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Récit d'une perquisition

L'histoire vraie du jour où la vie de cette adolescente de 14 ans a basculée. Une dixaine de policers viennent perquisitionner sa maison et embarquer ses parents...


Allons-y. Plongeons dans le passé. Allons visiter ce qui n'est plus pour mieux comprendre ce qui est. Ce n'est que les prémices, rien que le début, le moins douloureux. Paraît-il.

[...]


J'ai 14 ans. Mon père, Dieu tantôt trop bon, tantôt trop absent, parfois trop impitoyable et cruel, est sortit depuis deux mois.


C'est un mercredi après-midi et je devais travailler avec une amie du collège. Amélie avait tout ce dont je pouvais rêver ; une intelligence parfaite, des parents aimants et droits, une immense maison aux allures de château, un corps mince, un visage sans défauts, un sourire sincère et magnifique, de ceux auxquels on accorderait tout et qui réchauffent le cœur.

On sonne. C'est elle que je m'attends à voir, mais je comprends très vite que ce n'est pas elle : Amélie pousse la sonnette une petite fois, pudiquement, poliment, tandis que là, le bruit ne s'arrête pas. Il y a une dizaine d'hommes devant le portail. Trop nombreux pour des huissiers. Papa. Voilà à quoi je pense, une bande de sales mafieux que mon père a fait l'erreur de fréquenter et qui viennent lui "régler son compte", l'impressionner, je ne sais pas. Je m'approche du portail, "Ouvrez-nous mademoiselle", glapit un vieux bedonnant, en plaquant une carte de police sur le portail, sous mon nez.

Pourquoi m'a-t-il demandé d'ouvrir, il vient d'ouvrir tout seul, ils entrent. Faites comme chez vous.

"Vos parents sont là ?"

- Je vais les appeler, ils devraient être rentrés bientôt." Je prends mon téléphone portable et tout naturellement, le policier me l'enlève doucement des mains et le fait disparaître dans la poche de son costume, sans m'adresser un regard.


La fois d'avant, ils étaient différents. Et en uniforme ; des gendarmes. Plus grands. La fois d'avant, j'avais fondu en larmes. Mais tout a changé aujourd'hui. Je ne suis plus la même - vraiment différente. Si je ne sais pas précisément ce qu'il se passe, la seule chose, l'unique chose que je sache, c'est qu'il est hors de question que la moindre larme n'émerge de mes yeux, que le moindre tremblement de menton ne se laisse entrevoir.

L'unique chose que je sache, c'est que je ne pleurerais sous aucun prétexte. Rien ne me fera larmoyer...



Amélie arrive, son travail sous le bras, regarde partout, ne comprend pas, balbutie quelques mots, désarmée, les yeux bordés de larmes, pour rien, parce qu'elle ne comprend pas.

"Vous feriez mieux de rentrer chez vous, Mademoiselle."

Elle me regarde en sanglots et je ne veux pas savoir si c'est par compassion, je ne peux pas me laisser contaminer par sa fragilité.

Je la regarde donc maternellement, lui dis qu'elle doit partir, qu'ils sont là pour mon père, qu'il ne va pas tarder, que ça va, que j'ai l'habitude, qu'elle doit pas s'inquiéter, et on travaillera samedi, et rentre chez toi, et à demain au collège.



Il arrive tranquillement à la maison avec son nouveau portable et quelques pâtisseries comme il en apporte toujours, comme un enfant, bien habillé, innocent et presque heureux.

Mon papa revenu que j'apprends à aimer depuis si peu de temps. La séparation et les lettres échangées nous ont apprises à nous connaître sous un jour autre que les cris, les éclats de verre, les coups et la haine.



Pour la première fois, il me semble voir ses yeux se border d'imperceptibles larmes.

"C'est rien Ding-ding...

- Ca va aller papa."


Bébé, quand il me lançait doucement en l'air, quand il jouait avec moi, mes premiers gazouillis ont paraît-il ressemblé à ça ; "Ding-Ding". C'était peu de temps avant que je ne dise mon vrai premier mot ; papa. Il m'a toujours appelée "Ding-Ding". Et c'est toujours mon surnom, que lui seul me donne – une évidence, c'est entre lui et moi – quand il n'est pas énervé. S'il l'est, j'ai droit à mon prénom. Enfin, celui de sa mère qu'il a imposé à ma mère, celui d'une morte pour être claire, une morte de longue date. Mais qu'importe ses colères, puisque je ne savais pas que tous les papas ne se fâchaient pas comme ça, qu'importe, il était ma protection, mon premier amour. Mon visage aussi, chaque mémé, chaque ami s'exclamait inévitablement "elle est son père en fille !". Nous avons les mêmes grands yeux noirs aux longs cils, le même regard sombre – ou énigmatique, c'est selon. Il m'a beaucoup apprit. Que la vie n'est pas Disney-Land, pour résumer. Que le père noël c'est de la connerie et que les hommes sont tous dangereux pour moi, sauf lui. Et il me parlait si rarement, parfois plus avec les yeux que la voix, que je buvais tout ce qu'il pouvait me confier avec avidité. Il m'a apprise à être forte. Qu'importe le prix que cela m'a coûté, j'ai bien appris ; je sais, à ce moment-là.


