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Espoir à la lettre

Un facteur, vieil homme solitaire et aigri, fait sa tournée quotidienne tout en bougonnant... Soudain, il tombe sur une enveloppe sans expéditeur ni destinataire. Que contient-elle ? Que va-t-il faire de cela ? Son contenu, il ne peut même pas l'envisager...


"Quel métier horrible... " maugréa-t-il en traînant des pieds. Une fois de plus, il se plaignait au sujet de sa profession, de sa situation, de sa vie en générale. "Et ce patron qui se croit tout permis... " continua-t-il en secouant la tête. Le soleil tapait fort et il sentait les gouttes de sueur glisser de sa casquette bleue de travail. Il s'essuya du revers de la main en pestant, en maudissant cette canicule qui le harcelait personnellement, il en était sûr. Pendant la période où il avait le plus de travail, le soleil s'amusait espièglement à le pourchasser, à lui envoyer ses rayons ravageurs. Les grandes vacances profitaient à tout le monde, sauf à lui. Il était le seul facteur en service en juillet-août, car son adjoint se payait du bon temps à Saint Tropez, pendant qu'il trimait sous le poids de l'astre brûlant. Cette journée, les événements se multipliaient : la roue arrière de sa bicyclette avait crevé, et le patron, étant absent pour son séjour en Guadeloupe, ne pouvait pas s'occuper de cette affaire. Il était seul à s'occuper de tout ; il allait devoir payer la roue de sa poche, il en était certain ! En attendant il faisait tous les trajets à pieds...

Les lettres arrivaient en grand nombre, même dans le village désert. Il avait donc du travail par-dessus la tête, celle-ci bouillonnant sous les supplices que lui faisaient subir le roi du ciel. Il s'amusait, il le voyait lui faire de l'œil, caché derrière les pins. Il jouait de ses faiblesses et se divertissait en voyant ses pauvres jambes s'exténuer, son corps tout entier se décomposer tout au long de la journée, après chaque maison et chaque boîte aux lettres. Personne n'avait pitié pour lui, "pauvre facteur bientôt à la retraite", comme il disait si bien ! C'était son seul but, attendre encore quelques années pour dire "Zut !" à son patron. Il se la coulerait douce et sourirait en coin en observant le nouveau facteur de sa fenêtre... Ha ! Il attendait ces instants avec tant d'impatience !

Mais pour le moment, il était toujours ici, grillant sous le dur soleil d'été, rageant contre le monde qui s'acharnait sur lui, pauvre vieil homme qu'il était. Sa vie était quasiment finie, restait à achever ce travail qui épuisait ses dernières forces. Ensuite, il se laisserait mourir seul, célibataire comme il le fut toute sa vie, sans même un poisson rouge pour lui tenir compagnie. Il sera assis dans son lourd fauteuil aux accoudoirs de velours râpé par les années et par ses mains trop protectrices. Il jettera des coups d'œils par la fenêtre, non pas furtifs comme il aurait pu le faire, avec discrétion, respect de la vie des gens, non... Ils seront avides, envieux, et il se moquera ainsi des malheurs des gens pour sentir les siens disparaître immédiatement, s'évaporer aux commissures de ses lèvres au sourire moqueur, s'éclipser dans ses yeux rieurs, dans les pattes d'oie qui lui donnaient un air aimable qu'il n'appréciait pas. Il le savait, il fixerait les gens sans gêne, il ne les lâcherait pas du regard, pour qu'ils comprennent toute sa souffrance, tout son passé vieilli et décrépi qui rejaillirait sur eux, qui les blesserait telles des lames aiguisées, des rasoirs tranchants... Son regard plein de reproches, ses yeux ravageurs, enfoncés profondément dans ses orbites, en avait déjà effrayé plus d'un. Les enfants les plus audacieux admiraient ces puits profonds qu'il arborait avec délice, et s'enfuyaient le plus expressément possible, ne supportant pas plus longtemps la profondeur de ces abysses, la douleur de ces défis qu'il leur lançait. "Faites mieux que moi, essayez, bande de gamins, qui ne savent pas encore ce que la vie vous prépare... Vous ignorez encore le combat qui vous attend, les obstacles tout au long de votre chemin... L'insouciance fait de vous des êtres ignorants et purs, mon regard vous emplit de cette tristesse, de cette mélancolie qui nous habite tous après les meilleures années... " pensait-il. "Mon regard vous projette vers le futur, vers votre avenir prochain, et vous fuyez, habités soudain par la peur... "

Le facteur était fier de lui, fier de l'ombre qu'il projetait dans l'âme de ces enfants innocents par l'intermédiaire de ces orbites plein de mépris. Il aimait jouer avec les gens, martyriser ceux qui ne comprenaient pas encore...
Il serait donc là, sur son fauteuil, les pieds confortablement glissés dans ses pantoufles, et ceux qui oseraient lever la tête vers sa fenêtre recevraient une douloureuse vision de l'avenir, telle une gifle inattendue, que nous trouvons injuste mais que nous ne pouvons éviter... Bon gré, mal gré, le facteur serait là.


