Les sondeurs du temps Posté par stephan lewis le 26/06/2009 00:10:01
Chapitre 1
- Professeur ! Professeur !... Venez voir !
L'invitation a été lancée par un homme jeune à la carrure athlétique, portant pour tout vêtement un simple pantalon de toile kaki. Il est coiffé d'une casquette à large visière et son torse musclé luit sous les rayons d'un soleil brûlant. Nous sommes quelque part dans le Peten, un territoire grand comme la Suisse, situé au plus profond des jungles tropicales du Guatemala.
Deux aras, grands perroquets grimpeurs, brusquement dérangés dans leur tranquillité, affolés et criards, s'envolent bruyamment vers les hautes branches en étalant la splendeur de leur plumage bleu et or, faisant lever la tête au personnage interpellé...
Ce dernier, qui accuse la soixantaine, se tient agenouillé près du fronton d'un temple maya, au milieu des vestiges de ce qui fut jadis une cité à présent enfouie et dévorée par la forêt tropicale. Il est occupé à déchiffrer des hiéroglyphes gravés sur une stèle prismatique en stuc de plusieurs mètres de hauteur, dont l'une des faces représente un personnage étrange et d'une taille démesurée.
Tout en tentant vainement de chasser une nuée de moustiques virevoltant en un nuage déplaisant, il s'est aussitôt retourné en direction de l'interpellateur, pour l'interroger du regard par-dessus ses petites lunettes cerclées d'acier qu'il porte en permanence sur le bout du nez.
Sans répondre, le solide gaillard de 41 ans, aux yeux verts et cheveux noirs taillés en brosse, sujet de sa gracieuse majesté britannique à l'instar de son compagnon, ingénieur en électronique de son état et répondant au nom de Dany Ballantine, brandit un objet qu'il a déjà sommairement débarrassé de la gangue de terre et d'argile qui l'enveloppait.
- Mais... C'est un crâne humain que vous tenez entre les mains !
- En effet professeur. A la différence prés, c'est que celui-ci semble être en cristal.
Tout en haussant les sourcils, le professeur Joseph Winter, éminent archéologue au front partiellement dégarni, portant pour la circonstance un chapeau de brousse à large bord et revêtu d'un léger pantalon detoile et d'une simple chemisette en coton, a épongé la sueur qui perle sur son front. Il s'est empressé de s'essuyer les mains sur sa chemise déjà maculée de poussière, dont le col largement échancré lui permet de supporter plus facilement lachaleur torride du climat tropical de l'Amérique Centrale, en cette journée du 12 septembre 1999.
- En cristal dites-vous ?
- Voyez vous-même professeur... Propose Ballantine, qui s'est déjà approché en continuant de nettoyer son étrange trouvaille.
Winter, qui s'est redressé, détaille aussitôt la pièce avec la plus vive curiosité. Les quatre Mexicains qui les assistent dans leurs fouilles et parlent leur langue, coiffés de l'inévitable sombrero à jugulaire de cuir, se sont avancés à leur tour.
- Vous avez raison. On dirait bien du cristal !
L'objet en question, qui vient maintenant d'être correctement nettoyé, s'avère être la réplique anatomiquement parfaite d'un crâne humain grandeur nature. Il s'agit certainement de celui d'un homme qui, à première vue, a été sculpté dans un seul morceau de cristal de quartz.
- Quelle curieuse chose ! Regardez Dany ! Il est pourvu d'une mâchoire détachable et... De 31 dents !... S'étonne Winter, en constatant que l'une d'elles se rapportant à la partie postérieure fait défaut à la mâchoire.
- Comme c'est étrange. Voyez professeur. L'emplacement de la trente-deuxième est pourtant prévu. Mais la cavité paraît volontairement vide, car il ne semble pas que l'on ait ôté l'une des dents. D'ailleurs, comme vous pouvez le constater, les autres font partie intégrante de la mâchoire, tandis que l'espace prévu pour la molaire manquante n'a pas le même aspect. Il comprend une espèce de pivot. Et cette chose fait bien dans les cinq kilos, si je ne m'abuse !
- Sans aucun doute... Acquiesce Winter... Ce qui me déroute, c'est que ce crâne ne semble pas présenter le moindre défaut ! Aucune marque d'un quelconque outil qui aurait pu servir à sa fabrication !
- Il y a assurément des lustres qu'il est enfoui à cet endroit.
- A ma connaissance, aucun de mes confrères n'a encore eu vent de ces ruines mayas en ces lieux perdus. C'est une aubaine que d'avoir dégoté ce sanctuaire ! Sans grand risque d'erreur, je peux m'avancer en déclarant que cet objet est certainement ici depuis un bon millier d'années. Ce qui est étonnant, c'est que nous l'ayons découvert au milieu de ces vestiges d'une ancienne civilisation maya.
- C'est à tous les coups le grand-père des boules de cristal... Plaisante Ballantine avec un gloussement amusé.
- Notre trouvaille va vraisemblablement faire plancher bon nombre de mes confrères. Ce crâne est une pure merveille. Aucun défaut apparent. Et comme je vous le disais, même en y regardant de près, il ne porte pas la moindre trace d'un quelconque outil ayant pu servir à sa création. C'est déroutant ! Nous pouvons sans aucun doute prétendre que toute la technologie du XXème siècle serait dans l'incapacité totale de réaliser un travail aussi délicat, pour obtenir un résultat d'une telle perfection... Finit par déclarer le professeur, la mine dubitative, en manipulant l'objet qu'il examine avec une attention soutenue.
- Mais que !... S'étonne soudain Ballantine...
L'un des quatre chicleros (forestiers mexicains) s'est aussitôt incliné pour ramasser le petit tube métallique qui vient de glisser du crâne de cristal, pour le remettre à Ballantine.
- Un cylindre de métal !... Indique machinalement Winter, dont le visage reflète à présent la plus vive surprise.
- Il y a un rouleau de papier gommé à l'intérieur. C'est un écrit, libellé je crois, en espagnol... Mentionne Ballantine, après avoir déroulé le parchemin.
Celui-ci, réduit à une simple bande de papier grossier, jauni et tout craquelé, d'une vingtaine de centimètres sur huit de largeur, a visiblement été rédigé d'une main malhabile et hésitante.
- C'est bien de l'espagnol... Confirme Winter, qui maîtrise parfaitement cette langue encore utilisée officiellement au Mexique.
D'une voix chevrotante, il en entreprend la lecture après avoir correctement rajusté ses petites lunettes...
- " Mexico... Le 8 juin 1882... Je suis porteur d'un message à l'intention de celui ou ceux qui découvriront le Crâne de Cristal... Que Dieu me pardonne. Je ne peux que leur transmettre une mise en garde, car je suis porteur d'un terrible secret. Mon nom n'a guère d'importance... Voici l'histoiredu Crâne de Cristal...
Tout a commencé deux ans plus tôt. Le 15 mai 1880. Je faisais alors partie d'un groupe d'aventuriers embarqués pour l'Amérique Centrale. Direction le Peten, la région la plus grande mais la moins peuplée et la plus inhospitalière du Guatemala, où nous partions à la recherche de la civilisation perdue de l'Atlantide...
Après plusieurs jours d'une marche harassante à travers la jungle, nous découvrîmes ces lieux par hasard, vestiges d'une cité secrète construite jadis par les Mayas.
Nous nous attelâmes aussitôt à l'exploration du site.
C'est en creusant sous l'autel du temple, que nous mîmes à jour le Crâne de Cristal, certainement enterré depuis des millénaires à cet endroit. J'ignorais alors que nos existences allaient s'en trouver à ce point bouleversées, et que ma vie et celle de mes infortunés compagnons s'en trouverait menacée. Sachez tout d'abord qu'en ce qui vous concerne, il n'est pas trop tard pour inverser les éléments terrifiants et irréversibles qui ne vont pas tarder à se déchaîner dans votre entourage et auxquels je n'y puis malheureusement rien. Vous êtes en possession du Crâne deCristal, révélateur d'un terrible secret, s'il faut en croire la Confrérie des Descendants de la Première Lumière. Si vous ne le replacez pas immédiatement à l'endroit où vous l'avez trouvé, vous allez à votre tour réveiller le Golem, le Gardien des Capsules du Temps. Mes révélations vont certainement vous paraître fantaisistes, mais votre vie est d'ores et déjà en danger si vous n'accordez aucune attention à cet avertissement. Le Golem, cette créature maléfique, est programmé pour intervenir et anéantir celui ou ceux qui se seront emparés du Crâne de Cristal.
