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Parfum de larme


Les vampires ne vivent pas, ils existent. Est-ce le sang qui les lie aux humains ou tout autre chose? Devant elle et ses larmes, l'être des ténèbres sombre dans la confusion. Dans le silence dans la nuit, une odeur tendre enveloppe doucement l'obscurité...



Ses dents disparurent dans la peau blanche de la jeune fille.
Un léger gémissement se fait entendre. Un gémissement de plaisir, un souffle de bonheur.
Un gémissement à travers lequel il entendit la perte d’une jeune vie, d’une vie si délicieuse.
Ce liquide rouge coulait sur ses lèvres, sur ses dents, sur sa langue.
Quel délice! Quelle succulence! Quel plaisir merveilleux que de goûter au sang d’une jeune fille, si fraîche et si délicate!
Une odeur fraîche envahit son haleine. Une odeur douce de printemps, de la floraison, de la vie, emplit ses narines. Une odeur mortellement jeune qui se dégageait de ce liquide délicat, coulant sur ces joues pâles.
Alors que le sang passa du corps inanimé au ténèbre de son estomac, il sentit cette vieille sensation familière et lointaine remonter en lui.
Cette sensation envoûtante, charmante et délirante, faible comme un ruisseau du printemps et forte comme la brise de l’automne, prit doucement, en lui, la forme d’un souvenir ancien.
Un parfum de lilas, on ignorait depuis quand, se mélangeait à la saveur sous sa langue.
Peu à peu, sa pensée fut entièrement dominée par les débris de sa mémoire perdue.
Il avait bien longtemps de cela, cette même parfum de fleur jeune l’avait tant troublé, tant marqué.

Ses joues, si délicates. Son visage, si beau. Ses yeux, si innocents. Sa voix, si douce.
Ses habits blancs, simples mais propres et frais, ne pouvaient ensevelir la fragrance naturelle de son jeune corps.
Elle était le synonyme de la joie, de l’éternelle jeunesse.
Et son âme, son âme, si pure, si transparente. Une âme d’une beauté cristalline et sainte que rien au monde ne pouvait profaner.
Il la regardait de loin.
Jour après jour, il la suivait, dans l’ombre.
Jour après jour, il guettait sa présence, son sourire rayonnant et ineffaçable.
Jour après jour, il savourait la vie qui se dégageait de cette âme candide.
Il voudrait tant goûter au sang de cette si parfaite créature, ne serait qu’une seule goutte.
Mais il attendait, il attendait avec patience le moment opportun.

Dans la forêt sombre où seul triomphait le ténèbre, la joie et la beauté de la jeune fille ne pouvaient lui venir en aide.
Elle et son père étaient en terrible danger.
Des loups affamés les encerclaient, s’impatientaient d’attendre encore pour savourer leur repas.
La jeune fille priait. Elle priait pour que Dieu puisse leur venir en aide.
Mais Dieu ne l’entendait pas.
Lui, il l’entendait.
Son ombre apparut sur les arbres et camoufla la faible lueur de la lune mourante.
Sa voix résonna dans les oreilles de l’innocente petite créature.
—Je peux sauver ton père. Mais en échange, tu viens avec moi. Tu feras tout ce que je t’ordonnerai de faire.
La pauvre enfant, en voyant les bêtes féroces arracher les vêtements ensanglantés de son père qui tentait de la défendre, ne pouvait refuser cette offre démoniaque.
Et il sortit de la pénombre.
Tel un aigle de la nuit, sa silhouette disparut dans le troupeau de loups sauvages, ne laissant qu’image déchirée de son ombre derrière lui.
Ses ongles percèrent la fourrure des bêtes. Leur peau, pourtant si solide, était pour lui de simples tissus fragiles.
Si rouge. Elle ne voyait devant elle qu’un spectacle peinte en sang.
Le sol était rouge. Les arbres, les feuilles, elle-même, même le ciel était rouge.
Les hurlements se calmèrent.
Il lécha ses ongles tachés. Un goût trop sauvage, pensa-t-il.
Et il partit avec la jeune fille effrayée, laissant le père complètement anéanti dans le ténèbre de la forêt.

