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Un peu de tendresse dans ce monde de brutes

Elle est belle, grande, douce. Quand elle rit, ça me met des étoiles dans les yeux et dans les siens. J'ai envie de rire avec elle. Quand elle parle à un autre, c’est comme si elle me trahissait déjà...


Elle est belle, grande, douce. Quand elle rit, ça me met des étoiles dans les yeux et dans les siens. J’ai envie de rire avec elle. Quand elle parle à un autre, c’est comme si elle me trahissait déjà, et quand on discute, j’ai l’impression qu’il n’y a qu’elle qui m’écoute. J’ai envie de dire que c’est ma moitié, mais je ne peux pas. Parce qu’elle est déjà avec Julien Masson, le caïd du collège. Et je me dis que c’est moi qu’elle doit aimer. Pourquoi moi ? Pourquoi Mateo Archer et pas un autre ? Parce que parfois, je crois qu’il n’y a qu’elle qui me comprend et que je suis le seul à voir dans ses yeux.

Ceci est le journal de Mateo, collégien rêveur de troisième cinq. Un journal, ce n’est pas courant, surtout quand il appartient à un garçon. Il ne pense qu’à elle, et elle l’empêche de faire autre chose. Il n’écrit que sur elle, et je me lasse de ses histoires. Bien sûr, Mateo ne sait pas que je lis son journal.
Mateo est un voyageur, il est né les sandales aux pieds. Ces mots ridicules et mièvres à souhait, ce n’est rien, Mateo sait écrire, il sait dessiner et mieux que personne raconter ses histoires. Il n’est pas comme les autres. Les autres sont les autres, ils ne sont à eux tous qu’une masse indivisible et uniforme. Mateo sort de la norme ; on m’a parlé de lui et je l’ai retrouvé. Il ne sait pas encore que je suis là, il l’apprendra bien assez tôt.
La porte claque pour l’énième fois de la journée, mais cette fois c’est lui qui rentre. Je sors de sa chambre par la fenêtre et me perche sur le poirier qui chatouille sa vitre. Il se débarrasse de son sac et ouvre son cahier. Il va ajouter des lignes sur cette fille qu’il a pris soin de ne pas nommer. A travers le feuillage du printemps, je l’observe.
Il m’a vu. Il me regarde sans ciller. Alors je me lève, je m’étire et je grimpe sur le rebord de sa fenêtre. Il ne bouge toujours pas. Alors je monte sur son bureau et je pose ma patte sur une page. Il la prend dans une de ses mains de flûtiste et la pose à côté de la page.
Il écrit encore quelques instants puis repose son crayon. En fermant son carnet, il me pose une question silencieuse. Qui suis-je ? Je suis chat, je lui réponds. Il s’étonne que je puisse lui dire. Je lui demande de me raconter une histoire, mais il ne veut pas encore.
Il veut savoir si c’est moi qui lis ce qu’il écrit. Je lui dis que j’aime ses mots. Il me demande si j’ai vu la photo. Oui, non, peut-être, je ne sais pas. Il me la montre.
« Elle est jolie, hein ! »
Je n’y connais rien à la beauté humaine. Elle a des yeux bruns comme ceux des biches, la peau comme celle d’une pêche, un sourire comme celui du lion avant qu’il ne vous dévore et une sorte de crinière blonde. Cette fille est une carnassière. Pouah ! Je préfère lui dire la vérité –qu’elle n’est pas innocente.

Il soupire et m’ignore.
Je prends la photo. Elle n’a pas l’air gentil. Elle a juste une figure belle. Mais en vrai, en dessous, elle ne l’est pas. Elle est malade dans sa tête, et c’est à cause de ses parents. Ils veulent qu’elle soit la plus belle, la plus intelligente, la plus, la plus…
Et finalement, elle est la plus triste. Mais elle joue très bien son rôle de petite fille modèle. Mateo hausse les épaules. Il ne me croit pas. Tu n’es qu’un animal. Oui, je ne suis qu’un animal. Mais les animaux perçoivent au-delà des sens la vérité des êtres. Je voudrais bien lui dire, mais il ne m’écoute pas.
« Dis-moi, Chat… »
Oui ?
« Si je voulais qu’elle m’aime, tu m’aiderais ? »
Oui ! Je ne ferais rien pour elle, mais je le ferais pour lui. S’il me raconte une histoire. Il promet, mais seulement lorsqu’il aura gagné.
Je lui donne mon premier secret, car la fille aime le silence. Il lui rappelle les moments de sa vie où elle était en paix, sans frontières ni objectifs. Alors ne parle plus, Mateo. Et quand tu lui parles, chuchote. Elle aime.


