   | La Feuille morteUn court texte entre espoir et déprime sur l'humanité. Ce matin, il se leva, comme tous les matins depuis bientôt 25 ans. Un mauvais goût dans la bouche... Un goût de sang... Le goût de l'amertume. Aurait-on tenté de l'empoisonner ? Bien sûr que non... Qui se soucierait de lui et de sa vie ? Personne. Aucun humain, aucun des autres, n'aurait l'idée absurde de tenter de l'éliminer.
Les autres... Ils sont si étranges. Comment les définir ? Ce devait être des humains de par le passé. Eux, ou peut-être plus probablement, leur parents ou grands-parents. Aujourd'hui, ils n'étaient plus des êtres humains. D'aucuns gardaient une apparence humanoïde, mais d'autres avaient perdu toute trace qui rappelait leur ancienne appartenance à notre race. Ils étaient bossus, malformés, ignobles, d'une laideur plus pathétique que terrifiante. On s'était fait à l'idée de les voir déambuler dans les rues, parmi les passants, qui pour la plupart ne les regardaient même plus. Rien n'aurait laissé croire dans leur attitude qu'ils étaient différents de nous. Mais parfois, l'un d'entre eux, poussé par la faim, par un sursaut nerveux - ou peut-être tout simplement par la volonté de violence, qu'ils ne retenaient plus, tout comme leur autres envies – se jetait sur un passant, et brisait ses os, répandant son sang sur le sol. Les tissus déchirés, les côtes enfoncées dans la cage thoracique, ainsi que l'expression vide du visage de la victime rajouterait à l'horreur que ce spectacle nous procurerait. Mais dans cette époque, plus personne ne s'en souciait. Parfois, ces choses là arrivaient. On aurait pu penser à éliminer ces créatures dangereuses, les enfermer, ou bien les soigner. Personne n'eût même l'idée de faire quoi que ce soit. Les morts n'avaient pas leur mot à dire, et même s'ils avaient pu, ils n'auraient probablement rien dit.
Les émotions étaient éradiquées de ce monde. Enfin, pas toutes. Seulement l'empathie, l'étonnement, la pitié, le bonheur et toutes les émotions allant de paire avec celles-là. La douleur morale ayant disparue aussi, tous se bornaient à être là, sans discerner ce qui leur était agréable ou non. Quelques êtres parvenaient toujours à ressentir ces sentiments, mais leur nombre se réduisait au fur et à mesure des générations. La tendance était de marcher ou plutôt de tituber dans les rues. Certains, en souvenirs de leurs ancêtres, tentaient toujours de trouver cette chose étrange, que les Anciens appelaient joie. Auparavant, certains essayaient encore de trouver cela par la nourriture, le sexe, la boisson, la drogue ou par tous les moyens cités de mémoire, et étant toujours disponibles dans ce monde.
Parlons en d'ailleurs de ce monde. La volonté ayant quasiment disparu des esprits, les buts, les rêves avaient disparu de même. Le travail n'était plus nécessaire. Il n'y eût pas de grande dernière. Le peuple ne cessa pas de travailler d'un seul et même mouvement. Non. Les choses de firent comme cela : les usines tournaient un jour ; un autre jour, elles ne tournaient plus. Personne ne serait capable de dire quand. Est-ce que les employés avaient déserté depuis longtemps, mais qu'il avait fallu attendre que le dernier parte pour, qu'enfin, on remarque cet exode ? Nul n'avait d'idée là-dessus. Nul n'avait plus d'idée plus philosophique que de manger, boire, et dormir, quand le corps le nécessitait, ou alors de faire ce que leur esprit leur demandait sur le moment. Pourquoi justement ces actes n'avaient pas quitté eux aussi le cerveau des hommes ? Des restes de l'instinct de survie peut-être... On avait parlé dans les journaux, en des temps anciens, de rescapés d'un accident d'avion qui avaient mangé leurs compagnons pour survivre. Il s'agit sûrement ici d'une représentation de cet instinct, d'une manière moins spectaculaire.
Le peuple avait donc perdu toute énergie liée au travail, et les villes n'étaient donc plus utiles. Par habitude, la plupart des gens étaient restés chez eux, continuant sur leur lancée routinière. Ils partaient le matin, marchaient, mangeaient, buvaient, faisant tout ce dont ils avaient encore les restes d'envie. Les magasins étaient vidés, pillés de presque toute la nourriture qu'ils contenaient. Les réserves mondiales étaient suffisantes pour permettre au peuple de continuer à se sustenter. Mais pour combien de temps encore ? L'avenir le dira...
