Extrait du site https://www.france-jeunes.net

Claire, la plus claire des filles


Petite histoire concernant une rencontre ou c'est merveilleux d'être fou à deux...



Imaginez un été qui ne prendrait jamais fin.
En 2007.
imaginez une jeune fille qui rit.
Moi.
Imaginez un blond aux longs cheveux.
Lui.
Imaginez un petit lycée privé.
Le notre.
Imaginez une ville bourgeoisement grise.
Prêts ? Commençons...
nantes métropole, dans les pays de la loire... A la fin juin.

La CPE vient de sortir d'un grand pas me laissant là, juste devant le tableau, avec tous les regards de la classe posés sur moi. Son message était clair : il faut que je me présente. Sur mes joues, une délicate touche de rose fait irruption, non, ce n'est pas de la timidité mais de la pure coquetterie féminine, pour être tout à fait franche, j'adore être la cible des projecteurs.

Debout devant son bureau, madame polski, professeur d'histoire-géo, m'adresse un sourire sympathique pour m'inciter à parler, puis on entend le bruit d'un stylo qui tombe et me fait sursauter. Le silence est total, solennel, dans ce milieu de matinée.

Et au centre de l'attention, moi, claire vachette, une fille de 18 ans, plantée là comme un platane, considérant mon public d'un oeil fier et solide, et réfléchissant en même temps à la théorie pédagogique de frôgel qui comparait l'école à un jardin et les enfants à des fleurs. Malgré la chaleur, ils ont l'air patient ces adolescents. D'abord j'embrasse de mon regard vigoureux ceux qui se trouvent aux premiers rangs, d'habitude les plus motivés et téméraires, ensuite, je promène mes yeux sur ceux du milieu, sans trouver non plus rien de remarquable, enfin j'examine le fond de la classe et là, seul dans un coin, l'air aussi concentré sur moi que je me suis senti tomber les vêtements de l'âme, un grand blond aux cheveux longs. Je me détourne alors de celui qui me trouble et regarde par la fenêtre : toute l'élégance de l'été, jusqu'à dans ses afféteries les plus légères, se range derrière le soleil qui commence à monter et le suit, toujours plus haut.

Tout semblait donc prêt pour que je déballe ma présentation, à part madame le professeur qui n'avait bougé que d'un sourire depuis mon entrée en scène et prenait appui sur le bureau, avec une telle insistance qu'on aurait cru avoir affaire à un bureau de fonction. J'ai compris alors qu'il était grand temps de prendre les choses en main. Saisissant la chaise de madame polski, je l'ai traîné lentement vers moi : tout le monde, sans exception, avait porté les mains aux oreilles. Je savais faire du bruit, moi. Puis je m'assis, ouvris mon sac et sorti mes sandales à talons hauts de 10 centimètres. Oui, ce fut pendant le changement de chaussures que madame polski, visiblement embarrassée, tournait sur elle-même produisant des brises légères qui nous donnaient envie à tous d'avoir des ventilateurs dans la classe, puis, remuant maladroitement sa tige, s'approcha de moi, une fuite d'un tableau de van gogh.

-... Hé...

je dressai l'oreille.

-... Vous pouvez commencer, fit madame polski, je reviens tout de suite. Juste le temps de faire quelques photocopies et de boire un petit café.

-oui... Bien sûr... Fis-je toute excitée, fermant les yeux pour mieux aspirer le délicat parfum de ma toute première victoire dans ce nouveau lycée. Je sentais que mon séjour ici ne serait pas ennuyeux...

un doux claquement de porte dans le lointain me fit ouvrir les yeux, elles étaient toujours là, immobiles, les fleurs de frôgel... Elles étaient environ une vingtaine.

-quelqu'un a du feu ? Fis-je en sortant un gros havane de mon sac.

-il est interdit de fumer en cours, s'empressa de dire un petit obèse à l'accent de pédé qui se trouvait à moitié caché derrière un rideau lourd.

-ben mince alors, fis-je en marchant vers le fond de la classe où le blond aux longs cheveux me tendait un briquet. Je mordus le bout du cigare, le regardant droit dans les yeux, le crachai furieusement par terre et me penchai vers le feu, serrant fort le havane au coin de ma bouche. Ce fut lors de cette génuflexion que je ressentis une douleur aiguë irradier ma poitrine, comme si je venais de recevoir un coup invisible, je portai ma main au coeur et fis " aïe ", juste avant de tirer sur mon havane. Une petite rafale de fumée s'échappa de ma bouche, suivie d'un remerciement.

-de rien, répondit le blond aux longs cheveux, tout en esquissant un timide sourire.