Mateo ne lui a pas parlé. Durant la conversation, il est resté sur son nuage, mais quand c’est elle qui a voulu lui demander quelque chose, il n’a pas écouté. Il n’a pas répondu. Il est tout désolé, ce soir, mais en fait, Mateo a beaucoup plu à la fille aujourd’hui. Elle aime bien lorsqu’il s’évade. Probablement parce qu’elle n’a jamais su le faire.
Mateo aimerait discuter avec elle. Mais il ne sait pas parler, il bafouille et rougit, il n’a pas d’assurance comme Julien Masson. Je lui demande qui est Julien.
« Julien Masson, grand, beau, riche, drôle, chéri de ses dames… »
Mais toi, Mateo ?
« Moi ? Pas vraiment grand, pas tellement beau, ni très drôle et ou trop riche. »
Oui, mais toi tu as ce qu’il n’a pas et qu’on achète pas. On ne le donne pas, et on ne le devient pas. Tu as l’imagination, l’art des mots et des mains.
« Je ne plais pas à une fille avec ça. Et surtout pas à elle ! »
Mais si. Tu lui envoies une lettre, un dessin pas signé, de l’art en vente libre et des mots qui se promènent, elle voudra y croire. Et quand tu lui diras que c’est toi…
« Elle me tombera dans les bras ? »
Il faudra d’abord que tu lui laisses le temps de comprendre. Au début elle t’ignorera, puis elle pensera que tu bluffes. Quand elle comprendra que c’est vraiment toi qu’elle a aimé à travers les mots et les couleurs, elle se prendra au jeu. Et là, elle sera prête pour toi. C’est juste une question de temps.

Il trempe le pinceau dans l’encre. C’est une fleur qui naît, sur une feuille de papier parchemin. Une longue lettre au porte-plume qui défile sur le papier, un pseudonyme au bout de la lettre et une enveloppe sans expéditeur.
Il soupire et pose un cachet à la cire rouge. Il la postera demain, et sera à chaque missive un peu plus nerveux. Maintenant, il se couche. Il est épuisé. Il ne sait pas que l’affaire est déjà dans sa poche.

Deux jours. La lettre est déjà arrivée. Il se ronge les sangs, et pour le calmer, je lui suggère de commencer une nouvelle lettre. Il s’attèle à cette tâche, ce qui me laisse le temps de rejoindre la maison de la fille.

Elle est dans l’entrée, a embrassé sa mère et ouvert l’enveloppe. Elle est ravie du dessin, elle aime l’écriture et les mots qui s’enchaînent. Mais elle ne comprend pas. Qui a pu la lui envoyer ?
Elle réfléchit, mais ne trouve pas. Mateo est tellement discret, Julien beaucoup trop commun, Yazid pas assez fleur bleue… Mais au fait, pourquoi a-t-elle pensé à Mateo en premier ?

Le téléphone sonne, elle répond. Julien Masson à l’appareil. Comment va-t-elle ? Bien, comme toujours. Mais pourquoi appelle-t-il ? Il sent qu’aujourd’hui, elle n’a pas été comme d’habitude, parce qu’elle était ailleurs. C’est sa faute ? Elle est désolée, vraiment, elle ne voulait pas lui faire de peine, mais au fait, c’est lui qui lui a envoyé une lettre ?
Evidemment non, pourquoi ? Simplement pour savoir, pour rien. Il faut qu’elle le laisse, elle doit aller se doucher. Elle raccroche et je m’en vais.

« Alors, chat, elle a reçu la lettre ? »
Oui, la Poste ne faisait pas grève.
« Et elle lui a plu ? »
Elle avait les yeux brillants en la lisant, et elle l’a intriguée.

Mateo a terminé le second courrier. Il l’a posté. Il demande dans combien de temps il pourra lui avouer. Je lui suggère d’attendre cinq lettres. Cinq. Ce n’est pas si énorme. Alors il rédige chaque lettre, et les cachette. Les unes après les autres, si bien qu’à la fin, il dispose de tous les courriers nécessaires ; il n’a plus qu’à les envoyer au fil des jours.

