Extrait du site https://www.france-jeunes.net

La méritocratie, massue idéologique


Quand on veut on peut ? L'idéologie de la méritocratie est mensongère et injuste, et sert uniquement à faire accepter la domination de la société par une certaine classe sociale.



"Travail", mot dont le sens latin d'objet de torture n'est guère réjouissant. Nul ne peut nier qu'il est cependant le tribut incontournable que doit payer l'humanité pour s'extirper de sa condition animale. Je crois ne pas trop m'avancer en affirmant que le travail, et surtout les revenus qu'il procure, est un signe évident de réussite dans la société capitaliste. Notre Président est d'ailleurs porteur de ce message : "il n'y a pas de honte à réussir", comprendre "gagner de l'argent". Dans l'absolu, l'affirmation n'est pas fausse car elle n'implique aucune injustice. Dans l'absolu seulement...

"C'est avec des hochets qu'on mène les hommes" disait Napoléon à propos de la Légion d'honneur qu'il inventa.
Il ne croyait pas si bien dire.


La méritocratie est un mythe

Nul besoin de s'étendre, il suffit de le constater sur les tableaux de mobilité sociale ou bien même d'ouvrir les yeux : grandes écoles, classes préparatoires, quartiers, catégories socio-professionnelles dites "supérieures", autant de lieux quasi-clos. Alors oui il y Rachida Dati et Rama Yade et certains auront toujours le bon mot "quand on veut on peut" pour se voiler la face.
(Notons au passage la confusion idiote qui consiste à exhiber la réussite d'individus issus de ce que l'on appelle une "minorité visible", paraphrasons Marx : "le prolétaire n'a pas couleur".) Quelle "chance" celui ou celle qui vit en banlieue avec son vocabulaire minimal et inadapté a t il de décrocher un emploi ? Moins extrême, cette étude (1) et celle-ci (2) mettent en lumière les inégalités dans les études supérieures, alors que la sélection sociale a déjà frappé au collège et lycée. Et il ne s'agit que du système scolaire. Je ne m'étendrai pas plus sur la reproduction sociale, déjà largement abordée et ressassée.


La méritocratie est une idéologie, instrument de domination

Le problème est que ce constat d'échec est aussi partagé par les tenants de la méritocratie. Ils ont alors beau jeu de plaider pour que l'on la garantisse dans les faits. Face à cette supercherie je distingue deux positions :
- celle de Friedrich Hayek (3) et Milton Friedman (4) qui consiste à exclure tout rôle de l'Etat dans la garantie du jeu de l'égalité des chances : le libéralisme pur. En langue populaire, le chaos. Il s'agit tout simplement une justification théorique à la domination bourgeoise, celle des "inégalités justes". La bourgeoisie n'a rien à perdre et tout à gagner en l'utilisant car elle en connaît l'inefficacité. En effet la bourgeoisie se reproduit et donc ne tremble pas devant la lutte de chacun contre chacun.
- celle qui englobe tout le champs politique contrôlé par la bourgeoisie. L'unique clivage politique interne à la bourgeoisie semble être crée par l'intensité de la plaidoirie (la palme revenant à la droite) et l'ampleur des moyens qu'il faudrait mettre en oeuvre (la palme revenant à la gauche) pour atteindre la méritocratie. On peut soupçonner l'hypocrisie de cette deuxième catégorie, c'est-à-dire qu'elle serait plus ou moins ralliée à la première vision.

La méritocratie comme elle est comprise actuellement est en fait le discours de la classe dominante pour justifier sa domination, et une politique pour l'asseoir. La gauche reprenant ce discours de droite joue un bien mauvais rôle. Elle accepte cette vision, elle se cantonne volontairement à un débat dont les bornes sont imposées par l'idéologie bourgeoise. Elle rentre dans une arène où il n'y aura qu'un vainqueur, la classe bourgeoise. Or seule la critique marxiste du capitalisme peut apporter un vrai progrès social et économique. En ce sens la gauche a été vaincue par l'idéologie bourgeoise, la gauche n'est qu'une modalité de la droite.


La méritocratie telle que défendue est un fatalisme

Quel sens aurait une politique dont l'objectif est de réunir les conditions d'un "jeu" (euphémisme économique, faut-il le préciser) où chaque participant pourrait se mettre parfaitement en ligne avant le coup d'envoi pour qu'à l'arrivée les inégalités les plus révoltantes s'en trouvent justifiées ? Au fond, il s'agit de la théorie de Rawls (5) qui est une utopie malhonnête parce qu'elle ne se réalisera jamais sans critique et dépassement du capitalisme et qu'en plus elle mène à des injustices. La méritocratie telle qu'elle est prônée est en fait la loi de la jungle, la guerre de chacun contre chacun. Ce constat va radicalement à l'encontre de l'effort éternel qu'a fourni l'homme pour bâtir une société, c'est-à-dire l'épanouissement de l'individu par la vie en communauté. On est donc surpris par tout ce que le concept actuel de méritocratie renferme de régression.

Le mérite est une façon d'exploiter le prolétariat au moyen de la force idéologique et d'obtenir une main d'Ĺ“uvre servile, acquise à des objectifs illusoires, tout comme une foi aveugle vaut les disciplines militaires les plus dures quand il s'agit de mener croisades et conquêtes. Le paradis du croisé c'est l'ascenseur social du prolétaire. Les inégalités "justes" rappellent le concept de hiérarchie d'ordre divin, car tant l'échec que la réussite est systématiquement expliqué par le mérite de l'individu. Le mérite, initialement un concept fondé sur la seule force de la volonté se révèle être un fatalisme.

Ne conviendrait il pas de parler de talent au lieu de mérite ? Tirer parti des talents, voilà plutôt le but que nous devrions nous fixer.


Références

(1) http://www.cge.asso.fr/presse/synthoriginecsp_juin-2005.pdf
(2) http://fr.wikipedia.org/wiki/Sociologie_des_grandes_%C3%A9coles#Analyse_statistique
(3) http://www.blog-gratuit.com/uploads/leroux_239964.jpg
(4) http://www.roumazeilles.net/images/2007/rsa/PICT3561w%20-%20Hyene%20femelle%20avec%20une%20proie.jpg
(5) http://fr.wikipedia.org/wiki/Rawls
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