Mais quand il mettait son uniforme bleu marine et jaune, qu'il se baladait dans les rues, il se faisait tout petit. Il ne sentait plus la chaleur de ses pantoufles, l'ambiance étroite et protectrice de son appartement humide et sordide. Il voyait juste les regards pesants, les sourires moqueurs, les regards dirigés vers sa calvitie proéminente ou vers ses vieilles chaussures de ville qu'il ne s'était pas résolu à quitter. Pas de salut, il était juste "le facteur". Personne ne connaissait son prénom, on le croyait fou, mais il ne l'était pas, lui seul le savait. Il était juste devenu légèrement insensible... Les années l'avaient usé de la surface jusqu'aux plus profonds recoins de son âme. L'indifférence des gens l'avait meurtri, mais à présent ses plaies, durcies par les événements et les parasites, l'avaient entièrement recouvert. Il n'était plus qu'une carapace humaine, un trou béant qui reflétait l'avenir, qui retraçait les dommages du passé. Il n'avait pas peur non plus de la mort : il attendait que ses derniers tracas - le soleil et les lettres - le délaissent pour que la faucheuse se présente à son chevet.
Le facteur trébucha sur le rebord du trottoir et tituba légèrement. Il se rapprocha des haies en grommelant des paroles inaudibles et en traînant des pieds.

Il arriva devant chez les Delhomme et jeta un coup d'œil au-dessus de leur portillon d'un jaune passé. Leur chien, un énorme molosse, ne détecta même pas sa présence et poursuivit sa sieste sans ciller. "Satané chien... " pestiféra le vieil homme. Il souleva l'ouverture de la boîte aux lettres et inséra trois enveloppes dont une bien lourde dont le contenu dégringola à l'intérieur du contenant. L'homme sénile ricana bêtement et poursuivit son chemin de ses pas lents et pesants.

Il faillit marcher sur une crotte de chien et, l'esquivant, profita de l'occasion pour donner toutes sortes de petits noms déplaisants à nos amis les animaux. C'était bien simple, il n'aimait personne.


Il interrompit encore sa démarche lourde et désespérée pour faire face à une nouvelle boîte aux lettres rouge et verte. Un arc-en-ciel fait maison l'ornait, et elle se dressait fièrement devant un portillon plutôt bas aux couleurs vives également. "Ha, les Dubois, toujours avec leurs sales gosses... " vociféra le facteur tout en fouillant dans sa vieille sacoche de cuir. "Ils occupent tous les parcs avec leurs marmots, et ils jouent au foot dans la rue, parfois même sous ma fenêtre... Quelle insolence... Qu'ils lèvent les yeux, la prochaine fois, ils verront... ". Il détestait tout bonnement les enfants, car la jalousie suscite le mépris. Il enviait sincèrement leur jeunesse, leur ardeur, leur innocence. Les enfants se sentaient libres, ils ne soupesaient pas encore le poids de leur chaîne, ils ne se rendent pas encore compte des clous qui les retenait sur cette terre morbide. Maintenant, l'homme âgé était conscient de ça, et sa façon de penser ne prenait plus en compte que cet aspect de la vie. Les moments passés étaient comme des pétales flétris, comme les restes d'une fleur fanée, et le facteur tenait sur sa tige branlante pour crier une dernière fois sa victoire imaginaire sur la vie. Les enfants, eux, étaient encore en train de pousser. Leurs pétales rayonnaient, leur tige se dressait, droite et fière, prête à contrer toutes les intempéries qui se présenteraient. Le jardin leur paraissait immense, il y avait pleins de choses à découvrir. Mais le facteur connaissait tous les recoins de cette jungle, tous les géants et les mauvaises herbes. Il aurait aimé ne jamais en avoir conscience, et garder une pureté éternelle. Mais lorsqu'on évoque l'ignorance, c'est qu'on l'a déjà perdue.

Le bonhomme grotesque dans son uniforme trop étroit et sa casquette ruisselante posa sa sacoche à terre pour mieux la fouiller de fond en comble. Les enveloppes s'étaient mélangées et le méli-mélo lui déplaisait fortement, d'autant plus qu'il en était l'origine. "Si y'avait quelqu'un pour m'aider, y'aurait peut-être pas autant de bazar !" déclara-t-il en guise de justification. Ses monologues, plutôt courts et polémiques, ne le lassaient jamais. Il s'en prenait à toute personne autre que lui-même, il jouissait des reproches formulés et des injustices qui ne le concernaient point.