Mes sept compagnons en ont fait la triste expérience, pour avoir été, les uns après les autres, exterminés en moins de quelques jours. Les personnes ayant été en contact avec le crâne, ont été confrontées par la suite à des événements bizarres et horribles ou à d'inexplicables et étranges phénomènes. Je suis maintenant conscient que cette monstruosité est sur mes traces, restant le seul et malheureux survivant de cette triste et pour le moins étrange aventure. Aussi, avant d'en finir, me reste-t-il de tenter d'apaiser la colère du Golem, en replaçant le crâne à l'endroit exact où nous l'avons trouvé, sous l'autel du temple.
Je ne sais si je survivrai à cette dramatique aventure, car il est assurément trop tard... Que Dieu vous garde... "
Winter, tout en pinçant légèrement leslèvres, leur signifie que le texte du message s'arrête ici.
- Si c'est une plaisanterie, je la trouve plutôt d'un goût douteux !... Ricane Ballantine en haussant les épaules, tout en esquissant un sourire amusé.
- Et si l'auteur de ce message était sérieux ?... Relève le professeur avec une moue circonstancielle, regardant son ami par-dessus ses besicles, laissant néanmoins penser qu'il n'en gobait assurément pas un traître mot.
- Et cette menace viendrait d'un... Golem !... Si l'on se réfère à la légende, le golem serait une créature artificielle à forme humaine, constituée essentiellement d'argile. Difficile d'admettre qu'une telle chose puisse s'en prendre à qui que ce soit ! A moins de rêver tout haut... Raille Ballantine avec un rire étouffé, en se vrillant l'index sur la tempe.
- Dans la Bible, le mot golem est employé à propos d'Adam, lorsqu'il est encore sans forme et que le souffle divin nel'a pas encore atteint... Complète Winter en se grattant ce qui lui reste de cuir chevelu... Le golem réapparaît dans la mythologie juive et en Europe Orientale, pour semer la mort et la désolation. Des puissances invisibles l'habitent et l'animent. Il est comme guidé par une volonté extérieure démoniaque.
- Que décidez-vous professeur ? On emmène ce truc ou... On le remet vivement en place ?... Taquine Ballantine, en adressant un clin d'œil aux métis qui assistent à la conversation, un sourire narquois naissant à la commissure des lèvres, anticipant déjà intérieurement la réponse de son ami.
- Une pièce d'une telle rareté ! Vous plaisantez ! Ce serait un crime envers l'archéologie que de dédaigner ce que le hasard a bien voulu nous offrir ! Je voudrais bien voir ça !... Se défend sans aucune retenue Winter, en fourrant vivement l'objet dans son havresac sous l'œil amusé de Ballantine et des quatre Mexicains, qui n'ont pu retenir un rire étouffé.
Le soleil se couche déjà sur l'horizon. La chaleur s'est tout à coup faite moins accablante et d'autant plus supportable, et il a été décidé de regagner le campement. Celui-ci, réduità trois tentes légères, dont une compartimentée pour la servitude, a été installé à une vingtaine de mètres du site, auxabords d'une petite clairière perdue dans l'immense forêt vierge. C'esten son centre que s'estposé la veille le petit hélico pilotépar Ballantine, loué pour quelques jours en même temps que le matériel de camping à Florès, la capitale dudistrict du Peten.
Les Mexicains ont allumé un feu et l'un d'eux retourne d'une main experte les steaks sur le grill. Ballantine s'est installé auprès du professeur qui, à l'aide d'une puissante lampe torche, inspecte à présent et minutieusement chaque détail de leur énigmatique découverte. Maintenant qu'ils l'examinent en pleine lumière, l'objet présente toutes les caractéristiques d'un crâne véritable. Il se révèle être on ne peut plus finement ouvragé, reflétant un mélange de travail artisanal de haute précision, technique requérant au moins trois cents ans d'efforts humains, ce qui déroute totalement le professeur. Alors que celui-ci poursuit méticuleusement son inspection, Ballantine, qui jette machinalement un coup d'œil sur le crâne, a brusquement senti ses pulsations s'accélérer ... Son compagnon en laisse même choir la courte pipe en écume qu'il tenait entre les dents.
- Mais... Qu'est-ce que c'est encore que !... S'effare Ballantine en écarquillant les yeux.
- Il me semble que cela vient de l'intérieur du crâne !... Balbutie Winter.
Stupéfaits, tous deux constatent que les orbites viennent de s'allumer pour s'éteindre presque aussitôt, lorsque le professeur, aussi déconcerté que son compagnon, a vivement éteint la torche dont le faisceau de lumière inondait l'intérieur de l'objet.
- Cette chose semble contenir une quantité phénoménale d'énergie !... Murmure encore Winter, l'air ahuri.
- Cela se pourrait... Relève Ballantine... Mais les yeux se sont éteints aussitôt que vous ayez cessé d'éclairer l'intérieur du crâne. J'imagine qu'une partie du palais doit jouer le rôle d'un prisme. Lorsqu'une source lumineuse, tels les rayons de votre torche en l'occurrence, est placée sous le crâne, le prisme projette la lumière vers le haut et à travers les yeux.
Comme pour accréditer sa version des faits, le même phénomène se reproduit aussitôt, Winter ayant rallumé sa torche et l'ayant placée de nouveau sous l'objet. Les rayons lumineux convergent vers les orbites en une lueur diffuse et intense.
- Vous voyez ! C'est étonnant, mais c'est bien ce que je pensais... Conforte Ballantine, toutefois aussi dérouté que son compagnon ; lequel paraît on ne peut plus impressionné par la facture de l'objet.
- La complexité de ce montage optique doit certainement servir à quelque chose... Finit par admettre ce dernier, de plus en plus intrigué par l'étrangeté du phénomène.
- Un peu de patience professeur. Je crois que nous avons la réponse à votre question. Nous n'allons pas tarder à être fixés... Murmure Ballantine, le regard rivé sur le crâne de cristal, dont le rayonnement s'est brusquement accentué ; tandis qu'à leur plus profond désarroi, une aura brillante et verdâtre entoure à présent l'objet.
Le spectacle hallucinant qui prend alors forme sous leurs yeux, est tellement insolite qu'ils en restent un court instant déconcertés et abasourdis ... Une image floue, mais en trois dimensions, semblant en suspension à quelques mètres du sol, comme projetée par un puissant rayon lumineux sur un écran invisible, émane à présentdes orbites du crâne.
- Nom d'une pipe, une projection holographique !... S'effare le professeur, bouche bée, en se tamponnant le front à l'aide d'un mouchoir, tandis que les Mexicains, stupéfaits, ont cessé toute activité.
Ballantine, sans souffler mot, s'est passé une main ouverte dans sa courte brosse en ayant un froncement de sourcils.
Les lueurs de l'image en relief projettent à présent d'étranges reflets sur la toile des tentes, tandis que l'hologramme paraît de plus en plus net.
Winter et Ballantine l'ont immédiatement interprété ...
- La configuration de notre système planétaire !... Commente ce dernier en échangeant un regard éberlué avec le professeur.
Ils assistent alors à la lente apparition des neuf planètes du système solaire, qui se positionnent successivement et exactement à la place qu'elles occupent par rapport au Soleil. La quatrième, immédiatement reconnaissable en raison de sa couleur orangée, s'est subitement désolidarisée du système. Elle paraît à présent en gros plan, tandis que le cortège des huit autres s'estompe progressivement, laissant exclusivement la planète rouge envahir l'écran qu'elle traverse d'une seule traite en diagonale.
- Mars !... Commente machinalement le professeur en se tournant vers son ami.
Les six hommes, effarés, observent à présent l'étrange balai qui se déroule sous leurs yeux, sans plus de commentaire. Un serpent est maintenant représenté aux côtés de la planète rouge. Puis, bien que la lampe du professeur soit toujours en action, l'hologramme a brusquement disparu, comme une bulle de savon qui éclate.
