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Mon monde

Nina a quinze ans. Sa vie tourne au cauchemar depuis son arrivée dans un asile macabre. Là où le vide entoure les âmes, cette ado mutilée par son psychiatre, puis violée, ne sait plus où se chercher. Elle se perd, et tombe dans un gouffre : celui du suicide. Une histoire qui pourrait nous éclairer sur le malaise de l'adolescence...


Y'a pas plus cruel que ce monde. Les épreuves, les journées, l'ont prouvé. Pas de répit, ça n'existe pas. Ou plus.
Enfant, la beauté nous apparaît bien facilement ! Noël, Pâques... Le bonheur se résume là. Aujourd'hui, tout a changé. Tout ou presque. Je suis encore naïve.

Il est 20h, déjà. Dans quelques minutes, Tasha appellera, comme souvent. Elle me demandera si je vais bien, si je vais mieux. Comme toujours, je dirai "je progresse ! ". Mais de ces mots, aucune ne les pense. Le téléphone se met à sonner :
- Allô ?
- Nina, c'est moi !
- Tasha ! Salut !
- Comment vas-tu ?
- Je progresse.
- Si je t'écoutais, tu progresses toujours ! Mais où est-elle, la progression ? Tu ne serais plus là où tu es si tu "progressais" !
- J'ai l'impression d'entendre ma mère tu sais !
C'est parti pour une heure entière de discussion avec elle. Elle me dira que je lui manque, que je leur manque à tous. Ont-ils oublié que c'est eux qui m'ont envoyé ici ?
Le mur de cette chambre d'hôpital est vide. Vide de bonheur, vide de rêve, vide d'amour. Je m'approche, à petits pas : personne ne doit entendre. Mon front est collé au mur à présent. Mon nez sent presque l'odeur du garde-manger de la chambre voisine. Mes yeux montent au ciel. Je ne sais pas quel manque m'y poussera, mais je cognerai ma tête, ma seule tête, contre cet horrible mur. Trois fois, j'ai compté. Mon front a beau être en sang, je ne m'inquiète pas. Cet hôpital me rendra folle.
Je n'ai pas le temps de me diriger vers mon lit qu'une main m'attrape fermement. C'est l'infirmier, encore une fois. Comme toutes les semaines il m'emmènera à l'infirmerie puis voir ce cher psy. Le psy me demandera pourquoi, je lui dirai parce que. Il m'énerve, ce psy !
Le pire, c'est que, comme toutes les semaines, ce que j'avais prédit se passe. A l'infirmerie on me pouponne comme un bébé. "Où as-tu mal ? " me demande Mme Pinson. Quelle idiote cette Mme Pinson quand même ! "Là où ça saigne ! " j'ajoute, avec un léger sourire narquois.
Soignez-moi, allons ! Le psy n'aime pas les retards !

La porte s'ouvre. L'homme est barbu, ses cheveux sont gris, et d'énormes lunettes cachent ses minuscules yeux bleus. Il n'est pas beau. Mais l'intelligence avant tout, mon petit ! Les yeux rivés sur mon bandage, il parle. Je ne comprends pas ce qu'il tente de dire d'ailleurs. Il prononce des mots, mais personne ne pourrait les traduire. Du latin. Il aime bien le latin ce psy-là !
La porte se renferme sur nous deux.
- Asseyez-vous ! Alors comme ça on tente de jouer sa rebelle ?
- Qui joue sa rebelle, ici ?
- Toi ! Tu n'es donc pas heureuse parmi nous ? Tu m'exaspères espèce de folle !
Là, tout se bouscule. Il l'a dit. Je suis folle. Plus rien en moi n'ose parler, j'ai peur qu'il dise vrai. Mon silence l'a toujours énervé. C'est en général dans ces moments-là qu'il m'accompagne dans ma chambre, en me tirant par le bras, qu'il m'assoit sur mon lit et qu'il prend ma jambe. Il prend aussi son cutter. Et il coupe des lambeaux de ma chair.
- C'est pour ton bien, tu le sais !
Non, je n'ai toujours pas compris. Je ne comprendrai jamais.
Il me fait très mal. L'été dernier, je n'ai pas pu me baigner. L'eau salée brûlait mes jambes. Ce soir, j'ai décidé d'en finir avec la souffrance qu'il m'impose. Pour la première fois depuis 3 ans, je hurle. La douleur n'est pas atroce, j'y prends même un certain goût, mais il fallait que je hurle. Hurler pour dénoncer ce rapace. Hurler pour dire que quelqu'un, dans cet hôpital, rend les gens fous. Fous à lier.

