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L'esquisse

-Depuis combien de temps est-ce que c'est fini ? - Pour moi depuis le jour ou j'ai senti son parfum. Pour toi sans doute un peu plus... Elle rit, d'un rire nerveux et infiniment triste, un de ses rires qui parfois se transforment en sanglots. "La meilleure façon de recouvrer la liberté, c'est de rompre les chaînes qui blessent le coeur et de mettre un terme à son tourment. " Ovide.


La pièce baignait dans la clarté irisée de l'aube. A travers la baie vitrée le soleil pâle et sans éclat du matin naissant, illuminait de son mieux l'atelier.
Sur le parquet gondolé trainaient des pinceaux, des esquisses, des croquis, des notes, des crayons... Les murs de briques blanches, nus, clairs, vierges de toutes expressions, tranchaient admirablement au milieu de ce désordre artistique.

Dans l'embrasure de la porte, il observait le decor. L'endroit lui ressemblait étrangement.
Face à la baie vitrée, elle observait la crique. Les vague se brisaient contre les rochers.

Il s'approcha, silencieux du chevalet qui trônait au milieu de la pièce.
Elle l'avait entendu, il le savait. Ils auraient pu prendre la parole, même pour ne rien dire. Juste pour briser ce silence lourd d'illusions, emprunt d'une évidente et douleureuse vérité, ce silence qui lui criait " Vas-t-en, plus rien ne te retiens ici ".
Il la regardait, là, immobile. Il l'avait aimé. Il l'avait tellement aimé. Il ne comprenait pas, elle était telle qu'il l'avait vue le premier jour. Sa silhouette frêle, fragile, sa peau claire. Ses longues boucles chatains tombant sur ses épaules negligemment dénudées dans son vieux pull gris, usé et fatigué par le temps. Ses traits peut-être, un peu plus creusés, une ride imperceptible au front...

Dans la fraicheur de l'aube, elle frissonnait. Il y a quelques temps il l'aurait prise dans se bras. Il y a quelques temps elle se serait sentie protégée. Mais aujourd'hui c'était different. C'est lui qui lui avait fait le plus de mal. Et elle elle s'était tue, elle avait refusé d'y croire, même là ou la vérité s'imposait, elle avait refusé, s'était tellement plus facile. Comme l'animal blessé a perdu espoir et attend patiemment le chasseur, elle attendait, qu'il vienne et qu'il detruise ce qui restait d'eux, ce qui restait d'elle.
Là ou il l'achèverais, elle pourrait recommencer, elle le savait. Si le temps gérit de tout, il laisse cependant des cicatrices. Il fallait qu'il retire le couteau de la plaie, qu'il termine l'entaille une fois pour toute, pour commencer à cicatriser...

Il fixa la toile sur le chevalet, une esquisse au fusain, un visage raturé avec rage. Il se souvenait du temps ou en pleine nuit, au beau milieu d'un repas ou d'une discussion, elle partait en courant rejoindre ses pinceaux. Il restait toujours là bouche bée, devant cette sortie en coup de vent. Ele éclatait d'un rire cristallin et lui lançait " Fais pas cette tête, tu m'inspire ! ". Depuis combien de temps n'avait-il pas entendu ce rire ? Et perdu, les yeux dans le vague il chuchota presque involontairement :

- Depuis combien de temps est-ce que c'est fini ? Elle soupira de soulagement, enfin il brisait ce silence étouffant.
- Pour moi depuis le jour ou j'ai senti son parfum. Pour toi sans doute un peu plus... Elle rit, d'un rire nerveux et infiniment triste, un de ses rires qui parfois se transforment en sanglots. Lui il rougit, comme un enfant gêné d'avoir été pris sur le fait, la main dans le sac, de ne pouvoir nier l'évidence.
- Je n'ai aucune excuse. Lachâ-t-il.
- Je n'en réclame pas. Au contraire. Je voudrais que tu n'ai pas de regrets. Je voudrais que tu sois odieux, cruel, violent même.
- Tu ne sais plus ce que tu racontes, dit-il en s'approchant timidement.
- Non, vas-y frappe moi, blesse moi, méprise-moi ! Hurla-telle. Dis moi que je n'était pas assez bien, dis que tout est ma faute, dis le moi ! Raconte moi vos nuit, dis moi comme tu l'as aimé, parle-moi d'elle, supplia-t-elle à bout de souffle. Parle-moi de ses grands yeux verts, des ses longs cheveux noirs, de son parfum, de son accent, de son pays, des ses manies, continua-telle.
Parle moi de son corp, de sa peau, dis moi que c'est à elle que tu pense depuis longtemps déja, dis moi que je ne suis rien pour toi, que je ne suis rien sans toi...
Je voudrais te mépriser, je veux te haïr tu m'entends ? Murmura-telle en se retournant. Je veux pouvoir te detester, pourquoi j'y arive pas hein ? Pourquoi ? Les larmes roulaient sur ses joues pâles.
A la voir suffoquer, ses pleurs l'étouffant, il ressentit un brusque élan de tendresse. Elle était toujours fragile, il l'avait oublié. Il avait oublié qu'il voulait la protéger.
Alors que ses bras allaient se resserrer sur sa taille fine, elle se dégagea de son étreinte.
- Tu as le droit de m'en vouloir. Moi je m'en veux.
Il déposa un baiser sur ses boucles et s'éloigna, le silence s'était installé, il était temps.
Il fixa une dernière fois la baie, et tout ce qui avait fait leurs vie autrefois.

Son regard s'attarda sur l'esquisse raturée, il s'en approcha et la regarda, il avait oublié de regarder depuis un certain temps.
Il distingua le visage d'une femme. Il aperçut alors qu'elle était sur toutes les toiles, toutes les esquisses, les croquis, les peintures de la pièce. Partout elle était là. Evidence dissimulée. Implicite souffrance. Dans chaque couleur ses yeux. Dans chaque trait ses courbes. Dans chaque ombre son existence.
- C'est ressemblant. Dit-il en refermant la porte.
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Re: L'esquisse
Posté par dwigo le 15/06/2007 00:17:55
Vraiment trsè beau texte... Les mots me manquent pour decrire ce chef d'oeuvre :-)
Re: L'esquisse
Posté par lost child le 13/06/2007 21:17:06
Ça m'a fait pleuré. C'est très beau. Oui, très pur comme a dit lunatiquement cerise
Re: L'esquisse
Posté par joy-05 le 13/01/2007 07:33:34
J'en reste sans voix ...
Re: L'esquisse
Posté par lunatiquement_cerise le 15/11/2006 17:03:23
C'est ... pur.
Purement joli, aussi.
Re: L'esquisse
Posté par winny le 11/11/2006 19:03:23
trés jolie article!!!!!
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L'auteur : Camille Xxxxxxx
34 ans, ...là où le regard ne porte pas.... (France).
Publié le 31 octobre 2006
Modifié le 22 septembre 2006
Lu 3 446 fois

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