- C'est incroyable ! Cette œuvre d'art a bien emmagasiné des énergies qu'elle est à même de restituer sous formes d'images holographiques ! C'est vraiment stupéfiant !... Souffle Ballantine.
- Mon cher Dany, je crois que nous ne sommes pas au bout de nos surprises... Cet objet ne peut de toute évidence être apparenté à tout ce qui touche de près ou de loin la civilisation maya et sa présence en ces lieux m'intrigue. Les images holographiques de notre système solaire sont d'ailleurs là pour en témoigner !... Résume pensivement Winter... Les Mayas n'avaient incontestablement pas à leur portée la technologie nécessaire à la démonstration à laquelle nous venons d'assister... Souligne-t-il encore, visiblement tracassé.
- Cette chose est peut-être atterrie ici par hasard et l'auteur de ce message ignorait certainement la véritable origine du crâne... Hasarde Ballantine.
- Venez voir !... Le convie alors Winter en se dirigeant sans plus attendre vers le site, après avoir rallumé sa torche, l'obscurité commençant progressivement à envahir les lieux... Lorsque vous m'avez interpellé tout à l'heure, j'étais occupé avec ceci... Confie-t-il encore en éclairant la stèle de tuf prismatique qui s'élance devant l'édifice à plus de sept mètres de hauteur sur deux de large, légèrement effritée et encore toute couronnée de broussailles et d'arbustes. Sur sa face est représenté le portrait stylisé d'un colosse, dont la taille frise les trois mètres. La silhouette générale est anguleuse et la tête carrée est surmontée d'antennes. Les jambes sont droites et rigides comme des échasses.
Ballantine a haussé les sourcils...
- A quoi cela vous fait-il penser ?... Demande alors à brûle pourpoint Winter, en se caressant pensivement le menton.
Après quelques secondes de réflexion, tant la chose semble incroyable et se grattant l'oreille d'un air perplexe ...
- Vous allez certainement rire professeur, mais j'opterais pour... Disons... Un robot... Risque Ballantine, d'une voix hésitante.
- C'est justement ici que le bât blesse Dany ... Je pense effectivement qu'il s'agit là de la représentation d'un robot. Mais ce n'est pas terminé. Suivez-moi !... Et il s'arrête aussitôt devant une seconde stèle aux dimensions plus modestes, sur laquelle est cette fois représenté un personnage habillé, dirait-on, en cosmonaute.
- Bon sang ! Qu'est-ce que tout cela veut dire ? Où voulez-vous en venir professeur ?... S'étonne Ballantine, visiblement intrigué, mais certainement impatient d'en apprendre davantage
- Je dois vous avouer que j'ignore totalement où nous avons mis les pieds Dany. Ces ruines sont certes d'origine maya. Mais comme vous venez de le constater, certains de ces glyphes hors du temps sont autant d'indices, autant de témoignages, qui illustrent et tendent à démontrer à l'évidence qu'il y a eu également en ces lieux une présence ou tout au moins une manifestation autre que la civilisation maya. La mise à jour de ce crâne de cristal avec ce qu'il contient nous amène à la conclusion suivante : Nous venons indubitablement de découvrir les signes d'une ancienne présence pour le moins en avance sur son temps. J'irai même jusqu'à prétendre que tout cela porte à croire qu'un Futur Antérieur ait déjà existé quelque part sur cette planète !
Chapitre 2
Le lendemain... 8 h du matin...
Ballantine et Winter prennent leur petit déjeuner à l'abri des rayons d'un soleil brûlant déjà haut dans un ciel bleu azur. Leur conversation est essentiellement axée sur le déroulement des derniers événements et concernant bien entendu leurs étranges découvertes de la veille. Ils se sont attardés sur le message contenu dans le Crâne de Cristal.
- Ce type aurait donc monté une seconde expédition depuis Mexico, uniquement dans le but de remettre le crâne à sa place sous l'autel du temple, afin de tenter d'échapper à la colère de ce prétendu golem !... Souligne Ballantine, la mine perplexe.
- Et ce terrible secret dont il est question ! Que veut-il dire par-là ?... Rappelle Winter en avalant sa tasse de thé à petites gorgées.
- Cet avertissement lui aurait été adressé par la Confrérie des Descendants de je ne sais plus quoi au juste. Mais je suppose qu'il a eu, comme nous, accès à l'image holographique de notre système solaire... Imagine Ballantine en terminant son bacon.
- Il est également question dans son message de Capsules du Temps ! Et si nous voulons en croire cette personne, le golem en serait le Gardien !... Complète Winter, qui s'est redressé en se tamponnant les lèvres, son petit déjeuner étant achevé.
- Nous ne sommes ici que depuis hier et nous avons, comme on dit en France, du pain sur la planche... Présume Ballantine en quittant la table à son tour.
10 h 25...
Ballantine et Winter dégagent de la végétation qui l'a envahie, une stèle sur laquelle sont représentées huit des neuf planètes de notre système solaire, situées exactement à la place qu'elles occupent effectivement par rapport au soleil.
- Vous voyez Dany, l'énigme s'épaissit encore... Observe le professeur en soufflant légèrement sur la roche, afin d'éliminer la légère couche de poussière qui la recouvre... Cette représentation de notre système stellaire est on ne peut plus fidèle, mais la question demeure la suivante : De qui les habitants de cette petite cité tenaient-ils ces connaissances astronomiques ?
- Et ici ! Cette gravure représente un serpent comme sur l'hologramme ! Ces dessins sont sans aucun doute possible en rapport direct avec ce que nous a révélé le crâne de cristal... Ajoute pensivement Ballantine.
- Depuis l'antiquité, le serpent a toujours été le symbole de l'immortalité. Il est indéniablement lié à la représentation figurative d'apparitions cosmiques... Remarque le professeur... De plus, chez les Mayas, le serpent était également le symbole de la maîtrise des airs.
- Mais pourquoi diable est-il représenté ici seulement huit des neuf planètes du système solaire ?... Observe judicieusement Ballantine.
- Il faut croire que, bien que la figuration de la position de toutes les planètes soit curieusement et scrupuleusement respectée, les Mayas ou les habitants de cette mystérieuse cité ignoraient certainement l'existence de la neuvième... Peut-être manque-t-il la dernière, Pluton... Imagine naturellement Winter, en tirant nerveusement plusieurs bouffées d'affilée de sa courte pipe en écume, la tête entourée d'un nuage de fumée.
- Justement non professeur, et c'est bien ce qui m'intrigue !... Se presse de corriger Ballantine, visiblement incommodé par les miasmes tabagiques de son ami, lui faisant même comprendre la gêne ressentie et son incommodité à force de gestes appropriés à chasser le panache de fumée qu'il vient d'engendrer... Regardez !... Si l'on part du soleil, nous avons bien Mercure. Mais aussitôt, aux lieux et place de Vénus il y a, si je ne m'abuse, un espace inoccupé. Car voici la Terre, puis Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune et enfin la dernière... Pluton.
- Mais... Pourquoi avoir omis d'y faire figurer Vénus ?... S'étonne cette fois Winter, l'air dubitatif et se caressant machinalement le menton... D'autant plus qu'ils n'étaient pas sans connaître son existence ! Elle était pour le peuple maya l'objet d'un véritable culte. La plupart de leurs pyramides sont d'ailleurs dédiées à l'étoile du berger ! Je vous avoue que j'y perds mon latin.
- C'est ma foi fort curieux en effet.
De nouvelles stèles et dessins découverts sur les murs du temple, représentent soit des personnages revêtus d'une combinaison de cosmonaute, on ne saurait s'y tromper, soit des engins volants. La plupart sont en forme de disques. Certains sont même équipés d'antennes.
- C'est fantastique !... S'émeut encore Winter... Il n'y a plus aucun doute. Si ce sont bien des Mayas qui résidaient dans cette cité et si c'est bien eux qui sont les auteurs de tous ces témoignages, nous avons ici la preuve formelle qu'ils ont été, à un moment donné, en contact avec les représentants d'une civilisation plutôt en avance sur son temps.
- Autrement dit, avec des êtres originaires d'un autre monde... Anticipe Ballantine.