Revenons à notre ami. Ami ? Comment serait-ce possible dans ce monde ? Disons juste... Connaissance... Il venait de se lever. Et il ouvrit un des paquets de gâteaux qui traînaient dans son placard. L'un des derniers... À première vue, la perte de volonté ne remontait pas à très longtemps. A moins que les dates de péremption ne soient dépassées. Mais qui s'en inquièterait ? Après un repas matinal plus que frugal, il entra dans sa chambre. Il n'y était pas venu depuis longtemps. Il faisait comme tout le monde, il dormait où il pouvait, quand il devait. Son regard fit le tour de la pièce. Les disques, les films, les livres par milliers à même le sol... Que faisaient toutes ces choses ici ? A quoi pouvaient-elles servir ? Une minuscule part de son esprit voulue savoir. L'effort fut considérable. Un choc violent, aussi puissant qu'une décharge électrique, traversa son corps. Il vacilla et tomba inanimé, face contre terre.
Un temps indéfini s'écoula avant qu'il ne rouvre ses yeux. Il s'assis et frotta son crâne. Il avait mal à la tête... Comment était-ce possible ? Il ressentait à nouveau une sensation ! Il lui fallut de longues minutes pour se remettre de cette nouveauté. Quand il parvint enfin à penser un peu plus normalement, il ramassa un livre. Métaphysique des tubes... Un vieux livre, du XXème ou XXIème siècle, probablement... Une petite fille sur la couverture, le regardait de ses grands yeux. Il ne put comprendre quel sentiment cela créait en lui... Il se détacha enfin de ce regard et ouvrit le livre. La couverture jaunie collait au papier, tout aussi jaune. Il commença à parcourir le texte... "Au commencement, il n'y avait rien. Et ce rien n'était ni vide, ni vague : il n'appelait rien d'autre que lui-même... " La pensée qu'il venait nouvellement de recouvrir n'était pas encore prête à réfléchir. Il reposa délicatement le livre, en veillant à ne pas recroiser le regard de la petite fille. Il se releva difficilement. Il sentit le sang affluer à ses tempes. Une inspiration, longue, mais trop courte pour le remettre totalement fut tout ce qu'il put faire. Il pensa à aller voir dehors. Il descendit précautionneusement les escaliers donnant sur le monde extérieur. La porte grinça. Il fut réjouit d'entendre ce son désagréable. Il n'y avait pas prêté attention depuis longtemps. Mais aujourd'hui, pour une raison qu'il ne connaissait pas, il avait découvert que le monde offrait de nombreuses choses, toutes plus formidables les unes que les autres.
Le soleil réchauffa sa peau et un imperceptible sourire apparut sur ses lèvres. Il marcha, n'ayant pas plus de but qu'à l'accoutumée, mais en profitant de tous les détails cette fois. Il croisait des gens dans la rue. Aucun ne lui était connu, mais il éprouvait un certain malaise à voir leur visage. Ils paraissaient tous d'une neutralité étonnante. Ils n'avaient pas l'air malheureux, mais ils leur manquaient la joie... Aucune expression de quoi que ce soit...
Une chose attira son attention : un être différent des autres marchait dans la rue parmi les eux, sans qu'ils ne s'en soucient. Cette chose se jeta sur l'un des humains et tordit son cou en arrière. Un craquement sinistre retentit dans la rue. Les passants continuèrent leur chemin sous l'œil médusé du jeune homme. La victime tomba au sol dans un bruit mat. L'étrange créature mordit dans son cou, déchirant la gorge. Le sang gicla sur ses cheveux. Le jeune homme eut un mouvement de recul, et un haut-le-cœur le prit. Après quelques minutes, son repas enfin terminé, la monstruosité repartit, le regard dans la vague, laissant sur le sol un cadavre baignant dans une mare de sang. Les battements du cœur de l'homme mirent un certain temps à redevenir normaux. Il reprit tout de même son chemin, en prenant toute fois soin d'éviter la direction dans laquelle cette bête était partie. Il avait du mal à sortir cette scène pénible de son esprit.