La besogne terminée, il se couche. Il est exténué. Je me love à ses pieds et sombre à mon tour dans le sommeil.
Le lendemain, le surlendemain et ainsi de suite, il poste chaque lettre. Consciencieusement, tel l’élève qui applique sa leçon, encore hésitant.
En dix jours, cette fille a trouvé cinq lettres provenant d’un inconnu qui semble la comprendre et l’aimer. Cinq lettres ; cinq preuves.
Elle les lit et les relit chaque jour, quand je suis perché à l’étage de son appartement. Finalement, elle pense qu’elle n’est plus si bien avec Julien. Il n’a rien d’extraordinaire. Oui, bien sûr, il est beau, il est drôle, mais vulgaire. Elle s’ennuie avec lui.

Mateo a signé la dernière carte. Il lui a envoyé et a signé. De son prénom. Elle ne peut que le reconnaître, n’est-ce pas ?
« N’est-ce pas, chat ? »
Pas tout de suite, non. Je te l’ai déjà dit. Il lui faudra du temps pour l’accepter. Elle s’imagine un grand hâbleur derrière toute cette mascarade, mais il va bien falloir qu’elle te reconnaisse.
« J’ai hâte, chat. Pas toi ? »
Non. Je sais d’avance ce qui va se passer. Mais ce n’est qu’un détail. Continue de rêver.
Dis, tu me raconteras l’histoire ?
« Oui, chat. Si ça marche. »


Une journée entière.
Ce que le temps peut être long. Il est cinq heures passées, et Mateo n’est toujours pas rentré. Mais je sais : il doit être avec sa lionne. Je rejète au loin cette pensée. Et s’il oubliait mon histoire ?
Dans tous les livres, les conteurs oublient leurs histoires à cause des femmes. Dans tous les romans, les voyageurs deviennent sédentaires –à cause des femmes.
Si mon nomade m’oublie, je m’en vais. C’est dit.
Mateo n’écrit plus ses histoires. Il rêve mais oublie ses songes. Il dessine puis déchire ses traits. Et ce soir il va rentrer et il va tout me raconter. Et moi, je ne voudrai pas entendre mais je ne pourrai pas faire autrement.

La porte qui claque.
Mateo.

Oui, elle m’a parlé. Pas devant tout le monde, seule à seul. Elle m’a montré les lettres, et j’ai rougi. J’aimerais ne pas rougir. Le chat a toujours raison. Elle m’a ignoré, jusqu’au déjeuner. Puis, elle m’a demandé de lui faire une fleur, comme celle de la première lettre. Avec un pinceau, du rouge et de l’eau, je lui ai dessiné une rose. Elle a pris le morceau de papier et un stylo bille et a griffonné deux mots. Elle me l’a rendu et est partie en courant.
Dessus était écrit : « Je t’aime. »


Mateo referme son carnet. Il a mis dedans son morceau de papier depuis, range ce précieux cahier dans une boîte cadenassée. Il doit penser que la serrure me rebute. Il se trompe –quand on veut, on peut.

L’ennui est là. Mateo ne me parle plus, il passe ses soirées dehors, quand il rentre ne dis rien, se pose sur son lit et rêvasse. Pas des rêves bénéfiques comme avant, non. Des rêves du quotidien, mais en fait, il est malheureux. Il croit qu’il est heureux, mais il ne l’est pas.
Il l’a écrit. Personne ne veut déplaire à Julien Masson. Alors quand sa petite amie le laisse pour aller avec un autre, tout le monde a pour mission d’éviter cet autre.
Même si on l’aime bien, même s’il n’est pas méchant. Par principe. Ses copains ne viennent plus le voir, il passe ses journées avec les amies de la lionne. Même quand la lionne n’est pas là.
Il s’ennuie terriblement. Et la fille n’est pas si belle, elle n’est pas si gentille, puis elle est capricieuse. Beaucoup trop compliquée pour lui.

