Extrait du site https://www.france-jeunes.net

Immensité


Elle était prisonnière d'un tout autre monde... De son monde.



Elle se réveilla, le font en sueur. Tous ses membres tremblaient et, d'une oreille distraite, elle écoutait le tic-tac inlassable de l'horloge. La chambre était petite mais, malgré tout, elle s'y sentait totalement perdue. Elle ne l'habitait évidemment pas par choix; il y avait bien longtemps que le droit de faire des choix s'était refuser à elle. Par la fenêtre entrouverte lui parvenait les bruits de l'extérieur, d'un monde où elle ne voulait pas vivre. Elle aurait voulu fermer les yeux et ne plus rien voir, ne plus rien entendre. Elle aurait voulu faire taire la voix de ses parents, de ses amis, de tous ceux qu'elle avait perdu et qui revenaient sans cesse la hanter. Pourtant, malgré tous ses espoirs, tous ces efforts, la voix des disparus la laissait prisonnière de son monde imaginaire, un monde bien à elle qui n'existait que dans sa tête. Elle entendit un cri, puis la pluie qui s'abattait sur le mince toit qui la couvrait. La faible lueur des réverbères dans la nuit faisait apparaître de terrifiantes ombres tout autour d'elle. Elle voyait, dans ses ombres, toutes ses peurs et ses craintes prendre forme. Elle voulu se rendormir, faire semblant de mourir ou, avec un peu de chance, mourir réellement. Elle n'avait pas choisi de vivre ici; l'endroit lui-même l'avait appelé, était venu la chercher. L'endroit avait une âme, une telle force qu'elle ne pouvait la combattre. Parfois, elle cherchait quelque chose sans trop savoir quoi. Elle déambulait à travers les rues, le dos courbé et les poings serrés. C'était son signe, son moyen de défense; Elle ne desserrait jamais les dents. Elle marchait d'un pas vif, en regardant par terre. Elle avait tenté de s'enfuir plus d'une fois, mais des démons intérieurs la retenaient. Elle n'avait ni chaîne, ni cachot. Elle avait seulement sa crainte, sa terreur et son incompréhension. Cela suffisait à la faire reculer, à la garder prisonnière de l'endroit où elle survivait. Elle se redressa soudain sur les divers coussins qui lui servaient de matelas, de table et de maison. Elle dû se courber encore plus qu'à l'habitude pour passer à travers la porte, mais elle marchait, pour la toute première fois, tête haute. Elle fixait les yeux des gens, allait chercher leur âme et les rendaient responsable de sa souffrance. Certains détournaient les yeux, comprenant sa douleur mais ne voulant se risquer à lui tendre la main, d'autres soutenaient tout simplement son regard, avec la conviction qu'eux ne deviendraient jamais, jamais comme elle. Et il y avait aussi les autres : ceux qui ne la voyaient pas, ceux qui l'ignoraient, ceux qui n'avait pas le courage d'admettre qu'il existait en ce monde une souffrance bien plus grande que tout ce qu'ils avaient pu jusqu'alors imaginer. Elle n'avait jamais compris pourquoi elle était ici. Bien sur, elle avait cherché des réponses du mieux qu'elle l'avait pu. Elle avait ri, pleuré, et même, peut être, aimé. Mais les réponses tant attendues n'étaient jamais venues. Elle avait fini par cesser d'espérer. Elle avait erré longtemps, trop longtemps. Mais désormais, elle était épuisée. Son corps et son âme v'avait plus la force de lutter contre ce monde invisible qui se dressait entre elle et la réalité. Aujourd'hui, il était trop tard. Elle voulait simplement savoir, ou comprendre. Avoir un sens, un sens qui aurait le pouvoir de l'aider à comprendre. Comprendre pourquoi elle se retrouvait seule dans sa cabane au toit de tôle, pourquoi personne ne se retournait plus sur son passage. Elle ravala ses larmes, des larmes de détresse et de désespoir, des larmes dans lesquelles se déversait toute sa rage. Elle accéléra le pas. Elle avait toujours aimé ce pont, avec sa structure métallique, ses quatre voies et ses immenses poutres. Elle savait exactement où aller. Elle y était déjà venue tant de fois et reparti, tête basse, sans n'avoir rien accompli. Elle savait où se diriger, elle répétait les gestes que tous ceux qu'elle aimait avait un jour commis. Elle vécue ses derniers moments dans un état qui, de loin, pouvait ressembler à du bonheur. Elle grimpa doucement. Personne ne la vit. Un énorme paquebot passa sous le pont; Elle attendit. Et alors seulement, elle ferma les yeux et, dans un dernier cri, se laissa basculer dans l'ignoble vide de l'immensité.
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