Comme prévu, la directrice entre en trombe dans ma minuscule chambre. Elle voit le psy, son cutter, ma jambe. Elle se met à hurler aussi. Elle se retourne d'un geste brusque, et crie :
- Albert ! Mohamed ! Venez là !
Les deux acolytes de sa majesté arrivent, en courant eux aussi. On se croirait dans un ridicule film d'action. Ces deux "armoires" transpirent du mieux qu'ils peuvent. Ils n'ont pas couru énormément, pourtant.
- Madame ?
- Appelez les flics !
- Je... C'est un malentendu... Je guérissais sa blessure... Tente le psy
- Ca suffit ! Faites le sortir vous deux ! Plus vite imbéciles ! Nina, toi, tu vas voir Mme Pinson, et en vitesse ! Le sang ne se nettoie pas facilement !
Je suis seule dans le corridor qui mène à l'infirmerie. Un léger vent frais vient me caresser le visage, comme avant, chez moi. Je m'arrête un peu pour regarder par la fenêtre. Dehors, il y a un autre monde. Un monde qu'on m'a enlevé. Mais j'y retournerai, un jour... Armée contre tout. Forte ! Le mot fait frémir de plaisir. Mais il sonne faux, encore.
Je détache enfin mes yeux de la rue, et je me rends dans cette satané infirmerie. Mme Pinson rigole en me voyant.
- Encore, miss ?
- Encore ouais !
- C'est pour quoi, cette fois ?
- Ma jambe. Elle saigne.
- Hoooo dieu que c'est moche ! Mon dieu ! Mon dieu ! Que de sang !
Je me mets à rire. Elle a toujours eu peur du sang. Drôle d'infirmière celle-ci !
Ses yeux bleus, les mêmes que son mari de psy, se lèvent sur mon visage. Elle sourit un peu, pour me faire comprendre qu'elle a pitié de moi. Moi, j'ai pitié d'elle.
- Quel est donc tout ce bruit ?
- Votre mari va aller au trou.
- Jacques ! Jacques !
Elle se rue dans le couloir en hurlant "Jacques" toutes les secondes. La scène est vraiment comique. Ce dindon qui coure en zigzague est hilarant.
J'ai tellement l'habitude d'être seule que je ne m'en rends presque plus compte. Maman me disait toujours : "tu feras none ou folle ma fille ! ". J'aurai préféré none. Mais qui décide de son futur dans ce monde ?
La solitude m'a amené bien des ennuis. Pas d'amis, hormis Tasha, pas de jeux d'enfants, pas d'amour, pas de bonheur trop excessif. Malheureuse-née. Lorsque j'y repense, j'en pleure. Je suis désespérée, cloîtrée comme une criminelle à Alcatraz. Cela fait 3 ans que je suis enfermée là, et 3ans que je ne vois plus personne. Il y a bien ma voisine de chambre, Lilou, mais cette pauvre Lilou finit souvent aux urgences. Comme moi, elle est désespérée. L'an dernier, elle est arrivée à l'HP avec son père, qui la tenait encore par la main. Elle avait l'air perdue, cette Lilou. Je me suis approchée d'elle, et son père a dit tout fort :
- Tu vois, ma fille, d'autres fous joueront avec toi.
- J'ai 15 ans, monsieur, et le terme folle ne me convient pas du tout. Lui avais-je dit.
- Va-t-en gogole !
- Vous critiquez aussi les trisomiques, monsieur ? Qui de nous deux est le plus fou ?
Il me lance un regard glacial. Je sens presque sa méchanceté couler sur mon visage. Mais de mot il n'en dira pas un seul. Il se tourne vers l'hôtesse d'accueil, un peu intimidée par la scène qui vient de se dérouler sous ses yeux. Elle bafouille un peu. Cet hôpital est comme sa deuxième maison, les occupants comme sa deuxième famille.
Je regarde à présent la fille de l'homme. Elle a l'air pommé. Elle est voûtée, apparaissant ici comme une fille battue. Je lui souris, je lui dois ce signe de bienvenue. Elle sourit un peu aussi, mais rien sur ce visage n'exprime de sincérité... Elle a peur. Je la comprends. Quand je suis entrée ici, j'étais apeurée. Me retirer ma famille ? Me retirer mon existence ? Non je ne veux pas !
Mais on n'écoute pas les fous...