A la première embrouille, il est venu me voir.
« Dis-moi, chat, tu n’es pas fâché ? »
Je ne sais pas. Les hommes aiment être fâchés. Moi, je suis chat, je n’en demande pas tant. Parle-moi, écoute-moi, il suffit de peu pour faire mon bonheur.
« Excuse-moi, chat. »
Bien sûr que je te pardonne, Mateo. Tout le monde te pardonne.
« Elle est infâme. »
Je le sais.
« Elle rit avec moi, elle m’embrasse, elle dit qu’elle m’aime. »
Toutes les femmes le font, Mateo.
« Et après, elle part, elle en dit de belles dans mon dos… Elle ne m’aime pas. Pas vraiment. »
Oui. C’est vraiment comme tu dis.
« Dis-moi, chat… Crois-tu vraiment, réellement, véritablement qu’elle soit faite pour moi ? »
Non. C’est ce que je te serine depuis le début. Tu as eu ton expérience, Mateo ; mais il est peut-être temps qu’elle s’achève, tant qu’elle n’est pas trop envahissante.
« Mais je ne peux pas, chat. Je suis engagé envers elle. »
Engagé de quoi, Mateo ? Tu n’as que quatorze ans. Elle t’empêche de vivre, d’écrire, de lire, de créer et de dessiner ! Elle te domine. Elle est trop compliquée.
« Chat, j’aimerai une fille simple, tard. »
Tu dis toujours plus tard. Je ne sais même pas s’il y aura un plus tard. Peut-être que ta vie s’arrêtera demain ; personne ne sait.
« J’aimerai quand même quelqu’un de simple, avant. »
L’amour, on ne peut pas le commander. Il vient tout seul, d’un coup ou à l’usure. Tu as eu un déclic, mais ce n’était qu’une erreur. Maintenant, il est encore temps de la réparer. Demain, il sera trop tard.

Il cherche le téléphone et compose son numéro. Au moment où elle décroche, il raccroche.
« Non, chat, je ne peux pas le faire de cette façon. »
De toutes façons, il faudra bien que tu le fasses un jour.
« Tu es chat, tu cherches toujours une échappatoire. Moi, j’irai la voir, demain, et je le lui dirai en face. En vrai, pas derrière un combiné qui reproduit ma voix à des dizaines de kilomètres. »
Bien raisonné, Mateo.
Je serai presque fier de toi.

Il est rentré. Je saute sur le lit et prends un air accusateur. Il ne lui a rien dit, je le vois tout de suite. Mais je veux voir…
« Chat ? »
Mmm ?
« Tu sais déjà que je ne lui ai pas dit. »
Oui.
« Tu penses vraiment qu’il faut que je le fasse. Mais je ne peux pas, c’est une question de courage. »
Il te reste une dernière chose.
« Oui, je sais. »

Il sait que je sais. Il prend du papier, un porte-plume et écrit. Il écrit, il barre, reprend, chiffonne, récupère, mais le résultat est là. Une lettre de rupture, une vraie.
Mateo a dessiné une fleur fanée dessus.
Il lui a demandé de ne pas lui en vouloir. Il s’est excusé de sa lâcheté. Il a posé un timbre, mais il ne l’a pas envoyée.
En ce moment même, il doit être au collège.
Et la lettre est toujours posée sur son bureau. Il ne l’a pas envoyée.
Tiens ! Le cachet de cire est raté. On voit bien le tampon et la forme qu’il dessine, mais la cire s’est fendue en son milieu. Il l’a fait exprès.
Quand il s’agit d’art, Mateo pense vraiment à tout.

Mais quand il s’agit de passer à l’action, Mateo oublie.
Je prends la lettre dans ma gueule. C’est encombrant, pas facile à porter, et encore moins de se déplacer avec. Mais je vais y arriver.
Je cours le long du mur. Au coin de la rue, il y a une boîte postale. Je grimpe dessus. En me penchant en avant, je peux enfoncer une partie de l’enveloppe dedans.
Pourvu que personne ne passe… Il trouverait plutôt bizarre de voir un chat poster un courrier.

Ah ! Enfin, le courrier est passé dans la boîte. Je rentre.

Mateo est déjà là. Il n’a pas vu la lettre, et l’a réclamée auprès de sa mère. Je m’excuse Mateo, mais sinon tu ne l’aurais jamais envoyée.
« Je sais. Merci, chat. »

C’est dommage pour lui. C’est une expérience que de poster une lettre de rupture. Même si on n’a pas besoin de faire de l’acrobatie pour y parvenir.

Le lendemain, il rentre furieux de son collège. La fille, sans attendre, a déjà rompu. Elle n’a même pas encore reçu la lettre. Il est désemparé, il ne comprend pas.
C’était du bluff.
« Tu crois, chat ? »
Elle leur fait tous croire ce qu’elle veut.
« Je me suis fait avoir comme les autres. Je ne suis pas plus intelligent qu’eux. »
Non, mais toi, tu as de l’or dans les doigts, ce qui te permettra de compenser.
« Oui, chat. Je ne me ferai plus avoir. »
Je sais, Mateo. Je sais.