- Ma foi, je ne sais que penser. Mais si nos suppositions s'avéraient exactes, et nous sommes assurément sur la bonne voie pour le prouver, la découverte de ce site sera incontestablement l'événement archéologique le plus extraordinaire de tous les temps... Souligne le professeur, bouleversé, en épongeant la sueur qui lui dégouline sur le front.
- J'ai la ferme conviction que si nous poussons plus loin nos investigations, nous ne sommes pas au bout de nos surprises... Gage Ballantine avec un enthousiasme non dissimulé.
- Regardez les gravures sur ce mur Dany. Elles représentent Quetzalcoatl le Serpent à plumes, que les Mayas appelaient aussi Kukulcan. C'est le plus grand dieu du panthéon maya et aztèque. Il incarne justement la personnification de la planète brillante. Il paraît s'agenouiller devant l'apparition d'une comète. Comme c'est étrange... S'émeut encore Winter.
Deux reproductions de la voûte céleste gravées sur le plafond du temple leur offrent à présent une nouvelle et non moindre énigme... Les points cardinaux sont placés correctement sur l'une, tandis qu'ils sont renversés sur l'autre, comme si la Terre avait subi un choc, comme si elle s'était retournée lors d'un cataclysme cosmique. Mais l'un des chicleros vient de pénétrer à son tour à l'intérieur de l'édifice. Il leur signifie que ses compagnons ont mis à jour quelque chose susceptible de les intéresser.
Les Mexicains ont déterré trois tablettes de pierre qu'ils sont en train de débarrasser sommairement de la mousse qui les recouvre. Le professeur exulte et trépigne sur place, tant il bouillonne d'impatience. Il a, comme d'habitude et en de telles circonstances, eu le réflexe de rajuster ses petites lunettes sur le bout de son nez, comme pour mieux distinguer les glyphes gravés dans la pierre.
Après avoir déchiffré quelques lignes de la première tablette, il marque aussitôt une pause, en proie au plus vif désarroi...
- Inouï ! C'est tout à fait inouï !... Ces textes ont rapport au déluge ! Vous vous rendez compte !... Rapporte-t-il d'une voix enthousiasmée et brisée par l'émotion.
- Si je ne m'abuse, ce légendaire désastre se serait produit il y aurait environ douze mille ans... Se remémore rapidement Ballantine.
- En fait, nul ne sait exactement à quel moment de l'histoire de l'humanité s'est produit le cataclysme universel. Vouloir déterminer la date de la titanesque catastrophe qui détruisit la presque totalité du genre humain, est sans aucun doute une tentative bien téméraire... Souligne le professeur en affichant une moue de perplexité... C'est extrêmement curieux... Poursuit-il en revenant vivement sur les caractères hiéroglyphiques de la première tablette, devant les mines interrogatrices de Ballantine et des quatre métis qui se sont regroupés autour de sa personne... On peut en fait interpréter ce texte comme une prophétie. Tout d'abord, on nous décrit ici les circonstances du déluge. Mais il est affirmé en outre et je traduis, qu'après la naissance du sixième soleil, peut-être est-il question d'une succession d'éclipses ... Donc, après la naissance du sixième soleil disais-je, ces écrits précisent que les Maîtres des Etoiles ou Messagers du Destin doivent revenir. Si on se fie à ce calendrier, ce serait, tenez-vous bien, avant la fin de ce millénaire. Soit la période inaugurée par l'éclipse de 1999. En septembre de l'année où nous sommes, plus exactement. Il est également dit quau cours de l'ère du sixième soleil, tout ce qui est enfoui sera découvert. La vérité sera la semence de la lumière. Et les fils du sixième soleil voyageront à travers les étoiles.
- Si c'est une prophétie, elle nous annonce clairement la venue prochaine d'extraterrestres sur la Terre... Sourit Ballantine, manifestement peu enclin à suivre son ami sur ce terrain.
Winter s'est approché de la seconde tablette. Prenant assise sur ses talons, la tête entre les mains, il ne cesse de lire et relire l'inscription millénaire qui y est gravée...
- Ce texte a encore rapport au déluge... Enchaîne-t-il au terme de quelques secondes... Il est dit que le ciel se rapprocha de la Terre et que tout périt en un seul jour. Même les montagnes disparurent sous les eaux. Ces écrits décrivent la disparition du monde d'une façon imagée. Regardez Dany, ce que vous voyez ici représente encore un serpent installé dans les cieux et déversant de sa bouche des torrents d'eau. Quant à ces différents signes, ils indiquent des éclipses de la Lune et du Soleil. Cette gravure figure la déesse de la Lune, maîtresse de la mort. Comme vous pouvez le constater, elle est représentée ici sous un aspect terrifiant. Elle tient entre les mains une coupe renversée de laquelle coulent des flots destructeurs.
Nom d'une pipe ! Ce qui est décrit ici, dans la troisième tablette, est tout simplement effarant !... S'exclame le professeur, subitement en proie à la plus vive stupeur... Les deux premières tablettes reprennent en fait certains détails du Livre Sacré des Mayas du Guatemala, le Popol Vuh. Ce qui me surprend, c'est que jusqu'ici les origines du déluge n'ont jamais vraiment pu être expliquées et encore moins élucidées. La science ne connaît toujours pas de causes qui auraient pu engendrer une secousse telle, que l'axe terrestre en aurait été à ce point ébranlé. Mais si ces écrits s'avéraient exacts, ce qui est dit ici nous fournirait la réponse à cette énigme. C'est tellement incroyable !... Poursuit Winter en se tamponnant nerveusement le visage à l'aide de son mouchoir.
- Remettez-vous professeur !... Sourit Ballantine d'une voix amusée, en lui donnant une tape amicale sur l'épaule.
Semblant ignorer la remarque et évitant de faire mentir plus que de raison son enthousiasme, l'intéressé n'en poursuit pas moins ses commentaires d'une voix chevrotante...
- C'est bien la première fois qu'un texte maya donne de telles précisions sur les causes du cataclysme universel ! Il est encore dit ici que cette catastrophe n'aurait pas concerné que notre planète ... Ce fut un bouleversement cosmique aboutissant à un réalignement des astres de notre système solaire. Les planètes modifièrent leur trajectoire. La grande harmonie de l'univers et de la nature en fut ébranlée. Voilà, tout est expliqué ! Le déluge aurait eu pour origine l'attraction exercée par un astre encore inconnu et pénétrant dans notre système solaire... Sa force cosmique aurait déclenché un immense raz de marée. Les eaux du globe se seraient alors soulevées, pour ensuite refluer avec l'éloignement de ladite planète en question, déposant ici et là les restes de faune et de flore dont on a d'ailleurs découvert des traces inexplicables dans différentes régions du monde... Se presse de préciser Winter. (véridique).
- En fait, cela semble tout à fait plausible professeur. La seule force capable de provoquer des bouleversements de cette ampleur pourrait effectivement avoir été celle produite par un corps céleste de grande taille passant à proximité de la Terre... Relève Ballantine d'un air songeur.
- Tout à fait Dany. D'ailleurs, bien que l'on n'ait pas encore élucidé la question, il a toutefois été envisagé qu'une collision avec un immense météore aurait pu provoquer le cataclysme atlantéen, certainement lié au désastre universel. Nous savons que l'attraction lunaire, par exemple, est à l'origine du phénomène des marées. Comme vous le faites si judicieusement remarquer, l'arrivée de cet astre dans le système solaire aurait pu provoquer un déséquilibre de la planète. En déplaçant de quelques degrés son axe de rotation tout en exerçant une énorme pression sur l'écorce terrestre, l'incident aurait entraîner les inondations et déluges que l'on retrouve dans les légendes de tous les peuples à la surface du globe. Mais ce qui est stupéfiant, c'est que, d'après les écrits mayas, cet astre ne serait autre que... Tenez-vous bien... La planète Vénus !
- Vénus !... Ce serait assurément extraordinaire professeur ! Mais celle que l'on connaît plus communément sous l'appellation d'étoile du berger étant donné son éclat nocturne, a toujours fait partie de notre système solaire ! Aucun doute n'a jamais été émis à ce sujet que je sache !... Stipule Ballantine, la mine perplexe.