Un petit piaillement se fit entendre. Il jeta un regard au sol. Un oisillon tombé du nid gémissait tristement. Il se pencha et prit l'animal dans ses mains. Il serra ses mains, pour réchauffer le petit corps. Mais il continua son mouvement. L'oiseau poussa un petit cri, son dernier soupir. Il venait d'être broyé par deux mains puissantes. L'homme sentit un formidable pouvoir de puissance en lui. Il se sentit merveilleusement fort. Il se pencha et vomit sur le sol son repas du matin. Il se dégoûtait. Il posa le corps inerte au sol et le recouvrit de feuilles. La honte s'empara de lui, par-dessus le dégoût. Il s'éloigna rapidement du lieu de son crime, tentant de retenir son envie de vomir. Qu'est-ce qu'il lui avait pris de faire ça ?
Un peu plus loin, il entra dans le centre-ville, désertique, malgré qu'il soit onze heures du matin. C'est en tout cas ce que prétendait l'église. Mais personne ne se souciait plus de l'heure, et personne n'avait non plus prit la peine d'entretenir ce bâtiment. La religion était tombée dans l'oubli, comme presque tout le reste. Il lui prit l'envie d'entrer dans l'église. Prestement, il gravit les marches et poussa la lourde porte, qui n'avait pas servie depuis longtemps. L'intérieur de l'église était sublime. Les vitraux laissaient toujours passer la lumière, et formaient des motifs étranges et colorés sur le sol. Il s'assit sur un banc de bois, gravé d'un nom : Masrine. Qui fut ce Monsieur, ou cette Madame Masrine ? Quelle vie eurent-ils ? L'usure de ce banc, visiblement plus faible que ceux d'à côté, pouvait laisser croire que la place n'avait pas souvent été occupée. Ou alors que les propriétaires prenaient un soin particulier de la leur... Son esprit vagabonda longtemps sur ce sujet. Ce fut la cloche, résonnant dans la nef pour signaler la prétendue demi-heure, qui le sortit de ses contemplations. Il sortit de l'église et poursuivit son chemin.
La faim se fit sentir peu de temps après. La vision d'un magasin d'alimentation se présentât à lui. Il vit les sacs de nourriture éventrés et leur contenu gisant sur le sol. Il pénétra plus profondément dans le magasin et vit un paquet de biscuits. Il l'ouvrit maladroitement et répandit à terre ce qu'il espérait manger. Il regarda les biscuits au sol pendant quelques instants. Il se pencha et un souvenir empli son esprit. Une personne âgée... Qui lui donnait des biscuits, et tant de choses succulentes... Qui était-ce... Un nom... Ma-... -mie... Oui... Mamie... C'est cela je crois... Qui était-elle ?... La faim prit le dessus et il ramassa un biscuit qu'il porta à sa bouche. Ils étaient rassis. Qu'importe. Le plaisir était tout de même là.
Une fois rassasié, il se releva, et il reprit son chemin, toujours sans autre but que de découvrir le monde auquel il n'avait plus fait attention. Quelques passants firent leur apparition, poussés par la faim probablement. Ne prêtant pas attention à eux, il poursuivit sa marche dans les rues. Une bouche d'égout était ouverte au centre de la rue. Il s'en approcha et vit qu'un homme était au fond. Il ne tentait rien pour remonter. Pourtant il aurait aisément réussit à sortir de ce trou peu profond. Quelque chose faisait obstacle à sa chute, et le maintenait à une distance proche de la chaussée. Notre jeune homme se pencha pour voir de quoi il s'agissait, car cette chose dégageait une forte odeur. Un bras apparut dans l'obscurité. Un homme, puis un autre, une femme, et même un enfant étaient entassés la dedans, morts, peut-être depuis longtemps déjà. Leur corps se décomposait, de n'avoir jamais été sortit de là, par manque de volonté. A nouveau, l'envie de vomir s'empara de lui. Il parvint à se retenir. Il tira de toutes ses forces sur l'homme, qui, lui, ne faisait rien pour aider. Il le déposa sur le trottoir. Le passant se releva. Il reprit sa marche, sans un merci, sans même se soucier de la chair décomposée qui s'était accrochée à son habit.