Cet instant longtemps désiré fut enfin arrivé.
Ses dents percèrent lentement la peau blanche et délicate et la jeune fille. Très lentement.
Et un liquide délicieux coulait lentement sur ses lèvres.
Quel délice! Quelle succulence!
Il était au ciel, ou plutôt en enfer.
Du sang frais, d’un goût tendre et ensorcelant, parcourait sa langue et sa gorge.
Et un parfum de lilas emplit ses narines.
C’était un parfum sans artifice, une odeur pure et innocente d’éclosion, un effluve frais qui se dégageait d’une âme candide.
C’était l’extase, le paroxysme d’un bonheur jamais vécu.
Et il suçait, fasciné par cet arôme qui l’attirait, qui le possédait et qui le soumettait à son désir mortel de jouir.
Et il suçait, toujours avec de plus en plus de force, comme s’il voulait vider ce liquide rouge et délicieux de la malheureuse jeune fille.
Et il reniflait avec une soif insatisfaite ce parfum qui se dégageait de cette petite créature fragile frémissant dans ses bras.
Il voulait la posséder entièrement, pour l’éternité.
Soudain, le goût dans sa bouche changea.
C’était devenu amer.
Il ouvrit ses yeux, et aperçut un ruisseau de liquide transparent qui coulait sur le visage blême de sa jeune victime.
De la larme.
Il sentit en même temps cette petite croix en argent qu’il tenait inconsciemment dans sa main, et dont la brûlure fut devenu insupportable.
Dans les yeux semi-ouverts de la jeune fille, dans ces yeux où la joie de vivre avait tant brillé, il lisait le désespoir et la tristesse.
Soudain, il eut honte de sa soif, de sa faim.
Et il la relâcha, doucement.
Mais ces yeux commencèrent déjà à se fermer lâchement.
Son corps devint froid. Sa beauté resplendissante, tout comme sa vie, commença à s’éteindre.
Le parfum de lilas se dérobait à son insu dans les airs froids de la nuit.
Dans l’obscurité, il n’y avait que l’ombre d’un homme, et une jeune fille inconsciente dans ses bras.
La croix en argent qu’il tenait dans sa main lui faisait de plus en plus mal.
Mais il semblait oublier cette douleur qui lui rappelait son existence.
Un léger soupir se fit entendre dans la profondeur du silence.

Christine.
Les nuits, étaient toujours emplies de cauchemars.
Il se leva pour regarder la demi-lune, qui, triste et isolée, pendait nuit après nuit dans un même ciel désolant.
Christine.
Il voudrait que le soleil se lève, que son rayonnement puisse chasser sa peur et sa solitude.
La lumière réconfortante du soleil et la faible lueur de l’astre de la nuit étaient ses seules compagnes.
Cela faisait plus d’un demi-siècle qu’il parcourait seul des terres inconnues, à la recherche de ce vampire qui avait enlevé la vie à sa chère soeur.
Tout d’abord, c’était la haine et le désir de vengeance qui, accablants, le poussaient à suivre son chemin. Ensuite, le temps calma ses émotions, et c’était son sens du devoir, le devoir d’un chasseur, qui lui donnait la force de poursuivre sa mission.
Maintenant, il ne savait plus ce qu’il cherchait. La vengeance était devenue amère, et l’amour se détachait lentement de son coeur, paralysé par le temps.
Confus, il écoutait calmement le silence autour de lui et attendait le jour devant un feu évanescent.
Christine…
Il marmonna le nom de sa soeur, comme il faisait toutes les autres nuits, pour ne pas l’oublier.

Il déposa avec délicatesse le corps glacé sur le sol humidifié par la fraîcheur nocturne.
Quoique la jeune fille par terre lui ressemblait énormément, elle n’était pas elle.
Celle qu’il voulait réellement prendre dans ses bras, celle dont il voulait retracer l’image à travers toutes ses victimes, était plus belle, plus jeune, et sa fragrance de lilas était beaucoup plus douce, plus gracieuse.