- C'est en tout cas ce qui est prétendu ici. Vénus serait en fait originaire d'une autre galaxie que notre Voie Lactée. Elle serait entrée dans notre ciel avec l'apparence et les effets maléfiques d'une comète. Elle aurait provoqué l'embrasement du globe et le déluge universel, avant de s'installer définitivement sur l'orbite que nous lui connaissons. Après voir frôlé la Terre, elle aurait anéanti la presque totalité de l'humanité.
- Si le fait s'avérait exact, ce serait alors la raison pour laquelle il n'était représenté que huit des planètes du système solaire sur le monument que nous avons découvert. Vénus aurait été volontairement omise... Réalise Ballantine, la mine réfléchie.
- Et la comète devant l'arrivée de laquelle est prosterné Quetzalcoatl, serait donc l'Etoile du Berger ! Cette planète a toujours fait l'objet d'un véritable culte dans la civilisation maya. C'est elle qui régissait leur religion. D'ailleurs, comme je vous le disais, la plupart des pyramides mayas lui sont dédiées. On ignorait jusqu'ici quelles en étaient les raisons. Les Mexicains en ont même conservé la tradition. On a en effet constaté de nos jours, que de nombreux édifices comme le palais du Gouverneur à Uxmal au Mexique, étaient alignés et disposés en fonction du lever et du coucher de l'étoile du berger. Toujours est-il que vous pouvez être assuré que notre découverte va certainement ébranler et déranger le monde bien ordonné de nos astrophysiciens et soulever bon nombre de controverses... Confie le professeur, on ne peut plus enthousiasmé.
- Je reviens sur ce qui est écrit sur la première tablette, où il est question du retour des Maîtres des Etoiles. Est-ce que cette prophétie signifie quelque chose pour vous professeur ?... S'enquiert Ballantine, songeur.
- Eh bien voyez-vous Dany, incidemment, la tradition populaire maya parle d'une promesse faite par " les Fils du Ciel " de revenir dans douze mille ans. Soit, comme le précise en effet ces écrits, à notre époque. Et plus précisément d'ici peu s'il faut en croire ce qui est dit ici et si nous devons nous fier à la légende. Ces Fils du Ciel seraient leurs ancêtres de l'Atlantide, dont la civilisation n'avait, toujours d'après la légende, rien à envier à la nôtre. Bien au contraire.
- En tout cas, le type qui a laissé ce message a tout de même eu une part de chance non négligeable !... Il prétend être parti à la quête du continent perdu de l'Atlantide, et découvre comme nous, par hasard, cette ancienne cité maya dont vous me dites professeur que les ancêtres pourraient justement être les Atlantes !
- C'est ma foi exact. Mais ce qui relève du domaine du fantastique, voire de l'incroyable dans cette histoire, c'est le fait que la population d'un site maya semble avoir fait l'objet d'un contact avec une civilisation avancée. J'en suis à présent pratiquement convaincu Dany. Les habitants de ces lieux ont reçu la visite de cosmonautes venus d'une autre planète. Ou ils ont été directement en contact avec des Atlantes. Mais cette hypothèse relève bien évidemment du domaine de l'impossible... Murmure-t-il encore, comme pour lui-même.
- Toujours est-il que la découverte que nous avons faite sur l'hypothétique arrivée de Vénus dans notre système solaire, ne concerne en rien le terrible secret dont ce type parle dans son message. Mais peut-être allons-nous finir par découvrir quelque chose en rapport avec ce que prétend ce curieux personnage... Imagine Ballantine en se passant machinalement une main ouverte dans les cheveux.
* *
La fin de la journée approche. Le soleil commence à fléchir sur l'horizon. Bien que depuis quelques heures l'atmosphère se fasse lourde et orageuse, il ne pleut toujours pas. L'air est de plus en plus chaud, figé, comme si la nature était en suspens. Ballantine et Winter ont encore découvert de nouvelles preuves renforçant leurs convictions, quant à la visite d'hypothétiques visiteurs de l'espace faite aux habitants de cette mystérieuse cité en des temps très reculés. Ils n'ont cependant pu déceler la moindre analogie avec la mise en garde du parchemin adressée par l'énigmatique personnage à l'intérieur du crâne de cristal, ayant trait au terrible secret auquel il est fait allusion.
Mais leur attention est brusquement attirée par les Mexicains ... Ces derniers viennent de dégager une dalle triangulaire enfouie sous l'humus au centre du temple, dont l'atmosphère ambiant s'avère humide et mal aéré, la lumière n'y pénétrant que par d'étroites lucarnes. Ballantine, avec l'aide de l'un des forestiers, décide aussitôt de faire éclater un petit espace rempli de chaux et de cailloux à l'aide d'une barre à mines.
Poussé par la curiosité et sous l'œil attentif et combien impatient du professeur qu'une sorte d'excitation sourde pince le cœur, Ballantine s'est agenouillé sans plus attendre, pour coller un œil contre l'ouverture en éclairant partiellement les lieux avec sa lampe-torche. Il en reste aussitôt muet durant quelques secondes ... Winter, qui ne peut contrôler son état d'énervement, le presse de questions, réprimant même difficilement quelques mouvements d'impatience.
Ballantine vient de se redresser. Il lui décrit alors une grande salle voûtée aux murs décorés de reliefs en stuc, au centre de laquelle trône un énorme bloc sculpté qui la remplit presque entièrement.
Sans plus attendre, ils ont déplacé la lourde dalle condamnant la crypte.
Une vingtaine de marches aux degrés usés et patinés par le temps y descendent.
Ballantine, suivi du professeur, emprunte aussitôt l'escalier de pierre qui s'enfonce à une douzaine de mètres sous le temple, où règne l'obscurité la plus totale. Leurs torches électriques, dont la lumière a fait fuir précipitamment un iguane, accrochent aussitôt le grand bloc, dont les côtés sont sculptés d'une douzaine d'étranges personnages. Il repose sur huit supports, ornés eux aussi d'étonnantes sculptures.
A leur plus vive stupéfaction, l'œuvre décorée en bas-relief représente une grande composition du cosmos. On y voit distinctement un être humain assis aux commandes d'un véhicule spatial, la partie supérieure du corps penchée en avant, comme celle d'un coureur motocycliste. En arrière de la proue pointue de l'engin qui est représenté, de curieuses entailles cannelées figurent des lumières d'admission. Puis le tout s'élargit et sa queue se prolonge par un jet de flammes.
N'importe quel enfant d'aujourd'hui comparerait sans aucun doute possible l'engin dans lequel il est installé à une fusée. L'être représenté à l'intérieur de l'habitacle est vêtu de pantalons moulants tenus par une large ceinture, d'un blouson dont l'encolure dégage la nuque, très ajusté sur les bras et les jambes. Il porte un casque muni d'un tube et sur le sommet figure quelque chose ressemblant à une antenne. L'astronaute - car c'en est manifestement un - est non seulement penché vers l'avant, mais il regarde avec attention un objet suspendu devant son visage. Ses mains paraissent occupées à manipuler des commandes, la droite semblant procéder à un réglage précis, la gauche tenant un levier. Le talon gauche repose sur une sorte de pédale à plusieurs crans, comme une commande au pied. Derrière le pilote, on reconnaît sans difficulté le réacteur nucléaire. Deux atomes sont même représentés schématiquement sans aucun risque d'erreur, probablement un atome d'hydrogène et un atome d'hélium. Chose importante, la traînée du réacteur est représentée à la queue du vaisseau, brisant la ceinture de glyphes qui court autour du bas-relief chargé de caractères cette fois indéchiffrables par le professeur, qui s'est contenté de prendre une série de clichés à l'appui de quelques notes. Les Mayas paraissent avoir laissé ici le portrait de leurs "messagers du ciel". Ce relief dans la pierre est bourré d'indications techniques incompréhensibles et le professeur vient de se pencher sur des glyphes courant sur la pierre.
- Les dieux mayas, si l'on en croit ce texte, vinrent des étoiles, communiquèrent avec les étoiles et retournèrent aux étoiles après avoir séjourné sur Terre... Rapporte-t-il avec une moue circonspecte.