Dès son entrée dans l'HP, elle a étonné tout le monde. Elle est différente des autres. Elle calcule le nombre de pas qu'elle doit faire pour aller jusque dans sa chambre, elle sent les murs, les caresse, mais il y a plus étonnant : elle passe, tous les jours, deux heures, allongée par terre, face contre le sol, à écouter les bruits de pas des malades. Au début, cela fait rire nos voisins, mais ensuite cela les intimide. Toute la personne de cette jeune fille peut intimider n'importe qui. Son regard est lui aussi glacial. Il captive, il tue. Lilou est sombre. Lilou n'est pas un être humain, c'est une ombre, un fantôme. Elle ne fait pas de bruits pour manger, pas de bruit lorsqu'elle monte l'escalier, pas de bruit lorsqu'elle mange. Elle est le silence à elle seule. De sa vie, je ne connais rien. Je ne veux pas la connaître d'ailleurs, je crois en savoir déjà trop. Un père incompréhensif, qui serait prêt à la donner à n'importe qui pourvu qu'elle disparaisse, une mère effacée, pas de frères et sœurs. Les marques sur son poignet droit me dit qu'elle est gauchère, qu'elle est malheureuse aussi. Mais pas besoin de marques pour le savoir.
J'aurai aimé avoir une amie comme elle, avant tout ça. Elle m'aurait aidé, je l'aurais aidé. Je n'ai qu'une roue de secours pour amie. Tasha.
- Nina !
Ce cri me réveille de mon sommeil cauchemardesque.
- Nina !
Je n'aime pas répondre lorsque l'on m'appelle. Ouvrir ma bouche, prononcer des mots, est presque aussi douloureux que d'avaler n'importe quelle nourriture.
- Nina ! Où est-elle encore, celle-là ?
- Je ne sais pas, madame... Elle doit attendre dans l'infirmerie...
Effectivement, j'y suis encore. Je fixe un point, mes yeux sont vides d'expression. Une flaque énorme de sang gise à terre. Mes chaussettes sont ensanglantées elles aussi.
- Quel bordel ! Lève-toi.
Je n'ai pas la force de bouger, pas la force de me débattre lorsqu'on me tire violemment le bras et qu'on me jette à terre. Je ne me relève pas, au moins je ne peux pas tomber plus bas. Cela fait longtemps qu'on m'abaisse, qu'on se moque de mon état. A leurs yeux, j'ai la même importance qu'un cheveu dans une soupe. On le jette, on l'écrase, on le déteste. La directrice me regarde comme on regarderait un condamné.
- Pauvre fille, va. Rentre dans ta chambre ! Non, attends qu'on te nettoie ta blessure.
Mme Pinson s'approche, prend un gaz humidifié, mais ne touche pas ma jambe.
- C'est trop grave, il faut l'amener aux urgences.
- Bien, allez-y avec elle.
On transporte dans une minuscule voiture, on m'assoit. Je ne dis rien, ma force s'évapore peu à peu.

