ça fait d'être comme toi, une simple poupée de plastique... "
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