Maintenant, il est comme un oiseau blessé. On ne le fréquente plus nulle part, il est la bête noire de son collège ; la lionne se délecte de ses mensonges, elle montre les lettres partout. Même la dernière, celle de la fin.
Tout le monde rit en surface, mais ne peut s’empêcher d’apprécier l’écriture de ce garçon, ses mots justes et ses dessins, qui sont comme des fleurs d’eau.
Il est malheureux. Mais moins qu’avant. On ne sait pas pourquoi ; je sais juste qu’il se sent plus lui-même.

« Tu vois, chat, je ne me mens plus. »
Oui, Mateo. Mais à la place tu es seul.
« Pas si seul, chat. Il y a toujours ton histoire. »
Raconte-la-moi.
« C’était il y a très longtemps (ou peut-être juste hier), dans un pays lointain (ou peut-être juste à côté), un lion vivait en communauté avec sa meute de femelle.
Un jour, il tomba au fond d’un trou, alors qu’il était suivi par des chasseurs. Lorsqu’il ressortit, il était couvert de bestioles. Elles le démangeaient horriblement.
Un petit oiseau solitaire passait par là. Il lui proposa de lui picorer chaque insecte jusqu’à ce qu’ils ne le démangent plus, à condition d’avoir la vie sauve. Et le lion accepta.
Le petit oiseau grimpa sur le lion, et dévora toutes les bêtes ! Lorsque le lion se sentit bien, il s’étira sur l’herbe et commença sa toilette.
Il l’eut bientôt terminée, et sans même y prendre garde, il tendit la patte, attrapa l’oiseau et l’avala. »
C’est tout ?
« Oui, chat. »
Non, ce n’est pas tout. A mon tour de terminer.
Peu de temps après, le lion tomba dans une fosse, à nouveau coursé par des chasseurs.
Lorsqu’il ressortit, il était de nouveau recouvert d’insectes ! Aucun oiseau ne voulut le picorer, alors il implora, mais personne ne voulut se déranger.
Si bien qu’à force de se gratter, le lion mourut d’épuisement.
« Chat ? »
Oui ?
« Tu penses vraiment que l’histoire finit comme ça ? »
Oui, Mateo.
Maintenant, méfie-toi. Quand on est petit oiseau, pour un grand lion, on ne fait jamais qu’une bouchée de nourriture.


Mateo se l’est rappelé.
A côté de la maison de Mateo, il y a un jardin. Et à côté de ce jardin, il y a des voisins. Et à côté de la maison des voisins, il y a un jardin. Et dans ce jardin, la fille des voisins lit, couchée sur la pelouse.

De sa fenêtre, Mateo la regarde. Il ne la connaît pas, mais ce qu’il voit lui plaît. Elle est trop maigre, elle a de trop grands yeux noirs, son visage est constellé de taches de son et ses cheveux sont roux carotte et trop épais.
En ce moment, elle s’en fiche. Elle est plongée dans son bouquin, et elle ne remarque pas Mateo. Lui relève soigneusement le nom de son livre.

« Chat ? »
Mmm ?
« Ses livres parlent de pyramides et d’assassins. »

Il va tomber amoureux d’elle. Ou peut-être pas. Il me demande d’aller voir ce qu’elle fait. J’obtempère mais lui fais bien comprendre que je ne suis pas à son service.
Je ne suis pas un ange gardien.

Dans son jardin, il y a plein d’oiseaux qui picorent tranquillement. Quand j’arrive, je sème la pagaille, et elle est bien obligée de lever la tête.
Même pas !
Elle est tellement dans son livre que rien ne la fera bouger.
Aux grands mots les grands moyens. Je me frotte à ses jambes. Elle lève un œil et rit. Elle promène sa main dans le sens de mon poil, alors je me couche à côté d’elle.
« Bonjour, chat. Tu as un maître ? »
Les chats n’ont pas de maîtres.
« Je suis désolée. Tu vis ici ? »
Ici, là-bas, plus loin. Je visite.
Elle recommence à lire. Je lis aussi et me laisse prendre aux jeux des phrases. Finalement, je passe la journée entre deux rayons de soleil et ne quitte sa pelouse moelleuse que lorsqu’elle referme son livre.
« Chat ? Si tu veux terminer le livre, viens chez moi demain soir, même heure, même endroit. »
Elle sait que je viendrai.

Je rejoins en trois bonds la fenêtre de Mateo. La fille m’a vue. Elle voit Mateo, lui fait un signe. Il répond sans rougir.