Les urgences ne sont pas loin, mais je n'y suis jamais allée. Un gigantesque panneau éclairé inonde le hall d'entrée d'une lumière aveuglante. Je suis au beau milieu de la pièce, la jambe qui dégouline. Je ne bouge pas. Un médecin s'approche de moi. Il me demande mon nom, mais je ne sais rien d'autre que mon prénom : Nina. Il semble abasourdi par ce qu'il vient d'entendre, lance un regard interrogateur à Mme Pinson, qui ne fait que hausser les épaules. Il regarde ma blessure, demande par quels moyens je me suis autant amochée. Mme Pinson répond à ma place :
- Ho ! Ce n'est rien ! Soignez-la, qu'on en finisse !
Il me porte sur son dos. Cela me rappelle mon enfance, lorsque je voulais jouer au cheval sur le dos de mon père. Aujourd'hui, je n'ai plus de père. Je pose ma tête sur l'épaule du médecin, je me sens lentement partir. Je ne vais pas mourir d'une blessure à la jambe, mais je n'arrive plus à rien faire. Je dois fermer mes yeux.

- Mademoiselle, il est 7heures...
- Qui ? Que... Où je suis ?
- A l'hôpital Necker, à Paris mademoiselle...
- Je ne suis pas à l'asile ? Mais qu'est-ce que je fais là ?
- Vous êtes arrivée hier soir pour une blessure plutôt importante à la jambe, vous resterez ici en observation quelques jours encore. Ne vous inquiétez pas. Vous êtes entre de bonnes mains.
Une intense brûlure à la jambe me fait grincer les dents. Je soulève les draps blancs, et je regarde ce qui est si douloureux. Je hurle.
- Ma jambe ! Ma jambe ! Elle est bleue ! Bleue ! Elle est gonflée ! Mais qu'est-ce qu'il m'arrive ?
- Calmez-vous ! Mais calmez-vous ! Ce n'est que temporaire... Essayez de marcher dans un le couloir s'il vous plaît.
Je me lève avec délicatesse, pour ne pas me faire mal. J'appuie ma jambe saine par terre. Tout en serrant les dents, je pose aussi la seconde jambe. Une larme tombe de mon œil. J'ai mal. Cette intense douleur me rappelle le jour où je me suis battue avec un garçon de mon école... Il m'avait planté un couteau dans le ventre. Je ne sais pas par quel miracle je vis encore aujourd'hui. Je ne sais même pas si c'est réellement un miracle ou une façon de m'enquiquiner encore plus. Il y a quelque chose dans cette vie qui veut m'empêcher d'être heureuse.
Le jour où je me lèverai avec le sentiment d'avoir vécu le pire et que la fin du chaos viendra enfin, ce jour-là, je partirai de l'HP, avec en moi quelques bagages de plus. En moi, tout ne sera plus noir. Je ne collerai plus mon front sur le mur froid. Je ne compterai plus les marches d'escalier afin d'occuper le temps. Je ne resterai pas plantée devant la télévision pour comprendre qu'un monde alentour existe. Un monde où les gens se marient, où ils font des gosses, où ces mêmes gosses sont heureux de vivre, un monde où l'asile n'existe qu'en cauchemar. Je sais bien que ce jour n'existe pas. Je suis condamnée à vivre dans un bâtiment blanc, entouré de barreaux de fer, surveillé par des gardes, où la vie n'a plus sa place. Je n'ai jamais entendu quelqu'un rire depuis que je suis arrivée. Personne ne rit. Je n'en ai pas la force non plus.