Mon père !


Il est menotté, ils l'ont menotté et ma haine à l'égard de ces hommes est transparente. Je cherche à me contenir. Notre force puisée dans une parole, une brève étreinte, un regard échangé nous a restitué notre attitude habituelle, sûrs de nous, froids, impassibles. Il fume sa cigarette, les mains liées, je demeure statique, droite et nos regards complices agacent.

Ils le questionnent, ils l'assaillent de mille questions et leurs remarques insultantes me font bouillir de rage. "T'es qu'un embrouilleur, Didier" Bientôt mon arrogante impatience n'est plus tolérée. On m'envoie dehors avec un policier que je n'ai de cesse de foudroyer du regard entre quelques "que lui voulez-vous ? Vous ne pouvez pas avoir de preuves !" répétés. Je n'obtiens de lui pour toute réponse que son expression empreinte de compassion et d'une pitié qui ébranle vaguement mes certitudes.


Je vois tout à coup les gardiens du portail s'agiter et apostropher leurs collègues.

"La voilà !" Ma mère, indignée, passe le portail avec élégance. Elle ne comprend pas, instinctivement je me rapproche d'elle. Je suis haine, elle est dignité. Tout d'elle inspire et inonde le respect, l'honnêteté. Je ne suis que haine et je me rapproche d'elle – ils m'éloignent de mon père, alors je me rapproche d'elle, mais ce qu'il reste de mon cœur est pour lui, est avec lui.

Les questions affluent.

Les tiroirs sont renversés, leur contenu vidé par terre.

Les meubles sont vidés. Chaque papier est étudié ridiculement, un sourcil suspicieux relevé.

On s'en va vers l'étage. C'est au tour de mon lit d'être retourné. Je frissonne en me rappelant une enveloppe que mon père m'avait confiée en m'ordonnant de ne pas l'ouvrir. La moitié de mes livres jonchent le sol, j'ai presque fini de m'arracher un ongle quand une voix détourne le saccageur du dernier étage de mon étagère. La voix vient de la chambre de mes parents. Elle est rauque et satisfaite. J'ai à peine le temps d'apercevoir la trouvaille ; un flingue, un vrai, et ma mère me pousse vers les escaliers. "Descends." Savait-elle ?


Après, je ne sais plus.

"Il y a des grands-parents, de la famille ?"

"Non." Réponse qui ne me choque pas même s'ils habitent à quelques kilomètres.

Après, je ne sais plus.

"Je serais revenue bientôt, ment ma mère, (le sait-elle ? Elle s'imagine sans doute rentrer le soir même, comme la dernière fois, sans son futur ex-mari, certes, mais rentrer quand même. Elle ne sait pas.) va chez Margui."

Après, je ne sais plus.

Ce dont je me rappelle, c'est qu'ils ont voulu passer les menottes à ma mère. J'écarquille les yeux, mon père gueule, l'intéressée assure avec ses ravissants yeux que cela est inutile. Accordé.

Ses poignets trop fins d'enfant auraient de toute façon empêchés les menottes de ne pas en glisser.



Je suis assise dans le salon, amorphe. L'ouragan est passé. Seuls restent les débris. La maison ressemble à un champ de bataille. Il faudrait des jours pour tout ranger. Je suis assise sur le canapé – pour cela, il m'a fallu le remettre en place, lui et tous ses coussins. Il ne ressemble plus à grand chose, le canapé en cuir à 40 000 francs.


Pour la première fois, j'achève de comprendre pleinement que ce n'est plus chez moi. Cette maison vient de finir d'être maudite. Cette maison est comme une femme violée, à jamais elle hurlera sans qu'on l'entende. Je sais que je dois commencer à partir. Je suis un peu jeune, mais il est l'heure de commencer à partir. Parce que les hurlements ne cesseront plus jamais.
L'auteur : Mali Medot
38 ans, Annemasse (France).
Publié le 23 juin 2011
Modifié le 19 juin 2011
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