Le jeune homme, de plus en plus décontenancé par ce monde qui ne ressemblait pas à celui de ses vagues souvenirs, parvint à se détourner de la bouche d'égout. Il poussa une planche de bois dessus, plus pour se protéger de la vision et de l'odeur de putréfaction que pour éviter une nouvelle chute. Il avait remarqué que la main de l'enfant tenait la main d'un adulte. Sa mère ou son père sans doute. Un parent qui avait entraîné son enfant vers la mort, sans même essayer de le sauver...
La mort était devenue une voie comme les autres pour ces êtres. Et ils n'hésitaient pas à entraîner les autres avec eux. Un autre acte étonna le jeune homme, d'autant plus qu'il supposa que cela était déjà arrivé, mais qu'il n'y avait pas prêté attention : il vit une femme sur le toit d'un bâtiment. Ses yeux la suivirent pendant qu'elle marchait, puis quand elle franchir le parapet, et enfin, ils la virent avec effroi tomber dans le vide, inerte. L'endroit où elle aurait dû arriver au sol était invisible depuis ce lieu. Le jeune homme espéra qu'elle s'en soit sortie. Mais ils savait très bien qu'une chute d'aussi haut ne pardonne que très rarement.
Il se remit à marcher, mécaniquement. Puis, très vite, il courut. Il courut à en perdre haleine, dans les rues, dans les avenues, jusqu'à ce qu'il arrive chez lui, n'ayant croisé que des morts-vivants, ces mêmes hommes et femmes, de sa race, mais ayant perdu leur humanité. Ce cataclysme semblait n'épargner personne. Tous étaient touchés, autant les Noirs, les Blancs, que les Asiatiques. Pauvre, riche, homme, femme, enfant, ouvrier ou banquier. Tous étaient désormais sur le même bateau. Ou plutôt, la même galère... Qu'est ce qui avait pu provoquer cela ? Il n'en avait aucune idée. Le temps qu'il avait passé dans cette même léthargie mentale avait porté un coup à sa mémoire. Par certains points, les choses semblaient être de l'histoire ancienne, mais par d'autres, cela semblait très récent. Des jours ou des mois, il n'aurait su le dire, si on lui avait posé la question. Mais qui l'aurait donc posée ? Un mal, qui n'avait rien avoir avec sa course, le prit au ventre et à la tête. Il souffrit, plus que ce que le physique est en mesure de faire. Il s'effondra enfin sur le sol, et s'endormit d'un profond sommeil.
Il rêva d'une fille, ou d'une femme. Il ne savait pas qui elle était. Il tenait à elle, mais il n'aurait pas su dire si elle était son amie, ou sa fiancée. Elle était sublime, des cheveux blonds, lui semblait-il, et de magnifiques yeux verts. Elle parlait d'une voie qui lui paraissait mélodieuse. Il l'aurait écouté des heures, racontant maintes petites choses, qui lui procuraient un plaisir immense. Le moment le plus formidable fut quand elle se mit à chanter. Il sentit un profond bien-être l'envahir tout entier. Il était heureux, calme... Le reste du rêve n'appartient qu'à lui.
Il se réveilla en pleine nuit. Il ressentit une tristesse immense d'avoir perdu celle qui hantait ses rêves. Mais, il la retrouverait bien un jour. Ce n'était pas le plus important pour le moment, il arriverait bien à vivre sans elle, d'autant plus qu'il ne savait pas si son amour était réciproque, ou bien même si elle existait ailleurs que dans son esprit. Il était parvenu à se réveiller. Il n'était pas extraordinaire. Il avait sûrement eut de la chance. Alors, pourquoi pas les autres ? Il devait faire ce qu'il pouvait pour tenter de les remettre dans le bon chemin, les sortir de cette torpeur. Il ne lui avait fallu rien d'autre qu'un livre. Cela marcherait peut-être aussi avec ces gens. Il retourna dans cette pièce, jonchée de livres et de disques. Il chercha des yeux le livre qu'il avait lu il y a quelques temps. Le voilà ! Il se précipita dehors et failli percuter un homme, grand, brun, avec des yeux sombres. Il le saisit par l'épaule et lui montra le livre, d'un air réjouit. Le grand brun ne réagît pas. Il semblait fixer le livre, mais son regard était vide. Il ne voyait rien, il n'éprouvait rien. Contrairement au jeune homme, qui lui, ressentit une amère déception. Il lâcha son épaule, et le laissa vaquer à son inactivité. Peut-être celui-ci était-il trop avancé dans son état pour pouvoir en faire quelque chose ? Ou peut-être était-il trop peu réceptif ? Il fallait tenter à nouveau sur un autre sujet. C'est ce qu'il fit.