Une monumentale arcade en pierre soutenue par deux colonnes serpentiformes, la gueule au niveau du sol, le corps constituant le fût et la queue soutenant le linteau, s'ouvre sur une seconde salle. Elle présente des innovations architecturales tournant presque toutes autour du thème du Serpent à Plumes. Au fond s'élève une pyramide à cinq ou six mètres du sol. Chacune de ses faces représente des corps de serpents, dont les têtes humaines reposent au pied de l'édifice.
Des sculptures, disséminées aux quatre coins, figurent toutes des créatures serpentiformes, soit à têtes bestiales, soit à têtes humaines, représentées dans différentes positions. Un reptile encore plus énorme que les autres trône dans une attitude hiératique. A ses côtés, des personnages à têtes de serpents, vêtus d'un vêtement pour le moins futuriste, l'entourent et semblent l'acclamer. Certains sont des sauriens complets, d'autres, moitié humain, moitié reptile. Les gravures murales sont remplies d'annotations mystérieuses.
- Qu'est-ce que tout cela veut dire ?... S'émeut le professeur d'une voix rendue rauque par l'émotion, visiblement déconcerté... Regardez Dany. Toutes ces sculptures et ces bas-reliefs sont dédiés à la gloire, dirait-on, d'un roi ou d'un dieu serpent !
Miguel, l'un des deux métis qui les ont rejoints, vient de pousser un cri, assorti d'une grimace de dégoût, tandis qu'il décroche vivement de sa chemisette une espèce de lézard à six pattes qui s'y cramponnait. Mais leur attention est de nouveau accaparée par une sculpture représentant des humains casqués, encore revêtus d'un habillement futuriste. Ils brandissent des armes à rayons, semblant terrasser des hommes-lézards aux allures belliqueuses. Des motifs ciselés figurent d'autres personnages humains engoncés dans des espèces de scaphandres, aux côtés d'êtres indéfinissables qui manipulent de singuliers appareils. L'autre pan de mur fourmille littéralement de personnages aux masques grotesques, figés en des attitudes invraisemblables et occupés à des tâches énigmatiques.
A quelles interprétations cette étrange iconographie peut-elle donner lieu ? Quelles controverses peut-elle bien susciter ? Là encore, elle est enrichie d'innombrables indications chiffrées, plus mystérieuses et plus énigmatiques les unes que les autres. Un peu en retrait, une stèle en pierre figure un autre groupe d'humains, curieusement blottis les uns contre les autres. Leurs yeux exorbités reflétent véritablement un sentiment de panique. Ils semblent craindre une bande de lézards disposés en cordon, qui paraissent les garder ou tout au moins les surveiller et qui contemplent, manifestement avec une certaine contrainte, ces scènes hallucinantes.
Winter, le cœur battant, sujet à une exaltation sans précédent, paraît de plus en plus intrigué. A l'aide de sa torche, il examine avec la plus grande attention ces sculptures d'une finesse exagérée ciselées dans la pierre, qui ont assurément donné lieu à un travail de patience, long et minutieux, patiné par les siècles.
Soudainement, devant eux, sur un socle, se dresse une silhouette d'une taille impressionnante, dépassant les trois mètres, à corps humain recouvert d'écailles et à tête serpentoïde couronnée. Son regard est glacial et dominateur. Elle tient un sceptre décoré du globe terrestre et le chiffre huit en position horizontale dans ses mains palmées. La créature pose l'un de ses pieds membraneux sur la tête d'un personnage aux traits humains revêtu d'une combinaison de cosmonaute, qui paraît se prosterner devant elle.
- Encore ce roi serpent !... Murmure Winter, en ravalant sa salive à plusieurs reprises.
- Mais... Ce truc est en métal !... S'étonne Ballantine en l'effleurant du bout des doigts.
- Vous avez ma foi raison. C'est bien du métal !... Constate à son tour Winter, stupéfait, en caressant à son tour le magnifique ouvrage, dont la froideur de l'alliage le fait un instant frissonner... Cette chose doit pourtant se trouver à cet endroit depuis des millénaires !... Comment cette substance métallique a-t-elle pu résister aussi longtemps ! C'est incroyable ! Elle est dans un état de conservation stupéfiant et ne porte aucune marque de corrosion !
- Je crois que rien en ces lieux ne sort de l'ordinaire professeur... Cette effigie a été fondue dans un métal obtenu à partir d'un alliage certainement inconnu sur la planète. Il ne peut en être autrement. Un métal bien particulier d'ailleurs. Car voyez ... Les écailles du corps de cette chose paraissent curieusement chargées d'un certain magnétisme frémissant au toucher.
- Ce qui m'intrigue, c'est le fait que nous retrouvions partout ce roi serpent ! Sa tête est couronnée et ce qu'il tient est à n'en pas douter un sceptre sur lequel figure... Hum... Voyons... Oui, c'est la Terre. Ce qu'il a dans l'autre main, rappelant le chiffre huit, représente certainement le symbole de l'infini. Comme c'est étrange. L'artiste qui est à la base de cette réalisation a certainement voulu fixer définitivement un événement important... Gage Winter d'une voix chevrotante... Mais que voulait-il donc signifier ?
- A moins que ce ne soit une mise en garde adressée à l'humanité !... Nuance Ballantine sur un ton rempli de perplexité, en se passant une main ouverte dans sa courte chevelure.
- Que voulez-vous insinuer ?... Suspecte aussitôt Winter, les sourcils en accents circonflexes, plutôt déconcerté par cette supposition aussi imprévisible qu'inquiétante.
- Je l'ignore encore professeur... S'interroge notre ami, l'air songeur, tout en caressant du bout des doigts le corps monstrueux qui donne l'impression de vouloir quitter son socle d'un instant à l'autre pour bondir sur les intrus... Néanmoins, je me demande si toutes ces sculptures sont bien dédiées à la gloire du Serpent comme vous le supposez. Ou si... Hésite-t-il, la moue réfléchie...
- Allez-y ! Précisez ce à quoi vous pensez !
- Eh bien, voyez-vous même professeur ... Cette scène, par exemple, est on ne peut plus significative ... Elle représente des humains gardés par des créatures reptiliennes. Leur attitude me paraît loin d'être équivoque. C'est clair. Ce tableau reflète l'épouvante de ces gens vis à vis de ces créatures du diable. Quant à ce roi serpent, il est évident qu'il semble imposer son autorité et sa volonté à un personnage de nature humaine, curieusement revêtu d'une combinaison de cosmonaute. On ne saurait s'y tromper, ce dernier paraît se prosterner ou, selon moi, être asservi par cette horrible créature.
Bien que le raisonnement de son ami ait quelque chose d'hallucinant, Winter semble tout à coup admettre l'atroce mais incroyable réalité de la scène qu'ils ont sous les yeux.
- Vous avez peut-être raison, mais où voulez-vous en venir ?... Insiste-t-il d'une voix éraillée, visiblement troublé, voire carrément inquiet, appréhendant assurément la justification des derniers propos de son ami.
- Je me demande, à tort ou à raison bien évidemment, si les humains qui sont représentés ici ne seraient pas tout simplement des vaincus subissant la loi du vainqueur... Résume Ballantine en se tournant vers son ami, qui a frissonné une nouvelle fois, avant de détourner son regard de la statue de métal.
- Pour quelles raisons donner une telle importance à des reptiles !... Banalise alors ce dernier d'un geste de la main, cherchant assurément à minimiser la chose.
- Je crois que nous avons une fois encore affaire à un nouveau mystère professeur. Un mystère qui ne me dit rien qui vaille... Conclut Ballantine, sourcils froncés.
Chapitre 3
L'heure se faisant tardive, ils ont une nouvelle fois regagné l'abri de leur campement, sous le regard curieux d'un écureuil pourpre qui s'est vivement agrippé à la fourche d'un arbre avant de disparaître dans le feuillage. La pluie tropicale s'est brusquement mise à tomber, pour se transformer aussitôt en un véritable déluge.
Il est un peu plus de 20 h 15. Les deux amis se sont retirés sous leur tente, tandis que Diego s'affaire à la préparation d'un repas froid sous le refuge de servitude, ses compères disputant une partie de cartes animée et criarde sous l'auvent protecteur. Le martèlement de la pluie sur les feuilles produit un bruit monotone, ne dérangeant pas pour autant nos deux lascars occupés à faire le point sur leurs dernières découvertes.