Une fois de plus, je suis seule dans la chambre où l'on me garde en observation. Comme un vulgaire rat de laboratoire... Je dois traîner ma jambe pour pouvoir avancer de quelques mètres. Je m'approche lentement de la porte. Je pose ma main sur la poignée. C'est fermé à clef. Je tambourine avec mes mains la lourde porte en fer. Je pleure de désespoir.
- Je veux sortir ! Laissez-moi sortir ! Je vous en supplie ! Maman ! Papa ! Venez me chercher, pitié !
Mes mots résonnent sur les cloisons de la pièce. Je me laisse tomber à terre. Je gémis. Mais personne, personne, ne vient m'aider. Je veux partir d'ici, revenir dans ma maison... L'infirmière entre dans ma chambre. Elle a changé de ton.
- Quoi ? Tu fais un de ces boucans toi !
Mon visage est humide, j'essaye de l'essuyer un peu avec la manche de ma blouse. Elle approche de moi deux minuscules gélules. Elle m'explique que ce sont des calmants, et que je dois absolument les prendre. Je fais ce qu'elle me recommande de faire.
On me drogue pour que j'arrête de réfléchir à la situation, pour que je devienne silencieuse, comme je l'ai toujours été. Ces médicaments de malheur m'empêchent de me débattre, de dire ce que je veux qu'on entende, ils m'empêchent d'avoir des sentiments. Je passe mes journées sur mon lit, à regarder le plafond, et à compter les mouches écrasées. Il y en a 34. Ce doit être agréable d'être une mouche : tu voles de ville en ville, tu ne manges que si tu en ressens le besoin, tu es libre de tes gestes. Si un jour je meurs, je veux me réincarner en mouche. Mais en une mouche maline, qui ne se fera pas écraser par n'importe qui. Seul Amy Lee aura le droit de m'écraser. Mais elle ne le fera pas, j'en suis sûre : elle crie sur tous les toits que les mouches ont droit à la vie.
Les médicaments me font dire n'importe quoi... Tout le monde sait qu'elle a peur des mouches.

Cela fait à présent trois jours que je suis dans l'hôpital Necker. Je commençais à m'ennuyer un peu. Un médecin, ou du moins c'est ce qu'il dit être, sans blouse, sans badge, entre dans ma chambre. Il n'est pas net, c'est la première chose qui me vient à l'esprit. J'appuie sur le petit bouton rouge, afin d'alerter une infirmière. Mais elle arrivera trop tard. L'homme aura eu le temps de me violer. Il m'a pris la seule chose que je contrôlais encore : mon corps. Lorsque l'infirmière arrive, elle me trouve sous mon lit, je suis repliée sur moi-même, parce que j'ai honte. Je tiens de toutes mes forces mes genoux collés à mon torse. Un homme m'a salie. Quelqu'un a osé me détruire encore plus.
On me tire de force pour me sortir de ma cachette, je dois aller faire une déposition. C'est Mme Pinson qui a tenu à m'y accompagner.
Mais au commissariat, je ne dirai rien. J'ai tellement peur ! Le petit inspecteur me prend la main, sûrement afin de tenter une approche, mais rien n'y fait, on ne m'obligera pas à parler. Je veux oublier tout ce que j'ai enduré aujourd'hui.

L'hôpital psychiatrique a subitement changé de regard envers moi depuis mon retour. Parfois, on me permet même de me promener dans le parc, de regarder la télévision, de manger du chocolat. Ils sont devenus beaucoup plus indulgents. Je ne me pose pas de question sur cette transformation soudaine : tous ont pitié de moi, la pauvre gamine violée dans un lieu soi-disant sécurisé, la pauvre folle...
J'ai 15 ans, et à 15 ans on doit se raser, se sentir belle et propre. Depuis 3 ans, on ne m'avait jamais donné de rasoir. Lorsqu'on me le pose sur le lavabo, je le regarde longuement, je suis troublée. L'objet ordinaire, l'objet si convoité arrive enfin dans l'hôpital, mieux : dans ma chambre !
Je m'enferme dans la salle de bain. A double tour, au cas où. Je prends une petite pince à épiler, et durant 5bonnes minutes, je m'affaire à détacher les lames du rasoir. Je ne parviens qu'à en retirer une seule, mais c'est suffisant. J'imbibe d'alcool la lame souillée, je la nettoie parfaitement bien, elle est resplendissante, et elle sent bon. Cette lame me servira. Elle permettra de me venger du voleur de vie. Du violeur.