Le reste de la nuit fut éreintant. Il rentra chez lui au petit matin, un mal de tête terrible et de nouveau une sensation étrange le prenant au ventre. Il s'assit et réfléchit. Pourquoi personne ne remarquait le livre ? Pourquoi une chose si importante à ses yeux ne trouvait pas grâce à ceux des autres ? Que devait-il faire pour qu'enfin tous ouvrent leur esprit, comme lui ? Trop de questions, trop peu de réponses. La fatigue l'emporta à nouveau dans un monde éthéré, mais toujours hanté par le souvenir de la jeune femme, qui était cette fois-ci brune, ce qui ajoutait encore à son charme. Son souvenir n'avait jamais été aussi proche de la réalité. Quelle réalité ? Peu importe, car c'était la sienne...
Il se réveilla bien plus tard, ayant toujours cette jolie fille dans la tête. Mais il ne devait pas abandonner pour autant les autres. Il devait encore essayer, une nouvelle fois. Il était sûr de réussir cette fois. Le courage et l'espoir au maximum, il quitta sa maison. Le premier passant qu'il croisât eut la même réaction que les autres à la vue du livre. Le jeune homme se mit à lire le livre. D'abord quelques passages aléatoires, puis des chapitres entiers. Au moment où il commençait à prendre du plaisir à lire, il s'aperçut que l'autre ne réagissait pas plus. Il était assis par terre, le regard vide, les bras ballants. Cet homme assis sur le sol, ne manifestant aucune réaction, l'exaspéra au plus point. Il lui décocha un coup de point. L'autre tomba face contre terre. Il se précipita sur lui, et lui donna frénétiquement des coups, de plus en plus violents, jusqu'à ce qu'il sorte de cet état d'inertie. Mais ce moment ne vint pas. L'autre homme, le visage couvert d'hématomes, un filet de sang coulant de sa bouche, ne montra aucun signe de douleur, aucun signe de quoi que ce soit. Un coup de pied final l'acheva. Il ne bougea plus du tout, son souffle cessant de soulever sa poitrine. Le jeune homme reprit sa respiration. Il se rendit compte encore une fois après coup de l'horreur de son acte... Il avait déjà tué plusieurs êtres vivants... Et sur le moment, faire cela l'avait soulagé. Il se fit peur lui-même. Ne valait-il pas mieux que ces monstres qu'il avait croisé dans les rues ? Il se demanda même s'il n'était pas l'un d'entre eux, l'espace d'un instant. Il tenta de chasser cette pensée et parti à la recherche d'une nouvelle personne pour tenter une nouvelle fois de la réveiller, se jurant que ce coup-ci, il ferait attention.
Ce fut une femme qu'il rencontra. Il la stoppa d'un geste. Il lui fit la lecture de quelques extraits, et devant son manque de réaction, il se mit à chanter. Il avait, en effet, réussi à faire fonctionner les disques, et avait écouté une chanson qui l'avait touchée. "And in my hours of darkness, she is standing right in front of me... " La femme se contenta d'écouter sans montrer aucun signe de vie. Le désespoir s'empara de lui. Il sentit ses yeux le piquer. Une chose étrange arriva : il sentit de l'eau couler sur ses joues. Il ne sut que faire face à cela, ne comprenant pas pourquoi cette eau était là... Il abandonna la femme à son triste sort.
Il essaya encore par plusieurs reprises de faire réagir quelqu'un. La chose la plus triste qu'il vit fut cette petite fille, de cinq ou six ans. Elle était comme celle du livre. Mignonne, fraîche, jeune... Mais il lui manquait cette lueur de vie qui faisait rayonner l'autre petite fille. Il eut un pincement au cœur quand il la laissa déambuler à nouveau librement dans les rues. Il essaya de ne pas penser à tout ce qui pouvait lui arriver.