Ballantine vient de passer timidement le bout du nez par l'échancrure de leur guitoune. Il constate avec satisfaction que le ciel est redevenu clair et limpide. L'averse a cessé, sans toutefois rafraîchir l'atmosphère pourtant déjà chargée et étouffante, mais la rendant plus lourde encore. Il se décide à faire quelques pas à l'extérieur, rejoint presque aussitôt par le professeur qui étouffe un bâillement en enfonçant la flamme craquante d'une allumette dans le fourneau de la courte pipe en écume qu'il vient de préparer.
La pluie tiède a fait exhaler à la terre des parfums poivrés et les Mexicains se sont réunis autour du feu de camp qu'ils ont allumé, afin d'éloigner d'éventuels carnassiers. Ils poursuivent leur partie de cartes, sans plus se préoccuper de leurs employeurs temporaires.
Tandis que ces derniers se tiennent à quelques pas du campement et avant qu'ils n'aient eu la possibilité d'échanger de nouvelles paroles, Ballantine a sursauté... Winter qui toussotait et se raclait vainement la gorge à plusieurs reprises, asphyxié par la fumée de son brûle-gueule, tressaille à son tour, crachotant nerveusement.
- Vous avez entendu ?... Marmonne-t-il le regard figé.
- Chut professeur !... Souffle Ballantine en tendant l'oreille, avec un geste évasif de la main assorti d'un imperceptible froncement de sourcils.
Un silence presque tangible s'installe un instant entre les deux hommes, aussitôt perturbé par les rires bruyants des Mexicains, toujours occupés à disputer leur partie de cartes endiablée.
- Il m'a semblé entendre quelque chose... Insiste néanmoins Winter, dans un murmure quasi inaudible.
Sur un nouveau signe de son ami qui s'éloigne silencieusement du camp en direction de la forêt toute proche, ce dernier a cette fois cessé tout commentaire.
Ballantine vient de marquer un temps d'arrêt à la lisière de la jungle, une flamme d'inquiétude dans le regard, tandis que Winter s'approche timidement à son tour.
Le silence leur paraît soudain plus lourd, plus oppressant...
- Mais que !
- Chut professeur... L'interrompt une nouvelle fois Ballantine, en lui retournant un regard sévère.
Un léger bruissement de feuillage, presque imperceptible, n'a cependant pas échappé à l'ouïe fine de celui-ci.
- Nous ne sommes pas seuls... Glisse-t-il au creux de l'oreille de son ami.
Ce disant, il lui pose doucement la main sur l'épaule en exerçant une légère pression. Bien que la végétation dense ne laisse filtrer que peu de lumière, il lui désigne, d'un mouvement du menton, l'objet de sa prévenance, la chose qui vient d'arrêter son regard...
Une profonde lueur verdâtre se faufile furtivement entre les arbres, une forme imprécise et ahurissante. Elle a traversé leur champ de vision en un éclair, avant de se fondre dans la nuit.
Winter semble transformé en une véritable statue de marbre, figé, paralysé, la main gauche sur le fût de son brûle-gueule, dans une position qui prêterait à sourire en d'autres circonstances. Tous les sens en alerte, Ballantine a l'œil rivé vers l'endroit où s'est dirigée l'étrange apparition, guettant à présent le moindre signe de danger.
La sensation d'une mystérieuse présence se fait de plus en plus sentir. Ils éprouvent en même temps la désagréable impression d'être observés par cette présence indécelable, mais néanmoins bien réelle. L'air semble tout à coup terriblement pesant et comme un fait exprès, des insectes agaçants voltigent en bourdonnant à leurs oreilles, contrariant leur concentration.
Ils ont de nouveau sursauté...
Un grondement bizarre vient de retentir à quelques pas seulement de l'endroit où ils se trouvent, leur donnant à chacun le sentiment qu'un fauve se tient à l'affût, tapi près du campement.
Un pli de contrariété a barré le front dégarni du professeur et Ballantine a senti une angoisse étrange étreindre son cœur comme un étau.
Nul ne pouvait soupçonner le drame qui guettait les explorateurs de cette ténébreuse aventure, isolés au sein de cette terre mystérieuse des Mayas-Quichés. Ils étaient certainement loin d'imaginer qu'ils allaient faire la plus extraordinaire, la plus fabuleuse des découvertes, celle qui allait changer le cours de leur existence.
* *
Le danger, ils en sont subitement conscients, est incontestablement présent. Aussi Winter n'a-t-il pas tardé à réagir ... Il s'est prudemment reculé en invitant son ami à l'imiter d'un signe de la main.
- Restons près des autres. Il y a des fauves qui rôdent aux alentours... Halète-t-il.
Pour toute réponse, Ballantine a amorcé un geste de contrariété. Il n'obtempère pas pour autant. Il s'est néanmoins emparé d'une solide branche qu'il brandit comme une massue et signifie à son ami de refluer vers le campement comme celui-ci en avait l'intention. Puis, d'un pas feutré, il se dirige résolument vers les premiers fourrés...
Il en est à moins de quelques mètres, lorsqu'un souffle rauque lui fait cesser tout mouvement. Le cœur battant, il s'est retourné vers le professeur, qui ne s'était guère éloigné que de quelques mètres. Ce dernier a aussitôt remarqué son hésitation ainsi que son brusque changement d'attitude. Une angoise insurmontable semble l'assaillir à son tour. Mais ils viennent de sursauter ... Un rugissement sourd se propage soudainement dans la jungle, répété et roulé par l'écho, dont l'origine semble toute proche.
Quelque chose est bien là... Quelque chose de monstrueux, tapi dans l'invisible... Et qui attend...
Un réflexe approprié, ou plutôt l'instinct de conservation, pousse rapidement Ballantine à prendre l'unique décision qui puisse s'imposer dans ce genre de situation : La fuite. Aussi met-il aussitôt un terme à sa curiosité en tournant rapidement les talons, pour rallier rapidement son ami, qu'un long frisson parcourt déjà de la tête aux pieds.
Les Mexicains ont eux aussi perçu le cri rauque. Ils ont promptement interrompu leur partie de cartes et deux d'entre eux se sont déjà emparés de leurs machettes. Tous se portent aussitôt au devant des deux imprudents, qui ne tardent d'ailleurs pas à les rejoindre.
Winter, le teint livide, a bredouillé quelque chose, qui très probablement équivalait à une tentative de remerciement.
- Nous l'avons... échappé... Belle... Ajoute-t-il d'une voix haletante et saccadée, plus émotionné qu'essoufflé par cette brusque épreuve forcée et inattendue.
- Une bande de pumas ou de jaguars doit être à l'affût quelque part aux alentours du campement... Hasarde Ballantine, en se passant nerveusement une main ouverte dans les cheveux.
- No Sénor, no, ça pas être cri pouma ! Pas être cri jaguar no plus Sénor. Ca pas être bon dou tout... Souffle Miguel, l'un des Mexicains, en se signant à plusieurs reprises, l'œil dilaté par une frayeur naissante.
- Mais qui veux-tu que ce soit ? Le diable en personne peut-être !... Raille Ballantine avec un rire sans joie ; un de ceux qui sonnent faux, tout en haussant les épaules.
La boutade paraît laisser le dénommé Miguel impassible, car il se presse de répéter inlassablement et avec une certaine insistance les mêmes mots... Ca pas bon, pas bon dou tout !... Malo ! Malo ! (mauvais)
Winter et Ballantine ont échangé des regards désabusés et tous se sont mis sous la protection du feu de camp qui crépite dans l'obscurité naissante et que l'un des Mexicains s'est pressé de recharger en jetant à plusieurs reprises des branches mortes au centre du foyer. C'est à cet instant précis que Ballantine ressentit une impression étrange, indéfinissable, mais parfaitement insupportable. Tous semblant partager la même angoisse.
- Ne nous inquiétons pas outre mesure Dany. Les Guatémaltèques ont toujours considéré le Peten comme un territoire mystérieux, légendaire et même vaguement terrifiant. D'ici demain, nos compagnons auront retrouvé le moral... Tente d'argumenterWinter sur un ton se voulant rassurant, devant l'expression contrariée de son ami.