J'ai envie de sortir de ma chambre, je me dirige donc vers la sortie. C'est un bon jour pour profiter de l'air du dehors, pur, une dernière fois. Mes chaussons m'empêchent de marcher un peu plus vite, mais ça n'est pas désagréable. Je profite de chaque pas que je ferai. Je remarque un banc, encore inoccupé. Je veux m'y asseoir, m'y détendre un peu, pour la dernière fois. Et je le fais. Je balance ma tête en arrière, pour mieux voir le ciel. Ce nuage-là ressemble à une piqûre. Celui qui se trouve juste à côté ressemble à une immense peluche... Un éléphant peut-être...
Je relève ma tête dans un cri strident. Tout mon corps est parcouru de frissons incontrôlables, je ne parviens plus à respirer normalement, les battements de mon cœur s'accélèrent, je le sens. Et mes yeux... Ils sont exorbités... J'essaye de me lever, de marcher, et je tombe. Les graviers transpercent ma peau un peu partout. Mais je ne le sens pas, je ne sens plus rien d'autre que les secousses de mon corps. Je tente d'appeler quelqu'un au secours, mais aucun son ne sort de ma bouche. Je ferme les yeux.

- Nina ? M'entends-tu ? Nina !
- J'ai bien peur, madame, qu'elle ne puisse pas vous répondre pour le moment. En tant que médecin, je n'ai jamais vu de crise d'angoisse qui soit aussi violente. Ca ressemblait même à une crise d'épilepsie. Dès qu'elle se réveillera, vous pourrez la ramener chez elle.
- Au centre, vous voulez dire.
- Au centre, oui. Quand est-ce que cette petite retournera dans sa famille ?
- Très bientôt. Quand ils voudront d'elles.
- J'ai entendu dire qu'elle subissait des mauvais traitements chez v...
- Merci docteur, mais je suis pressée. Quand elle se réveillera, dites-lui que l'hôpital psychiatrique lui passe bien le bonjour.
- Très bien, madame la directrice.

Le médecin s'approche de moi, timidement. Il soulève le drap, prend ma main, et tape à l'aide de son pouce ma perfusion. Rassuré, il s'en va sur la pointe des pieds. Après que la porte se soit refermée, j'ouvre les yeux. Ce qui me rassure, moi, c'est que je ne sois pas dans l'hôpital Necker. Si j'étais dans mon état normal, je me serai levée, et je serai sans doute allée à l'accueil, ou dans le jardin... Mais je me décide à dormir encore, pour la dernière fois.

Je suis de retour à l'asile. Personne ne m'adresse la parole, pas même Lilou. Aujourd'hui, elle est restée toute la journée allongée sur le sol, muette, à écouter le bruit de pas des malades et des soignants. Je me suis allongée à côté d'elle, en pensant qu'elle me remarquerait ainsi, mais ça ne lui a pas plu. Elle s'est agenouillée en prenant appui sur ses bras, elle a tourné sa tête vers moi. Elle a basculé son bras en arrière, et a frappé ma tête avec son poing de toutes ses forces, en hurlant :
- Copieuse ! Tu voles tout ! Voleuse ! Barre-toi ! Salope !
- Mais ! Lilou, arrête, j'ai mal !
- Je te hais ! Barre-toi !
Tout en protégeant ma tête à l'aide de mes mains, j'ai couru dans la direction de ma chambre, loin d'elle. Au bout de quelques pas seulement, je me suis arrêtée, et tout en me retournant je l'ai vue se rallonger à terre, comme si rien ne s'était passé. Elle m'avait frappé si violemment que ma tête tournait un peu. Inconsolable, je me suis enfermée dans ma chambre, dans mon refuge. Et un torrent de larmes a commencé à couler de mes yeux. Plus rien ne me retenait, ici. Rien ni personne. Tasha ne m'appelait plus, Lilou me détestait... J'étais seule et pommée.

