Ma mystique

On a jeté 1000 pierres dans le gouffre et 1000 pierres ont touché le fond. Et on a appelé cela « loi universelle ». On a vu 1000 hommes malhonnêtes voler 1000 fois et on a appelé cela « malhonnêteté ». On a vu 1000 hommes réaliser 1000 actions vertueuses et on a appelé cela « Dieu ».

Pourtant Dieu n'est nullement remis en cause par le fait que l'homme ne lui doit rien. Comme une vieille chanson oubliée au fond d'un tiroir, comme le fils d'un père inconnu, l'homme peut savoir l'existence de son créateur sans que cela implique ni amour, ni vénération, ni devoir, ni rétribution, ni même proximité.
La meilleure façon de vivre en accord avec Dieu, le plus blasphémateur des hommes dirait que c'est de s'enfermer dans un monastère froid et sombre, pour chanter des louanges mortuaires. Que dirait-on d'un comédien qui au lieu de jouer, s'agenouille au milieu de la scène et ovationne le metteur en scène caché dans la pénombre des coulisses ? L'homme doit jouer, doit vivre, doit créer, oublier Dieu tout en sachant qu'il est quelque part. Voilà ma façon de prier.

Mais quitte à l'oublier par la suite, tout être prétendant à l'intelligence doit s'avouer qu'en ce monde, un être entièrement spirituel existe.
« Ecrasez l'infâme » : Moi, l'Ange Purificateur, j'écrase le matérialisme obscurantiste et je surplombe la seule vérité que Nietzsche n'ait jamais osé dire : Dieu fut notre créateur et toute substance est spirituelle. Que celui qui ose le comprendre soit divin et créateur. Que les autres restent leurs peureux et leurs fragiles.

En vérité, le monde est ainsi fait : une terre, sur laquelle broute une vaste masse populaire, surplombée par quelques Grands Hommes, au-dessus de qui planent les artistes. En levant les yeux, ces artistes peuvent apercevoir des anges qui font des allers-retours entre eux et Dieu. Dans cet amoncellement de strates spirituelles, la communication n'est possible qu'entre celles « qui se touchent ».
Moi même je suis artiste, peut-être même ange. Ce que je connais de Dieu m'est communiqué par les anges. Ce que les Grands Hommes peuvent en savoir, c'est ce que leur en disent les artistes. Dans la masse populaire, l'intuition de Dieu que peuvent avoir les plus forts d'entre eux n'est qu'une ombre déformée, descendue de strate en strate, une sorte de « téléphone arabe ».
Vous, la masse, je suis bien au-dessus de vous, comme les anges sont au-dessus de moi. Mais il n'y a pas de fatalité. Par son cheminement spirituel, chacun se dresse où il peut. Tout être, toute substance, tout objet, renferme une spiritualité radio-active.
Je t'entends ricaner, homme de la masse, homme stérile, homme incrédule. Mais toi aussi tu es croyant. Tout le monde est croyant : croyant que Dieu existe ou croyant qu'il n'existe pas. L'homme ne peut qu'avoir la foi. L'athéisme est un mot qui au mieux rassure le sceptique, mais qui le plus souvent, masturbe le vaniteux, ou dispense une pénombre agréable pour celui qui ne s'est jamais posé de question.
Ma mystique est un crescendo continuel qui se dirige de façon vertigineuse vers un lieu dont je devine de mieux en mieux la nature. Oh ! comme je me sens supérieur à toi, homme matérialiste ! Toi qui voit des boulets de forçat dans les ballons d'hélium, et des chaînes dans les vents ascendants. Toi qui ne ressent comme seul souffle sur le visage que celui du vide...