Le facteur trouva deux enveloppes au nom de Dubois, qu'il tâcha de ses doigts sales. Il les inséra dans la boîte aux lettres en jetant un regard mauvais sur les dessins colorés. Même le portail le repoussait : tant d'agressivité, de spontanéité enfantine dans cette couleur frappante parsemée de fresques grossières...


Le vieux bonhomme ôta sa casquette qu'il posa sur le banc à quelques pas du portillon, et se gratta furieusement le crâne. Il lança sa sacoche béante sur ce même banc, et quelques lettres se répandirent à ses côtés. Le facteur secoua la tête, soulagé par cet acte rageur, puis, en marmonnant, ramassa les bouts de papier avec dépit.
Il rassembla petit à petit les objets répandus. Soudain, une enveloppe attira son attention.

Il la prit dans ses mains et la retourna en tous sens. D'un blanc poudreux, elle n'annonçait aucun destinataire. Il n'y avait pas de timbre. Aucune trace humaine ni sur le recto, ni sur le verso de l'enveloppe. "Mais j'ai pas que ça à faire, bon dieu !" lâcha le fainéant dans un long râle. Il secoua l'enveloppe, la soupesa, sans curiosité aucune. Il faisait son travail, et c'était pour lui largement suffisant.

Rien de spécial à signaler. L'enveloppe devait contenir une petite lettre, rien de plus. Après un instant de réflexion, l'indifférent se résolut à ouvrir l'enveloppe. Cela ne lui semblait pas impoli, ni irrespectueux. Une fois de plus, il se justifia à voix haute comme si quelqu'un observait et jugeait ses moindres faits et gestes : "La personne n'avait qu'à mettre son nom et celui du destinataire, bon sang ! J'ai pas que ça à faire moi, c'est pas mon boulot, je dois juste distribuer les lettres et pas me mêler de la vie des gens... ". Les paroles se finirent dans un murmure. Le facteur sortit machinalement la lettre de l'enveloppe, sans abîmer celle-ci tout de même. Il se fichait pas mal de ce que les gens pensaient, si le courrier arrivait ou non à destination, mais il avait tout de même une conscience professionnelle... parfois !

Il déplia le papier et sans jeter le moindre coup d'œil au corps de la lettre, il observa l'en-tête et le pied de page. Pas de date, pas de nom de destinataire, pas de nom de locuteur, pas d'adresse. Aucune signature, rien. Juste des mots qui se suivaient, s'entrechoquaient, aucune rature. Juste une écriture neutre, droite, ou légèrement penchée sur la droite, simplement. Une marge de quelques centimètres sur la gauche, de larges débordements sur la droite. Pas de paragraphe, juste une longue tirade qui paraissait interminable tellement les lignes étaient rapprochées.


"Qu'est-ce que je vais faire de ça, moi ?" grogna le facteur de sa voix rauque. Il n'arrêtait jamais de se plaindre, et le peu de paroles qu'ils se prononçaient à lui-même le confortaient dans son mépris des choses et sa vision abjecte des personnes environnantes.

Il se leva dans un soupir, la lettre à la main, et s'approcha dangereusement de la poubelle. Il allait la lancer, quand il vit son contenu : des canettes de soda vides et broyées par les mains puissantes d'adolescents fougueux, une peau de banane, un trognon de pomme envahi par les asticots, un tissu crasseux qui avait dû être jaune, des papiers froissés, des sacs, un bic, une trousse usagée, des morceaux de cartons, un paquet de bonbons...

Depuis quand ne lui avait-on pas écrit ? C'est ce que se demandait à l'instant le pauvre facteur, frappé par une nostalgie morose. Bercé par la nostalgie, il se laissa transporter par ses souvenirs, qui le ramenèrent à l'époque où il avait des amis, où ceux-ci, pendant des vacances à la mer ou bien à la montagne, lui envoyaient de jolies cartes postales, avec des mots gentils, chaleureux, qui réchauffaient le cœur...
Le facteur se reprit, et fut indigné de s'être laissé emporté. Quelle honte ! Son passé osait le rattraper, sans prévenir !

Mais si la lettre qu'il tenait encore à la main faisait partie de ses lettres chaleureuses, aimantes, qui redonnent la joie de vivre ? Après tout elle n'était destinée à personne, autrement dit à tout le monde,... alors pourquoi pas à lui ? Peut-être ne méritait-elle pas de finir froissée et salie dans une poubelle, parmi tant de déchets sans importance, déjà rattrapés par le temps...