Ce que j'avais décidé hier arrivera aujourd'hui.
Tremblante, j'ai pris ma lame de rasoir. Je me suis assise sur mon lit. Avant de mourir, j'ai voulu laisser une lettre à ma famille et à mes amis.

" A ma famille, à mes amies.
Les 3années que j'ai passées ici ont été les pires de toute ma vie. Etre séparé de sa maman, de son père, des gens qu'on aime, est extrêmement dur. J'ai du mal à comprendre pourquoi on m'a enfermé ici. Je le sais bien que je ne suis pas totalement normale, que certaines choses que j'ai faites ou dites n'étaient pas bonnes, mais je me suis retrouvée sans pilier, sans amour, loin dans un asile de fous.
Mon psychiatre, un être censé écouter et guider ses patients, m'a infligé de bien atroces tortures. J'étais perdue, j'allais de plus en plus mal, mais personne n'a su le remarquer et le guérir.
Le viol a été la souffrance de trop. Ma vie, qui n'est qu'un tas de malheurs accumulés, m'a dégoûtée après... Après ce jour. J'ai appris à être patiente, à pardonner... Mais là, rien n'est pardonnable. Vous m'avez donné une vie amer et terrifiante. Je n'en veux plus de cette vie-là. Que l'on pardonne aux idiots leurs erreurs.
Nina. "

Je pose la petite lettre sur mon ventre, et je m'allonge. Je compte jusqu'à 10.
1.2. 3.4. 5.6. 7.8. 9.10. Mes veines sont ouvertes. Peu à peu, je sens mes forces me quitter. Je ne peux ni crier, ni bouger. La mort s'empare de mon âme. Et je ne regretterai pas cette vie. Je ne regretterai pas mon monde.

Les malades de l'asile, ainsi que la famille de Nina, forment un cercle autour d'un lourd cercueil de bois verni. Il pleut, mais aucun parapluie n'est ouvert. Nina s'est suicidée. Et dans cette foule, une personne, une seule, ne se pardonnera jamais l'erreur d'avoir laissé Nina mourir à petit feu dans un asile, loin des siens. Cette personne, elle aimait Nina, sans jamais lui avoir dit vraiment. Cette personne, c'est Tasha. Elle jette sa rose noire dans le trou immense où le cercueil sera enfoui, en murmurant une dernière fois : "que l'on pardonne aux idiots leurs erreurs". Tasha se suicidera un mois plus tard.
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Re: Mon monde
Posté par blondie le 11/11/2004 21:14:32
je sais plu tro quoi dire, juste bravo, ce texte est tro émouvant...
Re: Mon monde
Posté par wailer le 10/11/2004 20:50:48
très bien écrit.. très réaliste. trop réaliste dans un monde où il est aujourd'hui si facile d'être interné.......
Re: Mon monde
Posté par claire.savoye le 08/11/2004 19:43:39
Que te dire d'autre apart que ton texte est merveilleusement d'habitud je ne suis pas si émotive mais la j'ai verser plus qu'une larme... C'est vraiment magnifique... Franchement bravo !
Re: Mon monde
Posté par enzomydog le 07/11/2004 14:50:47
Trop beau ton texte trop bien écrit, chapeau
Ton article
Posté par efflydine le 07/11/2004 02:03:13
Je ne fais que répété ce que tout le monde dit:
Ton histoire est fantastique!!!!!!!!!!
Je trouve que tu la racontre super bien, bravo, tu m'a emervaillé avec ce texte, a vrai dire j'ai meme laché une larme, voir plus lol.
Mais vraiment c'est super.
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Publié le 01 novembre 2004
Modifié le 25 août 2004
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