—Ne bouge plus, vampire, retentit une voix fatiguée dans le silence derrière lui.
Il se tourna lentement, avec lassitude dans ses gestes et dans ses yeux.
—Il est temps de payer pour tes crimes! lança le chasseur en sortant de l’ombre.
—Si vous trouvez que se nourrir est un crime, et bien… répondit-il d’une voix monotone.
—Ferme-la!
Il sortit furtivement sa lame froide. La blancheur de l’épée dansait sous la lueur frêle de la lune.
L’homme des ténèbres ne fit aucun geste. Il prit la parole en regardant calmement l’inconnu devant lui, un sourire glacé et las aux lèvres.
—Vous avez les mêmes yeux, dit-il.
—Quoi?
—Vous et elle, vous avez les mêmes yeux… répéta-t-il d’un ton songeur.
Cette phrase si simple frappa le chasseur comme un coup de foudre. Sa main se mit à trembler.
—Vous devez sûrement être son frère, je le vois dans votre regard, continua-t-il en fermant ses yeux.
—Tu as raison, répondit l’homme armé avec une voix tremblante. Je suis son frère. Et je t’ai cherché pendant un demi-siècle. Maintenant, il est temps de venger l’âme de ma soeur…
—Un demi-siècle… Cela fait déjà tant d’années… J’ai perdu la notion du temps depuis bien des siècles.
Il ouvrit ses yeux et fixa son adversaire d’un regard moqueur.
—Êtes-vous devenu chasseur pour la venger ou étiez-vous déjà chasseur et vous voulez vous venger parce que vous n’aviez pas pu la protéger?
—Cela ne vous concerne pas…
—Ha, les mortels… ricana-t-il légèrement. Ah, désolé, vous n’êtes plus un mortel, il fallait bien le remarquer…
—Ça suffit…
—Votre soeur était bien jolie, vous savez, continua-t-il en levant la tête vers le ciel. L’odeur délicieuse de son sang rouge réside encore dans mon haleine…
Un cri déchirant perça la nuit. L’épée, dans la main tremblante du chasseur, perça sans peine le coeur du vampire.
Le silence. Un soupir se fit entendre, brusque et inattendu.
Le chasseur fixait l’être qu’il venait d’abattre, incrédule.
—Mais…
Il lâcha son épée et le corps s’écroula par terre.
Mais il n’était pas encore tué. Des flambeaux de chair commencèrent à se transformer en cendres, mais il vivait encore, du moins, dans ce monde.
Il mit péniblement sa main dans sa poche et sortit un petit objet soigneusement enseveli par un tissu blanc fin.
—Si vous désirez savoir pourquoi je ne me suis point battu, ma réponse est simple. Si vous avez cinq minutes pour accompagner un vampire pendant ses derniers moments d’existence, je pourrai vous en dire la raison.
Et il leva difficilement la tête pour fixer le chasseur, qui, estomaqué, ne savait pas quoi répondre.
—Je ne vis pas. J’existe. Mais mon existence exige le sacrifice des innocents. Si j’ai un but, c’est simplement de continuer d’exister.
Il ouvrit avec peine le petit tissu blanc.
Une croix en argent apparut. Il voulait la tenir dans sa main, mais elle consuma ses doigts et les transforma rapidement en poussière.
Il sourit amèrement et continua.
—C’est la croix de ta soeur, chasseur. Je ne l’ai jamais tuée. Elle était beaucoup trop jeune et trop ravissante pour mourir. Comment pouvais-je tuer une âme si pure, si innocente?
—Mais…
—Elle s’est enlevée la vie.
—Quoi…
—Je l’ai transformée en vampire…
—Tu…
—Elle ne pouvait pas survivre. Je lui ai fait boire mon sang et l’ai transformée en vampire.
Le chasseur resta silencieux.
—Même sans vie, elle était toujours aussi belle, aussi jolie…
Sa voix se perdit doucement.
Son corps disparaissait lentement dans l’obscurité de la nuit.
Et soudain il reprit douloureusement la parole.
—Lorsqu’elle a appris la vérité, elle s’est enlevée la vie, avec une épée en argent.
Le coeur du chasseur se serra.
—Elle est réduite en cendre, comme tous les autres… Je ne pouvais la regarder disparaître. Je ne pouvais pas comprendre sa décision…
Il jeta un regard sur la croix en argent enseveli par sa propre cendre.
—Cette croix, c’était tout ce qui restait d’elle… Je l’ai soigneusement conservée.
—Elle ne voulait pas faire de mal aux gens…
—Oui, certainement… Elle ne voulait pas mener une vie égoïste de vampire, alors, elle a choisi de brûler en enfer. Sa générosité l’a tuée, ou plutôt son humanité, celle que je ne possède point. C’est alors que je réalise que mon existence, comme celle de tous les vampires, n’est qu’une malédiction. Autant pour vous, que pour nous-mêmes.
Il baissa son regard et se rendit compte qu’il n’avait plus beaucoup de temps.
—Je n’ai que assassiné des jeunes filles comme elle, depuis. Chaque fois que ma langue effleure leur sang, je me sens plus près d’elle, mais en même temps, je sais je m’en éloigne de plus en plus. Est-ce le sang qui nous lie ensemble, ou tout autre chose? J’ai voulu mettre fin à mon existence pour cesser ce massacre, mais je n’ai pas le courage de percer mon propre coeur, comme elle.
—Alors tu m’as rendu enragé pour que…
Il ne répondit pas et ferma doucement ses yeux.
—Je la regardais disparaître devant moi. Avant de mourir, sur ses joues, coulaient ses larmes. Pourtant, les vampires ne peuvent pas pleurer…
Sa voix faiblit, et faiblit, et devint presque inaudible.
—Une âme si pure, si innocente…
Deux gouttes cristallines quittèrent ses yeux juste au moment lorsque son existence toucha à sa fin, tombèrent et disparurent dans la cendre noire.
Le chasseur, après avoir fixé le vide durant un long instant, se pencha pour ramasser la petite croix en argent et se retira discrètement dans le silence de la nuit.
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