Le lendemain, je me rends dans son jardin. Elle est déjà là et lit depuis un quart d’heure. Elle me remet à la bonne page, le temps que je comprenne.
Elle aussi, elle peut parler avec moi.

D’un coup, à cause des giboulées de printemps, une pluie féroce nous tombe dessus. Elle est alarmée.
« Chat ? Mes parents ne sont pas là ! »
Oui, j’ai vu. Ce n’est pas grave. Suis-moi.
« Chez lui ? »
Oui, chez lui.

Elle grimpe au poirier sans souci. La lionne, elle, aurait eu peur de déchirer sa jupe ou d’abîmer son maquillage.
En haut, Mateo ouvre sa fenêtre.
« C’est toi, chat ? »
Oui. Je t’amène quelqu’un.
« J’ai vu, chat. »

Ils discutent. Ce n’est pas du tout la même teneur que les délires amoureux avec la lionne. Ils ont tous les deux un regard franc et contre la glace.
Elle lui explique qu’elle lit et qu’elle peint.
Il lui explique qu’il écrit et qu’il peint.

Il prend un morceau de papier. Je m’attends à ce qu’il recommence le numéro de la rose rouge, mais il abandonne. A la place, il prend du noir ivoire et une touche de vert émeraude. Sous son pinceau expert naît…

Un chat. Moi.

Elle rit. Elle prend le porte-plume et le plonge dans un vernis blanc, puis m’ajoute mes moustaches et le reflet de mes yeux.
Je crois que j’aime ce dessin.

Les jours qui suivent, la panthère passe ses soirées chez Mateo. Ils peignent, il lui raconte des histoires et elle écoute avec attention. Ce n’est pas sa petite amie. Ce n’est pas non plus une simple copine.
C’est elle. Sa vraie amie. J’ai occupé ce rôle temporaire, je l’ai bien aidé, je le sais. Elle aussi sait parler avec moi ; mais maintenant, j’ai l’impression d’avoir rempli ma petite mission. Je crois qu’il est heureux, maintenant.
Je crois même qu’ils sont heureux.

J’ai gravé dans ma mémoire de chat le dessin qu’ils ont fait de moi. Je me souviens de tous les détails, du plus infime à la généralité.
Je n’oublierai pas la différence entre les chats, les lions et les panthères. Après tout, je ne suis que chat. Je vis à côté des hommes.
Je suis heureux moi aussi.
Heureux de les avoir rendu heureux.

En haut du poirier, ils sont en train de parler. Il lui raconte mon histoire. Le petit oiseau a enfin trouvé son maître. Je suis rassuré. Je peux tout laisser, elle s’occupera de lui.
Mateo est plutôt fragile.
D’un bond équilibré je rejoins le sol et sors du jardin en courant.

J’espère juste qu’ils ne perdront pas mon portrait.
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Re: Un peu de tendresse dans ce monde de brutes
Posté par xenofexs le 20/08/2004 07:47:38
Exellent. Rien d'autre a dire (on reste béa devant tant de mots si bien enchainé)
Re: Un peu de tendresse dans ce monde de brutes
Posté par lyram le 20/08/2004 07:47:38
Hello! Je trouve ton hisoire magnifique. J'aime beaucoup ta facon d'écrir. Continue. Bisous Maryline
Re: Un peu de tendresse dans ce monde de brutes
Posté par annesofy10 le 20/08/2004 07:47:38
j'trouve tous sa trés bo =) t'ecris magnifikement bien c tré emouvant en plus ,enfin félicitation!
Re: Un peu de tendresse dans ce monde de brutes
Posté par nadja terry san le 20/08/2004 07:47:38
Utopia, c'est merveilleux. En fait, c'est pas vrai. Il n'y a pas de mots assez forts pour te dire à quel point j'aimé ton histoire et comment j'ai ressenti ta façon d'écrire. Moi même j'écris ; plutôt de la poésie mais pas toujours. Je suis heureuse de voir que des jeunes aiment encore danser avec les mots comme tu le fais. Continue stp pour notre bonheur à tous.
Re: Un peu de tendresse dans ce monde de brutes
Posté par arthemis le 20/08/2004 07:47:38
Je l'ai écrit avant l'Albinos...
Encore merci. Je ne sais jamais comment remercier à chaque fois les gens qui aiment ce que j'écris, parce que c'est tellement s'exposer au regard des autres de montrer ce qu'on écrit que je me sens nue...
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Publié le 16 juin 2002
Modifié le 16 juin 2002
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