Le vieil homme reprit ses esprits, se tamponna le front du revers de la main, et se mit à causer à voix haute pour tenter de se convaincre.
"C'est qu'une lettre, celui qui l'a écrit n'avait qu'à indiquer à qui elle devait être remise ! décida-t-il. De toutes façons, c'est pas mes affaires !"
Il lâcha prestement la lettre, qui disparut dans les tréfonds de la poubelle. Soulagé, il soupira longuement et se rassit sur son banc, pensant reclasser les enveloppes éparpillées ici et là.

Soudain, un garçon âgé d'une quinzaine d'années, perchés sur ses rollers, déboula de la rue voisine et stoppa net devant la poubelle. Il ouvrit son sac à dos et sortit toutes sortes de déchets, des restes de pique-nique apparemment. Il s'apprêtait à les lancer dans la poubelle, lorsque le facteur cria : "Attends !". L'enfant ouvrit de grands yeux étonnés : c'était la première fois que cet homme lui adressait la parole. Le jeune garçon ne fit plus aucun mouvement et attendit d'un air effarouché. Le vieux bougre se redressa du banc et se massant les reins, et passa la main dans la poubelle, évitant le regard de l'enfant. Il sortit la lettre encore intacte d'un air gêné et lança : "C'est bon, me regarde pas comme ça, fais ce que tu as à faire... ". L'enfant n'attendit pas un instant de plus, laissa la poubelle odorante engloutir de nouvelles ordures, et s'éclipsa rapidement.

"Sale gosse... " murmura le facteur machinalement. Il ne contrôlait même plus ses paroles, ses petites remontrances et ses plaintes quotidiennes étaient devenues machinales, elles faisaient partie de sa vie de tous les jours.

Il se retrouva seul, assis sur le banc, en pleine confusion. Une légère brise lui caressait le sommet du crâne et la chaleur se fit moins suffocante.


Il ne comprenait pas ce qui lui était passé par la tête. Cette lettre ne représentait rien pour lui, après tout ! Et le gamin l'avait regardé avec tant de surprise... Auparavant, il adorait ça. Surprendre, même sans parole. Mais là il avait ressenti une gêne grandissante tandis que sa main plongeait dans le conteneur ver bouteille.
Il contempla la lettre, qui n'avait été ni salie ni endommagée par les ordures avec lesquelles elle avait du cohabiter quelques instants. Elle était si propre, si lumineuse, si belle. Et l'écriture, si avenante... C'était si tentant...


{La suite bientôt ! }
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Re: Espoir à la lettre
Posté par bip le 27/09/2004 18:25:04
je ne pense pas que ne pas finir un texte c'est ne pas être un bon lecteur ! il faut juste que ça nous accroche ! Je lis énormément, mais il y a deslivres, je doit m'y mettre à plusieurs fois avant de les lire en entier, par ce que je n'accroche pas au début et donc j'ai pas le courage de lire la fin ! Alors que l'histoire se révèle géniale après ! Faut savoir être interressant, sans faire trop de ligne, c'est dur ! C'est très dur ! Les descritpion, ça aide à imaginez, mais si tout est négatif, ça lasse ! Dans ce cas là, il faut insérer l'intrigue rapidos !
Re: Espoir à la lettre
Posté par elodelu le 26/09/2004 16:57:35
Et bien moi, je suis pour les descriptions, qui aident à rentrer dans le texte, c'est vrai que sur ce site, il n'y en a pas souvent, mais la longueur ne rebute pas les vrais lecteurs, et je file de ce pas lire la suite, car j'ai très envie de savoir ce qu'il y a d'écrit syr cette lettre!
Re: Espoir à la lettre
Posté par musicgirl13 le 26/09/2004 16:39:43
Je suis d'accord avec bip, c'est trop long, ca donne pas le gout de continuer, trop de descriptions...
Re: Espoir à la lettre
Posté par bip le 25/09/2004 13:23:39
catarina, je n'ai pas dit que j'était mieux ! Là je ne vois pas de suspense... Je dit juste que le début est un peu trop long. C'est pas un drame !
Re: Espoir à la lettre
Posté par catarina34 le 23/09/2004 21:50:05
chui pas daccor avec toi, bip , dans tous les livres, il y a des passages de description, cela nous glisse dailleurs dans un suspense, sois pas si dure, écris nous un bon article avant d'être si dure avec autrui !
D'ailleurs prendre exemple sur la personne que tu critiques ne serait pas si mal que ça!
Bravo pour ton histoire!
bisous bye!
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Publié le 22 septembre 2004
Modifié le 22 septembre 2004
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