-au jardin des plantes, fis-je m'adressant au petit gros que je n'avais pas oublié, la pelouse centenaire est réservée à nos amis les petits oiseaux, pense-tu que je vole quand je veux traverser le jardin ?

Le petit gros se fit de plus en plus petit derrière le rideau, que je tirai d'un seul trait pour bien lui cracher une bouchée de fumée à la figure. Il transpirait comme une fenêtre. Puis je lui tournai le dos pour m'adresser au groupe, sans cesser de marcher, lentement, afin de bien mettre en valeur mes belles chaussures à haut talons et mordillant mon havane, ce qui rendait mon élocution pas très compréhensible par moments.

Comme vous le savez, fis-je, la coutume stipule de se présenter lorsqu'on arrive à un nouveau établissement scolaire. Soucieuse de bien m'insérer dans ce lycée qui coûte si cher à mes parents, je vais faire comme la plupart, je vais m'y conformer. Sachez que je me prénomme claire, comme le personnage du film le genoux de claire, d'erich rohmer, que je suppose ici personne n'a vu. Levez la main si je me trompe... Mon prénom est donc claire, je répète pour que vous pouviez prendre des notes, et mon nom vachette. À partir de ce moment, vous pouvez m'appeler mademoiselle claire, mademoiselle vachette, ou claire vachette, tout court. Comme vous voyez, je sais faire preuve de générosité.

Tout en me promenant dans les différentes allées, je continuais à déballer ma présentation, faisant preuve de mon admirable sens pédagogique : je tirais sur mon havane au moment des points, et laissais tomber les cendres par terre au moment des virgules. Sans qu'une voix ne se leva pour m'interrompre, je poursuivis :

Ma mère avait 14 ans quand elle épousa mon père, de 8 ans son aîné. Le père, homme à tout faire, acheta un terrain dans une campagne paumée et y construit, avec ses mains, une petite maison de rêves, avec un grand jardin à l'entrée pour que la mère ne s'ennuie pas trop. Ce jardin devint vite la passion de la femme-enfant, qui affectionnait les roses en particulier, de toutes les couleurs, et y plaça au milieu celle qui donnait plus de sens à sa vie : moi, qui venait de naître au bout de dix mois de mariage seulement. À cette époque-là, mes parents copulaient de façon intensive.

Mais ils se calmèrent à ma naissance. Un enfant, vous ne l'ignorez certainement pas, c'est une grande responsabilité, ça demande beaucoup de temps et d'énergie. Un enfant, ça pleure sans prévenir et il faut deviner ce qu'il veut. Cette nuit-là, alors que le bébé claire n'avait que 19 jours, il pleura de faim. Sa maman commença à l'allaiter en la berçant sur le fauteuil à bascule, bercement qui les endormis toutes les deux... Mais il est de moments dans la vie, chers enfants, où la fatigue mène directement au drame, pensez, par exemple, à achille combattant après avoir passé la nuit dans le même lit que patrocle... Lors de ce combat, son invencibilité ne le servit de rien, c'est pourquoi on construit des aires de repos au bord des autoroutes. Hélas, le drame qui nous concerne ne put être évité, claire tomba, se cogna le sommet du crâne contre le dur granit et perdit connaissance. Ses parents, sans même perdre le temps de changer leurs pyjamas, l'amenèrent à l'hôpital. Ce fut le jour le plus triste, le plus douloureux, le plus long de toute leur vie commune, les médecins étaient très pessimistes, ils ne pouvaient pas dire quand sortirait-elle du coma, supposant qu'elle en sortirait un jour... Qu'elle en sortirait un jour... Qu'elle en sortirait... Qu'elle en sortirait...

je me tus. Tout le monde me regardait. Je glissai une main dans mon jean, tâtai mon fessier, l'entre jambes, effleurai les contours de mes hanches et plongeai dans ma culotte en murmurant : élasthane... élasthane... Heureusement qu'on fait des jeans en élasthane !

Prenant ensemble le jean et la culotte avec ma main libre, séparant le tissu de ma peau, je réussis à attraper la bestiole par quelques unes de ses pattes qui bougeaient dans tous les sens, je commençai à la ramener lentement vers l'extérieur, mais malgré toutes mes précautions elle retomba me laissant avec deux pattes poilues dans la main, je replongeai encore, l'attrapai cette fois-ci par la tête la serrant si fort qu'elle s'auto-inocula son venin, et au moins de deux secondes je pus faire sortir son cadavre de ma culotte... Quel soulagement, j'avais cru qu'elle n'en sortirait jamais.