Le soir finit par arriver, et il dût de rendre à l'évidence. Il était le seul être vivant à penser. Les autres étaient tous devenus des moutons, qui ne pensaient plus, se contentant de vivre avec ce qui leur arrivait, sans se soucier des notions de bien ou de mal. Comment pouvaient-ils être comme cela et ne pas ressentir tout ce qui leur manquait ? Ne voyaient-ils pas toutes les merveilles dont ils auraient pu profiter ? Ne voulaient-ils pas ou ne pouvaient-ils pas faire plus ? Quel était pour eux l'intérêt de continuer à vivre, si c'est pour ne rien faire d'autre que ce dont ils ont la nécessité de faire ? Il était dépassé par toutes ces questions. Il fallait bien se l'avouer, le monde dont il rêvait pour lui-même et pour eux tous n'était qu'une illusion. Et une illusion qui resterait toujours à l'état de rêve... Le paradis qu'il avait découvert quelques temps plus tôt était devenu un enfer, faute de pouvoir le partager... Il décida de dormir une dernière fois, pour ne pas partir sans dire au revoir à la belle jeune fille. Rêva t-il d'elle ou pas ce jour là, nul ne le sait. La seule certitude est qu'il ne s'en souvint pas.
Le lendemain matin, il retourna à l'église. Il gravit à nouveau les quelques marches le séparant de l'intérieur. Mais cette fois, il ne s'attarda pas dans la nef, mais monta les petits escaliers, camouflés dans une tour. Il compta machinalement les marches : quatre-vingt dix-neuf. Il atteint le sommet de la tour. Il promena son regard sur la ville et prit une inspiration. Il enjamba le rebord. Le sol apparaissait petit en dessous de lui, de même que les rares personnes qu'il voyait. Il leva les yeux au ciel. Sa dernière pensée serait pour cette femme dont il ne sait rien, ou dont il ne se rappelle presque rien. Il avait une certaine amertume de n'avoir pu la contempler, mais le souvenir était là. Il aurait en tête ses cheveux bruns, et ses yeux verts, et cela le réconforterait. Il ferma les yeux et sentit son corps basculer dans le vide.
La chute lui parut longue et il s'étonna de sentir son corps frapper le sol. Il sentit une douleur atroce le transpercer de haut en bas. Il ne pouvait plus bouger un seul de ses membres. Chaque parcelle de son corps lui faisait souffrir le martyr. Il parvint après maintes tentatives à ouvrir les yeux. Il regarda le ciel quelques instants, puis il vit le visage d'une petite fille qui le regardait. Oui ! La petite fille de l'autre fois ! Et c'était bien lui qu'elle regardait, elle épiait ses mouvements, d'un air inquiet. Ses yeux brillaient, elle pleurait ! Il lui fit au prix d'un effort surhumain un sourire, puis ferma les yeux pour toujours. La petite n'osait bouger. La lueur de ses yeux perdit de son intensité, puis s'éteignit. Elle reprit son chemin, le regard vide, marchant sur le sol humide de larmes. Le corps du jeune homme gisait à quelques mètres de là, au pied de l'église. Qui s'en souciait ? Un oiseau chantait. Une feuille morte tourbillonnait dans le vent. Elle vint se poser sur le torse du jeune homme. Le torse abritant son cœur. Un cœur qui avait voulu que les hommes retrouvent un peu de leur humanité passée... | | |
| . Voir tous les commentaires et/ou en poster un (2) | | Re: La Feuille morte Posté par lilliou le 28/08/2007 17:35:17 | C'est triste mais beau! Par contre je reste un peu sur ma fin... *-) | | Re: La Feuille morte Posté par 7iris le 13/07/2007 19:55:44 | C'est, comment dire...bouleversant ! J'ai lu ce texte car le titre m'a intriguée, et je ne le regrette pas le moins du monde. C'est peut-être la longueur du texte qui efraie les lecteurs, je pensais qu'il y aurait davantage de commentaires au vu de la qualité de cet essai. J'aime la façon de s'exprimer de l'auteur, qui rappelle un peu eric emmanuel schmmidt, malgré quelques rares fautes.
Merci à l'auteur d'avoir su insuffler de la vie dans son texte, et réussit à transmettre des sentiments si forts dans un simple essai. Les idées sont également très bonnes, elles m'effraient quelque peu étant donné la situation actuelle...
En tout cas, bravo asheverus ! au plaisir de te relire ! | | . Voir tous les commentaires et/ou en poster un (2) |
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