Ce dernier semble néanmoins faire fi de la remarque adressée par le professeur. Il est allé prendre ses jumelles et inspecte à présent minutieusement les abords de la jungle. Il est conscient qu'un mystérieux danger les guette, tapi là-bas, quelque part aux alentours, attendant le moment propice pour se manifester et les surprendre. Mais l'obscurité qui envahit peu à peu la jungle, met rapidement un terme à son observation.
Le repas du soir s'est toutefois déroulé dans une ambiance détendue, les chicleros ayant noyé leur angoisse à l'aide d'une bouteille de tequila, bien que l'incident n'ait pas pour autant permis de tranquilliser Winter et Ballantine. Ce dernier a pris la décision de veiller sur le campement jusqu'aux premières lueurs de l'aube, ne pouvant se fier ou même compter sur le concours des Mexicains. La moitié d'entre eux, victime des traîtrises de Bacchus , sont d'ailleurs déjà partie faire un tour du côté des vignes du Seigneur, leurs ronflements raisonnant à travers la forêt en faisant foi. Le professeur a bien insisté pour lui tenir compagnie, mais le déroulement des derniers événements a passablement diminué ses facultés, tout en portant atteinte à ce qui lui reste de vitalité.
Il règne toujours une atmosphère d'étuve malsaine. Ballantine ne se sent pas à l'aise. Il veille sur le sommeil de ses compagnons d'un œil inquiet, assis à même le sol près du feu de camp, qu'il recharge avant que le besoin ne s'en fasse sentir. Sa carabine "22 long rifle" automatique est installée sur ses genoux, au cas où, et les pinceaux de sa torche électrique fouillent de temps à autre les alentours avec insistance. Mais la mystérieuse présence, objet de leur inquiétude, paraît ne plus vouloir se manifester. Seul le crépitement du bois livré aux flammes résonne dans la nuit.
Vers les quatre heures du matin, Juan, quelque peu remis de sa "cuite" mais ne paraissant toutefois plus se trouver sous l'emprise des vapeurs d'alcool, s'est proposé pour le remplacer. Bon gré, mal gré, notre ami qui luttait déjà depuis un long moment pour ne pas s'assoupir, a tout de même consenti à rejoindre Winter qui dort du sommeil du juste sous la tente.
(* Bacchus : dieu grec de la vigne, du vin et du délire extatique)
Chapitre 4
Ce sont les cris tonitruants d'une bande de perruches aux multiples couleurs, qui ont éveillé Ballantine. Il s'étire aussitôt comme une chatte, les yeux encore gonflés de sommeil. Sans quitter sa couche, il secoue le professeur qui râle un court instant, avant de se décider à entrouvrir timidement une paupière.
Sitôt sur pied, il écarte la moustiquaire et tend le bras vers la malle métallique qui lui sert de table de chevet, pour consulter rapidement sa montre qui lui indique qu'il est déjà huit heures un quart. Sa réaction est alors instantanée...
Il s'est détendu comme un ressort pour bondir à l'extérieur, où le Tropique lui souffle brutalement au visage son haleine brûlante. Tout en se grattant le cuir chevelu et en étouffant un dernier bâillement, il constate avec surprise la présence d'un tapir au milieu du camp, ce monstre doté d'une trompe, mi-sanglier, mi-éléphant, que les Indiens du Guatemala chassent avec une sarbacane. Le timide mammifère, qui paraît trouver à son goût l'herbe tendre de la clairière, n'accorde même pas un regard au bipède surgi de sa maison de toile. Il continue de brouter en toute impassibilité, complètement indifférent à la présence de cet intrus, qu'il considère assurément sans aucun intérêt particulier.
Ballantine lui rend toutefois son désintéressement en détournant rapidement leregard, constatant avec contrariété que Juan n'est pas à son poste ! Pourquoi ne les a-t-il pas réveillés ? Il sait pourtant bien qu'ils ne sont pas ici pour faire la grâce matinée ! Que le moment n'est pas à paresser au lit ! Puis, les curieux événements impondérables qui se sont produits la veille l'assaillent aussitôt ... Son regard s'est porté en direction du mur vert de la forêt, à l'instant où Winter fait à son tour son apparition. Bâillant comme une carpe, quitte à s'en décrocher la mâchoire, ce dernier semble néanmoins surpris de ne pas humer, comme d'habitude, l'agréable parfum de son breuvage matinal préféré, le thé.
Avec un froncement de sourcils, Ballantine s'est emparé rapidement de ses vêtements, cherchant vainement des yeux la présence de Juan. Il fait aussitôt part de son inquiétude au professeur. Ce sentiment est à son comble et fait même place à de l'appréhension, lorsqu'il découvre la carabine abandonnée près de l'endroit où crépitait la veille au soir le feu de camp, visiblement éteint depuis longtemps par défaut de combustibles, à en juger par l'amoncellement de cendres froides en un résidu grisâtre déjà solidifié.
- Cet animal a un de ces toupets !... Sourit Winter en apercevant le tapir qui, cette fois, a pris la fuite en direction de la forêt, galopant aveuglément droit devant lui, provoquant à son tour l'envol précipité d'un quetzal, cet oiseau d'une rare beauté, emblème du Guatemala.
Ballantine, préoccupé par l'absence inexplicable du métis, s'est dirigé vers le refuge de ses congénères, à l'instant où ces derniers quittaient précipitamment leur gîte après avoir enfilé leurs vêtements à la hâte. Confus, se frottant les paupières, l'air penaud après avoir constaté que l'astre solaire était déjà haut dans le ciel, ils étouffent timidement un dernier bâillement en passant à plusieurs reprises leurs doigts bagués dans leurs tignasses dépeignées. Mais Ballantine et Winter ont échangé des regards chargés de contrariété, constatant avec ennui que Juan ne figurait pas parmi eux.
- L'un d'entre vous sait-il où est Juan ?... Questionne aussitôt Ballantine, les poings sur les hanches, planté devant les trois lascars, d'une voix marquée par une légitime appréhension.
Les trois compères semblent avoir reçu le ciel sur la tête. Ils sortent sans aucun doute d'un sommeil lourd et ont visiblement la gueule de bois. L'un d'eux hésite un court instant, promène un regard ahuri autour de lui, rejette en arrière la mèche qui lui barre le front ...
- Juan ?... Qué Juan ?... Ah Juan !... Bredouille-t-il d'une voix pâteuse, quasi inintelligible, les yeux hagards. Puis, le regard errant une nouvelle fois au hasard, il dévisage ses acolytes qui, avec un mouvement d'ensemble des plus significatifs, se sont contentés de hausser les épaules. L'un d'eux esquissant même une moue évasive.
Ballantine a ébauché un geste trahissant son impatience, croisant les bras en prenant un air déterminé.
- Alors quoi ! Sacré bon sang, ne me dites pas qu'aucun d'entre vous ne sait où est passé Juan !... S'écrie-t-il cette fois d'une voix sévère et contrariée, une flamme d'inquiétude de plus en plus vive brillant dans ses prunelles.
Devant l'air hébété des trois comparses, il a haussé les épaules, dépité, préférant ne pas insister avant de se rendre à l'angoissante réalité ... Le dénommé Juan a bel et bien disparu. Conscient de l'incident de la veille au soir, il est impensable qu'il se soit aventuré seul dans la forêt, délaissant même son arme au mépris du danger. Un malaise indescriptible s'empare alors de tout son être. Cette jungle devient soudain pour eux l'enfer même de la solitude et de l'angoisse. Le professeur ne trouve même plus une parole réconfortante en cette circonstance alarmante, son visage ne reflétant qu'une expression tendue et grave. Mais les Mexicains semblent revenir peu à peu à la dure réalité, paraissant enfin refaire surface, pour hélas ne faire qu'accentuer encore la suspicion de leurs employeurs, renforcer leurs craintes, accroître un peu plus encore leur désarroi.
- Por dios, ce temple est sacré Sénor ! Sourément endroit maudit. Juan avoir été enlévé par dieu Serpent... Anticipe déjà l'un d'eu