Sur la paume de ma main, à la hauteur de mes yeux, je pus constater qu'il s'agissait d'une tarentule, puis je levai mon regard rouge de colère pour contempler les vingts géraniums en pots.

Peut-être profitaient-ils de cette chaleur caniculaire pour élever de dangereux animaux d'autres latitudes dans le but de les utiliser comme arme de combat contre leurs ennemis tout en faisant semblant d'être inoffensifs. Peut-être faisaient-ils également du profit en vendant très cher le précieux venin aux laboratoires pharmaceutiques de cette région où la recherche médicale était particulièrement valorisée et suscitait des jalousies, non seulement en France, mais aussi en Europe et aux états unis... Mais pourquoi " ils " ?... Un seul de ces géraniums au visage couvert de la rosé de midi pouvait être le coupable. Mais pour lui faire payer cette humiliation, il fallait d'abord l'attraper...

je sortis un mouchoir de ma poche, m'épongeai le front, et sans détourner le regard de l'ensemble silencieux du jardin, dit :

-c'est qui l'auteur de l'attentat ?

À une exception près, toute la classe éclata de rire.

-ça alors ! Comment voulez vous qu'on le sache, vous n'êtes pas dans un roman de conan doyle là, mais dans un cours d'histoire...

je foudroyai d'un regard le petit insolent qui m'avait lâché cela tout en rigolant, puis lui dit :

-alors dans l'impossibilité de trouver le coupable, ce sera toi qui va payer... Mais souviens-toi, je suis généreuse, tu auras le privilège de choisir ta mise à mort préférée... Comment veux-tu qu'on t'achève ? Et de ma main droite j'écrivis sur le tableau :

a) je veux mourir noyé
b) je veux mourir lapidé
c) je veux mourir empoisonné
d) je veux mourir électrocuté
e) je veux mourir pendu
f) je veux mourir étranglé
g) je veux mourir suicidé


voilà, tu n'as pas à te plaindre, tu as le choix, mon garçon.

-je choisis la " g " alors.

-désolée, cette mise à mort est réservée aux gens d'honneur.

-dans ce cas je refuse ma condamnation, je fais appel.

-si tu refuses, c'est moi-même qui vais te tuer...

déjà je marchais vers lui, les poings et les lèvres bien serrés, lorsqu'un black au grand chapeau monta sur une table pour mieux propulser une petite boule de papier farcie de chewing-gum que je sentis se heurter à mon oeil. Ils ont tous éclaté de rire en même temps, tous sauf le blond aux longs cheveux, qui se leva à son tour, et demanda :

-tu vas venir tout de suite présenter tes excuses à mademoiselle claire.

-tu rêves, mon blond, fit gaiement le black au grand chapeau en jetant une autre boule de papier farcie sur mon visage trempé de sueur.

Le grand blond aux longs cheveux se mit à courir très vite entre les tables pour attraper notre adversaire.

-viens te battre tout de suite !

-non, je préfère la paix ! Hurla le grand black tout en courant pour ne pas être attrapé.

-si tu préfères la paix, pourquoi tu jettes de boules de papier farcies sur mademoiselle claire, c'est un peu contradictoire non...

-je préfère la paix quand il s'agit de moi, riposta le grand black sans cesser de courir.

Pour aller plus vite, le blond aux longs cheveux se mit à sauter sur les tables tout en invectivant notre ennemi :

-la paix est pour les femmes et les lâches !

Alors le grand black trébucha après avoir buté contre une chaise. Le blond aux longs cheveux sauta sur lui, le prit par les épaules, le secoua vigoureusement, avec une rage que je n'aurai pas deviné venant d'un être si doux.

-ne le tue pas ! M'écriai-je, regardant par la fenêtre, le soleil n'est pas assez bas pour tuer des cons...

-con ? Fit le grand black en essuyant ses larmes. Non. Je ne suis pas con, je suis...

mais il ne put finir sa phrase pour cause de fin de cours. La sonnerie retentissait toujours dans nos oreilles quand le directeur ouvrit la porte, sa chemise blanche tâchée de petits points rouges, probablement du sang.

-j'ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer, fit le directeur d'une voix émue, votre professeur d'histoire ne pourra plus assurer son cours, madame polski vient d'avoir un lamentable accident...

le directeur s'arrêta, reprit haleine, examina l'effet que ses paroles produisait sur nos visages, puis nous remercia de notre compréhension sans oublier de nous dire :

-mais cela ne vous empêche pas d'aller en cours de math.

Tout le monde sortit, en état de consternation, pour aller faire des équations tristes, tout le monde sauf lui et moi.
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